Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20001207

Dossier: 94-1068-IT-G

ENTRE :

LESLIE ANN RUTLEDGE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs de l'ordonnance

Le juge Bell, C.C.I.

[1]            L'appelante, par un document daté du 6 avril 1999, a fait une demande écrite afin d'obtenir une ordonnance annulant le rejet de son appel découlant de l'application du paragraphe 16.2(2) de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt (la " Loi ") à la suite de la lettre de désistement de son avocat datée du 29 août 1996 et de la lettre du 4 septembre 1996 de cette cour envoyée à son avocat l'informant que, en vertu du paragraphe susmentionné, l'appel était rejeté.

FAITS :

[2]            Aucun témoignage de vive voix n'a été entendu. Des actes de procédure, deux affidavits de l'appelante, un affidavit de John Hopwood (" M. Hopwood "), de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'" Agence "), et des déclarations non contestées des avocats font état des faits suivants :

1.              Le ministre du Revenu national (le " ministre "), par avis de cotisation daté du 10 octobre 1991, a établi une cotisation à l'égard de l'appelante, en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu (" LIR ") pour un montant de 130 000 $ concernant un bien qui lui a été transféré par son époux, Donald Rutledge (" Donald "), le 4 octobre 1988.

2.              Le ministre avait auparavant établi une cotisation à l'égard de Donald en ce qui concerne son impôt sur le revenu d'un montant bien supérieur à 130 000 $.

3.              Les interrogatoires préalables de l'appelante et d'un employé de Revenu Canada ont eu lieu en avril 1995.

4.              En mars 1996 ou vers cette époque, Donald a produit une proposition auprès de Revenu Canada afin de régler toutes les questions fiscales en suspens.

5.              L'audition de la question a été ajournée en attendant le résultat des négociations au sujet de la proposition.

6.              L'appelante a déclaré dans son affidavit du 6 mai 1999 que :

                                [TRADUCTION]

                À la fin d'août 1996, j'ai indiqué à mon avocat que je souhaitais me désister de l'appel puisque mon époux, Donald, m'avait informée du fait qu'il était parvenu, avec l'aide de son comptable, à un règlement fiscal avec Revenu Canada qui annulait toutes mes dettes fiscales. Je comprends maintenant que le règlement n'a été véritablement conclu qu'en mars 1997. Je ne savais pas que le règlement fiscal n'était pas conclu lorsque j'ai indiqué à mon avocat mon souhait de me désister de l'appel.

7.              Le paragraphe 10 de cet affidavit est ainsi rédigé en partie :

                                                [TRADUCTION]

J'ai donc été surprise de recevoir une lettre de Revenu Canada le 26 janvier 1999, deux ans et demi après l'abandon de mon appel, précisant que je devais 249 920,81 $.

8.              Dans un deuxième affidavit, l'appelante a déclaré que son avocat l'avait informée du fait que l'avocate de l'intimée avait offert de supprimer toute obligation qu'elle pouvait avoir si elle payait la somme de 130 000 $. Elle a demandé à son avocat d'accepter l'offre de règlement, mais a indiqué qu'elle avait besoin de temps pour payer. Elle a également déclaré que son avocat l'avait informée du fait que l'avocate de l'intimée avait alors retiré l'offre de 130 000 $ et soutenait qu'elle n'avait pas de motifs valables à faire valoir en appel.

9.              Le 26 mars 1997, le ministre et Donald se sont entendus pour que ce dernier paie un montant de 1 100 000 $ au titre de son obligation fiscale en quatre versements de 275 000 $ devant être effectués le 31 mars 1997, le 30 septembre 1997, le 31 décembre 1997 et le 31 mars 1998, une renonciation au solde des intérêts devant être effectuée une fois tous ces versements effectués.

10.            Donald n'a effectué que deux versements avant l'audition de la présente requête.

ARGUMENTS DE L'APPELANTE :

[3]            L'avocat de l'appelante a mentionné les faits précités et a soutenu que le montant de la dette relative au bien susmentionné était égale à l'évaluation effectuée par le ministre et " que ce bien n'avait en réalité aucune valeur ", puisqu'il n'avait pas de valeur nette à l'époque. Il soutenait que l'appelante s'est appuyée sur les renseignements reçus de son époux au sujet du règlement de sa situation fiscale à lui et qu'elle faisait erreur. Il a également fait valoir l'existence d'un argument relatif à la théorie du manque de diligence, le ministre n'ayant communiqué avec l'appelante qu'environ deux ans et demi après le désistement de son appel. Cette communication a pris la forme de l'avis écrit du ministre prévoyant qu'à cette époque elle devait à Revenu Canada un montant d'environ 250 000 $.

