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Date : 19971222

Dossier : 97-445-IT-I

ENTRE :

SHELLEY O. WILLIAMS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1]            Shelley O. Williams a interjeté appel (sous le régime de la procédure informelle) à l'encontre d'une cotisation d'impôt sur le revenu pour 1994 dans laquelle le ministre du Revenu national (le " ministre ") avait refusé le montant de 7 577,73 $ déclaré au titre de frais médicaux. Le montant déclaré représente l'ensemble des sommes suivantes : 967,47 $ pour des suppléments vitaminiques et minéraux, 1 183,82 $ pour des aliments, des articles de nettoyage et des produits pour soins de toilette, 1 258,21 $ pour un matelas fabriqué conformément aux instructions d'un médecin et 4 168,23 $ pour des rénovations domiciliaires, soit l'enlèvement de la moquette et l'installation d'un plancher de bois franc. Le fondement de la cotisation du ministre était que les sommes en question n'étaient pas déductibles dans le calcul des crédits d'impôt non remboursables de l'appelante en vertu du paragraphe 118.2(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi ").

[2]            Le ministre ne nie pas que, en 1994, Mme Williams souffrait d'une affection d'origine environnementale. Dans sa réponse à l'avis d'appel, l'intimée admet en fait la prétention de l'appelante selon laquelle cette dernière avait des " troubles immunitaires chroniques graves " à cause d'une exposition à des niveaux élevés de substances chimiques au travail. Il n'est pas nécessaire aux fins des présents motifs de décrire en détail la nature de cette affection. En 1989, Mme Williams avait obtenu un diplôme d'ergothérapeute de l'université Dalhousie et, en mai de cette année-là, elle avait commencé à exercer sa profession au centre médical Camp Hill. Vers le début de 1990, elle avait, pour la première fois de sa vie, commencé à avoir les symptômes suivants : éruption, perte de cheveux, douleur aux articulations, troubles gastro-intestinaux et problèmes de mémoire. Elle n'était pas la seule. Environ 700 autres employés du centre médical avaient des symptômes semblables. En 1991, Mme Williams était partie en congé de maladie. En janvier 1996, elle avait recommencé à travailler, c'est-à-dire qu'elle travaillait deux heures par jour, et, à l'époque de l'audience, elle travaillait au centre médical six heures par jour. Elle n'a pas encore recommencé à travailler à temps plein.

[3]            Un des symptômes de la maladie de Mme Williams était une fatigue extrême. Mme Williams a dit que, la première année de sa maladie, elle ne parvenait qu'à se déplacer de sa chambre jusqu'au sofa de la salle de séjour. Elle a dit qu'elle passait presque toute la journée à se reposer et à faire des siestes, malgré le fait qu'elle dormait douze heures par nuit.

[4]            En mai 1994, elle et son époux avaient acheté une maison et avaient entrepris d'y enlever toute la moquette et d'y installer à la place des planchers de bois franc. Le 18 juillet 1996, un certain docteur Roy A. Fox de la clinique de salubrité de l'université Dalhousie avait écrit à Revenu Canada pour dire que le traitement de l'affection de Mme Williams était extrêmement difficile et qu'il fallait dans ces cas-là apporter des modifications importantes à l'environnement domiciliaire d'une personne pour permettre à cette dernière de vivre dans un milieu propre, libre de substances chimiques, et pour lui donner le temps de se rétablir. Il avait recommandé à Mme Williams d'installer des planchers de bois franc dans sa maison, d'acheter un matelas, fait sur mesure, ne contenant aucune substance chimique comme des produits ignifuges et de manger des aliments propres, non contaminés. Mme Williams a besoin d'un régime à base d'aliments organiques et d'eau propre pour accroître la capacité de son organisme de supprimer les effets toxiques des produits chimiques contenus dans l'air et pouvoir se rétablir. Le docteur Fox et un certain docteur Ross avaient également prescrit des suppléments vitaminiques et minéraux. Mme Williams avait en outre acheté un matelas fabriqué selon les instructions d'un médecin; ce matelas ne contenait pas d'acide borique et était entièrement fait en coton. Il ne contenait aucun produit chimique ignifuge. Mme Williams avait également acheté les divers suppléments vitaminiques et minéraux ainsi que les aliments organiques et l'eau propre que des médecins lui avaient prescrits.

