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Date: 20010212

Dossier: 95-1077-IT-G

ENTRE :

SMITHKLINE BEECHAM ANIMAL HEALTH INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs de l'ordonnance

Le juge Bonner, C.C.I.

[1]            L'appelante demande :

a)              une ordonnance exigeant que l'intimée réponde à des questions auxquelles on a refusé de répondre en son nom lors de l'interrogatoire préalable de Tim Truckle, soit des questions qui sont énoncées au paragraphe 14 de l'affidavit de Martin Sorensen;

b)             une ordonnance exigeant que l'intimée produise les documents relatifs aux questions visées à l'alinéa a) ci-devant ou une ordonnance exigeant que l'intimée dépose et signifie un meilleur affidavit de documents ou un affidavit de documents supplémentaire pour ce qui est des documents relatifs aux questions visées à l'alinéa a) ci-devant;

c)              une ordonnance exigeant que Tim Truckle soit de nouveau soumis à un interrogatoire préalable concernant les questions visées aux alinéas a) et b) ci-devant.

[2]            La demande s'inscrit dans le contexte d'un appel relatif à l'impôt sur le revenu. La nature générale de l'entreprise de l'appelante, les ajustements en matière de cotisation donnant lieu à l'appel et la théorie sous-jacente aux cotisations en cause sont exposés dans les motifs de l'ordonnance du 4 novembre 1999 permettant à l'intimée de modifier la réponse à l'avis d'appel[1]. Je ne vais pas réitérer tout cela maintenant. Est au coeur du litige la question de savoir si la somme que l'appelante a versée ou convenu de verser à ses corporations affiliées non résidantes pour de la cimétidine excédait la somme qui aurait été raisonnable eu égard aux circonstances si l'appelante et les corporations affiliées n'avaient eu aucun lien de dépendance. Dans l'affirmative, le montant de l'excédent est également en litige.

[3]            Le 23 février 1999, l'avocat de l'appelante avait conclu l'interrogatoire préalable de Tim Truckle, le représentant de l'intimée, sous réserve de droits en matière d'engagements, de consultations, de refus et de questions en résultant. Peu avant cela, l'avocat de l'appelante avait posé les questions suivantes et reçu les réponses suivantes :

[TRADUCTION]

1811         Q.             Ai-je raison quand je dis que cet ajustement total de 66 982 990 $ est l'aboutissement de l'utilisation du prix relatif aux opérations qui a été considéré par Revenu Canada comme étant le PCNC[2] et que nous avons examiné aux onglets 5, 6, 7, 8 et 9 du recueil no 9?

                R.             Je crois que c'est exact.

1812         Q.             Je vous demanderais de bien vouloir examiner le paragraphe 21 de la réponse à l'avis d'appel. Ce paragraphe représente-t-il un résumé fidèle de tous les faits dont nous avons parlé durant l'interrogatoire?

                R.             Je crois que oui.

1813         Q.             Mis à part ce que nous avons examiné durant l'interrogatoire, est-ce que Revenu Canada est au courant d'autres faits qui auraient servi de base aux nouvelles cotisations actuellement en appel?

                R.             Je ne suis actuellement au courant d'aucun autre fait.

1814         Q.             Je voudrais attirer votre attention particulièrement sur l'alinéa 21f) et le paragraphe 20 de la réponse à l'avis d'appel. Au besoin, veuillez réexaminer ces passages pour vous rafraîchir la mémoire.

                                Après avoir examiné ces passages, pourriez-vous me dire si les circonstances mentionnées au paragraphe 20 de la réponse à l'avis d'appel sont identiques aux circonstances mentionnées à l'alinéa 21f) de la réponse à l'avis d'appel?

                                                                [...]

                R.             Comme les circonstances mentionnées à l'alinéa 21f) ne sont pas exposées avec toutes leurs particularités, je dirais qu'elles sont identiques ou semblables aux circonstances mentionnées au paragraphe 20.

