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Date: 20000927

Dossier: 2000-1378-IT-I

ENTRE :

SYNCHROSAT LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

___________________________________________________________________

Représentant de l'appelante : Asim K. Sen

Avocate de l'intimée : Me J. Michelle Farrell

___________________________________________________________________

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Ottawa (Ontario), le 1er septembre 2000.)

Le juge Bowie, C.C.I.

[1]            La compagnie appelante est, en réalité, l'alter ego de M. Asim K. Sen, Ph.D. M. Sen est le principal actionnaire et l'unique employé de la société. Il en est l'âme dirigeante.

[2]            Depuis 1984, la compagnie participe, grâce aux efforts de M. Sen, au développement d'un appareil appelé une " turbine cinétique ". Au cours de chacune des années depuis 1991, et peut-être même avant, l'appelante a déclaré avoir le droit de recevoir un crédit d'impôt à l'investissement (CII) remboursable en application de l'article 127.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi "). Le présent appel est interjeté à l'encontre d'une cotisation établie en vertu de la Loi pour l'année d'imposition 1998, par laquelle le ministre du Revenu national (le " ministre ") rejetait la demande de CII de l'appelante. Le motif de son refus, tel que l'a fait valoir le sous-procureur général du Canada, était :

                                [TRADUCTION]

[...] qu'elle [la compagnie] n'avait pas de dépenses admissibles au titre de la recherche scientifique et du développement expérimental, puisque l'appelante n'exploitait pas une entreprise.

Les parties conviennent maintenant que la compagnie appelante, grâce aux efforts de M. Sen, a exercé des activités liées à la recherche scientifique et au développement expérimental pendant un certain nombre d'années. Le ministre avait à un moment donné contesté cela, mais la Cour a tranché la question en faveur de l'appelante à l'égard des années d'imposition 1991 et 1992[1]. Le ministre n'a pas soulevé cette question en ce qui concerne l'année d'imposition 1998.

[3]            Le régime législatif aux termes duquel un contribuable devient admissible à des CII est complexe. Le droit aux crédits découle de l'article 127.1 de la Loi, mais il revient au contribuable d'établir d'abord qu'il a le droit, en vertu du paragraphe 37(1), de déduire de son revenu un montant dépensé pour la recherche scientifique et le développement expérimental.

[4]            Heureusement, il n'est pas nécessaire en l'espèce d'examiner plus en profondeur les éléments complexes du calcul exigés par ces dispositions de la Loi. L'intimée ne conteste que la capacité de l'appelante à respecter la condition de la disposition liminaire du paragraphe 37(1), qui se lit comme suit :

Le contribuable qui exploite une entreprise au Canada au cours d'une année d'imposition peut déduire [...]

L'intimée soutient simplement que l'appelante n'a pas exploité une entreprise en 1998, puisqu'elle n'avait pas d'attente raisonnable de profit.

[5]            Le fondement de cette conclusion est énoncé au paragraphe 8 de la réponse à l'avis d'appel produit par le sous-procureur général du Canada. Dans la réponse, il est précisé qu'en établissant une cotisation à l'égard de l'appelante pour son année d'imposition 1998, le ministre s'est fondé sur 14 hypothèses de fait.

[6]            La première hypothèse est que l'appelante est une compagnie de recherche et de développement. La deuxième est que M. Sen est l'actionnaire majoritaire et le seul employé et qu'il effectue tout le travail au sein de la compagnie, que ce soit au plan administratif ou au plan de la recherche scientifique. La troisième hypothèse relate l'historique de la compagnie, de 1991 à 1998, pour ce qui est du revenu brut, des salaires, des autres dépenses et des pertes. L'hypothèse suivante établit le calcul de la perte déclarée pour l'année d'imposition 1998. La suivante est que, depuis 1984, selon laquelle l'entreprise de l'appelante travaille à un projet - je présume qu'on voulait dire qu'elle ébauchait un projet - appelé la " turbine cinétique ". Ensuite, il est allégué que les revenus bruts de l'appelante au cours des années provenaient entièrement de CII fédéraux et de remboursements de crédits d'impôt à l'innovation de l'Ontario. Rien de tout cela n'est contesté par l'appelante. À ce stade-ci, les hypothèses du ministre passent des faits aux arguments. La suivante est ainsi libellée :