[5]            Mme Williams soutenait que les dépenses qu'elle avait faites pour acheter les produits en question étaient des frais médicaux et que les produits en question lui avaient été prescrits par un ou plusieurs médecins pour l'aider à lutter contre les " troubles immunitaires chroniques graves " qu'elle avait à cause d'une exposition à des niveaux élevés de substances chimiques au travail. Le ministre soutient que les frais médicaux non admis au titre des suppléments vitaminiques et minéraux ne sont pas des frais payés pour des médicaments ou des produits pharmaceutiques achetés sur ordonnance d'un médecin ou d'un dentiste et enregistrés par un pharmacien comme l'exige l'alinéa 118.2(2)n) de la Loi. Le ministre dit également que les frais non admis au titre de l'achat d'un matelas spécial ne sont pas des frais engagés pour l'achat d'un lit d'hôpital comme le prescrit l'article 5700 du Règlement de l'impôt sur le revenu (le " Règlement "), conformément à l'alinéa 118.2(2)m) de la Loi. Le ministre n'a pas admis les frais relatifs aux planchers de bois franc parce que, à son avis, ce ne sont pas des frais payés pour permettre à une personne ne jouissant pas d'un développement physique normal ou ayant un handicap moteur grave et prolongé d'accéder à son habitation comme l'exige l'alinéa 118.2(2)l.2) de la Loi. Enfin, le ministre dit que les dépenses déclarées au titre d'aliments et d'articles de nettoyage sont des frais personnels ou de subsistance et ne sont donc pas des frais médicaux admissibles en vertu de la Loi.

[6]            Pour l'année d'imposition 1994, le paragraphe 118.2(2) de la Loi se lit en partie comme suit :

118.2(2) Medical expenses. For the purposes of subsection (1), a medical expense of an individual is an amount paid

118.2(2) Frais médicaux. Pour l'application du paragraphe (1), les frais médicaux d'un particulier sont les frais payés :

(l.2) for reasonable expenses relating to renovations or alterations to a dwelling of the patient who lacks normal physical development or has a severe and prolonged mobility impairment, to enable the patient to gain access to, or to be mobile or functional within, the dwelling;

l.2) pour les frais raisonnables afférents à des rénovations ou transformations apportées à l'habitation du particulier, de son conjoint ou d'une personne à charge visée à l'alinéa a) -- ne jouissant pas d'un développement physique normal ou ayant un handicap moteur grave et prolongé - pour lui permettre d'avoir accès à son habitation, de s'y déplacer ou d'y accomplir les tâches de la vie quotidienne;

(m) for any device or equipment for use by the patient that

m) pour tout dispositif ou équipement destiné à être utilisé par le particulier, par son conjoint ou par une personne à charge visée à l'alinéa a), qui, à la fois:

                (i) is of a prescribed kind,

                (i) est d'un genre prescrit,

                (ii) is prescribed by a medical practitioner,

                (ii) est utilisé sur ordonnance d'un médecin,

                (iii) is not described in any other paragraph of this subsection, and

                (iii) n'est pas visé à un autre alinéa du    présent paragraphe,

                (iv) meets such conditions as may be prescribed as to its use or the reason for its acquisition;

                (iv) répond aux conditions prescrites quant à son utilisation ou à la raison de son acquisition;

(n) for drugs, medicaments or other preparations or substances (other than those described in paragraph (k)) manufactured, sold or represented for use in the diagnosis, treatment or prevention of a disease, disorder, abnormal physical state, or the symptoms thereof or in restoring, correcting or modifying an organic function, purchased for use by the patient as prescribed by a medical practitioner or dentist and as recorded by a pharmacist;

n) pour les médicaments, les produits pharmaceutiques et les autres préparations ou substances -- sauf s'ils sont déjà visés à l'alinéa k) -- qui sont, d'une part, fabriqués, vendus ou offerts pour servir au diagnostic, au traitement ou à la prévention d'une maladie, d'une affection, d'un état physique anormal ou de leurs symptômes ou en vue de rétablir, de corriger ou de modifier une fonction organique et, d'autre part, achetés afin d'être utilisés par le particulier, par son conjoint ou par une personne à charge visée à l'alinéa a), sur ordonnance d'un médecin ou d'un dentiste, et enregistrés par un pharmacien;

L'article 5700 du Règlement dit que les dispositifs ou équipements suivants sont prescrits pour l'application de l'alinéa 118.2(2)m) de la Loi :

[...]

h) un lit d'hôpital, y compris les accessoires de ce lit visés par une ordonnance;

[...]

