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Date: 20010606

Dossier: 98-2655-IT-G

ENTRE :

PRODUITS FORESTIERS DONOHUE INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Archambault, C.C.I.

[1]            À la fin des années 1980, la société Produits Forestiers Donohue Inc.[1] (DSF) faisait partie d'un groupe de sociétés (Groupe Donohue) contrôlées par Donohue Inc. (Donohue). Le Groupe Donohue a investi à partir de 1988 des sommes considérables dans Donohue Matane Inc. (DMI) pour financer la construction d'une usine de pâte à papier, les améliorations apportées à quatre scieries et les opérations de ces usines. Pour ce projet, Donohue s'est associée à la Société de récupération, d'exploitation et de développement forestier du Québec (Rexfor) et chacun des associés détenait 50 % des actions ordinaires de DMI.

[2]            Peu de temps après la fin de la construction de l'usine de pâte, la situation financière de DMI est devenue catastrophique. Toutes les opérations de production de pâte et celles des scieries ont été interrompues entre juin 1992 et novembre 1993. À la fin de 1991, le placement du Groupe Donohue dans DMI n'avait plus aucune valeur. Pour déduire fiscalement la perte économique résultant de ce placement, le Groupe Donohue, avec la collaboration de Rexfor, a procédé à une restructuration de son placement dans DMI. Cette restructuration a permis à DSF de déduire dans le calcul de son revenu pour son année d'imposition 1993 une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise (PDTPE) de 46 657 499 $ (soit 75% de la perte au titre d'un placement d'entreprise (PTPE) de 62 209 999 $).

[3]            Même si la PTPE a été subie en 1993, l'année d'imposition en litige est l'année 1990 puisque DSF a reporté cette perte à l'année 1990 en vertu de l'article 111 de la Loi. Le 30 octobre 1997, le ministre du Revenu national (ministre) a envoyé un avis de nouvelle cotisation à l'égard de l'année d'imposition 1990. Par cette nouvelle cotisation, il réduisait de 47 323 359 $ le report de la perte subie en 1993. Le ministre s'est fondé sur la règle générale anti-évitement (RGAÉ) énoncée à l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi) pour refuser la déduction de la PDTPE de 46 657 499 $ et le litige ne porte que sur cette perte.

[4]            De façon subsidiaire, l'intimée avait aussi invoqué dans sa réponse modifiée à l'avis d'appel le fait que l'une des conditions nécessaires pour déduire la PDTPE n'avait pas été remplie, DMI n'étant pas une société exploitant une petite entreprise (SEPE) au sens du paragraphe 248(1) de la Loi car elle était contrôlée, directement ou indirectement, par Donohue, une société publique. Au cours de l'audience, la procureure de l'intimée a informé la Cour qu'elle abandonnait ce moyen.

[5]            Quant au procureur de DSF, il a reconnu qu'il existait une série d'opérations d'évitement qui a permis à DSF d'obtenir un avantage fiscal. À la suite des admissions faites dans les actes de procédure des parties et de celles faites au cours de l'audience, il ne reste plus en litige que la question de l'application de la RGAÉ. Plus précisément, il s'agit de déterminer si l'avantage fiscal obtenu par DSF entraîne un abus dans l'application de la Loi lue dans son ensemble. Si l'article 245 s'applique, il n'y a pas de contestation quant au montant en jeu, ni quant aux attributs fiscaux déterminés par le ministre. Par contre, les parties conviennent que, si la PDTPE déduite par DSF en 1993 n'entraîne pas d'abus, cette perte peut être reportée à 1990.

FAITS

Financement des immobilisations de DMI et exploitation de son entreprise

[6]            Donohue est une société dont les actions sont inscrites à une bourse canadienne. DSF est une société exerçant ses activités dans le domaine des pâtes et papiers et produisant en particulier du papier journal, de la pâte commerciale et du bois d'oeuvre. DMI a été constituée en 1988 dans le but de construire et d'exploiter une usine de pâte chimico-thermomécanique blanchie (pâte CTMB) située dans le parc industriel de Matane.

[7]            Le coût de construction de l'usine de pâte s'élève à environ 240 000 000 $, dont environ 145 000 000 $ ont été fournis par un consortium bancaire, 70 000 000 $ en parts égales par Donohue et Rexfor en contrepartie d'actions ordinaires, et 25 000 000 $[2] par Rexfor en contrepartie d'actions privilégiées de catégorie A. Une partie importante de l'emprunt, soit 80 %, a été garantie par la Société de développement industriel du Québec (SDI), le solde, soit 20 %, l'a été en parts égales par Donohue et Rexfor. En paiement des honoraires pour ce service, DMI a émis en 1991, au profit de la SDI, 1 033 972 actions privilégiées de catégorie C. Une entente entre Donohue et Rexfor stipulait que 50 % des administrateurs de DMI (en nombre pair) devaient être désignés par Donohue et 50 % par Rexfor.

[8]            Pour approvisionner l'usine de pâte en copeaux, DMI a fait l'acquisition en mars 1989 de quatre scieries et d'un centre de préparation du bois de sciage (centre de préparation) (usines de bois) d'une filiale de Rexfor, soit Bois de l'Est du Québec (1986) Inc. (BEQ). Deux des scieries étaient situées en bordure du fleuve Saint-Laurent, soit à Marsoui et à Grande-Vallée (scieries du littoral) et les deux autres dans la vallée de la Matapédia, soit à Lac-au-Saumon et à Saint-Léon-le-Grand (scieries de la vallée). Le coût des usines de bois s'élève à 16 100 000 $. Au moment de leur acquisition, la valeur des deux scieries du littoral s'élevait, selon monsieur Gingras, le contrôleur du Groupe Donohue depuis 1987, à environ 13 000 000 $. Les deux scieries de la vallée valaient beaucoup moins. En plus des usines de bois, BEQ a transféré à DMI son encaisse, son stock et ses comptes débiteurs d'une valeur de 19 500 000 $. En paiement de tous ces biens, DMI a émis 35 600 000 actions privilégiées de catégorie B[3]. Des sommes importantes, totalisant environ 12 millions de dollars, ont aussi été dépensées pour rénover les usines de bois, principalement les scieries du littoral.

[9]            L'exploitation commerciale de l'usine de pâte a débuté en novembre 1990. C'est à Donohue que DMI a confié la gestion de l'exploitation de l'usine de pâte et des usines de bois. Entre 300 et 400 employés travaillaient pour DMI. Malheureusement, moins d'un an plus tard, soit le 1er septembre 1991, DMI suspendait l'exploitation commerciale de l'usine de pâte pour une période indéterminée en raison de la surcapacité mondiale pour ce qui est de la production de pâtes et en raison de l'effondrement des prix de la pâte. Dans les faits, cette suspension durera jusqu'en mai 1995.

[10]          Selon monsieur Richard Garneau, vice-président, finances, du Groupe Donohue de 1987 à 1994, on estimait avant d'entreprendre la construction de l'usine de pâte que le prix de la pâte CTMB se situerait entre 550 $ et 700 $ la tonne métrique. En 1991, le prix a baissé à 270 $ alors que le coût pour DMI s'élevait à 545 $ la tonne métrique. Cette situation a occasionné une perte importante en 1991 et aurait occasionné des pertes de plus de 40 millions de dollars par année selon des projections sur cinq ans faites en mars 1991.

[11]          Il n'est pas surprenant qu'au cours de 1991 DMI n'a pas versé les sommes dues au consortium bancaire et que ce dernier s'est fait rembourser. En effet, la SDI a remboursé 80 % des emprunts, soit environ 112 750 000 $ et s'est subrogée au consortium bancaire. Quant à elles, Donohue et Rexfor ont remboursé le solde, soit environ 14.1 millions de dollars chacune, et se sont aussi substituées comme créancières de DMI. Toutefois, leur créance a été convertie en actions ordinaires de DMI. Au cours de 1991, Donohue et Rexfor ont dû souscrire chacune un total de 27 150 000 $ d'actions ordinaires tant pour convertir leur créance que pour subvenir aux besoins en liquidités de DMI, augmentant ainsi à 62 150 000 $ leur investissement dans les actions ordinaires de DMI.

Restructuration de l'actionnariat de DMI en 1991 et 1992

[12]          Selon monsieur Garneau, la valeur du placement du Groupe Donohue dans DMI était nulle à la fin de 1991 en raison de la baisse importante de la valeur des actifs de DMI, en raison du montant des dettes de DMI et en raison du capital versé des actions privilégiées.

[13]          Le 30 décembre 1991, Donohue a décidé de procéder à une première restructuration de sa participation dans DMI. Elle a décidé que cette participation devait être détenue par l'intermédiaire d'une de ses filiales, soit DSF, une société tirant d'importants revenus de son entreprise[4]. Comme Donohue ne détenait que 55 % des actions de DSF, elle a acquis dans un premier temps toutes les actions que détenait l'autre actionnaire, soit Fletcher Challenge Canada Ltd. Par la suite, Donohue a transféré toutes ses actions de DSF à une filiale en propriété exclusive, 2946-7594 Québec Inc. (PDI), constituée le 27 décembre 1991. DSF a alors acquis pour 1 $ de Donohue toutes les actions de DMI que cette dernière détenait.

[14]          N'eût été la règle énoncée au paragraphe 85(4) de la Loi, qui empêche la réalisation d'une perte fiscale lorsque le transfert s'effectue en faveur d'une société contrôlée directement ou indirectement par le cédant, Donohue aurait subi une perte de 62 209 999 $[5]. Parce qu'on avait eu soin d'interposer PDI entre Donohue et DSF, l'alinéa 84(4)b) de la Loi ne s'appliquait pas et la perte subie par Donohue lors de la vente à DSF a été ajoutée au PBR des actions de DMI détenues par DSF selon l'alinéa 53(1)f.1) de la Loi. Si on n'avait pas interposé PDI et que l'alinéa 84(4)b) de la Loi s'était appliqué, le montant de la perte aurait été ajouté au PBR des actions de DSF détenues par Donohue selon l'alinéa 53(1)f.2) de la Loi.

[15]          À la suite de ces opérations survenues le 30 décembre 1991, Donohue détenait toutes les actions de PDI et cette dernière détenait toutes les actions de DSF qui, à son tour, détenait 50 % des actions ordinaires de DMI ayant une juste valeur marchande (JVM) de 1 $ et un PBR de 62 210 000 $. Ayant ainsi substitué DSF à Donohue, on s'assurait que DSF pouvait déduire une perte de 62 209 999 $ lors d'une disposition éventuelle de ses actions de DMI en faveur d'un tiers avec lequel elle n'aurait aucun lien de dépendance.

[16]          Selon les principes comptables, il faut diminuer la valeur d'un placement jusqu'à concurrence de sa valeur de réalisation. Donohue a donc radié de son bilan consolidé au 31 décembre 1991[6] la valeur comptable de son placement dans DMI. En raison de l'avantage fiscale que DSF pouvait éventuellement tirer de la PTPE, on a ajouté à l'actif de Donohue un impôt reporté créditeur de 15 millions de dollars. Donc, le montant net de la radiation est de 47 210 000 $ (62 210 000 — 15 000 000).

