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Date: 19980820

Dossier: 97-367-UI

ENTRE :

ISAAC BENGUAICH,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1]            L'appelant interjette appel d'une décision (soit un règlement) en date du 4 décembre 1996 dans laquelle le ministre du Revenu national (le " ministre ") a déterminé que l'emploi exercé par l'appelant pour la Trinkets Incorporated du 16 avril 1992 au 15 avril 1993 était non pas un emploi assurable mais un emploi exclu parce que l'appelant avait un lien de dépendance avec son employeur et qu'il n'était pas réputé ne pas avoir de lien de dépendance selon l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage (la " Loi ").

[2]            L'intimé ayant omis de déposer une réponse à l'avis d'appel dans le délai prévu aux dispositions pertinentes des Règles de la Cour canadienne de l'impôt — Assurance-chômage, l'honorable juge suppléant Léger avait, par la voie d'une ordonnance modifiée en date du 6 avril 1998, ordonné que, à l'audition de l'appel, l'intimé ait le fardeau de la preuve.

[3]            L'avocat de l'intimé a fait savoir qu'il désirait retirer l'alinéa 14j) de la réponse à l'avis d'appel parce que cet alinéa n'était pas invoqué par le ministre. Puisque l'intimé avait le fardeau de la preuve et que cette hypothèse — à elle seule — ne prouverait pas le point allégué, je ne vois pas à quoi cela rime.

[4]            Les avocats ont convenu que les témoignages qui avaient été recueillis dans l'appel de Miriam Benguaich — 97-366(UI) — pourraient, dans la mesure où ils sont pertinents, être appliqués à la présente espèce et que les pièces qui y avaient été déposées seraient, dans la mesure où elles sont pertinentes, applicables à l'appel d'Isaac Benguaich.

[5]            Le témoignage présenté par Sara Benaim dans l'appel de sa mère, Miriam Benguaich, est reproduit ci-dessous, dans la mesure où il est pertinent aux fins de la présente espèce :

[6]            Sara Benaim a dit qu'elle est la présidente, l'administratrice et la seule actionnaire de la Trinkets Incorporated (la " Trinkets "), qu'elle a créée en 1980. Cette société exploite une entreprise de bijouterie, et le premier magasin a été ouvert au centre commercial Dufferin, situé à l'angle de Bloor et de Dufferin à Toronto. L'entreprise a connu une expansion jusqu'en 1991, année où il y avait en tout neuf magasins de détail Trinkets et où la paye s'élevait à 220 618,23 $ — pièce A-2 — alors qu'elle s'élevait à seulement 24 000 $ par an plusieurs années plus tard à cause d'une rationalisation importante de l'entreprise et de fermetures de points de vente, comme l'indique une liste déposée sous la cote A-1. Le siège social de la société se trouvait dans un local acheté à cette fin au 150, Spinnaker Way, Concord (Ontario).

[7]            Le local du siège social — soit un immeuble détenu en copropriété — a été mis en location, puis vendu, à perte, en 1996. Un extrait de l'état financier de la Trinkets pour l'exercice se terminant le 30 septembre 1990 — pièce A-3 — révélait des ventes de 1 378 791 $, soit légèrement plus que pour la période correspondante de 1989. L'état financier pour 1991 — pièce A-4 — indiquait des ventes de 1 071 936 $, tandis que l'état financier pour 1993 — pièce A-5 — indiquait que les ventes avaient baissé, passant de 848 910 $ qu'elles étaient en 1992 à 800 806 $. Les ventes pour l'exercice se terminant le 30 septembre 1994 avaient encore diminué et n'étaient que de 781 211 $, comme l'indique l'état financier déposé sous la cote A-6.

[8]            Le prêt à vue sans intérêt accordé à la Trinkets par le père et la mère de Sara Benaim, soit un prêt garanti par une hypothèque sur leur maison, avait été consenti pour l'injection de capitaux dans l'entreprise grâce à une ligne de crédit à la banque; comme l'indique l'état financier — pièce A-4 —, le solde impayé était de 43 353 $ le 30 septembre 1991. La banque avait prêté à la Trinkets 90 000 $, soit un prêt garanti par les stocks, ainsi que par un dépôt à terme. La dette envers la banque était d'environ 200 000 $ et, lorsque la banque avait exigé le remboursement du prêt à vue et comme le bien immeuble détenu par la société ne se vendait pas facilement, Sarah Benaim avait dû réhypothéquer sa résidence principale et mettre en location le local du bureau, jusqu'à ce qu'il puisse être vendu. Par la suite, elle avait pu rembourser ses parents, et ce n'est qu'en 1990 — lorsque l'entreprise avait commencé à péricliter, qu'il lui avait fallu se tourner vers eux pour obtenir une aide financière sous forme de prêt.