1815         Q.             Veuillez maintenant examiner l'alinéa 25a) de la réponse à l'avis d'appel, et je vous invite à le relire pour vous rafraîchir la mémoire. Pourriez-vous me dire si les circonstances mentionnées au paragraphe 20 et à l'alinéa 21f) de la réponse à l'avis d'appel que nous venons d'examiner sont identiques aux circonstances mentionnées à l'alinéa 25a) de la réponse à l'avis d'appel?

                R.             Comme dans le cas de ma réponse précédente, je dirais que, bien qu'elles ne soient pas détaillées, les circonstances sont en fait les mêmes.

1816         Q.             Je vous inviterais également à réexaminer l'alinéa 9a) de la réponse à l'avis d'appel pour vous rafraîchir la mémoire. Les circonstances mentionnées à l'alinéa 21f), au paragraphe 20 et à l'alinéa 25a) de la réponse à l'avis d'appel sont-elles les mêmes que celles qui sont mentionnées à l'alinéa 9a) de la réponse à l'avis d'appel?

Je crois que ce sont les mêmes.

[4]            Les parties de la réponse à l'avis d'appel visées dans ces questions sont les suivantes :

[TRADUCTION]

9.              En réponse au paragraphe 9 de l'avis d'appel, il admet uniquement que, durant la période pertinente, l'appelante a acquis de la cimétidine de deux corporations (les " corporations affiliées ") qui n'étaient pas résidentes du Canada et avec lesquelles l'appelante avait un lien de dépendance. Il dit en outre que :

a)              l'appelante a versé ou convenu de verser aux corporations affiliées des sommes pour de la cimétidine qui étaient supérieures aux sommes qui auraient été raisonnables eu égard aux circonstances si l'appelante et les corporations affiliées n'avaient eu aucun lien de dépendance;

20.            En réponse aux paragraphes 22 et 23 de l'avis d'appel, il dit que le ministre a appliqué le paragraphe 69(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu et il nie que les sommes que l'appelante a versées ou convenu de verser aux corporations affiliées pour de la cimétidine et qui sont indiquées ci-dessous comme étant le coût de produits vendus étaient raisonnables eu égard aux circonstances. Il dit que les montants qui auraient été raisonnables eu égard aux circonstances si les corporations affiliées et l'appelante n'avaient eu aucun lien de dépendance sont indiqués ci-dessous et il a donc refusé les sommes en sus de ces montants :

                                Montant                                                                                Montant

                                déclaré                                                                                      refusé

                                comme coût de      Montant                                                     (inclut l'ajustement

                Année     produits vendus    raisonnable          Différence              pour inventaire)

                1981         28 601 108 $            17 875 673 $            10 725 415 $            5 388 389 $

                1982         22 950 979 $            9 818 953 $             13 132 026 $            13 803 842 $

                1983         21 869 720 $            6 560 777 $             15 308 943 $            14 778 753 $

                1984         9 439 808 $             2 241 133 $             7 198 675 $             9 731 626 $

                1985         13 642 098 $            2 113 850 $             11 528 248 $            11 796 197 $

                1986         10 658 489 $            1 568 806 $             9 089 683 $             6 421 868 $

                1987         *               *                               5 062 315 $

                                                                __________          __________

                                                                66 982 990 $            66 982 990 $

* aucune question de prix de transfert

2l.             En établissant les cotisations à l'égard de l'appelante en vertu de la partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu, le ministre invoquait, outre les faits énoncés au paragraphe 20 des présentes, les hypothèses de fait suivantes, notamment :

f)              l'appelante a versé ou convenu de verser des sommes totales de 66 982 990 $ excédant le prix qui aurait été raisonnable eu égard aux circonstances si l'appelante et les corporations affiliées n'avaient eu aucun lien de dépendance durant la période pertinente.