                                [TRADUCTION]

[...] que, 25 ans après le début du projet, la recherche et le développement sont toujours effectués sans activité commerciale, ce qui indique que la motivation de réaliser un profit ne constitue pas la raison principale du projet.

Bien au-delà de l'erreur arithmétique évidente, le bond est, au plan de la logique, saisissant!

[7]            L'hypothèse suivante est que la déduction que la compagnie demande, ses dépenses salariales, n'est qu'un jeu d'écritures. Cela n'est pas contesté par l'appelante, en ce sens que, comme M. Sen l'a expliqué pendant son témoignage, la compagnie ne dispose pas de revenus suffisants pour payer à ce dernier le salaire qu'il pourrait s'attendre à recevoir, en tant que scientifique compétent, s'il travaillait pour un employeur sans lien de dépendance. En réalité, les seuls revenus de la compagnie sont, reconnaît-il, les remboursements de crédits d'impôt susmentionnés et, dans la mesure où son salaire excède ces montants, il a une créance contre la compagnie, qui est subséquemment transformée en actions. Dans la mesure où la compagnie peut lui payer une partie de son salaire en espèces, ce dernier est mis de côté pour couvrir ses obligations personnelles envers le fisc, que la compagnie acquitte pour lui.

[8]            Encore une fois, le ministre a formulé un argument dans l'hypothèse 8i), qui est ainsi rédigée :

                                [TRADUCTION]

L'étendue des pertes indique une intention non commerciale.

L'hypothèse suivante, g), précise que l'appelante n'a pas de plans pertinents visant à augmenter les revenus bruts afin de rendre le projet rentable. Cette hypothèse a été contestée, puis réfutée par M. Sen dans son témoignage. Le plan de M. Sen pour la compagnie est très clair, soit celui de perfectionner la " turbine cinétique " pour qu'elle devienne une invention brevetable, en fait brevetée, ayant une grande valeur commerciale, puis de vendre le brevet à un investisseur en capital risque ou à une entreprise établie, qui fabriquera le produit. Il s'agit certainement d'un plan pour augmenter les revenus bruts de la société et pour rendre le projet rentable. M. Sen a exprimé l'avis que, lorsque le projet aura été achevé et que le brevet sera finalement vendu, il en obtiendra une somme très importante. La raison pour laquelle le ministre affirme qu'il n'y a pas de plans pertinents ne m'apparaît pas claire. J'aurais pensé que tout plan visant à transformer les dettes en profit constituerait un plan pertinent.

[9]            Il est ensuite soutenu au sous-alinéa 8k) que :

                                [TRADUCTION]

On a accordé à l'appelante un nombre raisonnable d'années pour qu'elle puisse démontrer que le projet était réalisable.

Cela semble faire référence au fait qu'on avait accordé des CII à la compagnie au cours des années antérieures et que le ministre, examinant une année de plus qui venait s'ajouter à plusieurs années de suite sans revenus mais avec certaines dépenses, avait sans doute conclu que le projet, selon ses mots, n'était pas réalisable. Cette conclusion, bien entendu, ne tient pas compte du fait que tout projet qui consiste en l'application du génie inventif et qui vise la vente du produit final après des années de développement de l'invention ne produira des revenus qu'à la fin du projet. De même, le sous-alinéa 8l) est ainsi rédigé :

                                [TRADUCTION]

Le projet, tel qu'il était exploité pendant l'année d'imposition 1998, n'était pas en mesure de générer un profit.