[9]            Dans la présente espèce, Sara Benaim a déclaré dans son témoignage qu'elle est la fille de l'appelant, Isaac Benguaich, qui a maintenant 76 ans et qui est en mauvaise santé. Né à Tanger, au Maroc, l'appelant est arrivé au Canada il y a 36 ans. Il a commencé à travailler pour la Trinkets en 1982. Sara Benaim a déclaré que, à cette époque, elle était enceinte de son premier enfant et que son père venait d'être mis à pied par un autre employeur, de sorte qu'il l'avait remplacée et qu'il avait dirigé la compagnie pendant une période de quatre mois. Une fois Sara Benaim de retour au travail, la croissance de l'entreprise s'était poursuivie, et Sara Benaim avait constaté que presque 100 articles de bijouterie par semaine étaient laissés par des clients, pour réparation, aux divers magasins Trinkets. Ainsi, elle avait mis sur pied un atelier de réparation au bureau en copropriété utilisé par la Trinkets comme siège social et elle avait acheté les matériaux et l'équipement nécessaires à cette fin. Le travail de réparation demandait énormément de temps, et il fallait acheter de l'or à divers carats, car les articles laissés par des clients pour réparation ou ajustement avaient été achetés à la Trinkets ou ailleurs. Sara Benaim avait engagé Isaac Benguaich pour qu'il effectue les réparations nécessaires, et M. Benguaich avait aussi commencé à se déplacer avec elle de magasin en magasin parce que les assurances sur les stocks se limitaient à 5 000 $ par personne et, s'ils se déplaçaient ensemble, ils pouvaient transporter en tout 10 000 $ de marchandises d'un magasin Trinkets à un autre tout en étant couverts en cas de perte. L'appelant s'occupait en outre des rapprochements comptables relatifs aux bordereaux de cartes de crédit. Il recevait un salaire — soit un salaire de 700 $ aux deux semaines basé sur une semaine de 40 heures —, mais ses heures de travail étaient irrégulières en ce sens qu'un voyage à Hamilton pouvait faire qu'il retournait chez lui après les heures de travail normales. Il recevait en outre 500 $ par mois pour l'utilisation de son véhicule et en compensation d'autres frais de déplacement. Sara Benaim a renvoyé à une liste de photocopies de chèques de paye que la Trinkets avait faits à l'appelant — pièce A-15. (Les numéros des pièces déposées dans la présente espèce sont la suite des numéros des pièces déposées dans l'appel de Miriam Benguaich, mentionné précédemment.) Lorsqu'il était devenu nécessaire de mettre en location le condominium utilisé comme siège social, l'atelier de réparation avait été fermé et, avec la fermeture de magasins de détail à cause de la baisse du volume des ventes, le travail de réparation a alors été confié à un entrepreneur indépendant. La politique de la Trinkets avait été de ne rien demander pour les ajustements si l'achat était supérieur à 100 $. À un moment donné, les réparations — y compris les changements de piles de montres, horloges et autres articles — représentaient en chiffres bruts 150 000 $ par an. En 1994, le magasin de Mississauga de la Trinkets avait été fermé et, en 1995, celui de Hamilton aussi. Sara Benaim s'était vu offrir un emplacement pour trois mois au centre commercial Square One et, pour assurer l'exploitation, elle avait contacté d'anciens employés, et son père, Isaac, avait été rappelé, pour accomplir des travaux selon les besoins. Il s'occupait des dépôts, ainsi que des registres de stocks, et accompagnait Sara quand elle se rendait à d'autres magasins. Sara Benaim a dit que l'appelant était bien compétent pour effectuer les réparations et d'autres travaux, qu'il avait suivi des cours offerts par l'Association canadienne des bijoutiers et qu'il avait également appris sur le tas. Il avait en outre suivi des cours de tenue de livres au collège Seneca de manière à pouvoir aider aux écritures dans le bureau. Une fois l'atelier de réparation fermé, durant toute période pour laquelle il avait été appelé à travailler, il n'avait pas touché de prestations d'assurance-chômage. Sara Benaim a dit que, à certaines occasions, il y avait eu un retard dans le versement du salaire de l'appelant à cause de la situation financière de la Trinkets. L'appelant ne détenait aucune action de la Trinkets et, alors qu'on demandait de temps à autre à d'autres travailleurs d'attendre pour encaisser des chèques de paye, l'appelant, soit le père de Sara Benaim, n'encaissait ses chèques que longtemps après, et certains de ses chèques peuvent ne pas encore avoir été compensés d'après des relevés bancaires de la compagnie. Sara Benaim a dit qu'elle avait expliqué toute l'histoire de l'emploi de ses parents à Peter Sanginesi, l'enquêteur de Revenu Canada, et qu'elle lui avait dit que, si ses parents n'étaient pas admissibles à des prestations d'assurance-chômage, Revenu Canada devrait la rembourser pour les cotisations qu'elle avait payées pendant les 15 dernières années. Par la suite, elle avait eu affaire à Deborah Brochu, soit un agent des appels, à qui elle avait remis divers documents de temps à autre, comme cela lui était demandé.