25.            L'intimée soutient respectueusement que :

a)              les montants fixés dans les cotisations en vertu de la partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu reflètent le fait que les sommes payables par l'appelante aux corporations affiliées pour de la cimétidine étaient supérieures aux montants qui auraient été raisonnables eu égard aux circonstances si l'appelante et les corporations affiliées n'avaient eu aucun lien de dépendance au sens du paragraphe 69(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu;

[5]            Dans une lettre datée du 10 janvier 2000, l'avocat de l'intimée a produit un grand nombre d'" éclaircissements, corrections et ajouts " relatifs aux réponses données lors de l'interrogatoire préalable, y compris la correction qui suit :

[TRADUCTION]

Correction concernant la réponse à la question 1814 :

L'alinéa 21f) de la réponse à l'avis d'appel se limite à l'information dont le ministre était au courant lorsque les cotisations ont été établies. Les circonstances mentionnées au paragraphe 20 comprennent toutes les circonstances dont l'intimée a pris connaissance; par exemple :

-                le service chargé de l'impôt des sociétés a dit à SmithKline que son prix de transfert n'était pas raisonnable;

-                SmithKline n'a pas atteint son propre objectif en matière de profit avant impôt pour le Canada eu égard à des risques assumés par l'appelante au Canada;

-                le prix final de vente du Tagamet au Canada était bien inférieur à ce qu'il était sur la plupart des autres marchés mondiaux, de sorte que le prix élevé de transfert au Canada a empêché la réalisation d'un profit.

[6]            À la lumière des termes " par exemple ", l'avocat de l'appelante a essayé de déterminer d'autres circonstances dont l'intimée avait pris connaissance. Le 26 janvier 2000, il a posé la question suivante au représentant de l'intimée :

[TRADUCTION]

Q. 2075    Je voudrais que vous m'indiquiez toutes les circonstances dont vous êtes au courant et que vous me disiez quand vous avez pris connaissance de ces circonstances et quels documents appuient toutes ces circonstances.

La question a été prise en délibéré.

[7]            Par voie de lettre datée du 2 mars 2000, l'avocat de l'intimée a ensuite envoyé à l'avocat de l'appelante la réponse suivante à la question 2075 :

[TRADUCTION]

Outre les trois circonstances communiquées à l'appelante lors de l'interrogatoire préalable — et sans limiter le droit que l'intimée aura au procès d'invoquer d'autres circonstances dont elle aura pris connaissance en interrogeant des témoins avant le procès ou que révélera la preuve lors du contre-interrogatoire des témoins de l'appelante — voici un certain nombre de circonstances supplémentaires :

•                la corporation mère SmithKline a maintenu comme prix de transfert à l'appelante 400 $ US le kilo malgré le fait qu'elle se rendait compte que le prix de transfert causait un problème de rentabilité pour l'entité canadienne;

•                la corporation mère SmithKline a maintenu comme prix de transfert à l'appelante 400 $ US le kilo malgré l'avènement d'une concurrence importante au Canada attribuable au Zantac de Glaxo et aux produits de cimétidine vendus par d'autres sociétés pharmaceutiques canadiennes;

•                l'appelante payait des frais administratifs et des redevances à des membres du groupe de corporations SmithKline (autres que Penn et Franklin) pour les présumés avantages qu'elle tirait du fait d'être membre de ce groupe;

•                les corporations affiliées (Penn et Franklin) qui vendaient de la cimétidine à l'appelante pour 400 $ US le kilo n'étaient propriétaires d'aucun actif incorporel lié au développement de la cimétidine ou à la formulation ou à la vente du Tagamet, et le seul service qu'elles fournissaient à l'appelante consistait à lui procurer de la cimétidine qu'elles fabriquaient en vertu de contrats de licence avec SK & F Labs Ltd.;

•                l'appelante a subi des pertes importantes attribuables aux activités consistant à formuler et à vendre du Tagamet au Canada et elle n'a pas gagné un taux de rendement proportionnel aux activités qu'elle exerçait ici;

•                l'appelante et les autres sociétés pharmaceutiques canadiennes exerçaient essentiellement les mêmes activités après l'achat de cimétidine, soit de la fabrication secondaire, de la vente et de la commercialisation de produits à base de cimétidine;

•                voir aussi les hypothèses énoncées dans la réponse à l'avis d'appel.

