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Date: 19971201

Dossier: 96-4182-IT-I

ENTRE :

GARY LANDON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bonner, C.C.I.

[1]            L'appelant interjette appel des cotisations d'impôt sur le revenu établies pour les années d'imposition 1994 et 1995. Les appels concernent la constitutionnalité de la Loi de l'impôt sur le revenu dans son ensemble et la validité, eu égard à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, du régime de crédits d'impôt personnels prévu au paragraphe 118(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[2]            J'examinerai en premier lieu la prétention selon laquelle la Loi de l'impôt sur le revenu excède les pouvoirs du Parlement du Canada parce qu'elle se rapporte à un domaine qui relève de la compétente exclusive des législatures provinciales, à savoir la taxation directe dans les limites d'une province, dans le but de prélever un revenu pour des objets provinciaux. Cette prétention doit être rejetée. Elle est contraire au droit établi.[1]

[3]            Je me pencherai maintenant sur l'argument fondé sur l'article 15 de la Charte. Il est résumé dans les termes suivants aux alinéas 19 à 26 de l'avis d'appel :

[TRADUCTION]

19.            L'appelant a une épouse (Katherine Landon) et cinq enfants âgés respectivement de 3 ans (Seth Landon), 4 ans (Moshe Landon), 8 ans (Justin Landon), 18 ans (Jonathan Landon), et 22 ans (Shayne Landon). Katherine, Seth, Moshe et Justin sont des personnes à charge qui résidaient avec l'appelant. Au cours des années 1994 et 1995, ce dernier a contribué à subvenir aux besoins de Jonathan et de Shayne Landon.

20.            Au terme du droit criminel, sous peine d'une pénalité, l'appelant est tenu de "fournir les choses nécessaires à l'existence" de sa conjointe et des personnes qui sont à sa charge. Par définition, cela inclut les trois enfants à charge mentionnés à l'alinéa 19 jusqu'à ce que chacun d'eux atteigne l'âge de 16 ans.

21.            L'appelant est tenu par les lois provinciales de subvenir aux besoins de ces enfants à charge jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge de 18 ans, à défaut de quoi il est susceptible d'être visé par des "ordonnances de paiement".

22.            Le revenu de l'appelant est un revenu familial englobant celui de sa conjointe et des personnes à charge.

23.            Le revenu de l'appelant est le revenu de sa conjointe et des personnes à charge.

24.            La conjointe de l'appelant et les personnes à charge ne sont pas admissibles à l'exemption d'impôt personnelle à laquelle l'appelant est admissible.

25.            L'exemption d'impôt personnelle accordée à l'appelant par la Loi de l'impôt sur le revenu équivaut raisonnablement au coût minimum pour "fournir les choses nécessaires à l'existence" d'une personne.

26.            Le refus de l'exemption d'impôt personnelle à la conjointe de l'appelant et aux enfants à charge constitue une inégalité inconstitutionnelle. En outre, cette inégalité n'est ni insignifiante, ni sans importance.

[4]            L'appelant fait valoir que les personnes qui subviennent aux besoins de leur conjoint et de personnes à charge ne bénéficient pas d'un allégement fiscal suffisant aux termes de l'article 118 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il soutient que l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés exige qu'on lui accorde un montant égal d'allégement fiscal pour chacun des particuliers aux besoins desquels il subvient. Il semble prétendre que, pour chaque personne à laquelle il est tenu de fournir les choses nécessaires à l'existence[2], il doit bénéficier d'un allégement fiscal suffisant pour fournir ce soutien à même le revenu avant impôt.

[5]            Le paragraphe 15(1) de la Charte se lit comme suit :

15.(1) La Loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Je ne vois rien dans la Charte qui contraigne le législateur à exempter d'impôt soit directement, soit au moyen d'un crédit d'impôt, quelque montant que soit du revenu. À mon avis, le droit d'un particulier, en vertu de l'article 15 de la Charte, à la même protection et au même bénéfice de la loi ne comprend pas une exemption d'impôt directement proportionnelle au montant déboursé par le particulier pour respecter ses obligations légales. Il est vrai que l'article 118 de la Loi de l'impôt sur le revenu établit des distinctions entre des contribuables en fonction de critères comme l'état civil et le fait de subvenir aux besoins de personnes à charge. Avant la période en litige en l'espèce, un crédit était accordé pour les personnes âgées de moins de 18 ans aux besoins desquels le contribuable subvient. Ce crédit a été remplacé par la prestation fiscale pour enfants prévue à l'article 122.61 de la Loi. Cependant, les distinctions sont inévitables dans le processus législatif. Les distinctions qui donnent lieu à une discrimination peuvent invalider une loi. Dans l'arrêt Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513, le juge La Forest s'est exprimé dans les termes suivants à la page 530 :

                Qu'est-ce donc que la discrimination? Plusieurs commentaires du juge McIntyre dans les motifs qu'il a prononcés dans Andrews permettent de préciser considérablement le concept. Ainsi, à la p. 174, il a dit:

                J'affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres membres de la société.