[10]          En contre-interrogatoire, on a renvoyé Sara Benaim à certains registres de paye de la Trinkets — pièce R-3 — et à des photocopies de chèques que la Trinkets avait faits à Isaac Benguaich — pièce R-4. Sara Benaim a expliqué que son père avait choisi de recevoir un salaire hebdomadaire — versé aux deux semaines — parce qu'il préférait avoir un revenu fixe. Il était capable d'effectuer les réparations parce qu'il avait acquis de l'expérience, au cours d'une période s'étalant sur de nombreuses années, en observant et en aidant un ami qui avait une entreprise de réparation de montres. Il était souple dans ses heures de travail et était disposé à ajuster une bague de 2 000 $ à 9 heures du soir si cela devait aider à réaliser la vente. Sara Benaim a dit que l'appelant savait qu'elle connaissait des difficultés financières; elle avait des chèques oblitérés pour prouver que d'autres travailleurs attendaient pour encaisser leurs chèques de paye, mais ils n'attendaient pas aussi longtemps que son père. Elle a reconnu avoir reçu de Deborah Brochu une lettre en date du 13 septembre 1996 — pièce R-5 — demandant des éclaircissements sur plusieurs questions découlant du questionnaire qu'elle avait précédemment rempli, puis renvoyé à Mme Brochu. Elle avait répondu à la demande d'informations ou d'explications supplémentaires le 1er novembre 1996. Le salaire versé à son père était de 700 $ aux deux semaines, comme l'indiquent les registres de paye de la pièce A-7. En remplissant le questionnaire — pièce R-8 —, Sara Benaim avait déclaré que l'appelant avait effectivement reçu un paiement pour chaque période de paye. À la page 7 du questionnaire — soit à la question 7a) — elle disait que le salaire de l'appelant était d'" environ 300 $ par semaine ". Elle a expliqué que la plupart des magasins Trinkets n'avaient aucun employé à temps plein et que, même si certaines personnes travaillaient de nombreuses heures, elles étaient payées — conformément à l'entente conclue — à l'heure.