[8]            Il y a eu ensuite un long échange de lettres concernant le caractère approprié de cette réponse et la question de savoir à quel moment l'intimée avait pris connaissance des circonstances mentionnées et quels étaient les documents à l'appui de chacune de ces circonstances. Dans une lettre à l'avocat de l'appelante en date du 27 mars 2000, l'avocat de l'intimée a déclaré :

[TRADUCTION]

1)              Vous avez demandé à quel moment l'intimée a pris connaissance de circonstances sur lesquelles le ministre ne s'était pas fondé à l'époque de la cotisation. L'intimée a pris connaissance de circonstances supplémentaires au cours de l'interrogatoire préalable de l'appelante. La position de l'intimée est qu'il ne convient pas de demander quels documents se rapportent à chacune des circonstances, car cela exigerait que le représentant de l'intimée fasse une sélection parmi tous les documents produits jusqu'à maintenant. L'intimée est incapable de dire si toutes les circonstances ont été énumérées lors de l'interrogatoire préalable, car l'appelante n'a pas fourni de réponses à certaines questions qui lui avaient été posées au cours de l'interrogatoire préalable, et l'interrogatoire de l'appelante n'est pas encore terminé;

L'échange de lettres s'est poursuivi. Dans une lettre à l'avocat de l'appelante en date du 19 mai 2000, l'intimée a réitéré sa position concernant les questions de savoir à quel moment elle avait pris connaissance de circonstances et si elle était obligée de faire une sélection parmi les documents. Cette lettre se lit en partie comme suit :

[TRADUCTION]

L'intimée ne refuse pas d'informer l'appelante de faits communicables dont elle est actuellement au courant. La position de l'intimée est qu'il ne convient pas à l'étape de l'interrogatoire préalable de demander quels documents particuliers et quels passages particuliers de transcriptions d'interrogatoire préalable sont invoqués à l'appui de faits particuliers. Il en est ainsi notamment dans une affaire comportant des milliers de documents et de nombreux volumes de transcriptions d'interrogatoire préalable.

L'intimée a appris lors de l'interrogatoire préalable de l'appelante que des dirigeants de SmithKline étaient d'avis que l'appelante ne gagnait pas un taux de rendement au Canada proportionnel aux activités qu'elle exerçait ici. Les pertes et le faible taux de rendement déclarés par l'appelante relativement à ses activités au Canada corroborent cette opinion. Les nouvelles cotisations portées en appel ne se fondaient pas sur une hypothèse selon laquelle l'appelante aurait dû gagner un taux de rendement particulier au Canada. Toutefois, les nouvelles cotisations du ministre indiquent implicitement que l'appelante aurait dû gagner au moins le taux de rendement résultant des nouvelles cotisations. Si l'intimée arrive à une conclusion quant à un autre taux de rendement particulier que l'appelante aurait dû gagner au Canada, nous en aviserons l'appelante.

[9]            Le 26 octobre 2000, l'interrogatoire préalable de M. Truckle s'est poursuivi, se limitant probablement aux questions réservées lors de la conclusion de l'interrogatoire préalable du 23 février 1999. Le paragraphe 14 de l'affidavit de Martin Sorensen déposé à l'appui de la présente demande énonce les questions suivantes auxquelles l'appelante dit que l'intimée a refusé de répondre et doit maintenant être tenue de répondre :

[TRADUCTION]

a)              Quels documents se rapportent au " taux de rendement proportionnel aux activités [de l'appelante] " au Canada qui est mentionné dans la lettre de l'intimée en date du 2 mars 2000 (pièce K) et dans la lettre de l'intimée en date du 20 octobre 2000 (pièce S)? S'ils ont déjà été produits, veuillez préciser de quels documents il s'agit. Sinon, veuillez les produire.