[7]            Je traiterai d'abord de la question des rénovations domiciliaires, soit l'installation de planchers de bois franc.

[8]            La version anglaise de l'alinéa 118.2(2)l.2) de la Loi dit que les frais médicaux d'un particulier sont les frais payés pour les frais raisonnables afférents à des rénovations ou transformations apportées à l'habitation d'un particulier ne jouissant pas d'un développement physique normal ou ayant un handicap moteur grave et prolongé, pour lui permettre d'avoir accès à son habitation, de s'y déplacer ou d'y fonctionner. Très peu de jugements publiés traitent de l'alinéa 118.2(2)l.2). Dans l'affaire Brown v. The Queen (C.F., 1re inst.), 95 DTC 5126, il avait été conclu qu'un climatiseur était assimilable à un dispositif " conçu à l'intention du particulier à mobilité réduite pour l'aider à marcher " au sens de l'alinéa 5700i) du Règlement et que les frais y afférents étaient donc déductibles en tant que frais médicaux dans les cas où il s'agissait d'un appareil mis au point dans un contexte médical pour faire baisser la température du corps et aider ainsi à rétablir la mobilité. Dans l'affaire Craig v. The Queen, [1996] 3 C.T.C. 2037D, suivant la recommandation (et non sur ordonnance) du rhumatologue de son épouse, le contribuable avait installé un jacuzzi dans la maison familiale pour son épouse, qui souffrait d'une affection débilitante appelée fibromyalgie. Le juge du procès avait conclu que les frais d'acquisition et d'installation du jacuzzi n'étaient pas des frais médicaux du type décrit à l'alinéa 118.2(2)l.2) puisque cette disposition s'appliquait à des transformations aidant une personne handicapée à se déplacer dans une habitation et que cette disposition visait à faciliter le déplacement d'une personne plutôt qu'à favoriser le bien-être d'une personne. De plus, les frais d'acquisition et d'installation d'un jacuzzi n'étaient pas des frais payés pour du matériel utilisé sur ordonnance d'un médecin et ils ne répondaient donc pas aux exigences du sous-alinéa 118.2(2)m)(ii) de la Loi. En outre, il n'était pas satisfait aux exigences du sous-alinéa 118.2(2)m)(i) puisque rien ne prouvait que le jacuzzi était un dispositif conçu pour aider un particulier à marcher.

[9]            Les versions française et anglaise de l'alinéa 118.2(2)l.2) ne sont pas identiques. La version française de cette disposition se termine par les termes " de s'y déplacer ou d'y accomplir les tâches de la vie quotidienne ". Le dictionnaire anglais-français Robert & Collins1 définit comme suit le mot " quotidien " :

De chaque jour; qui se fait, qui revient tous les jours.

Le mot " quotidienne " désigne une activité qui se fait tous les jours. La version française traite de rénovations qui sont apportées pour permettre à une personne d'avoir accès à son habitation, de s'y déplacer ou d'y accomplir les " tâches de la vie quotidienne ". La disposition ne concerne pas les " activités courantes de la vie quotidienne " énoncées aux alinéas 118.4(1)c) et d). Les rénovations ou transformations doivent être destinées à permettre à la personne de fonctionner dans son habitation, de manière qu'elle puisse accomplir les tâches de la vie quotidienne. Les tâches de la vie quotidienne, ce ne sont pas seulement les " activités courantes de la vie quotidienne ". Les tâches de la vie quotidienne comprennent, entre autres, les activités énoncées à l'alinéa 118.4(1)d), soit le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives. La version française de l'alinéa 118.2(2)l.2) ajoute un élément à considérer lorsqu'il s'agit de déterminer si les rénovations entreprises par Mme Williams sont admissibles au crédit pour frais médicaux. Les termes " d'y accomplir les tâches de la vie quotidienne " figurant dans la version française de l'alinéa 118.2(2)l.1) élargissent à mon avis l'application de cette disposition de manière à inclure des rénovations visant à permettre à une personne ayant un handicap moteur grave et prolongé de se déplacer ou de fonctionner dans son habitation de manière à pouvoir y accomplir les tâches de la vie quotidienne.