Le ministre cherche manifestement à donner à entendre qu'aucun profit ne pouvait être généré au cours de l'année d'imposition 1998, et encore une fois, cette hypothèse ne tient pas compte de la nature du projet. La même remarque peut s'appliquer au sous-alinéa 8m), qui est ainsi rédigé :

                                [TRADUCTION]

L'appelante n'avait aucune attente raisonnable de profit en ce qui a trait au projet au cours de l'année d'imposition 1998.

[10]          Au sous-alinéa 8n), le sous-procureur général du Canada formule, comme d'habitude, une déclaration qui est une conclusion de droit et qui énonce le point litigieux dont la Cour est saisie, soit la question de savoir si les dépenses engagées se rapportaient à une entreprise ou à un bien ou, en d'autres termes, si l'appelante exploitait une entreprise pendant l'année d'imposition 1998.

[11]          Bref, l'unique fondement du ministre pour refuser à l'appelante les CII demandés, est que cette dernière n'a pas eu, pendant les années où elle a perfectionné sa " turbine cinétique ", de revenu autre que les crédits d'impôts fédéral et provincial et qu'elle a, par conséquent, subi des pertes successives d'une année à l'autre.

[12]          Selon le témoignage de M. Sen, ce dernier a travaillé systématiquement et de façon continue pendant de nombreuses années au développement de la " turbine cinétique ". Il a obtenu un brevet à cet égard et a apporté des améliorations à l'invention originale. Selon lui, cette invention peut offrir une source d'énergie de rechange qui, étant donné la diminution des réserves de ressources énergétiques et l'augmentation constante de la pollution, sera très utile au XXIe siècle. Son intention est claire : amener cette invention à l'étape de l'application pratique, puis vendre le brevet à un investisseur en capital risque ou à une entreprise établie, qui fabriquera et commercialisera le produit.

[13]          On ne me demande pas en l'espèce de décider si la " turbine cinétique " sera, au bout du compte, un succès commercial. Le ministre a conclu que l'appelante n'exploitait pas une entreprise en 1998 simplement pour la raison que j'ai soulignée ci-dessus, c'est-à-dire que la longue suite ininterrompue de pertes annuelles mène à la conclusion que ce projet ne comporte pas d'attente raisonnable de profit et qu'il ne peut de ce fait être assimilé à une entreprise et que, par conséquent, la compagnie ne peut être assimilée à une personne exploitant une entreprise. On n'a jamais soutenu, en ce qui concerne le présent appel, que la turbine ne pouvait constituer un succès commercial. Ainsi, l'appelante n'a pas eu à prouver le contraire.

[14]          Je devrais peut-être mentionner à ce stade-ci que M. Sen a déclaré au cours de son témoignage que, par le passé, il avait écrit deux monographies de nature scientifique qui ont été vendues, bien qu'en nombre limité, à des bibliothèques, à des scientifiques et à d'autres personnes intéressées par leur sujet. La compagnie conserve des stocks de ces monographies pour la vente et elle fait de la publicité à leur égard. Si j'ai bien compris, M. Sen s'est grandement fié à ces faits pour soutenir la proposition selon laquelle la compagnie était bien une compagnie exploitant une entreprise. Toutefois, les ventes des monographies étaient au mieux rares à ce qu'il semble et, en outre, ces quelques ventes remontent au début des années 90. Aucune monographie n'a été vendue depuis 1994. Je ne considère pas que cela constitue la preuve d'une activité commerciale, et certainement pas celle d'une personne ayant une attente raisonnable de profit ou satisfaisant par ailleurs au critère de l'exploitation d'une entreprise. Si cette compagnie devait un jour gagner de l'argent, cela ne proviendrait pas de ces monographies, mais de la " turbine cinétique ".