[17]          Le 15 avril 1992, BEQ a transféré ses 35 600 000 actions privilégiées de catégorie B de DMI à Rexfor. Au 31 décembre 1992, DMI n'avait plus que trois actionnaires. DSF et Rexfor détenaient chacune 63 650 000[7] actions, représentant toujours 50 % des actions ordinaires. Rexfor détenait aussi 25 000 000 d'actions privilégiées de catégorie A et 35 600 000 actions de catégorie B. Le troisième actionnaire, la SDI, détenait 1 033 972 actions privilégiées de catégorie C.

Restructuration de 1993 pour faciliter la vente des actions de DMI et des usines de bois

[18]          En raison de la suspension de la production à l'usine de pâte en septembre 1991, les scieries n'ont fonctionné qu'à 25 % de leur capacité au cours des mois qui ont suivi. En 1992, la situation de DMI a empiré. Entre juin 1992 et novembre 1993, toute la production des usines de bois a aussi été arrêtée. Durant cette période, tous les employés de DMI ont été licenciés à l'exception d'une quinzaine d'employés de l'usine de pâte, qui devaient s'occuper de l'entretien, et de trois ou quatre employés par usine de bois, de façon à ce que l'usine de pâte et les usines de bois puissent, le cas échéant, être remises en exploitation dans un délai de cinq jours. Durant cette période, DMI continuait à écouler son inventaire, à percevoir ses comptes débiteurs et à payer ses comptes créditeurs.

[19]          Au 31 décembre 1992, DMI a réduit de 88 413 000 $ la valeur comptable de ses immobilisations, cette valeur passant de 243,4 millions de dollars à la fin de 1991 à 155 millions de dollars. Cette baisse de valeur est attribuable principalement à la diminution de la valeur de l'usine de pâte, qui est passée de 214 518 000 $ en 1991 à 145 710 000 $ en 1993, soit une diminution de 68 808 000 $. La fraction non amortie du coût en capital des biens amortissables dépassait alors de 57 010 000 $ la valeur marchande. À la même date, les pertes autres qu'en capital déclarées s'élevaient à 60 757 000 $.

[20]          Le licenciement massif par DMI de ses employés représentait une lourde perte pour la région de Matane et les régions où se trouvaient les usines de bois. Selon monsieur Garneau, le taux de chômage dans ces régions s'élevait à 25 % à cette époque. Au cours du printemps 1993, les pressions étaient donc très fortes sur les instances politiques pour redémarrer le plus tôt possible l'usine de pâte ou vendre les usines de bois. Comme le coût de fabrication d'une tonne de pâte était toujours de beaucoup supérieur au prix du marché, on ne pouvait pas redémarrer l'usine de pâte. La décision de vendre les usines de bois s'imposait car il y avait un marché pour le bois d'oeuvre. Il n'est donc pas surprenant que le gouvernement ait coopéré à la restructuration pour permettre la vente de ces usines.

[21]          Un groupe d'investisseurs de la région s'est intéressé à l'achat des usines de bois et des négociations ont débuté avec DMI. Une offre de 10 millions de dollars a été faite au début de mai 1993 pour les acquérir : 2,5 millions pour les scieries de la vallée et 7,5 millions de dollars pour les scieries du littoral et le centre de préparation. Toutefois, cette offre ne s'est pas concrétisée parce que les investisseurs n'avaient pas l'argent nécessaire.

[22]          Par la suite, Donohue et Rexfor ont pu s'entendre avec deux autres groupes distincts pour leur vendre les usines de bois, les scieries de la vallée ayant été vendues à Cèdrico Inc. (Cèdrico) le 22 décembre 1993 et les scieries du littoral et le centre de préparation l'ayant été au Groupe GDS le 3 juin 1994.

[23]          Au cours de l'automne 1993, Cèdrico était intéressée à faire l'acquisition des contrats d'approvisionnement et d'aménagement des forêts (CAAF) détenus par DMI relativement à l'exploitation des scieries de la vallée[8]. Les installations des scieries de la vallée elles-mêmes n'intéressaient pas Cèdrico puisqu'elle les considérait comme vétustes et non conformes aux normes environnementales. Cèdrico désirait plutôt construire une nouvelle scierie moderne et fonctionnelle. Lorsqu'elle a négocié l'acquisition des scieries de la vallée avec monsieur Garneau de Donohue, Cèdrico avait l'intention de démanteler les scieries de la vallée et d'utiliser dans l'exploitation de la nouvelle scierie la partie de l'équipement qui pouvait être toujours utile.

[24]          En même temps qu'elle négociait l'achat des scieries de la vallée, Cèdrico entreprenait des démarches en vue de l'achat d'un terrain et faisait aussi des démarches auprès de la Commission de protection du territoire agricole du Québec pour obtenir les autorisations nécessaires pour la construction de la nouvelle scierie. Un changement de zonage a été accordé le 11 novembre 1993 et le permis de construire l'a été le 19 novembre 1993. La construction a même commencé au mois de novembre 1993.

[25]          Si elle vendait ses actions de DMI à des tiers à leur JVM, DSF pouvait subir une PTPE de 62 209 999[9] et déduire une PDTPE de 46 657 499. Évidemment, la vente par DMI des usines de bois n'offrait pas pareil avantage. Il a donc été décidé, avec l'accord de Rexfor, de la SDI et de l'actionnaire de celles-ci, soit le gouvernement du Québec[10], de vendre à Cèdrico les actions de DMI plutôt que de procéder par la vente des scieries de la vallée par DMI. Monsieur Garneau a reconnu qu'il n'était pas question de vendre directement les deux scieries de la vallée à Cèdrico : l'achat par Cèdrico des actions de DMI constituait une condition sine qua non de la vente.

[26]          Cèdrico a accepté d'acquérir les actions de DMI pour 1 $. Au moment du transfert, qui a eu lieu le 22 décembre 1993, DMI ne possédait que les scieries de la vallée et un passif de 2 500 000 $. Cette entente allait permettre à Cèdrico d'obtenir du MRN le transfert des CAAF de DMI qui se rapportaient à l'exploitation des scieries de la vallée et qui autorisaient la coupe de 200 000 mètres cubes de bois.

[27]          Non seulement cette vente des actions de DMI permettait au Groupe Donohue de répondre aux besoins économiques et sociaux de la région, dont les habitants désiraient faire redémarrer les usines de bois et favoriser le réengagement de la main-d'oeuvre, mais elle lui donnait aussi l'occasion de déduire fiscalement la perte économique résultant de son placement dans DMI constatée par la radiation de cet élément d'actif de son bilan au 31 décembre 1991.

Séparation de l'actif et du passif de DMI de novembre 1993

[28]          Pour réaliser la vente des actions de DMI à Cèdrico, on a dû d'abord procéder à une vaste restructuration de l'actif et du passif de DMI. Essentiellement, cette restructuration consistait dans un premier temps à transférer à une autre société, Donohue Matane (1993) Inc. (DMI 1993) tout l'actif et le passif de DMI, sauf les scieries de la vallée et un passif à 2,5 millions de dollars, de façon à ce que Cèdrico n'acquière par l'intermédiaire de DMI que les scieries de la vallée.

[29]          On a effectué les opérations suivantes pour atteindre cet objectif. DMI 1993 a été constituée en société le 12 novembre 1993 et DMI a souscrit une action ordinaire de DMI 1993. Le 15 novembre 1993, DMI a transféré à DMI 1993 (en effectuant le choix prévu à l'article 85 de la Loi)[11] tout son actif et son passif à l'exception des deux scieries de la vallée et d'une dette de 2 500 000 $ correspondant à la valeur marchande des deux scieries de la vallée. En plus de l'usine de pâte, des scieries du littoral et du centre de préparation, on retrouve parmi les actifs transférés à DMI 1993 l'encaisse, les comptes débiteurs et les stocks. Le prix s'élève à 165 124 883 $[12].

[30]          En paiement de ce prix, DMI 1993 a pris en charge les dettes de DMI s'élevant à 131 658 933 $ (129 355 400 $ envers la SDI, des comptes créditeurs de 2 256 873 $ et de l'impôt de 46 660 $). Pour le solde, elle a émis 25 000 000 d'actions privilégiées de catégorie A, 7 441 978 actions privilégiées de catégorie B et 1 033 972 actions privilégiées de catégorie C. Essentiellement, chacune de ces catégories d'actions privilégiées avait les mêmes attributs que ceux des actions privilégiées correspondantes du capital-actions de DMI. Toutefois, il faut noter que DMI 1993 n'a émis que 7 441 978 actions privilégiées de catégorie B, et non 35 600 000. Les parties reconnaissent que la JVM des actifs de DMI était, avant le transfert des éléments d'actif en novembre 1993, de 167 625 000 $ (165,1 millions + 2,5 millions). Cela indique que la valeur nette des actifs de DMI n'était pas suffisante pour racheter toutes ses actions privilégiées. Par conséquent, non seulement la valeur des actions ordinaires détenues par Rexfor et DSF était nulle mais celle des actions privilégiées de catégorie B détenues par Rexfor avait diminué de 28 168 022 $ (35 600 000 - 7 431 978)[13].

[31]          Deux jours plus tard, soit le 17 novembre 1993, DMI a réduit le capital versé de son capital-actions sans aucune contrepartie. Tout d'abord, en ce qui concerne les actions ordinaires, elle l'a réduit de 128 099 999 $, ne laissant qu'un capital versé de 1 $. De plus, DMI a réduit de 28 168 022 $ le capital versé de ses actions privilégiées de catégorie B, ne laissant qu'un capital versé de 7 431 978 $. Le montant total de la réduction du capital versé s'élève donc à 156 268 021 $ et il a été appliqué en diminution du déficit. Cela allait permettre le rachat subséquent des actions privilégiées du capital-actions de DMI et permettre aussi de se conformer aux critères de solvabilité énoncés dans la Loi sur les compagnies du Québec.

[32]          Le même jour, DMI a racheté toutes les actions privilégiées détenues par Rexfor et SDI en remettant à Rexfor son action ordinaire de DMI 1993 puis en remettant à Rexfor et à la SDI les actions privilégiées correspondant à celles de DMI qu'elles détenaient. Par la suite, toujours le même jour, DSF a souscrit une action ordinaire de DMI 1993 pour une somme de 10 $. À la suite du rachat et de la souscription de l'action par DSF, DSF et Rexfor détenaient chacune 50 % des actions ordinaires de DMI et 50 % des actions ordinaires de DMI 1993. De plus, Rexfor détenait 25 000 000 d'actions privilégiées de catégorie A et 7 431 978 actions privilégiées de catégorie B de DMI 1993. La SDI détenait 1 033 972 actions privilégiées de catégorie C de DMI 1993. DMI détenait les scieries de la vallée alors que DMI 1993 détenait l'usine de pâte, les deux scieries du littoral et le centre de préparation.

Vente des actions de DMI à Cèdrico

[33]          Selon monsieur Serge Bilodeau, le fiscaliste-conseil de Donohue, pour que DSF puisse réaliser une PTPE de 62 209 999 $ lors de la vente de ses actions de DMI à Cèdrico, plusieurs conditions devaient être réunies, dont celle selon laquelle DMI devait être ou avoir été une SEPE dans les 12 mois précédant la vente des actions. Pour que DMI soit une SEPE, il fallait que la totalité ou presque de ses éléments d'actif ait été utilisée dans le cadre d'une entreprise exploitée activement et que DMI soit une société privée sous contrôle canadien. Or, toutes les activités de production des usines de pâte et des usines de bois avaient cessé en juin 1992 et la vente des actions à Cèdrico n'a pu être conclue avant juillet 1993.