[11]          Deborah Brochu a déclaré qu'elle travaille pour Revenu Canada depuis 16 ans et que, depuis quatre ans, elle est agent des appels à la section du Régime de pensions du Canada et de l'assurance-chômage — maintenant appelée assurance-emploi. Le 16 avril 1996, le dossier d'Isaac Benguaich lui avait été assigné. Conformément à la procédure établie, un commis de son bureau avait — le 9 février 1996 — envoyé par la poste des questionnaires au travailleur et à la Trinkets, le payeur. Un échantillon de la lettre accompagnant le questionnaire envoyé à un travailleur a été déposé sous la cote R-6. Une lettre semblable — avec les adaptations nécessaires — est envoyée au payeur. N'ayant pas reçu de réponse à ces documents, elle avait envoyé à l'appelant et au payeur un rappel — par courrier recommandé — dans lequel elle fixait un délai de réponse de 15 jours. Mme Brochu a dit que, le 17 juin 1996, elle avait envoyé une autre lettre — cette fois par courrier certifié — demandant une réponse dans les 10 jours suivant la réception de la lettre. Le 22 juillet 1996, on avait reçu une réponse sous la forme d'un questionnaire rempli qui avait été faxé à son bureau et qui portait les signatures de Sara Benaim et d'Isaac Benguaich. Le 24 juillet 1996, une lettre portant l'en-tête du cabinet d'avocats Garfinkle, Biderman, avait été reçue par Mme Brochu, soit une lettre à laquelle étaient joints des états financiers de la Trinkets, ainsi que d'autres renseignements relatifs à l'exploitation de la Trinkets. Mme Brochu a dit qu'elle avait téléphoné à Sara Benaim le 9 septembre 1996 pour discuter avec elle de certains points, et notamment de la question des chèques oblitérés, soit des chèques de la Trinkets à l'intention de l'appelant, se rapportant à toutes les périodes de paye pertinentes. À la question de savoir pourquoi son père avait reçu des chèques de paye après avoir été mis à pied, Sara Benaim avait répondu que la paye de son père pour les périodes antérieures avait été différée. L'arrangement conclu en matière de prêt entre l'appelant, l'épouse de ce dernier, soit Miriam Benguaich, et Sara Benaim avait été discuté, et Mme Brochu a expliqué qu'elle avait demandé des chèques oblitérés, soit des chèques de la Trinkets, pour étayer l'allégation de Sara Benaim selon laquelle d'autres travailleurs avaient eux aussi attendu pour encaisser des chèques de paye lorsque la Trinkets avait des problèmes financiers. Le 13 septembre 1996 — soit le lendemain de la conversation avec Sara Benaim —, on avait envoyé une lettre à cette dernière — pièce R-5 — demandant d'autres éclaircissements sur certaines questions. En réponse, Sara Benaim avait rempli certaines parties du document — pièce R-5 — et y avait joint d'autres feuilles sur lesquelles elle donnait des informations relatives à la paye ou des explications supplémentaires au sujet de la relation de travail entre l'appelant et la Trinkets. Mme Brochu a dit que, le 20 novembre 1996, elle avait téléphoné à Sara Benaim pour lui dire que cette dernière avait envoyé les mêmes copies de chèques que celles qui avaient été fournies précédemment et que, pour certaines périodes de paye, il n'y avait encore aucun des chèques de paye que la Trinkets avait faits à l'appelant. Il avait été demandé que les chèques de paye pertinents soient présentés dans les 10 jours suivants, mais il n'y avait eu aucune réponse. Ainsi, Mme Brochu avait rempli son rapport — pièce R-9 — et l'avait remis à son superviseur le 2 décembre 1996. Le 4 décembre 1996, J. M. (Jackie) Cleaver, chef de la division des appels, avait, pour le ministre du Revenu national, établi la lettre de décision à l'intention de l'appelant et du payeur. Mme Brochu a dit que, le 18 décembre 1996, elle avait reçu un appel téléphonique de Sara Benaim demandant pourquoi on avait pris une décision avant d'examiner les documents supplémentaires qu'elle avait envoyés par la poste. Mme Brochu avait avisé Sara Benaim qu'aucun document semblable n'avait été reçu, puis, le 20 décembre 1996, des copies de chèques de paye relatifs à Miriam Benguaich avaient été reçues au bureau de Revenu Canada, soit des documents qui avaient été envoyés à l'attention de Deborah Brochu. Il n'y avait toujours pas de chèques de paye relatifs à des travailleurs qui n'étaient pas des personnes liées, soit des chèques se rapportant à la question de savoir si la paye de ces travailleurs avait été différée, et il n'y avait aucun chèque de paye concernant l'appelant pour les périodes de paye du 22 mars 1992, du 24 août 1992, du 7 septembre 1992, du 21 septembre 1992, du 4 octobre 1992, du 8 février 1993, du 22 février 1993, du 8 mars 1993 et du 22 mars 1993. Renvoyant à son rapport sur un arrêt ou un appel — pièce R-9 — Mme Brochu a dit qu'elle avait obtenu l'information figurant à la page 2, sous la rubrique des " FAITS ", en examinant les renseignements indiqués dans le questionnaire — pièce R-8 — et d'autres documents justificatifs, y compris des registres de paye ainsi que des chiffres de vente fournis par Sara Benaim. À l'aide de l'ordinateur central, elle avait en outre examiné des feuillets T-4 ainsi que des déclarations de revenus T-1 et T-2. Elle avait également lu le rapport de John McMurdo, soit un agent des appels qui avait déterminé que l'appelant n'exerçait pas un emploi assurable au cours de la période allant du 16 avril 1992 au 15 avril 1993. Mme Brochu avait établi un tableau — figurant à la page 6 de son rapport — dans lequel elle analysait les dates auxquelles des chèques avaient été faits à l'appelant et les dates auxquelles ils avaient été encaissés. Comme elle le signalait à la page 8 de son rapport, dans une section concernant la rétribution de l'appelant, " la période la plus brève entre la date d'émission et la date d'encaissement d'un chèque était de 29 jours, et la période la plus longue était de 122 jours. La période moyenne était de 75 jours ". L'appelant avait également reçu des chèques de la Trinkets après sa mise à pied, soit après le 15 avril 1993. Mme Brochu avait indiqué dans son rapport — au paragraphe 2 de la page 6 — que, durant la conversation téléphonique avec Sara Benaim en date du 12 septembre 1996, cette dernière avait expliqué qu'elle avait retenu des chèques de paye relatifs à des périodes de paye antérieures, que les chèques faits à Isaac Benguaich en 1994 et en 1995 étaient en fait des chèques de remboursement du prêt qu'il lui avait accordé et non des chèques de paye, qu'il avait repris le travail comme aide saisonnier temporaire pour la période de Noël et qu'il était payé une fois par mois, selon les heures qu'il travaillait. Mme Brochu a dit qu'elle avait demandé à Sara Benaim d'envoyer une copie du registre de paye concernant l'appelant pour la période considérée (16 avril 1992 au 15 avril 1993) et qu'elle avait reçu une liste informatique de dates de paye avec une seule inscription pour la période de paye se terminant le 19 avril 1993, soit une inscription qui faisait état d'un paiement de salaire brut de 700 $. Le registre contenait des inscriptions qui se rapportaient prétendument à une période commençant le 30 décembre 1991, mais les déductions indiquées étaient toutes les mêmes, ce qui ne pouvait être exact, car les montants devant être déduits comme cotisations d'assurance-chômage et au titre de l'impôt sur le revenu avaient changé à cette époque. Dans le questionnaire, l'appelant ainsi que Sara Benaim — pour la Trinkets — avaient déclaré que la paye de l'appelant était d'environ 300 $ par semaine, plus une allocation de voiture de 500 $ par mois. Le relevé d'emploi — pièce R-10 — disait que le salaire de l'appelant, pour les 20 semaines précédentes, avait été de 1 200 $ aux deux semaines et que l'appelant avait travaillé comme gérant. Le registre de paye — pièce R-3 — et un certain nombre de chèques de paye oblitérés qui avaient été faits à l'appelant étayaient la conclusion selon laquelle la paye de l'appelant était de 700 $ aux deux semaines. Mme Brochu a dit que les prestations d'assurance-chômage payables — si elles avaient été basées sur ce montant — auraient été bien moins élevées que si elles avaient été basées sur le salaire indiqué dans le relevé d'emploi. Dans la demande de prestations d'assurance-chômage — qui est annexée à la pièce R-10 et qui fait partie de celle-ci — l'appelant avait indiqué, en cochant les cases appropriées en réponse aux questions 41 et 43 respectivement, qu'il n'était pas une personne liée à son employeur et qu'il n'avait aucune relation commerciale avec le payeur. Le relevé d'emploi était signé par Ruth Soussan, soit, comme le savait Mme Brochu, une employée de la Trinkets, la soeur de Sara Benaim et la fille de l'appelant. Mme Brochu a expliqué qu'elle savait bien que l'appelant avait fourni des services qui étaient importants pour la Trinkets et qu'il avait un intérêt dans l'entreprise en ce sens qu'il avait signé un prêt sur nantissement — en 1990 — pour aider à financer la poursuite des activités de l'entreprise. Mme Brochu a dit que les diverses incohérences étaient un facteur ayant du poids à ses yeux. Il n'y avait aucun chèque de paye oblitéré de la Trinkets — à l'intention de l'appelant — pour des périodes totalisant 18 semaines d'emploi. Plusieurs fois, l'appelant avait attendu longtemps — en moyenne 75 jours — pour encaisser des chèques de paye qui lui avaient été faits. Mme Brochu avait constaté que l'appelant avait accordé un prêt sans intérêt à la Trinkets et qu'il avait reçu un salaire mensuel plutôt que d'être payé à l'heure. Elle a dit que cela n'était pas " une grosse affaire " et qu'elle était convaincue que le travail avait été accompli par l'appelant et que ce travail était important. De plus, elle avait conclu que les modalités d'emploi étaient raisonnables et qu'il était manifeste que la mise à pied de l'appelant était attribuable à des difficultés économiques que la Trinkets avait eues au cours d'une récession importante. Concernant le fait d'attendre que Sara Benaim fournisse les chèques de paye manquants et d'autres renseignements demandés sur des points précis, Mme Brochu a dit qu'elle n'avait reçu qu'un message dans sa boîte vocale le 27 novembre 1996 indiquant que l'information demandée serait envoyée. Mme Brochu a dit que, après avoir examiné diverses questions, comme l'indique de manière détaillée son rapport — pièce R-9 — elle était arrivée à la conclusion que l'emploi exercé par l'appelant pour la Trinkets ne pouvait être considéré comme semblable à celui d'un travailleur sans lien de dépendance et n'était donc pas un emploi assurable. Elle estimait en outre qu'il y avait une collusion entre les parties au contrat dans le but d'utiliser le système d'assurance-chômage de manière à maximiser le montant payable de prestations en faisant une présentation erronée des faits dans le relevé d'emploi et la demande de prestations d'assurance-chômage. Les feuillets T-4 et les relevés établis par la Trinkets pour 1992 indiquaient que la compagnie avait versé à l'appelant un salaire de 17 500 $. En 1993, l'appelant avait reçu un salaire de 5 600 $. Pour 1994 et 1995, la Trinkets a déclaré que l'appelant avait reçu comme salaire 6 300 $ et 4 900 $ respectivement.