[15]          Dans sa plaidoirie, l'avocate de l'intimée s'est fondée sur la décision rendue dans l'affaire Knight c. Canada (ministre du Revenu national), [1993] A.C.I. no 671 (93 DTC 1255). Dans cette affaire, l'appelant a pendant trois années d'imposition consacré beaucoup de temps et d'énergie - et subi des pertes s'élevant à un peu plus de 120 000 $ - à créer une machine-outil gérée par ordinateur qu'il espérait fabriquer et vendre. Il a cherché à déduire ces pertes dans le calcul de son revenu. Son appel devant cette Cour, interjeté à l'encontre du rejet de ces pertes, a échoué au motif que, au cours de la période allant de 1986 à 1988, il n'avait pas d'entreprise et ne faisait que créer un produit qu'il fabriquerait plus tard. Il n'aurait une entreprise qu'après avoir réussi à créer le produit. Ses dépenses, a-t-il été conclu, visaient la constitution d'un bien immobilisé.

[16]          En l'espèce toutefois, l'appelante ne se propose pas de fabriquer ou de vendre des " turbines cinétiques ". Il s'agit d'une affaire où la partie appelante élabore et améliore un concept qui mènera en bout de ligne, espère-t-on, à un brevet d'invention commercialisable qui sera vendu.

[17]          Dans l'affaire M.N.R. v. H. J. Freud, [1968] C.T.C. 438, le contribuable a consacré des fonds à la création du concept d'une petite voiture sport personnelle et en a construit un prototype. Il a fait tout son possible pour inciter d'éventuels fabricants à lui acheter le concept afin qu'ils puissent le fabriquer eux-mêmes. L'entreprise n'a pas réussi, et l'appelant a réclamé la déduction de pertes d'entreprise de son revenu de profession libérale (il était avocat). Lorsque l'affaire s'est trouvée devant la Cour suprême du Canada, celle-ci, à l'unanimité, a dépeint le projet comme un projet comportant un risque de caractère commercial et a conclu qu'il était par conséquent visé par la définition d'entreprise qui figurait alors à l'article 139 de la Loi. En rendant les motifs de la Cour, le juge Pigeon a déclaré, aux pages 440 et 441 :

                                [TRADUCTION]

                On doit également faire remarquer que la Loi de l'impôt sur le revenu définit le mot " entreprise " de façon à inclure " les projets comportant un risque ou les affaires de caractère commercial " (alinéa 139(1)e)). Suivant cette définition, une opération unique sera considérée comme une entreprise, même s'il s'agit d'un projet isolé entièrement indépendant de la profession ou du métier du contribuable. Cette conséquence de la définition a été reconnue et entérinée dans de nombreux jugements, mais je ne ferai référence qu'à l'un d'entre eux, soit l'affaire McIntosh v. M.N.R., [1958] R.C.S. 119 ([1958] C.T.C. 18), dans laquelle on a conclu qu'un simple projet de spéculation relative à des fonds de terre donnait lieu à un revenu imposable lorsque le profit était obtenu à la suite d'une acquisition faite avec espoir de profit au moment de la revente.

Après avoir cité le juge en chef Kerwin dans l'affaire McIntosh, le juge Pigeon a poursuivi en déclarant :

                                [TRADUCTION]

                Ainsi étant les principes à être appliqués dans des affaires où un profit est généré, les mêmes règles doivent être suivies lorsqu'une perte est subie. L'équité à l'égard des contribuables nous impose de prendre bien soin de ne pas permettre que des profits soient imposés à titre de revenu, mais que les pertes soient traitées comme ayant un caractère de capital et par conséquent qu'elles ne soient pas déductibles du revenu, alors que la situation est essentiellement la même.

                En l'espèce, l'appelant ne nie pas que le projet en lui-même en était un de caractère commercial, de sorte que, si l'intimé et ses amis y avaient pris part en leur propre nom, la perte aurait été déductible.