[34]          Selon l'avis de monsieur Garneau, même après la cessation des activités de production à l'usine de pâte et aux usines de bois, DMI continuait à exploiter activement son entreprise puisqu'elle devait maintenir un certain nombre d'employés pour l'entretien de ses usines et de son équipement, qu'il fallait poursuivre des activités d'aménagement des forêts pour conserver les CAAF et qu'il y avait toujours des comptes créditeurs et débiteurs. Les frais d'entretien annuels durant la période de suspension des activités de production s'élevaient à environ 8 millions de dollars. Même si monsieur Bilodeau partageait cette opinion, il craignait que les autorités fiscales puissent prétendre que DMI avait cessé d'exploiter son entreprise en suspendant ses activités de production en juin 1992. Par prudence, il recommandait que des activités de production soient reprises avant que la vente ne soit effectuée à Cèdrico. Et Donohue a décidé de suivre son conseil[14].

[35]          Des ententes sont donc intervenues le 16 novembre 1993 relativement aux scieries de la vallée, toujours détenues par DMI. Selon une de ces ententes, Cèdrico devait gérer pendant un an l'exploitation de ces scieries et recruter les anciens employés de DMI à cette fin. Toutefois, DMI pouvait mettre fin à l'entente en tout temps.

[36]          Dans les faits, il semble que Cèdrico n'ait exploité les scieries de la vallée que pendant une période de trois semaines. Si elle les a exploitées avant l'achat des actions de DMI, c'était pour se conformer à ses engagements contractuels. Comme on l'a vu, cette exploitation ne faisait pas partie du plan d'affaires de Cèdrico. Toutefois, monsieur Bérubé, son président, a reconnu que cela lui avait permis de choisir l'équipement qu'on allait utiliser dans la nouvelle scierie. Selon monsieur Bérubé, la valeur de cet équipement s'élevait à environ 1,2 million de dollars.

[37]          Le 22 décembre 1993, DSF et Rexfor ont vendu à Cèdrico toutes leurs actions ordinaires de DMI, soit 128 100 000 actions, pour une contrepartie de 2 $. Le contrat de vente stipule que DMI devait rembourser aux vendeurs le montant des crédits d'impôt à l'investissement que DMI avait déduit antérieurement dans le calcul de son impôt et que le ministre avait refusé de lui accorder. Ces crédits représentaient une somme d'environ 12 000 000 $ plus les intérêts. Donohue a demandé que DMI demeure inexploitée et que ses actifs soient transférés à une autre société. Dans DMI, il y avait aussi d'importantes pertes fiscales, auxquelles on ne semble avoir accordé aucune valeur dans la détermination du prix de vente des actions de DMI à Cèdrico. Ni cette dernière ni aucune société qui lui était liée ne semblent avoir utilisé ces pertes non plus.

[38]          Le 22 décembre 1993, le MRN a annulé les CAAF de DMI et le 15 mars 1994 en a accordé un nouveau à une nouvelle société nouvellement formée (Bois-Saumon), qui faisait partie du groupe Cèdrico et à laquelle on avait transféré les éléments d'actif de DMI. À la suite de l'acquisition des scieries de la vallée et du CAAF, Bois-Saumon a pu exploiter de façon profitable sa nouvelle scierie et créer une centaine d'emplois bien rémunérés pour des résidants de la vallée de la Matapédia.

Ventes des autres usines de DMI 1993

[39]          Le 3 juin 1994, DMI 1993 a vendu au Groupe GDS les scieries du littoral et le centre de préparation pour une somme de 7,5 millions de dollars, payée par la prise en charge par le Groupe GDS d'un montant de 7,5 millions de dollars sur la dette de DMI 1993 envers la SDI.

Redémarrage de l'usine de pâte en 1995 et

vente des actions de DMI 1993 en 1999

[40]          Selon monsieur Garneau, il n'avait jamais été question entre 1991 et 1993 de vendre l'usine de pâte à un tiers non lié. De plus, à aucun moment il n'a été envisagé de fermer définitivement cette usine. Les actionnaires gardaient toujours espoir de relancer les opérations de l'usine de pâte, mais cela dépendait du prix de la pâte. Par conséquent, DMI 1993 engageait des frais importants pour maintenir en état les installations de l'usine de pâte en vue d'un redémarrage dès que les conditions du marché le permettraient. Selon messieurs Rodrigue et Lévesque, des démarches avaient été entreprises pour trouver des partenaires pour relancer les activités de l'usine de pâte entre 1991 et 1993. Compte tenu des conditions du marché, les discussions avec des partenaires potentiels ont été suspendues. Par la suite, des démarches ont été faites pour trouver un acheteur soit pour les éléments d'actif de DMI 1993 ou pour des participations dans cette société. Tous les délégués commerciaux du gouvernement du Québec à l'extérieur du Canada ont été mis à contribution pour trouver un tel acheteur, mais sans succès. Monsieur Lévesque a dit qu'on avait fait le " tour de la terre deux fois mais en vain ".

[41]          Les conditions du marché ont permis à DMI 1993 de redémarrer l'exploitation de l'usine de pâte en mai 1995. Toutefois, le prix du marché pour une tonne métrique de la pâte ne lui permettait pas de faire un profit mais plutôt uniquement d'obtenir un flux monétaire positif : les profits n'étaient donc pas suffisants pour couvrir l'amortissement des bâtiments et de l'équipement utilisés dans l'exploitation de l'usine de pâte. Une nouvelle mise de fonds a aussi dû être faite par les actionnaires de DMI 1993.

[42]          En 1999, les actions de DMI 1993 ont été vendues à une société du groupe Tembec. Selon monsieur Bilodeau, cette vente aurait été effectuée sans profit pour le Groupe Donohue, ce que semble corroborer monsieur Lévesque, qui affirme que Tembec avait acheté l'usine de pâte à un prix inférieur à la dette qui existait à l'époque. De plus, des mises de fond supplémentaires auraient été requises lorsque l'usine de pâte a été vendue.

Cotisation du ministre

[43]          Lors de l'établissement de sa cotisation, le ministre a considéré que les opérations suivantes constituaient des opérations d'évitement au sens de l'article 245 de la Loi :

1) la constitution en société de DMI 1993 le 12 novembre 1993;

2) le transfert par DMI à DMI 1993, le 15 novembre 1993, de la majorité de ses éléments d'actif, à l'exception des scieries de la vallée;

3) la réorganisation du capital de DMI, à savoir la réduction du capital versé afférent aux actions privilégiées de catégorie B et aux actions ordinaires de DMI et le rachat par DMI de ses actions privilégiées des catégories A, B et C en contrepartie des actions privilégiées des catégories A, B et C et de l'action ordinaire que DMI détenait dans DMI 1993;

4) la vente par DSF à Cèdrico des actions ordinaires de DMI pour 1 $.

[44]          Le ministre a considéré que l'avantage fiscal découlant de ces opérations était de permettre à DSF de matérialiser une PDTPE qui pouvait être entièrement absorbée par ses revenus, et que ces opérations d'évitement entraînaient directement ou indirectement un abus dans l'application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble. Le ministre a estimé que DSF avait pu déduire sous la forme d'une PDTPE qu'elle n'aurait pas pu déduire autrement, la perte latente résultant de la dévaluation des actions ordinaires en question de DMI. Comme attributs fiscaux, le ministre a refusé la PDTPE de 46 657 499 $ et a augmenté de 62 209 999 $ le PBR de l'action ordinaire de DMI 1993 détenue par DSF.

[45]          Lors de son contre-interrogatoire, monsieur Bilodeau a reconnu qu'il aurait été possible de restructurer le placement de DSF de manière à ne concrétiser une perte que sur 1,49 % des actions détenues par DSF, de façon à ce que le montant de la perte corresponde à la valeur proportionnelle des deux scieries de la vallée par rapport à l'ensemble des actifs détenus par DMI (2,5 millions/167 625 000 $[15]).

Position des parties

Position de l'intimée

[46]          La procureure de l'intimée a préparé des notes écrites dans lesquelles elle relate méticuleusement les faits pertinents relatifs à la question soulevée par cet appel. Dans son exposé traitant de l'abus qu'entraîne la série d'opérations d'évitement dans l'application de la Loi, elle décrit la démarche à suivre pour déterminer s'il y a abus. Au paragraphe 104 de ses notes, elle écrit :

La notion d'abus suppose donc de regarder si l'objet et l'esprit de la Loi n'a pas été respecté, en examinant, entre autres facteurs, quel est le résultat des opérations dans les faits et en recherchant l'intention du législateur.

[47]          Après avoir décrit les opérations inappropriées qui ont été effectuées par le Groupe Donohue, la procureure de l'intimée affirme que la perte latente qui existait à l'égard des actions de DMI n'était pas indépendante des actifs cédés à DMI 1993 car, selon elle, " les fonds injectés en contrepartie des actions de [DMI] ont servi essentiellement à financer ces actifs "[16]. Avant la série d'opérations effectuées en 1993, DSF détenait les actions de DMI à l'égard desquelles il existait une perte fiscale latente due à la baisse considérable de la valeur des biens sous-jacents aux actions de DMI, à savoir l'usine de pâte et les usines de bois. Or, ajoute-t-elle, la série d'opérations effectuées a eu pour effet que soient modifiés ces biens sous-jacents. Au moment de la vente du 22 décembre 1993, DMI n'avait plus qu'une infime partie des biens sous-jacents aux actions, soit les scieries de la vallée représentant seulement 1,49 % de la valeur de l'ensemble des biens qu'elle détenait précédemment. De son côté, DMI 1993 détenait l'usine de pâte, les scieries du littoral et le centre de préparation dont la JVM représentait 98,51 % de la valeur de l'ensemble des biens détenus précédemment par DMI.

[48]          De plus, la série d'opérations a permis à DSF " de se placer, en ce qui concerne l'usine de Matane, les [scieries du littoral] et le centre de préparation, dans la même situation factuelle avant qu'après [sic]cette série par le biais de la détention des actions de [DMI 1993] : même biens sous-jacents à ces actions [et] dette d'une valeur équivalente à la valeur de ces biens, tout en pouvant réclamer la perte latente accumulée sur les actions de [DMI] due à la perte de valeur de ces mêmes biens qu'elle conservait "[17]. La procureure a exposé ainsi sa position aux paragraphes 115 à 117 de ses notes :

115. Autrement dit, les biens responsables de la perte réclamée par [DSF] sur les actions de [DMI] sont indirectement détenus par les même actionnaires, et en particulier par [DSF] qui, selon l'intimée, a ainsi réclamé une perte sur des biens dont elle n'a pas réellement disposé.