[12]          En contre-interrogatoire, Deborah Brochu a dit qu'elle n'avait jamais reçu de Sara Benaim une demande de prolongation du délai pour produire certains documents. Il n'y avait pas eu d'entretien avec d'autres employés de la Trinkets, mais les registres de paye avaient été examinés. Mme Brochu a dit qu'elle ne s'était pas directement entretenue avec Peter Sanginesi, soit l'agent d'enquête de Développement des Ressources humaines Canada, et que la décision de l'agent d'assurabilité était conforme à une politique — par opposition à une disposition législative — utilisée par Revenu Canada dans les décisions rendues relativement à la question des emplois assurables en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage.

[13]          En contre-preuve, Sara Benaim a déclaré dans son témoignage qu'elle avait dit à Mme Brochu que la période de Noël était une période d'activité intense pour elle et que, plusieurs fois, elle avait choisi de ne pas laisser de message dans la boîte vocale de Mme Brochu. Elle a dit qu'elle avait fermé son siège social, qu'elle avait essayé de fournir autant d'informations qu'elle avait pu en réunir et que toutes les déductions appropriées concernant son père, soit l'appelant, avaient été effectuées et remises.

[14]          L'avocat de l'intimé soutenait que l'intimé s'était acquitté de la charge de la preuve qui lui incombait en vertu de l'ordonnance modifiée du juge suppléant Léger. Renvoyant à la preuve, il soutenait que la procédure qui avait été suivie était juste et raisonnable et que l'appelant et le payeur avaient eu amplement l'occasion de répondre à des demandes précises d'informations et de faire connaître leur position au ministre. Vu les prolongations accordées à l'appelant et au payeur et vu la méthode utilisée pour rendre la décision, l'avocat de l'intimé considérait, sur la foi de la preuve, qu'il avait été satisfait aux exigences du paragraphe 61(4).

[15]          L'avocat de l'appelant soutenait pour sa part que l'intimé ne s'était pas acquitté de la charge de la preuve qui lui incombait et que l'appelant avait accompli le travail et avait été raisonnablement rémunéré à cet égard dans des circonstances économiques difficiles pour le payeur.

[16]          Les avocats des parties convenaient que l'ordonnance modifiée du juge suppléant Léger exigeait que l'intimé prouve, selon la prépondérance des probabilités, les faits sur lesquels le ministre s'était fondé, alors que, habituellement, les hypothèses de fait énoncées dans la réponse à l'avis d'appel sont considérées comme valables tant qu'elles n'ont pas effectivement été réfutées par la partie appelante, dans la mesure requise. Dans l'affaire Adolfo Elia c. M.R.N., A-560-97 — soit une décision de la Cour d'appel fédérale en date du 3 mars 1998, la Cour disait, sous la plume du juge Pratte, aux pages 2 et 3 :

" [...] le juge n'a pas tenu compte de la règle bien établie selon laquelle les allégations de la réponse à l'avis d'appel, où le Ministre énonce les faits sur lesquels il a fondé sa décision, doivent être tenus pour avérés aussi longtemps que l'appelant n'en a pas prouvé la fausseté. "

[17]          En vertu de l'ordonnance modifiée du juge suppléant Léger, les faits allégués dans l'avis d'appel ne sont pas présumés être véridiques. Dans sa tentative pour s'acquitter de la charge de la preuve comme on lui avait ordonné de le faire, le ministre a présenté des éléments de preuve sur lesquels la décision se fondait, et il s'agit de savoir si les faits sur lesquels le ministre s'est fondé ont été prouvés et si la preuve dont j'ai été saisi exige que j'intervienne dans le pouvoir discrétionnaire exercé par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi.