[18]          À mon avis, l'appelante, en l'espèce, comme dans l'affaire Freud, participe à un projet comportant un risque de caractère commercial. La définition d'" entreprise ", telle qu'elle figure maintenant au paragraphe 248(1) de la Loi, est la suivante :

" entreprise " Sont compris parmi les entreprises les professions, métiers, commerces, industries ou activités de quelque genre que ce soit et, sauf pour l'application de l'alinéa 18(2)c), de l'article 54.2, du paragraphe 95(1) et de l'alinéa 110.6(14)f), les projets comportant un risque ou les affaires de caractère commercial, à l'exclusion toutefois d'une charge ou d'un emploi.

[19]          Je ne constate aucune distinction fondée sur des principes entre la conception de la " turbine cinétique " par l'appelante et la création du concept d'une petite voiture sport personnelle par M. Freud. Dans les deux cas, il s'agit d'un projet comportant un risque de caractère commercial qui est par conséquent visé par la définition du mot " entreprise " dans la Loi. Cette conclusion est à mon avis renforcée par la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103 ([1995] 2 C.T.C. 369), notamment les motifs du juge Major, aux pages 374 à 376.

[20]          Cette conclusion, toutefois, ne répond pas totalement à la question de savoir si l'appelante, en 1998, " exploitait une entreprise ". Les personnes qui participent à un projet comportant un risque de caractère commercial n'exploitent pas toutes une entreprise. Le président Jackett (tel était alors son titre), de la Cour de l'Échiquier, a déclaré, dans l'affaire Tara Exploration and Development Company Limited v. M.N.R., [1970] C.T.C. 557, que l'achat et la vente ultérieure d'actions minières au Canada par une compagnie constituée au Canada, mais exploitant son entreprise en Irlande, ne permettait pas de conclure que l'appelante exploitait une entreprise au Canada. En parvenant à cette conclusion, le président Jackett a déclaré, à la page 567 :

                                [TRADUCTION]

                Je suis d'avis, malgré un doute important quant au bien-fondé de ma conclusion, que l'alinéa 139(1)e) n'a pas pour effet d'assujetir une personne non résidante à l'impôt canadien sur le revenu relativement à un profit tiré d'un projet qui, par ailleurs, ne correspond pas à une " entreprise " ni n'en fait partie. Avec beaucoup d'hésitation, j'ai conclu que le meilleur point de vue était que le mot " exploité " n'était pas un mot pouvant convenablement aller de pair avec les mots " projet comportant un risque ". L'exploitation de quelque chose nécessite une continuité de temps ou une exploitation comme celle qui est sous-entendue dans le sens ordinaire d'une " entreprise ". Un projet comportant un risque est un incident isolé. Nous avons donc un projet comportant un risque, par opposition au fait d'exploiter une entreprise.

[21]          Il est évident que le projet comportant un risque de caractère commercial auquel participait Tara était très différent de celui de l'affaire Freud ou de celui de l'appelante en l'espèce. Le doute important et l'hésitation exprimés par le président Jackett peuvent résulter du fait évident qu'il existe des projets comportant un risque de caractère commercial qui peuvent comporter des caractéristiques très différentes. Je n'ai aucun doute quant à la justesse de sa conclusion au sujet d'un projet comportant un risque du type de celui qui était en cause, soit la vente et la revente d'un produit, que ce soit des actions, un fonds de terre ou tout autre bien spéculatif, sans activité entre elles.

[22]          Par opposition à cela, les projets comportant un risque exploités dans l'affaire Freud et celui en cause en l'espèce possèdent le degré de continuité que le président Jackett estimait absent dans l'affaire Tara. Ils avaient une continuité à la fois de temps et d'exploitation.