116. La série d'opérations a aussi permis à [DMI 1993] de conserver, par l'effet du paragraphe 85(5.1) de la Loi, la fraction non amortie du coût en capital des biens reçus de [DMI], fraction beaucoup plus élevée que la valeur des biens (différence de valeur qui s'est déjà reflétée dans la perte réclamée par [DSF]). Ainsi [DMI 1993] pouvait dès 1994 réclamer, après la série d'opérations d'évitement, soit une déduction fiscale dans le calcul de son revenu équivalente à ce coût fiscal élevé, soit, en cas de vente de l'usine de pâte, une perte terminale, doublant ainsi l'avantage fiscal recherché, comme M. Serge Bilodeau l'a reconnu.

117. La série d'opérations effectuées, dont découlait un avantage fiscal, pour [DSF], était inappropriée dans les circonstances : il est inhabituel d'entreprendre autant d'opérations pour vendre seulement deux éléments d'actif représentant moins de 2% de la valeur de l'ensemble de l'actif de [DMI] avant la série, avec le résultat que [DSF] peut réclamer une perte engendrée par 100% de la valeur de l'ensemble de l'actif.

Et elle conclut aux paragraphes 120 et 121 :

120. Une série d'opérations a alors été faite ayant pour résultat de matérialiser la perte au profit de [DSF], non seulement en rapport avec les [scieries de la vallée] dont les actionnaires de [DMI] voulaient se départir, mais aussi, ce qui est inapproprié, en rapport avec la grande majorité des biens qui étaient conservés par l'entremise de [DMI 1993].

121. Pourtant il aurait été possible de structurer les opérations de façon que la perte sur les actions de [DMI] ne se matérialise qu'en rapport avec les biens que Cèdrico Inc. voulait acquérir, à savoir les éléments d'actif relatifs aux [scieries de la vallée]. Les opérations de cette structure auraient pu être considérées comme des opérations d'évitement, mais elles n'auraient pas été abusives car le résultat aurait correspondu à l'objet et l'esprit de la Loi, compte tenu du résultat factuel et de l'intention du législateur.

[49]          Par la suite, elle a fait état des dispositions de la Loi dans l'application desquelles les opérations d'évitement ont entraîné un abus. Il y a d'abord le paragraphe 85(5.1) de la Loi[18] dont elle résume ainsi la portée :

125. Le paragraphe 85(5.1) a pour effet de refuser la perte terminale dans la plupart des cas de disposition en faveur de partie " liée ". La perte était en fait différée en ce sens qu'elle était transférée au bénéficiaire du transfert qui pouvait la réclamer en cas de disposition en faveur d'une personne qui n'avait pas de " lien " avec le groupe.

[50]          La procureure de l'intimée décrit l'utilisation abusive du paragraphe 85(5.1) aux paragraphes 127, 128 et 130 de ses notes :

127. Dans le cas présent, les opérations effectuées, plus particulièrement celles qui engendrent l'application du paragraphe 85(5.1), entraînent un abus de ce paragraphe puisqu'elles permettent à [DSF] de réclamer une perte sous-jacente à des biens qui sont toujours détenus par le même groupe de sociétés.

128. Or, le but même du paragraphe 85(5.1) était d'empêcher qu'un contribuable crée ou matérialise un perte fiscale latente à l'égard de biens qui demeurent sous la propriété ou le contrôle d'un groupe " lié ". Autrement dit, ce paragraphe interdisait à un contribuable de réclamer une perte à l'égard d'un bien qui demeure sa propriété ou celle d'une personne avec laquelle il a certain " lien ".

130. Il est donc évident que le paragraphe 85(5.1) n'avait pas pour but de permettre à un contribuable de dépouiller une société d'une partie importante de ses biens et de conserver ces biens en les transférant à une société " liée " pour ensuite réclamer une perte attribuable à ces mêmes biens. L'utilisation du paragraphe 85(5.1) à ces fins est tout à fait inappropriée et abusive[19].

[51]          Selon la procureure de l'intimée, les opérations d'évitement en cause entraînent non seulement un abus dans l'application du paragraphe 85(5.1) mais aussi un abus dans l'application de la Loi lue dans son ensemble. Voici comment elle s'exprime sur cette question :

138. En effet, l'économie générale de la Loi consiste à empêcher la matérialisation d'une perte latente par un transfert en faveur d'un bénéficiaire avec qui l'auteur du transfert a un certain " lien ". Plus précisément, il ressort des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu qui restreignent les pertes (annexe E)[20], que la Loi, considérée dans son ensemble, interdit qu'une perte soit réclamée à l'égard d'un bien alors que ce bien est toujours détenu par un groupe " lié " dont fait partie l'auteur du transfert.

                                                                                                                                                [Je souligne.]

Et elle poursuit :

142. Il serait étonnant, pour ne pas dire illogique, que la Loi n'adopte pas cette philosophie de refuser les pertes à l'égard de biens qui sont toujours détenus par un groupe " lié " car tant que le bien n'a pas fait l'objet d'une disposition " réelle ", il existe toujours la possibilité que ce bien prenne de la valeur (parce qu'il génère des profits ou pour toute autre raison) et qu'il donne lieu à un gain en capital ou à une perte moindre que celle qui est latente au moment du transfert entre personnes ayant un certain " lien ".

143. Lorsque le bien fait l'objet d'une disposition " réelle ", c'est-à-dire d'une disposition en faveur d'une personne qui n'a aucun lien avec le cédant de telle sorte qu'il n'y a plus aucune possibilité pour le cédant ou une personne avec laquelle il a un certain " lien " de réaliser un gain ou une perte moindre à l'égard du bien transféré, il n'y a pas de problème à reconnaître cette perte.

144. Or, le résultat des opérations d'évitement en cause n'est pas conforme à cette économie générale de la Loi.

145. À supposer que la Cour considère qu'en 1993 il y avait peu d'espoir que l'usine puisse être vendue ou qu'elle puisse générer des profits à plus ou moins long terme, l'intimée souligne que c'était peut-être le sentiment des dirigeants de Rexfor quant à l'avenir de l'usine, mais ce n'était pas celui du groupe Donohue.

146. Donohue Inc. voulait garder l'usine de pâte. Dans l'esprit des dirigeants de Donohue Inc., l'usine de pâte a toujours été en état de fonctionner et pouvait repartir dans un très court délai lorsque les conditions du marché seraient plus favorables. Ils avaient toujours l'espoir de la faire redémarrer. D'ailleurs, un redémarrage a eu lieu en 1995. À l'époque de la restructuration en cause, il n'a jamais été question de vendre l'usine. M. Garneau a été formel sur ce point. Ce n'est qu'en 1999 qu'elle a été vendue.

[...]

149. Malgré cela, le législateur exige, pour reconnaître une perte latente rattachée à un bien qu'il y ait disposition du bien en faveur d'une personne avec laquelle l'auteur du transfert n'a aucun lien ou, dans le cas où une disposition n'est pas possible, que le propriétaire du bien soit dans une situation où il n'a pratiquement plus de contrôle sur le bien. Ainsi l'alinéa 50(1)b) de la Loi exige, pour qu'une perte soit reconnue à l'égard d'une action d'une société, que cette société soit un failli, soit en cours de liquidation ou encore soit dans des conditions telles qu'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elle soit dissoute ou liquidée.

150. Le législateur ne subventionne pas le contribuable en lui accordant les avantages fiscaux reliés à une perte lorsque celle-ci n'est pas encore réalisée, d'autant plus que celle-ci pourrait ne jamais se réaliser ou encore pourrait être d'un montant différent lorsqu'elle se réaliserait. De plus, il serait trop facile entre personnes ayant un certain lien de manipuler cette perte.

[...]

153. Par conséquent, le résultat des opérations comme celles à la base du présent litige, qui dépouillent une société d'éléments d'actif à l'égard desquels il existe une perte latente, afin de matérialiser cette perte tout en conservant les biens par l'entremise d'une société qui fait partie du même groupe que la société dépouillée, constitue un abus dans l'application de la Loi dans son ensemble.

Position de DSF

[52]          Le procureur de DSF a exposé la position de sa cliente sans notes écrites. Il a d'abord rappelé que DSF avait admis la très grande majorité des faits énoncés dans la Réponse à l'avis d'appel. Par contre, il a souligné que DSF avait réellement subi une PTPE de 62 209 999 $. Le Groupe Donohue avait véritablement investi une somme de 62 210 000 $ dans DMI. Il a souligné qu'il n'y avait eu aucune manipulation qui aurait gonflé artificiellement le PBR des actions de DMI. De plus, il n'y a pas de contestation quant à la JVM des actions au moment de la vente à Cèdrico : cette valeur était nulle depuis 1991.

[53]          Il ajoute que cette perte latente était présente, que la vente des actions de DMI ait eu lieu avant, ou bien après, le transfert des éléments d'actif de DMI à DMI 1993. Ce transfert n'a eu aucun impact quant au montant de la perte subie par DSF lors de la vente à Cèdrico le 22 décembre 1993. En d'autres mots, les actions de DMI ne valaient rien, avec ou sans les éléments d'actif transférés à DMI 1993. Selon le procureur, la perte fiscale déduite par DSF ne faisait que refléter la perte économique subie par DSF, ce que confirme d'ailleurs la radiation de son placement de son bilan. De plus, la perte véritable subie par DSF lors de la vente des actions de DMI à Cèdrico constitue une PTPE qui réunit toutes les conditions énoncées à l'alinéa 39(1)c) de la Loi.

[54]          Aucune autre disposition, à part peut-être l'article 245 de la Loi, ne limite ici la déduction de la PDTPE. En particulier, les " règles sur la minimisation des pertes " (communément appelées en anglais " stop loss rules ") ne s'appliquent pas à la perte subie lors de la disposition par DSF des actions de DMI en faveur de Cèdrico. Notamment, le paragraphe 85(4)[21] de la Loi empêche un contribuable de réaliser une perte lorsqu'il transfère un bien en immobilisation en faveur d'une société qui, immédiatement après la disposition, était contrôlée directement ou indirectement par lui ou certaines personnes liées. Ainsi, ce paragraphe a empêché Donohue de réaliser une perte lorsqu'elle a transféré ses actions de DMI à DSF en 1991. L'alinéa 40(2)e)[22] de la Loi établit une règle analogue applicable à un contribuable qui est une société par actions et qui a disposé d'un bien en faveur d'une personne qui contrôlait directement ou indirectement ce contribuable (société dominante) ou en faveur d'une société contrôlée directement ou indirectement par une personne qui contrôlait le contribuable (société contrôlée). Or, les actions de DMI ont été réellement vendues par DSF à Cèdrico, une société que DSF ne contrôlait pas et avec laquelle elle n'avait aucun lien de dépendance. Aucune de ces deux règles sur la minimisation des pertes n'est donc applicable ici.

[55]          Le sous-alinéa 40(2)g)(i) de la Loi édicte que la perte subie par un contribuable résultant de la disposition d'un bien est nulle lorsqu'il s'agit d'une " perte apparente ". À l'article 54, on définit " perte apparente " comme celle subie par un contribuable dans les cas où le même bien ou un bien identique — appelé " bien de remplacement " — a été acquis, pendant la période commençant trente jours avant la disposition et se terminant trente jours après, par le contribuable, son conjoint ou une société contrôlée par le contribuable et où, à la fin de la période de trente jours suivant la disposition, le contribuable, son conjoint ou la société était propriétaire du bien de remplacement. Ici, même si on considérait les actions de DMI 1993 comme des biens identiques aux actions de DMI[23], l'action ordinaire de DMI 1993 a été acquise le 17 novembre 1993, soit plus de trente jours avant la vente des actions de DMI à Cèdrico le 22 décembre 1993. De plus, les actions de DMI vendues à Cèdrico n'ont pas été par la suite acquises à nouveau par DSF ou une société contrôlée par Donohue.