[18]          La disposition pertinente de la Loi est l'alinéa 3(2)c), qui se lit comme suit :

                                " (2) Les emplois exclus sont les suivants :

                                [...]

                                c)              sous réserve de l'alinéa d), tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :

                                                (i)             la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,

                                                (ii)            l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance; [...] "

[19]          Au sujet de l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre en vertu de l'alinéa 3(2)c) de la Loi, le juge en chef Isaac disait, aux pages 363 et suivantes de l'arrêt Attorney General of Canada v. Jencan Ltd., (1997) 215 N.R. 352, soit une décision de la Cour d'appel fédérale :

" Le nombre d'appels interjetés de décisions qui ont été rendues par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) depuis le prononcé de l'arrêt Tignish donne à penser qu'il y a lieu de clarifier davantage les règles de droit applicables. Pour cette raison, j'expose plus loin les principes que l'on peut dégager de la jurisprudence de notre Cour portant sur le sous-alinéa 3(2)c)(ii).

L'arrêt que notre Cour a prononcé dans l'affaire Tignish, précitée, exige que, lorsqu'elle est saisie d'un appel interjeté d'une décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), la Cour de l'impôt procède à une analyse à deux étapes. À la première étape, la Cour de l'impôt doit limiter son analyse au contrôle de la légalité de la décision du ministre. Ce n'est que lorsqu'elle conclut que l'un des motifs d'intervention est établi que la Cour de l'impôt peut examiner le bien-fondé de la décision du ministre. Comme nous l'expliquerons plus en détail plus loin, c'est en limitant son analyse préliminaire que la Cour de l'impôt fait preuve de retenue judiciaire envers le ministre lorsqu'elle examine en appel les décisions discrétionnaires que celui-ci rend en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). Dans l'arrêt Tignish, notre Cour a, sous la plume du juge Desjardins, expliqué dans les termes suivants la compétence limitée qui est conférée à la Cour de l'impôt à cette première étape de l'analyse :

Le paragraphe 7(1) de la Loi porte que la Cour de l'impôt a le pouvoir de décider toute question de fait et de droit. La requérante, qui en appelle du règlement du ministre, a le fardeau de prouver sa cause et a le droit de soumettre de nouveaux éléments de preuve pour réfuter les faits sur lesquels s'est appuyé le ministre. Toutefois, comme la décision du ministre est discrétionnaire, l'intimé fait valoir que la compétence de la Cour de l'impôt est strictement circonscrite. Le ministre est la seule personne qui puisse établir à sa satisfaction, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rémunération versée, les modalités d'emploi et l'importance du travail accompli, que la requérante et son employée sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance. Souscrivant à l'arrêt Minister of National Revenue v. Wrights' Canadian Ropes Ltd., qui fait autorité, l'intimé prétend que, à moins que l'on établisse que le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances (comme il y est tenu aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi), a pris en compte des facteurs dépourvus d'intérêt ou a violé un principe de droit, la Cour ne peut intervenir. En outre, la Cour a le droit d'examiner les faits qui, selon la preuve, se trouvaient devant le ministre quand il est arrivé à sa conclusion, pour décider si ces faits sont prouvés. Mais s'il y a suffisamment d'éléments pour appuyer la conclusion du ministre, la Cour n'a pas toute latitude pour l'infirmer simplement parce qu'elle serait arrivée à une conclusion différente. Toutefois, si la Cour est d'avis que les faits sont insuffisants, en droit, pour appuyer la conclusion du ministre, la décision de ce dernier ne peut tenir et la Cour est justifiée d'intervenir.

À mon avis, la position de l'intimé est correctement exposée sur le plan du droit [...].

Dans l'arrêt Ferme Émile Richard c. M.R.N., notre Cour a confirmé sa position. Dans une remarque incidente, le juge Décary a déclaré ce qui suit :

Ainsi que cette Cour l'a rappelé récemment dans Tignish Auto Parts Inc. c. Ministre du Revenu national (25 juillet 1994), A-555-93, C.A.F. inédit), l'appel devant la Cour canadienne de l'impôt, lorsqu'il s'agit de l'application du sous-alinéa 3(2)c)(ii), n'est pas un appel au sens strict de ce mot et s'apparente plutôt à une demande de contrôle judiciaire. La Cour, en d'autres termes, n'a pas à se demander si la décision du Ministre est la bonne; elle doit plutôt se demander si la décision du Ministre résulte d'un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire. Ce n'est que lorsque la Cour en arrive à la conclusion que le Ministre a fait un usage inapproprié de sa discrétion, que le débat devant elle se transforme en un appel de novo et que la Cour est habilitée à décider si, compte tenu de toutes les circonstances, un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu entre l'employeur et l'employé s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

