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Date: 19980108

Dossier: 97-1035-IT-I

ENTRE :

FRANCIS NICHOLSON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Représentant de l'appelant : Keith Bannon

Avocate de l'intimée : Me Nicole Levasseur

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Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Ottawa, Canada, le 8 janvier 1998.)

Le juge Bowie, C.C.I.

[1]            Les appels en l'instance concernent la prétention de l'appelant selon laquelle il a le droit, dans le calcul de son revenu en vertu de l'article 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi "), de déduire de son revenu provenant d'une autre source les pertes qu'il a subies relativement à la location de deux appartements. Le ministre du Revenu national (le " ministre ") a établi à son égard, pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994, une nouvelle cotisation dans laquelle il a rejeté les pertes de 9 708 $, de 7 447 $ et de 5 752 $ respectivement, dont l'appelant avait demandé la déduction. En bref, le ministre fait valoir qu'au cours des années en question, l'appelant ne pouvait raisonnablement s'attendre à tirer un profit de l'activité de location et que celle-ci n'était donc pas une entreprise ni une source de revenu au sens où cette expression est utilisée à l'article 3 de la Loi.

[2]            En 1984, l'appelant et son épouse, en prévision de leur retraite, ont vendu leur maison et ont acheté un triplex dans le village de Jasper, situé à 10 kilomètres environ de Smiths Falls (Ontario). Il s'agissait de trois unités d'habitation, la plus grande étant celle dans laquelle l'appelant et son épouse ont emménagé avec leur famille. Les deux unités plus petites ont été louées à des locataires qui y sont restés pendant quelques années après l'achat et qui ont payé un loyer mensuel de 220 $ chacun. Ces locataires sont ensuite partis (la preuve ne permet pas d'établir exactement à quel moment) et, en 1992, l'un des appartements était occupé par la fille de l'appelant, qui travaille tout près, et l'autre, par la mère de Mme Nicholson, qui était infirme et qui avait auparavant vécu dans une résidence pour personnes âgées. Bien que la preuve soit peu abondante, il semble que les deux locataires aient payé un loyer à peu près équivalant au taux du marché.

[3]            Le prix d'achat du triplex en septembre 1984 était de 45 000 $. Il a été payé au moyen d'une mise de fonds de 15 000 $ représentant la valeur nette de la résidence précédente de l'appelant et son épouse et d'un emprunt hypothécaire de 30 000 $ assorti d'un taux d'intérêt annuel de 17,5 p. 100. Au cours des années qui ont suivi, l'hypothèque a été remplacée un certain nombre de fois. En décembre 1985, elle a été portée à 40 000 $, au taux annuel de 12 p. 100; en novembre 1988, elle a été portée à 75 000 $, au taux de 11,75 p. 100; en juin 1991, elle a été augmentée de nouveau, cette fois à 85 000 $, au taux de 11,53 p. 100; cette dernière hypothèque a été renouvelée en janvier 1994 au taux annuel de 7,75 p. 100 et, à la date du procès en janvier 1998, le principal impayé avait été ramené à 53 000 $. L'appelant a témoigné que ces augmentations de la dette hypothécaire visaient toutes à obtenir l'argent nécessaire pour payer les dépenses en capital relatives à la propriété que lui et son épouse n'avaient pas prévues au moment où ils l'avaient achetée. Ces dépenses ont été faites notamment pour faire refaire le toit et pour installer une nouvelle fosse septique et un nouveau puits. Il y a eu peu de preuve sur le coût de ces articles, mais l'avocate de la Couronne n'a pas contesté la déclaration de l'appelant selon laquelle il n'a pris aucun montant d'argent sur les avances hypothécaires, en sus des montants dont il avait besoin pour apporter ces améliorations imputables au capital.