[56]          Par conséquent, la seule règle qui pourrait empêcher la déduction de la PDTPE serait la RGAÉ énoncée à l'article 245 de la Loi. Comme le procureur reconnaît que DSF a bénéficié d'un avantage fiscal résultant d'une série d'opérations d'évitement, la seule question qu'il faut trancher est celle de savoir si cette série d'opérations a entraîné un abus dans l'application de la Loi lue dans son ensemble.

[57]          La notion d'abus de droit, les procureurs des deux parties en conviennent, ne tire pas son origine de principes élaborés par la common law. Elle est issue plutôt de juridictions de droit civil. Dans ces juridictions, on invoque souvent le droit romain comme source de cette notion. Dans Houle c. Banque Nationale du Canada, [1990] 3 R.C.S. 122, [1990] A.C.S. no 120, madame la juge L'Heureux-Dubé a eu l'occasion de faire une analyse historique de cette notion de droit, à la page 137 :

Or, une analyse plus serrée démontre que la notion de l'abus des droits était, dans une certaine mesure, reçue en droit romain. C'est du moins la constatation que font Planiol et Ripert dans leur Traité pratique de droit civil français, (2e éd. 1952), t. VI, au no 573, pp. 798 et 799:

S'il y a au Digeste des formules qui, isolées de leur contexte, sont de nature à faire croire que pour les jurisconsultes romains on ne pouvait être responsable du dommage causé à autrui dans l'exercice d'un droit, d'autres textes montrent que ces jurisconsultes n'admettaient point l'usage d'un droit dans le but de nuire à autrui.

La maxime bien connue Neque malitiis indulgendum est (Digeste, 6.1.38) semble le confirmer: on ne saurait permettre la malice, fût-ce dans l'exercice d'un droit. Fait intéressant à noter, Gaïus précise que si le débiteur est disposé à payer et que le créancier attaque plutôt les sûretés dans le but de porter préjudice à son débiteur, le créancier sera alors tenu responsable de ce préjudice, même s'il a le droit de se prévaloir des sûretés (Digeste, 47.10.19).

[58]          Elle a aussi analysé l'évolution de la notion d'abus de droit en droit français. Par exemple, elle écrit ce qui suit à la page 138:

Voici comment Mazeaud et Tunc, op. cit., au no 556, p. 646, décrivent l'état de l'ancien droit français:

Avec la renaissance du droit romain, ces idées passèrent dans notre ancien droit. Les Parlements n'hésitaient pas à réprimer tout abus malicieux: c'est ainsi que le Parlement d'Aix condamna, le 1er février 1577, un cardeur de laines qui chantait dans le seul dessein de gêner un avocat, son voisin.

Domat admettait une action pour abus des droits, " suites de l'injustice et de la chicane des mauvais plaideurs " (Oeuvres de J. Domat (1823), vol. 4, par M. Carré, aux pp. 131 et 132), et l'aurait admise aussi en matière de droits de propriété exercés avec une intention de nuire (p. 134).

Le Code civil français ne contenait alors aucune disposition se rapportant spécifiquement à l'abus des droits. Les tribunaux, cependant, eurent tôt fait de commencer à appliquer cette théorie. Mazeaud et Tunc, op. cit., au no 557, p. 647, évoquent le célèbre arrêt de la Cour de Colmar, 2 mai 1855, D.P. 1856.2.9 (Doerr c. Keller), condamnant à des dommages-intérêts un propriétaire qui avait élevé une fausse cheminée dans le seul dessein d'" enlever la presque totalité du jour qui restait à la fenêtre de son voisin ". Marty et Raynaud font le commentaire suivant dans leur traité Droit civil: Les obligations, (2e éd. 1988), t. I, au no 477, p. 538:

Ce courant jurisprudentiel s'est largement développé non seulement pour le droit de propriété mais en ce qui concerne de nombreux autres droits, par exemple le droit d'agir ou de se défendre en justice et de faire usage des voies d'exécution.

À partir du début du XXe siècle, la théorie de l'abus des droits a connu une évolution accélérée et une faveur croissante: c'est à ce moment qu'elle est devenue un recours accepté en droit français.

[59]          Dans l'affaire Houle (précitée), il s'agissait d'une poursuite engagée contre la Banque Nationale, qui avait exercé son droit de rappeler un prêt sur demande et de réaliser ses garanties à la suite d'une décision raisonnée fondée sur des critères économiques objectifs. Aucune preuve n'indiquait que cette décision avait été influencée par des considérations extérieures. Bien que le rappel du prêt n'ait pas constitué en lui-même un abus de ses droits contractuels par la banque, la liquidation précipitée de l'actif de la société constituait un tel abus. Le représentant de la banque avait tenté d'obtenir un investissement additionnel des actionnaires de la société à laquelle la banque avait consenti un prêt. Vu qu'aucun accord n'avait été conclu, la banque a immédiatement pris possession des actifs et a procédé à leur liquidation en moins de trois heures.

[60]          Transposée en droit fiscal, la notion d'abus de droit aurait le sens suivant : il y a abus de droit dès lors qu'une opération est effectuée par un contribuable " dans un but qui contrevient clairement à l'objet de la Loi ". Ici, le procureur de DSF soutient que la série d'opérations d'évitement effectuée par le Groupe Donohue ne contrevient aucunement à l'objet de la Loi.

[61]          Contrairement à l'approche adoptée par la procureure de l'intimée, le procureur de DSF s'est évertué à démontrer que l'on était en présence de deux biens distincts détenus par deux contribuables distincts, tant pour les fins du droit fiscal que pour celles du droit civil. D'une part, DSF détenait des actions de DMI, et d'autre part, DMI détenait les éléments d'actif, dont l'usine de pâte et les usines de bois. Le procureur a rappelé que le droit en général et la Loi en particulier reconnaissaient l'existence distincte d'un actionnaire et d'une société. Le régime fiscal établi par la Loi ne reconnaît pas que les sociétés d'un même groupe puissent déclarer des revenus consolidés comme elles le peuvent pour les fins comptables. Chaque société dans le groupe constitue un contribuable distinct qui doit produire sa propre déclaration de revenu et payer ses propres impôts[24].

[62]          Le procureur a rappelé que l'existence distincte d'un actionnaire et de sa société pouvait donner lieu à l'imposition double " d'un même gain économique ". Par exemple, si un particulier détenant un bien dont la JVM est de 1 000 $, et le PBR, de 100 $, transférait ce bien à une société en se prévalant du choix prévu à l'article 85 de la Loi, ce particulier détiendrait, à la suite de ce transfert, des actions dont la JVM est de 1 000 $, et le PBR, de 100 $. La société détiendrait le bien dont la JVM est de 1 000 $, et le PBR, de 100 $. Si le particulier disposait de ses actions, il réaliserait un gain de 900 $, tout comme le ferait la société si cette dernière disposait de son bien.

[63]          Le procureur de DSF a aussi fourni un exemple selon lequel l'utilisation d'une société puisse donner lieu à deux pertes juridiques distinctes à l'égard de ce qui est essentiellement une " même perte économique ". Si une société (Portefeuille) détenait des actions du capital-actions d'une filiale pour lesquelles elle a versé une somme de 100 $ et si cette somme était utilisée par la filiale pour l'achat d'un bien amortissable de 100 $, Portefeuille et la filiale pourraient toutes les deux subir une perte si la valeur de ce bien amortissable était nulle. Portefeuille pourrait réaliser une perte en capital ou une PTPE lors d'une disposition réelle ou réputée de ses actions et la filiale pourrait réaliser une perte finale lors de la disposition de son bien amortissable, laquelle perte pourrait être reportée à une année antérieure et déduite des revenus de cette année[25].

[64]          Dans certains cas, certaines règles peuvent venir minimiser cette imposition double ou cette déduction double[26]. Toutefois, soutient le procureur de DSF, cela n'est pas nécessairement le cas tout le temps. Il n'existe pas de principe qui empêche nécessairement toute imposition double ou toute déduction double.

[65]          La disposition d'actions du capital-actions d'une société et la disposition d'éléments d'actif détenus par cette société sont assujetties chacune à un régime fiscal bien précis. Un contribuable est tout à fait libre de choisir de vendre les actions d'une société ou de faire en sorte que la société vende ses éléments d'actif. L'opération retenue par le vendeur entraîne des conséquences juridiques non seulement pour lui mais aussi pour l'acquéreur. L'acquéreur qui achète des actions d'une société ne se retrouve pas dans la même situation juridique que celui qui ne fait qu'acheter des éléments d'actif de la société. Par exemple, Cèdrico, en achetant les actions de DMI, acquérait tout l'actif et tout le passif éventuel de DMI. Généralement, l'achat d'une partie de l'actif d'un vendeur n'a pas ce résultat.

[66]          Il est donc important d'appliquer ici le régime fiscal applicable à la vente d'actions. Il est clair que le ministre a refusé à DSF la PDTPE relative aux actions de DMI parce que la très grande majorité des actifs sous-jacents, soit ceux transférés à DMI 1993, ont été retenus par le Groupe Donohue et Rexfor par l'intermédiaire de cette société. Or, soutient le procureur de DSF, rien dans la Loi n'autorise le ministre a tenir compte des actifs sous-jacents détenus par DMI. Par exemple, rien dans la Loi n'autorise le ministre à attribuer au PBR des actions de DMI 1,5 % de la valeur représentée par les scieries de la vallée.

[67]          Le procureur de DSF reconnaît qu'ici il est relativement facile de pouvoir déterminer à quel élément d'actif peut être attribuable la perte subie lors de la vente des actions de DMI. Mais, de façon générale, il n'existe aucune relation entre le PBR des actions d'une société et celui des éléments d'actif détenus par cette société. Il cite comme exemple le coût des actions de sociétés dans le domaine des nouvelles technologies, qui peuvent se négocier à la Bourse à des prix qui n'ont aucune commune mesure avec le coût des actifs de la société[27]. Dans la plupart des cas, cet exercice serait sinon impossible, à tout le moins périlleux.

[68]          Le procureur de DSF souligne que le législateur l'exprime clairement dans la Loi lorsqu'il désire que l'on tienne compte d'actifs ou d'activités sous-jacents d'une société. Un tel exemple se retrouve à l'alinéa 40(2)h), qui établit une règle sur la minimisation des pertes dans le cas où une société (Portefeuille) réaliserait une perte lors de la vente (même à des tiers) d'actions d'une société contrôlée (Filiale) et où Filiale, pendant la période durant laquelle elle était une filiale contrôlée par Portefeuille, aurait disposé à perte de biens en faveur d'une autre société contrôlée par Portefeuille. Cette règle vise à empêcher la déduction double de pertes subies dans de telles circonstances. Au sous-alinéa 40(2)h)(i) de la Loi, on prévoit que cette règle ne s'applique que si des ajouts prévus à l'alinéa 53(1)f.1) ont été faits en raison de la perte annulée de Filiale et qu'ils peuvent être raisonnablement considérés comme attribuables aux pertes sur des biens accumulés au cours de la période où Filiale était contrôlée par Portefeuille. De toute évidence, cette disposition ne s'applique pas ici puisque DSF n'a pas disposé d'actions d'une société qu'elle contrôlait. Elle ne détenait que 50 % des actions ordinaires de DMI.