                [Source : lettre de l'appelante à l'intimée en date du 10 mars 2000 (pièce L)]

b)             De quels renseignements dispose l'ADRC concernant les risques mentionnés dans les lettres de l'intimée en date du 10 janvier 2000 (pièce I) et du 20 octobre 2000 (pièce S), et quel est le rapport entre ces risques et la rentabilité de sociétés pharmaceutiques canadiennes?

                [Source : question 2166 de l'interrogatoire de M. Truckle (pièce R), page 814]

c)              Est-ce que le " taux de rendement " mentionné dans la lettre de l'intimée en date du 2 mars 2000 (pièce K) et dans la lettre de l'intimée en date du 20 octobre 2000 (pièce S) se compare au taux de rendement d'autres sociétés pharmaceutiques canadiennes?

                [Source : question 2175 de l'interrogatoire de M. Truckle (pièce R), page 819]

d)             Veuillez fournir toute l'information financière dont dispose l'ADRC indiquant ou tendant à indiquer la rentabilité de sociétés pharmaceutiques au Canada de 1977 à aujourd'hui, y compris, sans limiter la portée générale de ce qui précède, les renseignements en la matière obtenus grâce à des vérifications ou par le processus de l'Entente anticipée en matière de prix de transfert.

                [Source : question 2149 de l'interrogatoire de M. Truckle (pièce R), page 806]

e)              Veuillez communiquer les documents à l'appui de toutes les circonstances sur lesquelles se fonde l'intimée, outre les circonstances invoquées à l'étape de la nouvelle cotisation.

                [Source : question 2075 de l'interrogatoire de M. Truckle (pièce J), page 761]

[10]          En ce qui concerne notre cour, la portée de la production de documents ainsi que des interrogatoires préalables est régie par les articles 82 et 95, respectivement, des Règles. Cette portée est très vaste. Les Règles sont destinées à refléter le principe moderne examiné dans l'affaire R. c. Stinchcombe[3] :

À l'époque où le système accusatoire en était encore à ses débuts, la production et la communication de la preuve lui étaient étrangères et la surprise constituait alors une arme acceptée dans l'arsenal des parties au litige. C'était le cas en matière tant criminelle que civile. Fait révélateur, dans les instances civiles, cet aspect du système accusatoire est depuis longtemps disparu, si bien que la communication intégrale des documents et l'interrogatoire oral des parties, et même des témoins, sont des éléments familiers de la pratique. Ce changement a résulté de l'acceptation du principe selon lequel il vaut mieux, dans l'intérêt de la justice, que l'élément de surprise soit éliminé du procès et que les parties soient prêtes à débattre les questions litigieuses sur le fondement de renseignements complets concernant la preuve à réfuter.

Ainsi, l'article 95 autorise les " questions légitimes " qui se rapportent à " une question en litige ", et l'article 82 exige la production de " tous les documents [...] qui portent sur toute question en litige entre les parties à l'appel ". Ce qui est en litige est évidemment défini par les actes de procédure. Au cours de l'interrogatoire préalable, la partie interrogatrice peut chercher à obtenir de l'information et des aveux qui l'aideront non seulement à démolir la thèse de son adversaire, mais aussi à promouvoir la cause qu'elle cherche à faire valoir.

[11]          Je traiterai d'abord de la question de la communication de documents. Nul doute que les parties à un litige devant notre cour doivent déposer et signifier une liste de " tous les documents " requis en vertu du paragraphe 82(1) des Règles. Il s'agit ici de savoir si une partie est obligée de faire une classification des documents qu'elle a produits et de préciser pour le bénéfice de la partie adverse quels documents se rapportent à une question particulière. Je note qu'il n'y a rien dans la formulation expresse de l'article 82 qui appuie la position de l'appelante. Le libellé des Règles vise la production de documents et leur description dans des annexes distinctes seulement en conformité avec les catégories prévues aux alinéas 82(2)a), b) et c). Par l'ordonnance qu'elle sollicite, l'appelante cherche en réalité à obtenir le produit du travail de l'avocat de l'intimée sous la forme d'une analyse quant à la pertinence de chacun des documents et d'une classification des documents en conséquence. Cela va bien au-delà de la production de documents avant le procès prévue à l'article 82. Une partie n'a pas droit à l'expression de l'opinion de l'avocat de la partie adverse quant à l'utilisation pouvant légitimement être faite des documents produits par la partie adverse.