ARGUMENTS DE L'INTIMÉE :

[4]            L'avocat de l'intimée a soutenu que la valeur de la contrepartie donnée par l'appelante à Donald pour le bien était de 130 000 $ inférieur à la valeur du bien et que cette cour ne pouvait offrir aucune mesure de redressement à cet égard, puisque la question en est une de règlement entre l'appelante et la direction des recouvrements de l'Agence.

[5]            Au cours de l'éclaircissement d'une question abordée par l'avocate de l'intimée, l'avocat de l'appelante a déclaré que " il est vrai que je n'ai pas vérifié auprès de Revenu Canada ".

[6]            L'avocate a également soutenu qu'une fois l'appel abandonné, il est simplement réputé être rejeté. Elle a mentionné deux articles des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) en vertu desquels la Cour peut modifier une ordonnance, mais ils ne portent que sur la modification des ordonnances ou des erreurs survenues dans les jugements. Puis, elle a déclaré que cette cour ne pouvait rouvrir une cause lorsqu'il y a eu désistement. Elle a renvoyé à l'affaire Bogie c. M.R.N.[1] dans laquelle la Cour d'appel fédérale a déclaré que :

1               En supposant, sans toutefois en décider, que la Cour canadienne de l'impôt a le pouvoir inhérent d'annuler un avis de désistement ou qu'un tel pouvoir lui est conféré par l'article 172 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt, nous sommes tous d'avis que le présent appel n'est pas fondé.

2               En l'espèce, l'avocat du contribuable, en s'appuyant sur les renseignements reçus du comptable de ce dernier, a recommandé à son client de se désister de son appel de l'avis de cotisation du ministre. Un avis de désistement a donc été dûment produit à la Cour de l'impôt. Toutefois, le comptable du contribuable a, par la suite, informé ce dernier que son avis antérieur avait été donné par erreur. Relative à une question de faits, l'erreur en cause porte sur la question de savoir si le contribuable a réclamé une déduction pour amortissement au cours d'une année d'imposition antérieure.

3               Étant donné le contexte factuel, il nous semble évident que le contribuable ne peut se distancier de l'avis erroné de son comptable. Dans les circonstances, la Cour considère non fondé l'argument selon lequel le contribuable n'aurait pas pu découvrir l'état véritable de la situation s'il avait fait preuve de diligence raisonnable. Sauf en cas de fraude, le contribuable est tenu responsable de la conduite de ses conseillers professionnels. À notre avis, les principes énoncés par le juge Stone dans l'arrêt Saywack c. Canada (M.E.I.), [1986] 3 F.C. 189 (C.A.), à la page 201, sont inapplicables aux faits de l'espèce.

[7]            L'avocate a en outre déclaré que l'appelante avait retiré son appel avant septembre 1996, mais ce n'est qu'en mars 1997 qu'une entente a été conclue entre Donald et Revenu Canada.

[8]            L'avocate a également soutenu que l'argument formulé par l'avocat de l'appelante selon lequel les versements effectués par Donald devraient s'appliquer d'abord au montant de 130 000 $ imposé contre l'appelante était erroné. Elle a déclaré que l'article 160 rendait le bénéficiaire du transfert responsable d'un montant égal au moindre (i) de l'excédent de la valeur du bien transféré par Donald sur la valeur de la contrepartie donnée par l'appelante et (ii) du montant que Donald devait payer en ce qui concerne l'année du transfert ou toute année d'imposition antérieure.

ANALYSE ET CONCLUSION :

[9]            L'article 16.2 est ainsi rédigé :

(1)            La partie qui a engagé une procédure devant la Cour peut en tout temps s'en désister par avis écrit.

(2)            Le désistement équivaut au rejet de la procédure en cause à la date à laquelle la Cour reçoit l'avis de désistement.

[10]          L'article 168 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) (les " Règles ") prévoit que, lorsque la Cour a prononcé un jugement disposant d'un appel, une partie peut demander, par voie de requête, un nouvel examen des termes du prononcé du jugement pour certains motifs déterminés. L'article 172 prévoit que la Cour peut modifier un jugement dans certaines circonstances. Ces deux articles ne s'appliquent pas en l'espèce puisque aucun jugement n'a été rendu, l'appel ayant été réputé être rejeté.