[69]          Une autre disposition qui exige qu'on tienne compte d'éléments d'actif sous-jacents d'une société est le paragraphe 55(2) de la Loi. Ce paragraphe vise à empêcher que l'on réduise de façon artificielle le gain en capital qu'une société aurait pu réaliser mais qui a été éliminé en totalité ou en partie grâce à un dividende. Pour que cette règle s'applique, il faut qu'il soit raisonnable de considérer que ce dividende est attribuable à autre chose qu'un revenu gagné ou réalisé par une société après 1971, par exemple à la plus-value après 1971 des biens de la société.

[70]          Une autre illustration se trouve au paragraphe 248(1) de la Loi, qui définit une SEPE. Parmi les conditions qu'il faut réunir pour être une telle société, la totalité ou presque de la JVM des éléments d'actif doit être attribuable soit à des éléments qui sont utilisés principalement dans une entreprise que la société exploite activement principalement au Canada, soit à des actions ou des dettes d'une SEPE.

[71]          Il est intéressant de noter que dans les cas que l'on vient de décrire, l'importance des éléments d'actif sous-jacents n'est pertinente que pour des fins très précises. Il n'y a aucune disposition de la Loi qui exige l'appariement du PBR des actions d'une société et de celui des éléments d'actif de la société. De plus, il n'y a pas de disposition qui minimise la perte sur des actions d'une société par la soustraction de la perte sur les éléments d'actif sous-jacents de la société, sauf l'alinéa 40(2)h), mais uniquement s'il s'agit de la vente d'actions d'une société contrôlée et dans certaines circonstances bien précises.

[72]          Selon le procureur de DSF, l'argument selon lequel il serait abusif de pouvoir déduire une perte sur les actions de DMI alors que la très grande majorité des actifs sous-jacents ont été transférés à DMI 1993 et conservés ainsi par le Groupe Donohue et Rexfor, ne tient pas. À titre d'exemple, il évoque le fait que Rexfor et DSF auraient pu choisir de procéder à une liquidation de DMI. Dans pareil cas, DSF aurait pu réaliser sa perte de 62 209 999 $ sur ses actions tout en conservant une demie indivise de l'usine de pâte, des scieries du littoral et du centre de préparation. Les dispositions législatives pertinentes sont les alinéas 39(1)c) et les paragraphes 69(5) et 84(9) de la Loi. Il est à noter que l'article 88 ne se serait pas appliqué parce que DSF ne détenait pas 90 % des actions de DMI. Les actifs possédés par DMI auraient été réputés avoir fait l'objet d'une disposition à leur JVM selon le paragraphe 69(5) de la Loi, et DMI aurait alors réalisé une perte finale[28]. Selon le paragraphe 84(9), les actions de DMI détenues par DSF auraient été réputées avoir fait l'objet d'une disposition en faveur de DMI. Même si DSF avait contrôlé DMI (ce qui n'est pas le cas), l'alinéa 69(5)e)[29] édicte expressément que la règle sur la minimisation des pertes énoncée à l'alinéa 40(2)e) ne s'applique pas au calcul de la perte que pourrait alors subir l'actionnaire sur ses actions. Ici, comme il n'existait aucun lien de dépendance entre DSF et DMI et qu'il n'y aurait pas eu assez d'éléments d'actif lors de la liquidation de DMI pour acquitter les dettes et racheter les actions privilégiées de DMI, DSF n'aurait rien reçu pour ses actions ordinaires et aurait alors subi sa PTPE lors de l'annulation de ses actions.

Analyse

[73]          Tel qu'il est mentionné plus haut, la question soulevée par cet appel est celle de savoir si la RGAÉ s'applique pour annuler la PDTPE déduite par DSF. Les deux dispositions les plus pertinentes sont les paragraphes 245(2) et (4) de la Loi qui se lisent ainsi :

245(2) Disposition générale anti-évitement. En cas d'opération d'évitement, les attributs fiscaux d'une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de sorte à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d'une série d'opérations dont cette opération fait partie.

245(4) Champ d'application précisé.Il est entendu que l'opération dont il est raisonnable de considérer qu'elle n'entraîne pas, directement ou indirectement, d'abus dans l'application des dispositions de la présente loi lue dans son ensemble — abstraction faite du présent article — n'est pas visée par le paragraphe (2).

[74]          Le sort de cet appel dépend entièrement de la réponse à la question suivante : la série d'opérations effectuées par le Groupe Donohue entraîne-t-elle un abus dans l'application de la Loi lue dans son ensemble? Résumée de façon succincte, la position de l'intimée est qu'on ne peut permettre la déduction par DSF d'une perte sur les actions de DMI parce que l'usine de pâte à laquelle on peut attribuer la très grande partie de cette perte est demeurée — quant à sa part — à l'intérieur du Groupe Donohue. Si la perte déduite par DSF était une perte résultant de la disposition de l'usine de pâte, je serais entièrement d'accord avec cette position. Or, le bien à l'égard duquel DSF a déduit une PDTPE n'est pas l'usine de pâte mais plutôt les actions de DMI.

[75]          À mon avis, la position défendue par le procureur de DSF, telle que décrite plus haut, représente un exposé juste du droit applicable aux faits de cet appel. La position de l'intimée est mal fondée parce qu'elle fait fi de la distinction entre les actions du capital-actions de DMI détenues par DSF et les actifs sous-jacents détenus par DMI. Pour exemplifier cette position de l'intimée, soulignons en particulier les paragraphes 115, 120, 127 et 130 de ses notes. Pour des raisons de commodité, j'en reproduirai ici le plus révélateur :

120. Une série d'opérations a alors été faite ayant pour résultat de matérialiser la perte au profit de [DSF], non seulement en rapport avec les [scieries de la vallée] dont les actionnaires de [DMI] voulaient se départir, mais aussi, ce qui est inapproprié, en rapport avec la grande majorité des biens qui étaient conservés par l'entremise de [DMI 1993].

                                                                                                                                                [Je souligne.]

[76]          Selon le droit des sociétés, les biens d'une société par actions appartiennent à la société et non aux actionnaires de cette société. Une société a une personnalité juridique distincte de celle de ses actionnaires. La Loi ne crée aucune fiction juridique qui aurait pour effet d'annuler cette distinction ou de faire en sorte que les biens d'une société soient considérés comme ceux des actionnaires. Au contraire, la Loi reconnaît qu'un gain ou une perte peuvent être réalisés au même moment par un actionnaire à l'égard de ses actions et par la société à l'égard de ses propres biens. S'il existait une règle empêchant la double imposition d'un gain ou la déduction double d'une perte (qu'il y ait concomitance ou non) à l'égard des actions d'une société et des actifs sous-jacents de cette société, la position de l'intimée pourrait être défendable. Toutefois, tel n'est pas le cas.

[77]          Ici, Donohue a investi une somme de plus de 62 millions de dollars pour acquérir des actions du capital-actions de DMI. Ce sont ces mêmes actions que DSF a vendues à Cèdrico le 22 novembre 1993. Lors de cette disposition, DSF a subi une perte fiscale correspondant à la perte comptable déjà réalisée à la fin de 1991. On se rappellera que Donohue avait radié son placement dans DMI au 31 décembre 1991. Les parties conviennent que la valeur des actions ordinaires détenues par DSF le 22 décembre 1993 était nulle. En vendant ses actions à Cèdrico, DSF ne faisait que matérialiser fiscalement la perte de son placement. Or, il n'existe aucune disposition particulière de la Loi qui minimise - soit en l'éliminant de façon définitive ou en la reportant - la perte subie en décembre 1993. La seule disposition qui pourrait avoir ce résultat est la RGAÉ de l'article 245, mais seulement si la série d'opérations effectuées par le Groupe Donohue avait entraîné un abus dans l'application de la Loi lue dans son ensemble.

[78]          Je ne crois pas que l'intimée ait réussi à démontrer qu'en droit la PDTPE déduite par DSF entraînait un tel abus. Toutes les dispositions en vigueur de la Loi[30] citées par la procureure de l'intimée, à l'annexe E de ses notes, pour définir la politique fiscale sous-jacente à la Loi (lire régime général établi par la Loi) à l'encontre de laquelle la série d'opérations d'évitement pourrait aller visent les cas suivants : les transferts de biens en faveur de personnes avec lesquels il existe un " certain lien ", pour utiliser l'expression de la procureure de l'intimée, les transferts d'actions d'une société contrôlée, les transferts de biens vendus à un prix inférieur à la JVM ou donnant lieu à des pertes apparentes. Or, les parties conviennent qu'il n'existe aucun " lien " entre DSF et Cèdrico. Comme elle a véritablement disposé des actions d'une société qu'elle ne contrôlait pas et dont le PBR s'élevait à 62 210 000 $, qu'elle a reçu en contrepartie une somme représentant la JVM des actions et que ni elle ni une société liée n'a acquis de biens de remplacement, DSF a véritablement subi une perte de 62 209 999 $ et la déduction de cette perte ne contrevient à aucune règle sur la minimisation des pertes.

[79]          La seule disposition citée par la procureure de l'intimée qui ne cadre pas avec l'énumération faite à l'annexe E est la règle énoncée au sous-alinéa 39(1)c)(v) de la Loi. Il s'agit là d'une disposition portant sur le calcul de la PTPE, disposition que la procureure a décrite, lors de sa plaidoirie orale, comme visant à " empêcher la conversion d'une perte en capital en perte au titre d'un placement d'entreprise "[31]. De façon évidente, l'intimée reconnaît que ce sous-alinéa ne s'applique pas ici puisqu'elle se fonde sur l'article 245 de la Loi pour annuler la PDTPE déduite par DSF en vertu de l'alinéa 38c) de la Loi.

[80]          À mon avis, il n'y a rien dans la Loi qui empêche un contribuable de réaliser une perte sur des titres d'une société vendus à des tiers (qui n'ont aucun lien de dépendance avec la société), même si une partie importante des actifs ayant appartenu à cette société auxquels on peut attribuer la perte sur les actions demeure à l'intérieur du groupe de sociétés. Si on pouvait avoir le moindre doute quant à savoir si la série d'opérations mise en place par le Groupe Donohue avec la coopération de Rexfor et du gouvernement du Québec contrevient à l'objet de la Loi lue dans son ensemble, le fait que celle-ci permette à une personne détenant moins de 90 % des actions d'une société de réaliser une perte sur les actions lors de la liquidation de cette société tout en obtenant la propriété d'une partie des actifs sous-jacents de cette société démontre clairement que cette série d'opérations ne va pas à l'encontre du régime établi par la Loi.

