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Date: 19971006

Dossier: 96-1111-UI

ENTRE :

EDNA WAY,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Cuddihy, C.C.I.

[1]            L'appel en instance a été entendu à Gander (Terre-Neuve), le 11 septembre 1997.

I-             L'appel

[2]            Le présent appel porte sur le règlement d'une question par lequel, le 26 avril 1996, le ministre du Revenu national (le " ministre ") a déterminé que l'emploi que l'appelante avait exercé chez Judy Way (la " payeuse ") du 23 mai au 16 août 1995 n'était pas assurable au sens de la Loi sur l'assurance-chômage (la " Loi ") pour le motif que, d'après le ministre, l'appelante et la payeuse avaient entre elles un lien de dépendance au sens de l'alinéa 3(2)c) de la Loi et que, par conséquent, l'emploi était exclu.

II -           Les faits

[3]            Pour rendre sa décision, le ministre s'est fondé sur les faits et les motifs exposés dans sa réponse à l'avis d'appel, plus particulièrement au paragraphe 7, qui se lit comme suit :

[TRADUCTION]

a)              les faits admis et énoncés précédemment dans les présentes;

b)             l'appelante est la belle-mère de la payeuse et la grand-mère de l'enfant dont elle était censée prendre soin à temps plein au cours de la période en question;

c)              la payeuse avait besoin d'aide pour effectuer les travaux ménagers et garder son fils de deux ans pendant sa grossesse et pendant une certaine période après la naissance de ses trois petites filles le 18 octobre 1995 :

                •                de la fin du mois de mai à la mi-août, l'appelante a censément vécu avec la payeuse pour effectuer les travaux ménagers et garder l'enfant,

                •                de la mi-août à la mi-septembre, le fils de l'appelante était à la maison et effectuait les travaux ménagers en plus de garder l'enfant,

                •                de la mi-septembre à la naissance des triplées, une amie de la famille est venue aider trois fois par semaine pendant 3 heures et demie seulement et elle n'a pas été payée pour ses services,

                •                de la naissance des triplées à la première semaine du mois de novembre, la mère de la payeuse est restée avec sa fille et elle a effectué les travaux ménagers en plus de garder l'enfant et elle n'a pas été payée pour ses services;

d)             durant la période de treize semaines en question et conformément à l'entente verbale conclue entre elles, l'appelante était censée être engagée par la payeuse pour travailler dans la maison de cette dernière, prendre soin de son enfant et effectuer de menus travaux ménagers;

e)              pendant la période de treize semaines en question et conformément à l'entente verbale conclue entre elles, l'appelante devait toucher, irrégulièrement, sans jour de paye fixe ni mode de paiement préétabli, un montant brut de 400 $ par semaine, pour une semaine de 40 heures de travail à 10 $ l'heure, moins un montant non divulgué pour le logement et les repas;

f)              les registres de la payeuse n'indiquent pas que les paiements ont bien été effectués à l'appelante;

g)             le taux horaire de 10 $ qui est censé avoir été payé à l'appelante était excessif puisqu'il était supérieur au taux moyen payé dans la région aux bonnes d'enfants logées (elles touchent normalement le salaire minimum de 6,85 $ l'heure, duquel est retranché un montant pour le logement et les repas, s'il y a lieu);

h)             si l'appelante avait bel et bien touché la rémunération totale, dont la paye de vacances, déclarée par la payeuse sur le relevé d'emploi de l'appelante, c'est-à-dire 5 491 $ moins un montant non divulgué pour le logement et les repas, pour la période de treize semaines en question, le total de sa rémunération hebdomadaire aurait été excessif compte tenu du fait que la payeuse aurait pu engager, pour un salaire beaucoup moins élevé, une personne possédant les compétences de l'appelante, avec laquelle elle n'aurait pas eu de lien de dépendance;

i)               l'appelante avait besoin du nombre de semaines en question pour être admissible à des prestations d'assurance-chômage et la payeuse le savait avant d'engager prétendument l'appelante;

j)               la prétendue embauche à temps plein de l'appelante par la payeuse au cours de la période en question visait à permettre à l'appelante d'être admissible à des prestations d'assurance-chômage;

k)              l'appelante et la payeuse sont des personnes liées entre elles au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

l)               l'appelante et la payeuse ont entre elles un lien de dépendance;

m)             il n'est pas raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que l'appelante et la payeuse auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[4]            L'appelante a admis les allégations énoncées aux alinéas a) à c) et k). Elle a admis l'allégation énoncée à l'alinéa d), des explications devant être fournies. Les allégations faites aux alinéas e) à j), l et m) ont été niées.

III-           Le droit et analyse

                i)              Définitions tirées de la Loi sur l'assurance-chômage

" emploi " Le fait d'employer ou l'état d'employé.

" emploi assurable "

Le paragraphe 3(1) se lit comme suit :

3. (1)        Un emploi assurable est un emploi non compris dans les emplois exclus et qui est, selon le cas :

a)             un emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, en vertu d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[...]

" emploi exclu "

Le paragraphe 3(2) se lit en partie comme suit :

(2) Les emplois exclus sont les suivants :

[...]

c)              sous réserve de l'alinéa d), tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :

(i)             la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,

(ii)            l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance;

d)             tout emploi d'une personne au service d'une personne morale si cette personne contrôle plus de quarante pour cent des actions avec droit de vote de cette personne morale;

ii)             Définitions tirées de la Loi de l'impôt sur le revenu

Lien de dépendance et personnes liées

L'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu se lit en partie comme suit :

Article 251. Lien de dépendance

                (1)            Pour l'application de la présente loi :

a)             des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

b)             la question de savoir si des personnes non liées entre elles n'avaient aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

                (2)            Définitions de " personnes liées ". Pour l'application de la présente loi, sont des " personnes liées " ou des personnes liées entre elles :

a)             des particuliers unis par les liens du sang, du mariage ou de l'adoption;

                b)             une société et :

(i)             une personne qui contrôle la société si cette dernière est contrôlée par une personne;

(ii)            une personne qui est membre d'un groupe lié qui contrôle la société;

(ii)            toute personne liée à une personne visée au sous-alinéa (i) ou (ii); [...]