[4]            L'appelant soutient que, lorsque lui et son épouse ont acheté le triplex, il s'agissait d'un projet commercial viable duquel ils pouvaient s'attendre à tirer des profits, et que la situation n'a changé qu'en raison des dépenses en capital qui les ont forcés à augmenter leur dette hypothécaire de 55 000 $, ce qui est beaucoup, entre la date de l'achat et le mois de juin 1991. Il a témoigné en contre-interrogatoire qu'ils avaient, à l'égard de la propriété, un plan qui aurait dû leur permettre de réaliser un profit; cependant, il n'a rien dit de ce qu'était ce plan, ni n'a-t-il produit en preuve d'état des revenus, pro forma ou autrement, pour les premières années. La réponse à l'avis d'appel fait le relevé, à l'alinéa 9c), du revenu brut de location et des pertes dont l'appelant a demandé la déduction relativement à la propriété au cours des huit années 1987 à 1994, et ces montants n'ont pas été contestés.

                                Année                     Revenu locatif brut                               Perte locative nette

                                1987                                         8 842 $                                     5 622 $

                                1988                                         9 090 $                                     1 038 $

                                1989                                         5 805 $                                     5 920 $

                                1990                                         7 610 $                                     5 758 $

                                1991                                         7 950 $                                     5 542 $

                                1992                                         6 575 $                                     9 708 $

                                1993                                         7 600 $                                     7 447 $

                                1994                                         7 040 $                                     5 752 $

À ces montants, on peut ajouter les chiffres correspondants pour les années 1995 et 1996, qui ont été produits en preuve par l'avocate de l'intimée.

                                1995                                         8 040 $                                    3 665 $

                                1996                                         8 440 $                                     1 228 $ de profit avant la                                                                                                                                                                                     DPA

[5]            Les pertes subies aux cours des huit années 1987 à 1994 totalisent 46 787 $. L'intimée invoque cette série de pertes pour démontrer qu'il n'y a jamais eu d'entreprise viable ayant une possibilité de profit, surtout pas au cours des années visées par l'appel. L'appelant soutient que, s'il n'avait pas dû, par malchance, faire des dépenses en capital très importantes et imprévues, il aurait réalisé des profits avant les années visées par l'appel.

[6]            Il ressort clairement des pertes dont l'appelant a demandé la déduction dans ses déclarations de revenus que ce dernier a été enclin à utiliser, pour calculer ses pertes, une méthode qui tend à augmenter celles-ci au maximum, ce qui donne un montant que les faits ne justifient pas. Au cours des années 1992 à 1996, qui sont les seules années pour lesquelles des états des revenus ont été produits en preuve, il a toujours attribué le tiers des dépenses liées à l'assurance, à l'intérêt hypothécaire, aux taxes et aux services publics, à l'usage personnel de sa famille, et les deux tiers aux logements locatifs. Aucun plan des étages de tout l'immeuble, ni la superficie des différentes pièces habitables n'ont été produits en preuve. Lorsqu'il a été interrogé en contre-interrogatoire sur la superficie réservée à son utilisation personnelle et sur celle qui était réservée à la location de l'immeuble, l'appelant a d'abord répondu qu'environ 50 p. 100 à 60 p. 100 de la superficie habitable était réservée à son usage personnel. Puis il a dit que la proportion était de 50 p. 100. Plus tard, il a dit qu'elle était en réalité de 33,3 p. 100, comme il l'a précisé dans ses déclarations de revenus, parce que l'un des locataires, sa belle-mère, était autorisée à utiliser à l'occasion un escalier et un couloir donnant accès à la salle de lavage, à utiliser la salle de lavage trois fois par semaine, et à utiliser parfois un escalier et un couloir menant aux appartements de la famille, également environ trois fois par semaine. Ces endroits, utilisés par elle à l'occasion seulement, représentent environ 200 pieds carrés. La superficie totale de l'immeuble est d'environ 4 000 pieds carrés. À mon avis, l'utilisation commune occasionnelle d'environ 5 p. 100 de l'immeuble ne modifie pas considérablement la proportion dans laquelle celui-ci sert à l'entreprise ou à la famille; elle ne ramène certainement pas cette proportion de 50 p. 100 à 33,3 p. 100. J'estime qu'il convient d'attribuer 50 p. 100 des dépenses à l'utilisation personnelle de la famille de l'appelant et l'autre 50 p. 100, à l'utilisation des deux logements locatifs.

[7]            Au cours de chacune des années 1992 à 1996, l'appelant prétend qu'il avait le droit de déduire de son revenu provenant d'une autre source le plein montant des pertes qu'il a calculées, bien qu'il ait témoigné que lui et son épouse étaient copropriétaires de la maison. Il n'a offert aucune explication à cet égard.