[81]          À la fin de sa plaidoirie, à court d'arguments contre le bien-fondé de cette analyse, la procureure de l'intimée a soutenu que le ministre aurait probablement appliqué la RGAÉ si DMI avait été liquidée. Tout d'abord, l'argument relatif à la liquidation n'avait été avancée que pour justifier que la déduction de la PDTPE sur les actions par DSF — qui conservait en même temps, par l'intermédiaire de DMI 1993, la grande majorité des éléments d'actif de DMI — ne contrevenait pas à l'objet de la Loi. De plus, cette réponse de la procureure de l'intimée m'apparaît tout à fait erronée en droit puisque le législateur a indiqué expressément au paragraphe 69(5) de la Loi que la règle sur la minimisation des pertes énoncée à l'alinéa 40(2)e) ne s'applique pas lorsqu'il y a une simple liquidation. L'intention du législateur ne peut pas être plus claire. Ce résultat confirme non seulement que la Loi reconnaît l'existence distincte des actions du capital-actions d'une société et des biens détenus par cette société, mais aussi qu'une perte peut être subie à l'égard de ces actions et qu'il peut en même temps être permis à l'actionnaire de conserver sa part des biens sous-jacents de la société liquidée.

[82]          Pour ces motifs, l'appel de DSF est admis et la cotisation pour l'année d'imposition 1990 est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis que DSF a droit, dans le calcul de son revenu imposable, à une PDTPE de 46 657 499 $. Comme le procureur de DSF a demandé à fournir des observations avant que je ne statue sur la question des dépens, je ne rendrai ma décision sur cette question qu'après avoir entendu les parties.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de juin 2001.

" Pierre Archambault "

J.C.C.I.



1 Société connue auparavant sous la dénomination sociale de Donohue St-Félicien Inc.

[2] 50 % de ces actions devaient être achetées par Donohue en 1999 si DMI était incapable de les racheter.

[3] Les actions privilégiées de catégorie A, B et C sont des actions sans valeur nominale, à dividende non cumulatif de 6 % et rachetables moyennant paiement du montant versé. Les actions de catégorie A sont rachetables au plus tard dix ans après l'émission de la totalité des actions, soit en 1999. Les actions de catégorie C sont rachetables au gré du détenteur.

[4] Selon la déclaration de revenu pour l'année 1990, le revenu imposable de DSF était de 93 408 639 $.

[5] Le prix de base rajusté (PBR) des actions ordinaires de Donohue s'élevait à 62 210 000 $. Ce PBR comprend les sommes souscrites pour les actions ordinaires (62 150 000 $) et les frais engagés lors du placement initial.

[6] Rexfor n'a radié son placement représenté par les actions ordinaires de DMI qu'au 31 mars 1993. Une partie du placement constitué par les actions privilégiées aurait été radiée aussi puisque le montant total de la radiation s'élève à 87 735 000 $. Selon monsieur Jean-Marie Rodrigue, qui a été président directeur général de Rexfor de 1992 à 1995, cette société aurait dû radier en entier son placement dans les actions ordinaires plus tôt. Toutefois, le ministère des Finances du Québec s'était opposé à une telle démarche.

[7] Au cours de l'année 1992, DSF aurait acquis 1 500 000 nouvelles actions de DMI.

[8] Les CAAF constituent des droits de coupe consentis par le ministre des Ressources naturelles (MRN) et ils ne sont pas cessibles par la société qui les détient. Monsieur Garneau a indiqué que la règle d'or pour déterminer la valeur d'une scierie est de multiplier par 100 $ chaque mètre cube d'approvisionnement de bois prévu au CAAF. Comme, selon lui, les CAAF prévoyaient 250 000 mètres cubes de bois pour les deux scieries de la vallée, leur valeur marchande selon cette méthode d'évaluation s'élevait donc à 2 500 000 $. Dans les faits, les CAAF de DMI pour les scieries de la vallée autorisait la coupe de 200 000 mètres cubes. Il faut ajouter qu'il y a un CAAF par scierie. Sans CAAF il est difficile d'exploiter une scierie puisque c'est ce contrat qui assure l'approvisionnement de bois nécessaire à son opération.

[9] En novembre 1993, DSF possédait 64 050 000 actions ordinaires dont le capital versé s'élevait à 64 050 000 $. Le fait que le PBR des actions soit demeuré à 62 210 000 $ constitue un mystère. (Voir les paragraphes u) et cc) de la Réponse à l'avis d'appel, qui ont été admis par DSF.)

[10] Monsieur Rodrigue et monsieur Yvon Lévesque (d'abord adjoint au vice-président, finances, et, par la suite, vice-président, finances, chez Rexfor de 1990 à 1996) ont reconnu que le MRN et le ministère des Finances du Québec avaient été informés de la restructuration et l'avait autorisée. Dans son décret du 17 novembre 1993, le gouvernement du Québec, comme actionnaire de Rexfor, donnait son accord à la restructuration pourvu que Donohue en assume tous les frais. Selon l'estimation de monsieur Gingras, ces frais se sont élevés à environ 500 000 $.

Rexfor et SDI sont des sociétés de la couronne québécoises et des entités non imposables. Donc, seule SDF a pu profiter de la PDTPE à l'égard des actions ordinaires de DMI. Rexfor a bien tenté d'obtenir une part de cet avantage fiscal mais DSF a refusé de le partager puisqu'il résultait de la perte de son propre placement dans DMI. Par contre, la restructuration permettait de diminuer le capital de DMI, ce qui a eu pour conséquence de diminuer la taxe sur le capital de DMI. Rexfor en a donc tiré indirectement un avantage.

[11] En raison de l'application du paragraphe 85(5.1) de la Loi, DMI n'a pas subi de perte relative à ses éléments d'actif transférés à DMI 1993 et cette dernière a été placée dans la même situation que DMI d'un point de vue fiscal; notamment la fraction non amortie du coût en capital (FNACC) des biens amortissables acquis par DMI 1993 a été rajustée de 56 153 504 $.

[12] Selon le sous-alinéa 24o)iii) de la Réponse modifiée à l'avis d'appel admis par DSF, la valeur des éléments d'actif transférés par DMI à DMI 1993 se détaille comme suit :

                Encaisse                                                 1 776 518 $

                Comptes débiteurs                                6 410 331 $

                Stocks                                                     4 124 294 $

                Immobilisations            152 613 740 $

                Total                                               165 124 883 $*

* Note : Toutefois, le total véritable de la valeur de ces éléments d'actif s'élève à 164 924 883 $. L'écart de 200 000 $ n'a pas été expliqué.

[13] Voici des calculs qui illustrent bien ce résultat :

                                                         Avant le transfert                  Après le transfert

            Valeur de l'actif                       167 624 883                            165 124 883

            Dettes                                   - 134 158 933                           - 131 658 933

            Privilégiées A                         - 25 000 000                             - 25 000 000

            Privilégiées B                          - 35 600 000                            - 35 600 000

            Privilégiées C                           - 1 033 972                                 - 1 033 972

                                                            (28 168 022)                            (28 168 022)

Interrogés sur l'espoir que DSF et Rexfor pouvaient avoir de recouvrer en totalité ou en partie la valeur de leur placement lors d'un redémarrage de l'usine de pâte dans une conjoncture plus favorable, messieurs Rodrigue et Lévesque m'ont semblé très dubitatifs quant à une telle possibilité. Selon monsieur Rodrigue, pour obtenir une valeur positive pour les actions ordinaires, il aurait fallu être extrêmement chanceux. Il faut se rappeler que le coût de fabrication de la pâte de DMI était plus de deux fois supérieur au prix du marché en 1993.

La pâte CTMB est une pâte bas de gamme. Elle vient au sixième rang en fait de qualité alors que la pâte kraft se situe au premier rang. Lorsque les conditions économiques deviennent difficiles et que le prix de la pâte diminue considérablement, entraînant ainsi la baisse du prix de la pâte kraft, celle-ci devient plus populaire et rend la vente de la pâte CTMB beaucoup plus difficile. Cela explique pourquoi les prix de cette pâte se sont effondrés de façon aussi spectaculaire en 1991 et 1992.

De plus, selon monsieur Rodrigue, il aurait fallu qu'il y ait une usine de papier journal à proximité de l'usine de pâte, ce qui aurait nécessité des investissements additionnels de 345 000 000 $. Selon lui, la construction de l'usine de pâte de Matane avait été une mauvaise décision d'affaires.

Donc, il aurait fallu un renversement spectaculaire de la situation pour qu'il y ait recouvrement de la valeur des actions ordinaires de DMI détenues par DSF et Rexfor.

[14] Au procès verbal de la réunion du comité exécutif de Donohue du 21 octobre 1993, on indique l'intention de redémarrer les deux scieries de la vallée " afin de se qualifier comme entreprise active et ainsi bénéficier d'un avantage fiscal significatif ".

[15] La somme de 167 625 000 $ égale le total de 157 625 000 $ pour l'usine de pâte, 7,5 millions pour les deux scieries de la bordure et 2,5 millions pour les deux scieries de la vallée.

[16] Paragraphe 109 des notes de l'intimée.

[17] Paragraphe 114 des notes de l'intimée.

[18] 85(5.1) Lorsqu'une personne ou une société de personnes (appelée " contribuable " au présent paragraphe) a disposé d'un bien amortissable quelconque d'une catégorie prescrite qui lui appartenait en faveur d'un bénéficiaire du transfert qui était :

a) soit une société qui, immédiatement après la disposition, était contrôlée directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, par le contribuable, le conjoint du contribuable ou une personne, un groupe de personnes ou une société de personnes qui contrôlait le contribuable directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit;

b) soit une personne, le conjoint d'une personne, un membre d'un groupe de personnes ou une société de personnes qui, immédiatement après la disposition, contrôlait le contribuable directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit;

c) soit une société de personnes, la participation du contribuable dans la société de personnes, à titre d'associé, étant, immédiatement après la disposition, telle que visée à l'alinéa 97(3.1)a) ou b),

et que la juste valeur marchande du bien, au moment de la disposition, est inférieure à la fois au coût du bien pour le contribuable et au montant (appelé le " montant proportionnel " au présent paragraphe) qui représente la partie de la fraction non amortie du coût en capital pour le contribuable, de tous les biens de cette catégorie, immédiatement avant la disposition, représentée par le rapport entre la juste valeur marchande du bien au moment de la disposition et la juste valeur marchande de tous les biens de cette catégorie au moment de la disposition, les règles suivantes s'appliquent :

d) les paragraphes (1) et (2) et l'article 97 ne s'appliquent pas à la disposition;

e) le moins élevé du coût du bien pour le contribuable ou du montant proportionnel à l'égard du bien est réputé être le produit que le contribuable a tiré de la disposition du bien et le coût du bien pour le bénéficiaire du transfert;

f) lorsque le contribuable dispose simultanément de plusieurs biens amortissables d'une catégorie prescrite, l'alinéa e) s'applique comme s'il avait disposé de chacun d'eux séparément dans l'ordre désigné par lui ou, s'il n'a pas ainsi désigné un tel ordre, dans l'ordre désigné par le ministre;

g) le coût pour le contribuable d'un bien quelconque donné qu'il a reçu en contrepartie de la disposition est réputé être égal au moins élevé des montants suivants :

                (i) la juste valeur marchande du bien donné au moment de la disposition,

                (ii) la fraction de la juste valeur marchande du bien dont le contribuable a disposé, au moment de la disposition, représentée par le rapport existant entre :

(A) d'une part, le montant déterminé en vertu du sous-alinéa (i),

(B) d'autre part, la juste valeur marchande, au moment de la disposition, de tous les biens que le contribuable a reçus en contrepartie de la disposition.