L'article 70 confère le droit d'interjeter appel devant la Cour de l'impôt de toute décision rendue par le ministre en vertu de l'article 61, y compris de toute décision rendue en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). La compétence que possède la Cour de l'impôt de contrôler la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) est circonscrite parce que le législateur fédéral, par le libellé de cette disposition, voulait de toute évidence conférer au ministre le pouvoir discrétionnairede rendre de telles décisions. Les mots " si le ministre du Revenu national est convaincu " que l'on trouve au sous-alinéa 3(2)c)(ii) confèrent au ministre la compétence pour exercer le pouvoir discrétionnaire administratif de rendre le type de décision visé par ce sous-alinéa. Comme il s'agit d'une décision rendue en vertu d'un pouvoir discrétionnaire, par opposition à une décision quasi-judiciaire, il s'ensuit que la Cour de l'impôt doit faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de la décision du ministre lorsque que celui-ci exerce ce pouvoir. Ainsi, lorsque le juge Décary déclare dans l'arrêt Ferme Émile, précité, que ce type d'appel interjeté devant la Cour de l'impôt " s'apparente plutôt à une demande de contrôle judiciaire ", il voulait simplement souligner, à mon humble avis, qu'on doit faire preuve de retenue judiciaire envers les décisions que le ministre rend en vertu de cette disposition à moins que la Cour de l'impôt ne conclue que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui est contraire à la loi.

Si le pouvoir qu'a le ministre de réputer que des " personnes liées " n'ont pas de lien de dépendance entre elles pour l'application de la Loi sur l'assurance-chômage est un pouvoir discrétionnaire, pourquoi, pourrait-on se demander, le droit d'interjeter appel devant la Cour de l'impôt en vertu de l'article 70 s'applique-t-il au sous-alinéa 3(2)c)(ii)? La réponse est que même l'exercice de pouvoirs discrétionnaires est susceptible d'un contrôle judiciaire pour s'assurer que ces pouvoirs sont exercés d'une manière judiciaire ou, en d'autres termes, qu'ils sont exercés d'une manière qui est compatible avec la loi. Il découle nécessairement du principe de la primauté du droit que tous les pouvoirs conférés par le législateur sont intrinsèquement limités. Dans l'arrêt D.R. Fraser and Co. Ltd. v. Minister of National Revenue, lord Macmillan a résumé les principes juridiques qui devraient régir un tel contrôle judiciaire. Il a déclaré :

[TRADUCTION]

Les critères selon lesquels il faut juger l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi ont été définis dans plusieurs arrêts qui font jurisprudence et il est admis que si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi, sans influence d'aucune considération étrangère, ni de façon arbitraire ou illégale, aucune cour n'a le droit d'intervenir, même si cette cour eût peut-être exercé ce pouvoir discrétionnaire autrement s'il lui avait appartenu.

Le juge Abbott, de la Cour suprême, a cité et approuvé les commentaires de lord Macmillan dans l'arrêt Boulis c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration. Voir également les arrêts Friends of the Oldman River Society c. Canada (ministre des Transports)[...] et Canada c. Purcell.

Ainsi, en limitant la première étape de l'analyse de la Cour de l'impôt à un contrôle de la légalité des décisions rendues par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), notre Cour a simplement appliqué des principes judiciaires acceptés dans le but de trouver le juste milieu entre le droit que possède le demandeur en vertu de la loi de faire contrôler la décision du ministre et la nécessité de faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de celle-ci, compte tenu du fait que le législateur a conféré un pouvoir discrétionnaire au ministre aux termes de cette disposition.

Compte tenu de ce qui précède, le juge suppléant de la Cour de l'impôt n'était justifié d'intervenir dans la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) que s'il était établi que le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui était contraire à la loi. Et, comme je l'ai déjà dit, l'obligation d'exercer un pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire implique l'existence de motifs d'intervention spécifiques. La Cour de l'impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) — en examinant le bien-fondé de cette dernière — lorsqu'il est établi, selon le cas, que le ministre : (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent. "

[20]          Dans l'arrêt Elia, précité, à la page 2, le juge Pratte disait, après avoir fait remarquer que le juge de la Cour canadienne de l'impôt avait mal compris les décisions de la Cour d'appel fédérale :

" Contrairement à ce qu'a pensé le juge, il n'est pas nécessaire, pour que le juge puisse exercer ce pouvoir, qu'il soit établi que la décision du Ministre était déraisonnable ou prise de mauvaise foi eu égard à la preuve que le Ministre avait devant lui. Ce qui est nécessaire, c'est que la preuve faite devant le juge établisse que le Ministre a agi de mauvaise foi, ou de façon arbitraire ou illégale, a fondé sa décision sur des faits non pertinents ou n'a pas tenu compte des faits pertinents. Alors, le juge peut substituer sa décision à celle du Ministre. "

[21]          Il ressort clairement d'un examen de la preuve que le ministre n'a pas agi de mauvaise foi ou de façon arbitraire ou illégale en arrivant à la décision qui est l'objet de l'appel considéré en l'espèce. Il s'agit de savoir si l'intimé a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que la décision du ministre n'était pas fondée sur des faits non pertinents et que le ministre avait tenu compte de faits qui étaient pertinents dans les circonstances.