[8]            Dans son interrogatoire principal, l'appelant a témoigné qu'il avait acheté le triplex dans le but d'en tirer un revenu supplémentaire pour arrondir son revenu de retraite. Lors du contre-interrogatoire, on l'a confronté aux réponses qu'il avait données dans un questionnaire quelque deux ans auparavant. L'une de ces questions et la réponse étaient rédigées comme suit :

                [TRADUCTION]

                4)              Dans quel but, au départ, la propriété a-t-elle été acquise?

Nous avons emménagé dans une plus grande maison pour accommoder tous les membres de notre famille. Mari, épouse et quatre enfants. Nous espérions également que le loyer provenant des deux appartements nous aiderait à effectuer les paiements hypothécaires.

[9]            Au cours de la plaidoirie, j'ai permis à l'appelant, dont le représentant était inexpérimenté, de rouvrir sa preuve pour témoigner sur l'utilisation partagée d'une partie des lieux que j'ai mentionnés précédemment. Ce témoignage est parfaitement incompatible avec son affirmation, dans le questionnaire, qu'aucune installation n'était partagée par le propriétaire et le locataire. Il a tenté d'expliquer ces contradictions en indiquant que le questionnaire avait été rempli par sa femme et qu'il l'avait signé sans lire les réponses. À ce moment-là, son représentant m'a informé, ce qui est tout à son honneur, qu'il avait lui-même rédigé les réponses au questionnaire, dans son bureau, pendant que l'appelant, assis en face de lui, lui fournissait les renseignements requis. L'appelant l'a ensuite signé, sous les mots :

[TRADUCTION]

Je certifie que les renseignements donnés dans le présent questionnaire et dans tout document joint sont véridiques, exacts et complets à tous égards.

[10]          Pour ces motifs, et du fait que, dans une certaine mesure, l'appelant s'est employé à donner des réponses intéressées, j'accorde peu de poids à son témoignage.

[11]          L'avocate de l'intimée a fait valoir que je devrais voir dans la présente affaire un fort élément personnel et, par conséquent, que celle-ci devrait être examinée soigneusement quant à la légitimité de l'entreprise alléguée, conformément à la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Tonn v. The Queen[1]. La question et la réponse que j'ai citées précédemment sur l'intention du contribuable au moment de l'achat viennent dans une certaine mesure appuyer cette opinion. Il en est de même du fait qu'au cours des années visées par l'appel, les locataires étaient tous deux des membres de la famille immédiate. Cependant, l'immeuble est un triplex et, si je comprends bien, il a été construit comme tel initialement. Les premiers locataires n'étaient pas liés à l'appelant. Je n'accorde pas beaucoup d'importance non plus à la réponse de l'appelant, dans le questionnaire que j'ai mentionné, à la question relative à son intention. Je doute fort que l'appelant ou son représentant aient vu une différence marquée entre le fait de réaliser un profit et l'espoir que le loyer aiderait à payer l'hypothèque. Tout bien considéré, j'estime qu'il convient de conclure qu'en l'espèce, l'appelant avait l'intention subjective de réaliser un profit. La question qui demeure est donc de savoir si, lorsque l'on applique les critères objectifs auxquels me renvoie la jurisprudence[2], on peut dire de l'appelant qu'il avait une attente raisonnable de profit à l'époque pertinente.

[12]          Il se peut qu'initialement, on puisse raisonnablement s'attendre à tirer un profit d'une activité et que celle-ci se révèle par la suite, après une période de démarrage appropriée, si peu rentable qu'on ne puisse plus conclure à l'existence d'une attente raisonnable de profit ni, par conséquent, considérer que l'activité en question est une entreprise et, donc, une source de revenu pour l'application de l'article 3 de la Loi. De même, une activité qui n'a aucune possibilité de profit telle qu'elle est initialement structurée peut devenir rentable du fait d'un revirement de situation. C'est le cas en l'espèce.