[11]          La Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Bogie, examinait une erreur portant sur une question de fait qui était facilement discernable par un professionnel, à savoir celle déterminant si une déduction pour amortissement avait été demandée au cours d'une année d'imposition antérieure. Il semble que la réponse à cette question était clairement connue du comptable de l'appelant qui avait mal renseigné les avocats de ce dernier, ce qui avait entraîné la production de l'avis de désistement. Le savant juge a déclaré que l'argument selon lequel le contribuable ne pouvait avoir découvert le véritable état de ses affaires en exerçant une diligence raisonnable n'avait aucun bien-fondé. Cette affaire concernait une cotisation établissant une obligation fiscale directe de l'appelant et non une cotisation établissant une obligation fiscale secondaire comme dans la présente affaire. En l'espèce, l'appelante croyait sincèrement les renseignements donnés par son époux, que ce dernier croyait de toute évidence exacts. Il ne s'agissait pas d'une simple question de faits techniques facilement discernables. L'ensemble du concept de confiance des conjoints l'un envers l'autre[2] démolit toute suggestion selon laquelle l'appelante aurait dû remettre en question les dires de son époux ou du comptable de ce dernier en exerçant une " diligence raisonnable ". Elle a simplement accepté que les renseignements fournis par son époux étaient valables, c'est-à-dire que ses problèmes fiscaux avaient été réglés, et elle a agi en conséquence. En tout état de cause, rien dans la preuve n'indique que l'avocat de l'appelante était celui de son époux. Par conséquent, ni elle-même ni son avocat n'avaient le droit de recevoir de renseignements de la part de Revenu Canada.

[12]          L'appelante n'était pas la contribuable dont les actions ont entraîné l'établissement d'une cotisation principale. Elle ne pouvait d'aucune façon connaître la situation de ce contribuable autrement qu'en recevant des renseignements de sa part. Une cotisation d'impôt secondaire a été établie à son égard en fonction d'une disposition de la Loi extrêmement inhabituelle et d'une grande portée. Son droit de poursuivre l'appel ne devrait pas être neutralisé par une exigence de diligence raisonnable qui en fait lui imposerait de remettre en question la véracité des dires de son propre époux.

[13]          L'article 13 de la Loi est ainsi rédigé :

La Cour a, en ce qui concerne la présence, la prestation de serment et l'interrogatoire des témoins, la production et l'examen des documents et, d'une façon générale, l'exercice de sa compétence, tous les pouvoirs, droits et privilèges conférés à une cour supérieure d'archives.

[14]          Cette cour possède la compétence inhérente d'annuler le rejet d'un appel ayant eu lieu à la suite d'un avis erroné, un tel rejet n'ayant pas été ordonné par jugement de cette cour.

[15]          Dans les circonstances, la justice est rendue s'il est permis à l'appelante de poursuivre une affaire dans laquelle, selon son avocat, des arguments valables en droit peuvent être avancés en son nom. À cet égard, la Cour d'appel fédérale, dans un jugement récent dans l'affaire Joanne Gaucher, a conclu que, en ce qui concerne le paragraphe 160(1) :

[...] cette seconde personne doit jouir d'un plein droit de défense pour contester la cotisation établie à son endroit, [...]

[16]          De toute évidence, la raison pour laquelle l'appelante n'a pas demandé plus tôt la mesure de redressement qu'elle cherche à obtenir maintenant est que Revenu Canada a attendu deux ans et demi après son désistement de l'appel avant de communiquer avec elle, cette communication ayant été, comme il est décrit ci-dessus, un avis écrit indiquant que sa dette atteignait environ 250 000 $.

[17]          Je vais accueillir la demande et rendre une ordonnance annulant le rejet.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de décembre 2000.

" R. D. Bell "

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 20e jour de juin 2001.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               C.C.I., no 94-670(IT)G, 5 mars 1997 (97 DTC 1079) C.A.F., no A-243-97, 30 septembre 1998 ([1998] 4 C.T.C. 195).

[2]               Aucune preuve ni aucune suggestion n'indiquait la présence d'un conflit ou d'un désaccord entre l'appelante et Donald.

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