[23]          À mon avis, le projet comportant un risque de caractère commercial que je suis appelé à examiner en l'espèce correspond à l'exploitation d'une entreprise. Je suis conforté dans cette conclusion par plusieurs autres considérations. D'abord, le produit de la vente du brevet, en supposant que sa conception soit un succès et qu'il soit vendu, comme le prévoit M. Sen, pour une somme importante, devra être imposé comme un revenu tiré d'un projet comportant un risque de caractère commercial. Cela me semble inévitable à la lumière de la décision de la Cour suprême dans l'affaire Freud. Ensuite, le législateur, dans la plus récente version de la définition d'" entreprise " figurant au paragraphe 248(1) de la Loi, a pris grand soin d'exclure les projets comportant un risque de caractère commercial de la définition d'" entreprise " en ce qui concerne certaines dispositions particulières de la Loi, dont aucune n'est pertinente en l'espèce. Si le législateur avait eu l'intention de refuser aux inventeurs le droit à des déductions pour de la recherche scientifique et du développement expérimental et le droit à des CII, il aurait pu facilement ajouter le paragraphe 37(1) à cette courte liste d'exclusions.

[24]          Enfin, conclure que cette compagnie, qui, comme le ministre l'a admis, se livre à la recherche et au développement et dont j'ai conclu que l'entreprise constituait un projet comportant un risque de caractère commercial, n'a pas le droit de demander quelque déduction que ce soit en matière de recherche scientifique et de développement expérimental ou quelque CII sur ce mince fondement, serait contraire aux instructions souvent répétées de la Cour suprême du Canada selon lesquelles une ambiguïté législative doit être réglée de manière à respecter l'objet du texte législatif. L'objet en l'espèce vise clairement à encourager la découverte scientifique, et l'invention grâce à la recherche et au développement. Une interprétation étroite de l'expression " exploiter une entreprise " ne favoriserait certainement pas l'effet souhaité.

[25]          À mon avis, en l'espèce, le ministre a été obnubilé par les nombreuses années pendant lesquelles cette compagnie a dépensé de l'argent pour la recherche et le développement sans générer de revenus et a conclu que cette série ininterrompue de pertes n'annonçait pas d'attente raisonnable de profit.

[26]          Il y a, bien entendu, d'innombrables affaires me liant selon lesquelles l'existence d'une entreprise exige qu'il y ait une attente raisonnable de profit. Dans de nombreux cas, une longue série de pertes a été l'élément déterminant pour conclure à l'absence d'une attente raisonnable de profit. Je ne connais aucune affaire, toutefois, où ce principe a été appliqué à une entreprise qui consiste en un projet comportant un risque de caractère commercial. Je n'exclus pas la possibilité que ce qui pourrait par ailleurs être un projet comportant un risque de caractère commercial, donc une entreprise, puisse un jour être considéré comme n'étant pas une entreprise, au motif que sa situation est si désespérée qu'elle ne pourra démontrer l'existence de quelque attente raisonnable de profit.

[27]          Les projets comportant un risque de caractère commercial sont toutefois de nature spéculative. Ils comportent souvent un grand risque ainsi que la perspective d'une très grande récompense. Cela a été constaté fréquemment dans l'histoire, plus particulièrement au cours des dernières années. La Cour d'appel fédérale nous a indiqué, dans l'affaire Tonn c. Canada[2], que la Cour ne devrait pas s'empresser de mettre en doute la sagesse de l'appréciation commerciale grâce à la connaissance rétrospective. Qui plus est, il me semble que la Cour ne peut, en l'absence de preuve péremptoire, prédire l'échec d'une invention. Il faudrait certainement plus qu'une absence de revenus pendant l'étape du développement dans un cas comme celui qui nous occupe, où les revenus ne peuvent être générés qu'à la fin du projet, pour parvenir à cette conclusion.

[28]          Par conséquent, je conclus que l'appelante exploitait une entreprise pendant l'année d'imposition 1998. L'appel est admis, avec frais, et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelante a droit au CII qu'elle réclamait.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de septembre 2000.

" E. A. Bowie "

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour de mars 2001.

Philippe Ducharme, réviseur



[1]               Synchrosat Ltd. c. Canada, [1996] A.C.I. no 506 ([1996] 3 CTC 2159).

[2]               [1996] 2 C.F. 73 (96 DTC 6001).

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