[13]          Malheureusement, j'ai peu d'éléments de preuve devant moi sur la rentabilité au cours des premières années. Cependant, les faits établis démontrent que la perte de 5 622 $ déclarée en 1987 est beaucoup plus élevée que le montant total de l'intérêt qui pourrait être attribué aux logements locatifs, à savoir approximativement 2 400 $. La perte de 7 950 $ déclarée en 1991 dépasse considérablement le montant total de l'intérêt hypothécaire de 4 650 $ environ attribuable à ces mêmes logements pour l'année en question. Ce sont là la première et la dernière année, avant les années visées par l'appel, sur lesquelles nous disposons de données.

[14]          Je me pencherai maintenant sur les années visées par l'appel. L'appelant attribue ses pertes, au cours de ces années, aux frais d'intérêt élevés découlant des dépenses en capital faites dans les premières années. Les pertes déclarées sont également gonflées par le fait qu'il a imputé 66,6 p. 100 des dépenses aux logements locatifs. Cependant, lorsque les pertes sont calculées de nouveau et qu'une proportion de 50 p. 100 est imputée aux logements en question, on obtient le tableau suivant pour les années visées par l'appel et les deux années qui ont suivi :

Année                     Perte déclarée        Perte rajustée                         Intérêt                     Perte rajustée moins

                                                                                                                                                                l'intérêt

1992                         9 708 $                     6 543 $                     4 713 $     1 830 $

1993                         7 447 $                     4 302 $                     4 587 $     285 $ de profit

1994                         5 753 $                     3 224 $                     3 169 $     55 $

1995                         3 665 $                     2 822 $                     2 567 $     255 $

1996                         1 228 $ de profit    2 443 $ de profit     2 337 $     4 780 $ de profit

[15]          Cela démontre que l'activité de location de l'appelant n'avait pas de chance de profit telle qu'elle était structurée avant la réduction du taux d'intérêt hypothécaire à 7,75 p. 100 en janvier 1994. L'incapacité de réaliser un profit dans les premières années n'est pas attribuable uniquement au fait que le principal de l'emprunt hypothécaire a été considérablement accru entre 1984 et 1991. Même si l'appelant n'avait payé aucun intérêt, il n'aurait pas réalisé de profit avant 1996, sauf en 1993, où il a fait un profit de 285 $ dans lequel on n'a pas inclus la déduction pour amortissement[3]. Les logements locatifs ont engendré un profit véritable pour la première fois en 1996, en raison, à mon avis, de deux facteurs qui ne pouvaient être prévus avant 1994. L'un d'eux est l'augmentation importante du revenu de location brut dans chacune des années 1995 et 1996. L'autre est le renouvellement de l'hypothèque en janvier 1994 au taux annuel de 7,75 p. 100, ce qui représentait une diminution de près de 4 p. 100 par rapport aux années antérieures et de près de 10 p. 100 par rapport au taux initial. Je conclus que, dans la présente affaire, il y a eu pour la première fois attente raisonnable de profit en janvier 1994, et que l'appelant peut par conséquent tenir compte des pertes qui découlent de la propriété dans le calcul de son revenu pour cette année-là seulement.

[16]          Les appels pour les années d'imposition 1992 et 1993 sont rejetés. L'appel pour l'année d'imposition 1994 est admis; la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que, dans le calcul de son revenu en vertu de l'article 3 de la Loi, l'appelant peut prendre en considération non pas les pertes locatives qu'il a déclarées, mais celles qui ont été établies comme il se doit, en partant du principe que seulement 50 p. 100 des dépenses se rapportant à l'assurance, aux intérêts hypothécaires, aux taxes foncières, aux services publics, à l'enlèvement des ordures, au déneigement et à la tonte du gazon sont imputables aux activités de location, et que 50 p. 100 seulement de la perte nette pour l'année en question, ainsi calculée, peut être imputée à l'appelant, l'autre 50 p. 100 pouvant être imputée à son épouse à titre de copropriétaire du bien.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de janvier 1998.

" E. A. Bowie "

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 28e jour de mai 1998.

Benoît Charron, réviseur



[1]96 DTC 6001, pages 6009 et 6010.

[2] Moldowan v. The Queen, 77 DTC 5213, page 5215; Landry v. The Queen, 94 DTC 6625, le juge Décary, page 6626, et les décisions citées dans ces affaires.

[3] Voir Moldowan v. The Queen, 77 DTC 5213, le juge Dickson, page 5215.

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