[22]          Il est raisonnable de conclure de l'arrêt Elia, précité, que ce n'est pas la simple prise en compte — durant le processus décisionnel — de l'existence de faits pouvant être jugés ultérieurement comme non pertinents qui justifie une intervention de la Cour. Il faut plutôt que la décision finale rendue par le ministre sur la question de l'assurabilité en vertu de la Loi puisse être vue comme étant basée sur des faits non pertinents ou comme ne tenant pas compte de faits pertinents. Un fait peut être pertinent pour une fin et ne pas l'être pour une autre, bien que l'analyse globale fasse partie d'un processus entrepris en vertu d'une disposition législative particulière. Il n'y a rien d'inusité à cela. La présentation erronée des faits, par le payeur dans le relevé d'emploi — et par l'appelant dans la demande de prestations —, est nettement pertinente par rapport à la rétribution et à la durée de l'emploi, soit deux points énumérés au sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi, parmi les circonstances que le ministre doit prendre en compte avant d'arriver à une conclusion quant à savoir si les parties au contrat auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance. Toutefois, à lui seul — en l'absence d'autres faits pertinents —, ce facteur n'étayerait pas à mon avis une décision selon laquelle l'emploi d'Isaac Benguaich était par conséquent un emploi exclu, c'est-à-dire non assurable. En l'absence d'autres faits pertinents pouvant étayer une décision, on peut à l'occasion conclure qu'une décision donnée se fondait sur des facteurs non pertinents, ou une décision peut être considérée comme relevant de la mauvaise foi ou de l'arbitraire. En l'espèce, les éléments de preuve, dans leur ensemble — y compris la déposition de Sara Benaim et les pièces relatives à l'appel de Miriam Benguaich (97-366(UI)) qui sont considérées comme applicables à la présente espèce, et notamment le témoignage de Deborah Brochu, ainsi que le rapport de cette dernière — étayent la conclusion à laquelle le ministre était parvenu. Pour 18 des semaines de la période d'emploi faisant l'objet de la décision, on n'a jamais présenté d'éléments de preuve dignes de foi indiquant que l'appelant avait effectivement été payé. Ainsi, bien que des éléments de preuve provenant du registre de paye et de certains chèques de paye oblitérés indiquent que le salaire de l'appelant était de 700 $ aux deux semaines, d'autres éléments de preuve soulèvent des préoccupations légitimes quant à la nature de l'emploi de l'appelant et quant au montant effectif de la rétribution versée. Comme l'appelant n'était pas payé durant des périodes où la Trinkets était déficitaire, il est logique que le salaire de l'appelant n'ait pas été inscrit — à mesure — dans le registre de paye de la Trinkets, car il aurait alors fallu que les déductions appropriées soient remises à Revenu Canada peu après, tandis que le fait de différer complètement le paiement permettait d'éviter cette exigence. Aucune preuve — autre que la simple affirmation, non étayée, de Sara Benaim — n'indiquait que d'autres travailleurs, qui n'étaient pas des personnes liées, avaient durant la période pertinente attendu pour encaisser des chèques à la demande expresse de Sara Benaim, de manière à aider la Trinkets. Comme Deborah Brochu le disait dans sa déposition ainsi que dans son rapport, à son avis, un travailleur non lié n'attendrait pas entre 29 et 122 jours pour encaisser des chèques. Il est difficile de déterminer la durée de l'emploi, car les registres de paye ne sont pas dignes de foi, et on n'a produit aucun chèque permettant d'établir si l'appelant avait travaillé pendant 18 des semaines faisant partie de la période considérée. Sara Benaim a dit que les paiements postérieurs à la mise à pied étaient des remboursements de prêt et non des chèques de paye, mais, lorsqu'on lui en a demandé confirmation, elle a dit que l'appelant était revenu au travail à temps partiel en 1994 et en 1995 et que, s'il semblait que des retenues avaient été faites sur le chèque, ce serait au titre d'un salaire versé une fois par mois, lorsque son père était appelé au travail de temps à autre, sur une base temporaire ou saisonnière. Il est fort douteux que, dans une relation de travail avec une personne non liée, on retrouverait le degré de confusion, de présentation erronée des faits, d'incohérence, d'ambiguïté et de duperie qui caractérise l'emploi exercé par l'appelant pour la Trinkets. Les éléments de preuve présentés par Deborah Brochu montrent que les modalités d'emploi ainsi que la nature et l'importance du travail accompli par l'appelant avaient été prises en compte avec le fait que l'appelant avait en 1990 consenti à son employeur un prêt sans intérêt, prêt dont l'appelant était remboursé au rythme de 600 $ par mois, d'après l'information communiquée à Deborah Brochu lors d'une conversation avec Sara Benaim en septembre 1996. Malgré le fait que c'était à l'intimé que la charge générale de la preuve incombait en l'espèce, une fois présentée la preuve de l'intimé sur les questions mentionnées précédemment, il incombait à l'appelant de fournir une explication digne de foi pour invalider les éléments de preuve de l'intimé. La preuve présentée par Sara Benaim n'est pas suffisamment fiable pour raisonnablement conclure que l'intimé ne s'est pas acquitté de la charge générale de la preuve qui lui incombait en vertu de l'ordonnance qui avait été rendue.

[23]          Je suis convaincu — sur la foi de l'ensemble de la preuve — que la décision du ministre était juste et raisonnable et que le ministre était arrivé à cette décision en suivant le processus reconnu comme conforme à la Loi par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Jencan, précité. J'ai été saisi d'une foule d'éléments de preuve permettant d'étayer la décision du ministre, et je conclus que cette décision n'était pas basée sur des faits non pertinents et qu'elle tenait compte de faits qui étaient pertinents dans les circonstances. Ainsi, je ne suis pas fondé à intervenir dans le pouvoir discrétionnaire que le ministre a exercé en rendant la décision en date du 4 décembre 1996.

[24]          L'appel est rejeté, et la décision du ministre est confirmée.

Signé à Toronto (Ontario) ce 20e jour d'août 1998.

" D. W. Rowe "

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 18e jour de février 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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