Ces propos ne peuvent toutefois être considérés de façon isolée. Il faut les lire en conjonction avec le commentaire que le juge McIntyre avait fait auparavant à la p. 165:

                En d'autres termes, selon cet idéal [d'égalité] qui est certes impossible à atteindre, une loi destinée à s'appliquer à tous ne devrait pas, en raison de différences personnelles non pertinentes, avoir un effet plus contraignant ou moins favorable sur l'un que sur l'autre.

De même, dans mes motifs distincts à la p. 193, j'ai fait remarquer que "la question pertinente consiste [...] à savoir si la disposition contestée constitue de la discrimination au sens où l'a définie mon collègue, c'est-à-dire de la discrimination fondée sur des (TRADUCTION) "différences personnelles non pertinentes" comme celles qui sont énumérées à l'art. 15 ...".

Dans la même affaire, les juges Cory et Iacobucci ont dit ceci aux pages 583 et 584 :

                Le paragraphe 15(1) de la Charte revêt une importance fondamentale pour la société canadienne. L'article a pour objet louable de prévenir la discrimination et de favoriser "l'existence d'une société où tous ont la certitude que la loi les reconnaît comme des êtres humains qui méritent le même respect, la même déférence et la même considération. Il comporte un aspect réparateur important": Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, à la p. 171. Il est reconnu que le par. 15(1) vise à "promouvoir la valeur selon laquelle toutes les personnes sont sujettes aux mêmes exigences et aux mêmes obligations de la loi et nul ne doit subir un désavantage plus grand que les autres en raison du fond ou de l'application de la loi": R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296, à la p. 1329. C'est cette disposition de la Charte, plus que toute autre, qui reconnaît et défend la dignité humaine innée de chacun. C'est également elle qui reconnaît qu'aucune loi ne doit traiter les particuliers injustement en raison de simples caractéristiques personnelles non pertinentes qui n'ont aucun rapport avec leurs mérites, leurs capacités ou leurs besoins.

                Dans ce contexte, il convient de considérer les principes qui doivent éclairer un tribunal dans l'interprétation du par. 15(1), puis de les appliquer à la situation présente.

                Dans les arrêts Andrews et Turpin, précités, on a formulé une analyse en deux étapes permettant d'établir si le droit à l'égalité garanti par le par. 15(1) avait été violé. La première consiste à déterminer si, en raison de la distinction créée par la disposition contestée, il y a eu violation du droit d'un plaignant à l'égalité devant la loi, à l'égalité dans la loi, à la même protection de la loi et au même bénéfice de la loi. À cette étape de l'analyse, il s'agit principalement de vérifier si la disposition contestée engendre, entre le plaignant et d'autres personnes, une distinction fondée sur des caractéristiques personnelles.

                Les distinctions créées par les lois n'emportent pas toutes discrimination. C'est pourquoi il faut, à la seconde étape, déterminer si la distinction ainsi créée donne lieu à une discrimination. À cette fin, il faut se demander, d'une part, si le droit à l'égalité a été enfreint sur le fondement d'une caractéristique personnelle qui est soit énumérée au par. 15(1), soit analogue à celles qui y sont énumérées et, d'autre part, si la distinction a pour effet d'imposer au plaignant des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres.

[6]            Essentiellement, l'appelant ne se plaint pas de discrimination. Il soutient plutôt que l'allégement fiscal qui lui est accordé est insuffisant. Il n'y a simplement rien qui permette logiquement de conclure qu'en adoptant les articles 118 et 122.6, le législateur a empêché l'accès à des avantages sur le fondement de "différences personnelles non pertinentes".

[7]            Les appels seront rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de décembre 1997.

"M. J. Bonner"

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 22e jour de mai 1998.

Benoît Charron, réviseur



[1]               Caron v. The King, [1924] A.C. 999.

[2]               Article 215 du Code criminel.

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