[12]          En ce qui a trait aux questions énoncées aux alinéas 14a) et e) de l'affidavit de M. Sorensen, on se plaint, si je ne m'abuse, que l'intimée n'a pas classé par catégories les documents qu'elle a produits. Elle n'est pas obligée de le faire, et cet aspect de la demande est donc rejeté.

[13]          Je passe maintenant à l'alinéa 14b) de l'affidavit de M. Sorensen. La question comporte deux parties. Dans la première partie, on demande de quels renseignements dispose l'ADRC concernant les risques mentionnés dans les lettres de l'intimée en date du 10 janvier et du 20 octobre 2000. Il est question de ces risques au paragraphe 5 des présents motifs. Ni l'une ni l'autre lettre ne précisent les risques mentionnés par l'intimée. L'intimée répète peut-être simplement des propos de l'un des dirigeants de l'appelante. Si tel est le cas, qu'elle le dise. Sinon, elle doit raisonnablement préciser les risques. Pour l'essentiel, l'appelante demande que l'intimée précise un des faits sur lesquels elle se fonde. Dans l'affaire Montana Band c. Canada[4], le juge Hugessen a présenté l'analyse suivante des questions " succinctes " ou " portant sur les faits à l'appui de la preuve " et il est arrivé aux conclusions suivantes, auxquelles je souscris respectueusement :

[24]          La jurisprudence est divisée au sujet des questions "succinctes" ou "portant sur les faits à l'appui de la preuve"; dans l'arrêt Can-Air Services Ltd. v. British Aviation Insurance Co., il a été statué qu'il n'était pas approprié de demander à un témoin de quelle preuve il disposait pour appuyer son allégation ou de quelle manière il comptait prouver celle-ci à l'instruction. Ce genre de questions ne tente pas de faire ressortir des faits que le témoin connaît ou sur lesquels il peut se renseigner, mais l'oblige plutôt à jouer le rôle d'un avocat et à sélectionner les faits sur lesquels la partie peut s'appuyer pour prouver une allégation donnée.

[25]          Par ailleurs, bon nombre de juges d'expérience qui président à l'instruction adoptent une attitude plus libérale. Ainsi, dans l'arrêt Rubinoff v. Newton, le juge Haines a déclaré:

[TRADUCTION] La ligne de démarcation entre la communication de faits sur lesquels une partie s'appuie et la preuve à l'appui de ce fait peut à l'occasion être très ténue, et quand cela se produit, la solution doit être de communiquer ce fait. Et je ne peux penser à une question plus simple et plus directe que celle-ci: "Sur quels faits vous appuyez-vous?" [...] La partie adverse a le droit de connaître les faits sur lesquels sont fondées les allégations d'actes de négligence ou de recouvrement, mais non pas la preuve qui sera fournie à l'appui de ces allégations. Nier ces faits équivaudrait à nier l'objet même de l'interrogatoire préalable qui est de se renseigner sur les faits, ou souvent, ce qui est tout aussi important, sur l'absence de faits se rapportant à chacune des allégations énoncées dans les actes de procédure.

[26]          De même, dans l'arrêt Brennan v. J. Posluns & Co. Ltd., le juge en chef McRuer a ordonné à un témoin de divulguer les faits sur lesquels s'appuyait une allégation. À son avis, une question de ce genre ne demande pas tant au témoin de tirer une conclusion de droit que de divulguer les faits qui sous-tendent cette conclusion. Lorsque le témoin est la partie qui propose cette conclusion, il est raisonnable de demander à connaître les faits qui la sous-tendent.