[10]          Dans l'appel en instance, il m'apparaît clairement que, en 1994, Mme Williams était grandement limitée dans sa mobilité, c'est-à-dire dans sa capacité d'accomplir des tâches quotidiennes chez elle, et que l'installation de planchers de bois franc était nécessaire pour qu'elle puisse se déplacer et fonctionner chez elle, de manière à pouvoir y accomplir des tâches quotidiennes, c'est-à-dire se déplacer d'une pièce à une autre avec une facilité relative; il fallait qu'elle puisse " vivre " dans son habitation. Donc, les frais d'acquisition et d'installation des planchers de bois franc auraient dû selon moi être admis.

[11]          L'alinéa 118.2(2)m) dit que les frais médicaux sont des frais payés pour tout dispositif ou équipement qui répond aux conditions visées à l'alinéa 5700h) du Règlement. Le Règlement mentionne parmi les dispositifs ou équipements prescrits un lit d'hôpital, y compris les accessoires de ce lit. Je conviens avec le ministre que le matelas spécial que Mme Williams a acheté sur ordonnance d'un médecin n'est pas un lit d'hôpital, soit un des éléments prescrits dans le Règlement. Toutefois, Mme Williams souffrait de " troubles immunitaires chroniques graves "2. Peut-on considérer le matelas spécial acheté sur ordonnance d'un médecin comme un " dispositif ou équipement [...] conçu exclusivement pour l'usage " de Mme Williams au sens de l'alinéa 5700c) du Règlement? Le mot anglais " equipment " (équipement) inclut le mobilier3. Le matelas en question avait été conçu exclusivement pour l'usage de l'appelante, en raison de ses troubles immunitaires chroniques graves, et les frais y afférents auraient donc dû être considérés comme des frais médicaux. Il s'agit là d'une interprétation téléologique de la disposition.

[12]          Je renvoie également à l'affaire Côté c. Canada, [1996] A.C.I. no 1497 (Q.L.), dans laquelle le juge Léger, de la CCI, avait admis l'appel interjeté par un contribuable à l'encontre du rejet d'une déduction de frais médicaux, pour le motif suivant : " Bien qu'il y ait des dispositions précisant ce que sont des frais médicaux, la Cour est tenue d'interpréter cette loi de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet. " Il avait statué que, malgré l'absence d'ordonnance de médecin visant un adoucisseur ou concernant les frais liés à l'énergie nécessaire au fonctionnement d'un bain tourbillon, les frais relatifs à un tel équipement et à de tels produits étaient déductibles dans le calcul du revenu imposable. J'estime que, dans l'appel en instance, la position de Mme Williams quant au matelas est encore meilleure que ne l'était celle de l'appelant dans l'affaire Côté.

[13]          Les frais engagés pour l'achat de suppléments vitaminiques et minéraux et d'autres aliments naturels ne sont pas des frais médicaux. L'alinéa 118.2(2)n) de la Loi dispose que seuls les frais payés pour les médicaments, les produits pharmaceutiques et les autres préparations ou substances achetés afin d'être utilisés par le patient sur ordonnance d'un médecin ou d'un dentiste et enregistrés par un pharmacien peuvent être déduits comme frais médicaux. Concernant ces dépenses, aucun des achats n'avait été enregistré par un pharmacien. Voir, par exemple, l'affaire Mongillo v. The Queen,95 DTC 199. Pour les mêmes raisons, les frais engagés au titre d'aliments, d'articles de nettoyage et de produits pour soins de toilette n'entrent pas dans le cadre de l'une quelconque des dispositions expresses de la Loi ou du Règlement.

[14]          Par conséquent, l'appel est admis, avec dépens, de manière à permettre à l'appelante de déduire comme frais médicaux le coût des planchers de bois franc et les frais d'installation y afférents, ainsi que le coût du matelas.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de décembre 1997.

" Gerald J. Rip "

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 27e jour de mai 1998.

Mario Lagacé, réviseur



1                Deuxième édition, Collins Publishers, Londres, Glasgow et Toronto, 1989.

2                L'alinéa 5700h) du Règlement traite de " troubles chroniques graves du système immunitaire ". Aucun élément de preuve n'indique que de tels troubles soient différents de quelque manière des " troubles immunitaires chroniques graves " dont se plaignait Mme Williams.

3                The Shorter Oxford English Dictionary On Historical Principles, 3e édition.

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