                                                                [Je souligne.]

19 À l'appui de cet argument, la procureure cite la décision rendue par mon collègue le juge Bowie dans OSFC Holdings Ltd v. The Queen, 99 DTC 1044, (version française : [1999] A.C.I. no 378). Comme je n'ai pas l'intention de traiter de cet aspect de la plaidoirie de l'intimée dans mon analyse, je désire le commenter ici. À mon avis, cette décision n'aide pas la position de l'intimée. Dans cette affaire, on avait utilisé le paragraphe 18(13) de la Loi pour permettre à une société insolvable de " vendre " une perte fiscale latente à l'égard de certains prêts à des tiers (avec lesquels la société n'avait aucun lien de dépendance). Le but poursuivi allait manifestement à l'encontre du régime établi par la Loi, qui ne vise à permettre le transfert de telles pertes qu'à l'intérieur d'un même groupe de sociétés. (Voir les paragraphes 58 et 59 de la décision.) Ici, comme on le verra plus loin, la perte déduite par le contribuable est la sienne (ou celle du Groupe Donohue). Il n'est pas question d'une perte " achetée " à un tiers.

De plus, même si l'on concluait qu'il y a abus du paragraphe 85(5.1) de la Loi (ce que je n'ai pas à décider et que je ne ferai pas), la conséquence serait d'annuler les effets du " roulement fiscal ", ce qui aurait pour effet de diminuer pour DMI 1993 (et non DMI) la FNACC des différentes catégories de biens amortissables acquis par DMI 1993 et, le cas échéant, toute perte finale, mais n'aurait aucun effet sur le montant de la perte subie à l'égard des actions de DMI. En d'autres mots, je ne vois pas du tout la pertinence d'un abus possible du paragraphe 85(5.1) de la Loi pour les fins de l'appel de DSF.

[20] Je reproduis ici la liste de ces dispositions :

Perte lors de la disposition de biens amortissables

          Paragraphe 85(5.1)

          Paragraphe 13(21.2) (après le 26 avril 1995)

          Paragraphe 13(21.1) - perte lors de la disposition d'un bâtiment (après le 26 avril 1995)

Perte lors de la disposition d'une immobilisation

          Paragraphe 85(4) - perte résultant d'une disposition en faveur d'une société contrôlée

          Alinéa 40(2)e) - perte résultant d'une disposition en faveur d'une entité dominante ou

          contrôlée par une entité dominante

          Paragraphes 40(3.3) et (3.4) - perte lors de la disposition d'une immobilisation qui se

          retrouve dans les mains d'une personne affiliée (après le 26 avril 1995)

          Paragraphe 40(3.6) - perte lors de la disposition d'une action en faveur d'une société

          affiliée (après le 26 avril 1995)

Perte lors de la disposition d'un bien en immobilisation admissible (BIA)

          Paragraphe 85(4)

          Paragraphe 14(12) (après le 26 avril 1995)

Perte lors de la disposition d'un bien en faveur d'une société par un associé majoritaire

          Paragraphe 97(3)

          Dispositions qui visent après le 26 avril 1995 les transferts à des sociétés de

personnes : (par. 13(21.2), 14(12) et 40(3.3) et (3.4) et al. 40(2)g)

Perte lors de la disposition d'un bien utilisé dans le cadre d'une entreprise de prêt

                Paragraphe 18(13)

                Paragraphe 18(15) (après le 26 avril 1995)

Perte lors de la disposition d'un bien utilisée [sic] dans le cadre d'une entreprise qui est un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial

                Paragraphes 18(14) et (15) (après le 26 avril 1995)

Perte apparente

                Sous-alinéa 40(2)g)(i)

Perte résultant de la disposition d'une créance

                Sous-alinéa 40(2)g)(ii)

Disposition d'une dette

                Alinéa 40(2)e.1) (après le 12 juillet 1994)

Disposition par une société d'actions d'une société contrôlée

                Alinéa 40(2)h)

Disposition pour un produit inférieur à la jvm dans le but de profiter d'une déduction d'impôt lors d'une disposition ultérieure

                Paragraphe 69(11)

Refus de considérer la perte comme une PTPE lorsque le PBR a été augmenté par le jeu du paragraphe 85(4)

                Sous-alinéa 39(1)(c)(v)

[21] Ce paragraphe est rédigé comme suit :

Perte résultant d'une disposition en faveur d'une corporation contrôlée. Dans le cas où un contribuable ou une société — appelés " contribuable " au présent paragraphe — a disposé d'un bien en immobilisation, sauf un bien amortissable d'une catégorie prescrite, lui appartenant ou d'un bien en immobilisation admissible relativement à son entreprise — au titre duquel il aurait droit, sans le présent paragraphe, à une déduction en vertu de l'alinéa 24(1)a) —, en faveur d'une corporation qui, immédiatement après la disposition, était contrôlée directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, par le contribuable, par le conjoint de celui-ci ou par une personne ou un groupe de personnes qui contrôlait le contribuable directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, les règles suivantes s'appliquent :

a) malgré les autres dispositions de la présente loi, les montants suivants sont réputés nuls:

(i) la perte en capital résultant de la disposition,

(ii) la déduction opérée en application de l'alinéa 24(1)a) relativement à l'entreprise dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année d'imposition au cours de laquelle il a cessé d'exploiter l'entreprise;

b) il faut, pour calculer le prix de base rajusté, pour le contribuable, de toutes les actions d'une catégorie déterminée du capital-actions de la corporation qui lui appartenaient immédiatement après la disposition, ajouter, dans le cas d'un bien en immobilisation, la fraction, et dans le cas d'un bien en immobilisation admissible, les 4/3 de la fraction du montant éventuel

(i) du coût indiqué, pour lui, du bien immédiatement avant la disposition de celui-ci

qui dépasse le total:

(ii) du produit de disposition du bien pour le contribuable ou, s'il s'agit d'un bien en immobilisation admissible, du montant en immobilisations admissible pour lui résultant de la disposition du bien,

(ii.1) dans le cas où le bien dont le contribuable a disposé est une action du capital-actions d'une corporation, du total des montants dont chacun représente un montant qui, sans les alinéas a) et 40(2)e), serait déduit, selon le cas

(A) en application du paragraphe 93(2) ou 112(3) ou (3.2) dans le calcul d'une perte que le contribuable a subie à la disposition,

(B) en application du paragraphe 112(3.1), si le contribuable est une société, dans le calcul de la part d'une corporation membre de la société sur la perte que celle-ci a subie à la disposition,

représentée par le rapport entre :

(iii) la juste valeur marchande, immédiatement après la disposition, de toutes les actions de cette catégorie qui lui appartenaient ainsi,

et

(iv) la juste valeur marchande, immédiatement après la disposition, de toutes les actions du capital-actions de la corporation qui lui appartenaient ainsi.

[22] Cet alinéa dispose comme suit :

e) lorsque le contribuable est une corporation, sa perte, déterminée par ailleurs, résultant d'un bien dont il a disposé en faveur de l'une ou l'autre des personnes suivantes est nulle :

(i) une personne qui le contrôlait, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit,

(ii) une corporation contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, par une personne visée au sous-alinéa (i);

[23] Il est à remarquer que les actions de DMI 1993 sont des actions d'une société distincte de DMI. Selon le procureur de DSF, ces actions ne sont pas des biens de remplacement.

[24] Pour une illustration de cette règle, voir The Queen v. MerBan Capital Corporation Limited, 89 DTC 5404. À la page 5409, le juge en chef Iacobucci dit :

SEPARATE EXISTENCE

The issue of separate existence of MerBan from its subsidiaries is important because of the basic rule that a taxpayer can deduct only expenses that it incurred to earn its income. If, as counsel for the Minister contends, MerBan is to be treated as a separate legal entity from its subsidiaries, then MerBan has considerable difficulty in arguing that the payment to the Bank was incurred to earn MerBan's income because the source of the income — primarily dividends to be paid on the Kaps shares held by Holdings — was that of its subsidiary, Holdings. Moreover, if the separate existence of the corporations is recognized, then it is also more difficult, as will be discussed later, for MerBan to maintain it can deduct the payments made to the Bank under paragraph 20(1)(c) of the Act because the payments to the Bank were not interest in respect of indebtedness incurred by MerBan in that the money borrowed was effected by MKH not by MerBan.

[25] Pour une autre illustration de cette déduction double " d'une perte ", voir la décision Jacques St-Onge Inc., 98-1750 (IT)G, que j'ai rendue récemment.

[26] Par exemple, voir les articles 52 et 53 de la Loi.

[27] On pourrait ajouter à l'appui de cette analyse l'exemple de la dégringolade importante récente de la valeur des titres d'une des grandes sociétés canadiennes : le prix de l'action est passé de 120 $ à 20 $ sur une période de six mois, représentant une " érosion de 300 milliards de dollars de sa capitalisation boursière " (selon Le Devoir, 3 mai 2001, p. B1). Cette dégringolade est survenue lors d'une importante correction des titres boursiers de la nouvelle technologie et des télécommunications. Dans ce cas-là, il serait difficile, selon toute vraisemblance, d'établir une corrélation entre le PBR des actions de cette société et celui de ses éléments d'actif sous-jacents.

[28] Ce scénario était évidemment moins avantageux pour le Groupe Donohue et Rexfor puisque DMI aurait alors augmenté ses pertes et elles n'auraient pas été disponibles pour diminuer le revenu imposable futur.

[29] Le paragraphe 69(5) se lit comme suit :

(5) Idem. Lorsque, au cours d'une année d'imposition d'une corporation, des biens de la corporation ont été attribués de quelque manière que ce soit à un actionnaire ou au profit de celui-ci, lors de la liquidation de la corporation, les règles suivantes s'appliquent :

a) aux fins du calcul du revenu de la corporation pour l'année,

(i) la corporation est réputée avoir vendu chaque bien immédiatement avant la liquidation et en avoir reçu la juste valeur marchande à cette date, et

(ii) l'alinéa 40(2)e) ne s'applique pas dans le calcul de perte, si perte il y a, résultant de la vente d'un tel bien;

b) l'actionnaire est réputé avoir acquis les biens à un coût égal à leur juste valeur marchande immédiatement avant la liquidation;

c) les paragraphes 52(1), (1.1) et (2) ne s'appliquent pas lorsqu'il s'agit de déterminer le coût de ces biens pour l'actionnaire;

d) les paragraphes 85(4) et (5.1) ne s'appliquent pas à la liquidation; et

e) l'alinéa 40(2)e) ne s'applique pas au calcul de la perte que l'actionnaire subit à la disposition d'une action du capital-actions de la corporation en faveur de la corporation lors de la liquidation.

[30] Pour déterminer si la série d'opérations entraîne en 1993 un abus dans l'application de la Loi lue dans son ensemble, on ne doit pas tenir compte des dispositions adoptées après 1993.

[31] Selon les auteurs du CCH Tax Reporter, paragraphe 6065, " The apparent intention of this provision is to prevent capital losses on property other than shares to be converted into an allowable business investment loss by transferring the capital property with an accrued loss to a Canadian-controlled private corporation. "

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