[27]          À mon avis, la meilleure solution est de faire preuve de souplesse. Manifestement, les genres de questions qui ont à bon droit été critiquées dans l'arrêt Can-Air, précité, à la note 5, peuvent facilement devenir abusives. Par ailleurs, une adhésion trop stricte aux règles énoncées aura vraisemblablement pour effet de nier l'objectif même de l'interrogatoire préalable. Bien qu'il ne soit pas approprié de demander à un témoin de quelle preuve il dispose pour appuyer une allégation, il me semble qu'il est tout à fait différent de demander à la partie qui fait l'objet de l'interrogatoire les faits qu'elle connaît et qui sont le fondement d'une allégation particulière dans les actes de procédure. Bien que la réponse puisse comporter un certain élément de droit, elle demeure essentiellement une question de fait. Les questions de ce genre peuvent être essentielles à l'étape de l'interrogatoire préalable afin de définir correctement les points en litige et d'éviter les surprises; si les actes de procédure n'énoncent pas les faits sur lesquels une allégation se fonde, on peut alors exiger de la partie au nom de laquelle cet acte de procédure est déposé qu'elle divulgue ce fait. [Je souligne.]

L'intimée dit que les risques en question font partie des circonstances relatives au paragraphe 69(2) qui sont pertinentes dans l'appel. L'intimée a l'obligation de communiquer les faits sur lesquels elle se fonde, et les risques mentionnés font partie de ces faits.

[14]          La seconde partie de la question énoncée à l'alinéa 14b) repose sur un fondement différent. La correction apportée par l'intimée à la réponse à la question 1814 traite des risques assumés par l'appelante au Canada. La réponse ne traite pas de risques assumés par d'autres sociétés pharmaceutiques canadiennes. Aucun élément de la réponse corrigée de l'intimée ne justifie des questions sur la rentabilité de sociétés pharmaceutiques canadiennes en général. Ni l'appelante dans son avis d'appel ni l'intimée dans sa réponse modifiée à l'avis d'appel n'allèguent un fait pertinent pouvant justifier cette demande de renseignements. Il peut y avoir un certain lien entre les risques assumés par un entrepreneur et l'importance de profits prévus. Toutefois, les profits dépendent d'une multitude de variables qui empêchent de faire des comparaisons significatives entre les profits (ou pertes) de l'appelante et ceux d'autres entités. Des analystes financiers pourraient, j'imagine, rédiger de longs ouvrages comparant les divers éléments qui entrent en ligne de compte dans la rentabilité de sociétés pharmaceutiques. De tels éléments pourraient bien inclure le financement, l'aptitude à gérer, la valeur des divers produits des diverses sociétés dans le traitement de maladies, la prévalence des maladies particulières traitées à l'aide de tels produits et, évidemment, l'incidence que les relations — avec ou sans lien de dépendance — avec les fournisseurs de matières premières pourraient avoir sur le coût de produits fabriqués. Une demande de renseignements du type envisagé dans la seconde partie de la question énoncée à l'alinéa 14b) n'est pas pertinente.

[15]          Je passe maintenant à la question énoncée à l'alinéa 14c) de l'affidavit de M. Sorensen. Les taux de rendement d'autres sociétés pharmaceutiques ne sont pas pertinents en ce qui a trait aux questions soulevées par les actes de procédure. La principale question, comme je l'ai déjà dit, est de savoir si le prix payé ou payable par l'appelante était supérieur au prix qui aurait été raisonnable eu égard aux circonstances si l'appelante et les corporations affiliées n'avaient eu aucun lien de dépendance. Ce sont les circonstances entourant la fourniture de cimétidine à l'appelante qui sont pertinentes aux termes du paragraphe 69(2) de la Loi. Il n'y a rien dans les documents qui indique qu'un lien factuel ou logique existe entre le prix qui aurait été payé si l'appelante n'avait eu aucun lien de dépendance avec les corporations affiliées et le taux de rendement d'autres sociétés pharmaceutiques canadiennes.

[16]          La demande d'information financière faite dans la question énoncée à l'alinéa 14d) n'est pas pertinente non plus. Il n'y a aucun lien entre l'information demandée et une question soulevée dans les actes de procédure.

[17]          Des arguments ont été présentés quant à la confidentialité de l'information figurant dans les dossiers de l'ADRC concernant la rentabilité et les taux de rendement d'autres contribuables. La pertinence est la question préliminaire lorsque se posent des questions sur la portée de la communication de documents et, à mon avis, la pertinence fait carrément défaut concernant les questions énoncées aux alinéas 14c) et d) et concernant la seconde partie de la question énoncée à l'alinéa 14b). Quoique les questions posées ne soient nullement pertinentes, j'ajouterai que, à mon avis, une démonstration particulièrement claire de la pertinence doit être faite lorsqu'un contribuable demande à un fonctionnaire du ministère du Revenu, lors de l'interrogatoire préalable, des renseignements qu'un concurrent a fournis au ministère du Revenu conformément aux exigences de la Loi de l'impôt sur le revenu. La Cour doit être vigilante quant à la possibilité qu'une telle demande de renseignements soit une tentative pour tirer profit du fait que la protection assurée à l'information des contribuables en vertu de l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu est limitée par le paragraphe (3), qui se lit en partie comme suit :

241(3) Les paragraphes (1) et (2) ne s'appliquent:

[...]

b)             ni aux procédures judiciaires ayant trait à l'application ou à l'exécution de la présente loi, du Régime de pensions du Canada ou de la Loi sur l'assurance-chômage ou de toute autre loi fédérale ou provinciale qui prévoit l'imposition ou la perception d'un impôt, d'une taxe ou d'un droit.

Sauf dans des cas comme l'affaire M.R.N. c. Huron Steel Fabricators (London) Limited et Fratschko[5], dans laquelle le ministre, en établissant la cotisation en cause, s'est fondé sur des renseignements recueillis auprès de contribuables autres que la partie appelante, je ne vois guère de circonstances, voire aucune, dans lesquelles des renseignements fournis au ministre par des contribuables autres que la partie appelante seront pertinents dans un appel en matière d'impôt.

[18]          La présente demande n'est donc couronnée de succès que concernant la première partie de la question énoncée à l'alinéa 14b). Vu le caractère un peu extravagant des questions que l'appelante a cherché sans succès à justifier, j'adjuge les frais de la demande à l'intimée, quelle que soit l'issue de la cause.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de février 2001.

" M. J. Bonner "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 3e jour d'août 2001.

Isabelle Chénard, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

95-1077(IT)G

ENTRE :

SMITHKLINE BEECHAM ANIMAL HEALTH INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Requête entendue les 20, 21 et 22 novembre 2000 à Toronto (Ontario), par

l'honorable juge M. J. Bonner

Comparutions

Avocats de l'appelante :                       Me Jacques Bernier

                                                          Me Robyn M. Bell

Avocats de l'intimée :                           Me Daniel Bourgeois

                                                          Me Pascal Tétrault

ORDONNANCE

          Vu la demande faite par l'appelante afin d'obtenir une ordonnance obligeant l'intimée à produire certains documents demandés lors de l'interrogatoire préalable de Tim Truckle et à répondre à certaines questions posées lors dudit interrogatoire;

          Et vu les documents qui ont été déposés, ainsi que les allégations des avocats des parties;

          Il est ordonné que l'intimée précise les risques mentionnés dans ses lettres du 10 janvier et du 20 octobre 2000. La demande est par ailleurs rejetée. L'appelante paiera à l'intimée les frais de cette demande, quelle que soit l'issue de la cause.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de février 2001.

" M. J. Bonner "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour d'août 2001.

Isabelle Chénard, réviseure


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]



[1]               C.C.I., no 95-1077(IT)G, 4 novembre 1999 (2000 DTC 1526).

[2]               Le PCNC est le prix comparable non contrôlé, soit une notion incluant les prix payés pour le produit (cimétidine) par des personnes sans lien de dépendance.

[3]               [1991] 3 R.C.S. 326, à la p. 332.

[4]               [2000] 1 C.F. 267.

[5]               [1973] C.F. 808 (73 DTC 5347).

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