[5]            L'appelante a la charge de la preuve. Toutefois, chaque affaire doit être réglée selon les faits qui lui sont propres.

[6]            L'appel porte sur le règlement du ministre. Dans l'arrêt Sylvie Desroches c. M.R.N. (A-1470-92), à la page 4 des motifs du jugement, Madame la juge Desjardins, de la Cour d'appel fédérale, s'exprime de la façon suivante :

[...] En dernière analyse, cependant, comme l'a affirmé notre Cour dans Le Procureur général du Canada c. Jacques Doucet, c'est la détermination du ministre qui est en cause, à savoir que l'emploi n'était pas assurable parce que la requérante et la payeuse n'étaient pas liés par un contrat de louage de services. Le rôle du juge de la Cour canadienne de l'impôt s'étend à l'étude du dossier et à la preuve en son entier. Ainsi, le juge Marceau, au nom de la Cour, s'est-il exprimé de la façon suivante dans l'affaire Doucet :

... Le juge avait le pouvoir et le devoir d'examiner toute question de fait ou de droit qu'il était nécessaire de décider pour se prononcer sur la validité de cette détermination. Ainsi le présuppose le paragraphe 70(2) de la Loi et le prévoit, dès après le paragraphe 71(1) de la Loi qui le suit ...

                Le premier juge pouvait aller jusqu'à décider qu'il n'y avait aucun contrat qui liait les parties. [...]

[7]            Si l'interprétation soulève un doute, il faut le résoudre en faveur de la personne concernée; rien n'empêche un particulier de bénéficier d'un programme social si les exigences légales sont satisfaites. C'est ce qu'a dit le juge Hugessen, de la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Attorney General of Canada v. Rousselle et al., en date du 31 octobre 1990 (124 N.R. 339) :

                Ce n'est pas d'exagérer je crois, à la lumière de ces faits, que de dire que si les intimés ont exercé un emploi, il s'agissait bien d'un emploi " de convenance " dont l'unique but était de leur permettre de se qualifier pour des prestations d'assurance chômage. Certes, ces circonstances n'empêchent pas nécessairement que les emplois soient assurables mais elles imposaient à la Cour canadienne de l'impôt l'obligation de scruter avec un soin particulier les contrats en cause; il est clair que la motivation des intimés était plutôt le désir de profiter des dispositions d'une loi de portée sociale que de participer dans le jeu normal des forces économiques du marché.

[8]            Par conséquent, il incombe à la Cour d'examiner avec soin dans chaque cas la relation qui existe entre le travailleur et le payeur.

[9]            En outre, les paragraphes 70(2) et 71(1) de la Loi confèrent à la Cour de l'impôt des pouvoirs de redressement étendus qui lui permettent de régler tout litige de nature factuelle et d'infirmer, de confirmer ou de modifier tout règlement du ministre[1].

[10]          L'appelante a été entendue à l'appui de son appel. Les pièces A-1 et R-1 à R-5 ont été déposées au dossier de la Cour.

[11]          L'appelante, Edna Way, est la mère de William Way, qui est marié à Judy Way (la " payeuse ").

[12]          La payeuse est devenue enceinte de triplées. Son médecin lui a indiqué qu'elle aurait besoin d'aide pour effectuer les travaux ménagers et prendre soin de son fils de deux ans pendant la grossesse.

[13]          William Way, l'époux de la payeuse, enseignait à temps plein de septembre à juin. Il prévoyait poursuivre ses études en vue d'obtenir une maîtrise au cours des mois d'été de 1995, à l'Université d'Indiana, en Illinois. On n'a pas établi le nombre de semaines où il a été absent ni la date de son départ. Cependant, il est retourné à la maison le 15 août 1995, date à laquelle l'appelante a été mise à pied. En outre, selon la preuve, s'il enseignait à Scarborough pendant l'année scolaire, il a dû partir au cours du mois de juin.

[14]          Selon les faits sur lesquels le ministre s'est fondé, la payeuse avait besoin d'aide pour effectuer les travaux ménagers et s'occuper de son fils de deux ans pendant sa grossesse et pendant quelque temps après la naissance de ses trois filles le 18 octobre 1995. De la fin du mois de mai à la mi-août, l'appelante a vécu chez la payeuse et a effectué les travaux ménagers en plus de s'occuper de l'enfant. De la mi-août à la mi-septembre, le fils de l'appelante était à la maison et il a effectué les travaux ménagers en plus de prendre soin de l'enfant. De la mi-septembre à la naissance des triplées, une amie de la famille est venue aider trois fois par semaines pendant 3 heures et demie seulement et elle n'a pas été payée pour ses services. De la naissance des triplées à la première semaine de novembre, la mère de la payeuse est restée avec sa fille et elle a effectué les travaux ménagers en plus de garder l'enfant, et elle n'a pas été payée pour ses services.

[15]          Au cours de la période de treize semaines en question et conformément à l'entente conclue entre elles, l'appelante a été engagée par la payeuse pour prendre soin de l'enfant chez cette dernière et pour effectuer toutes les autres tâches qui devaient être accomplies.

[16]          À l'audience, l'appelante a nié les allégations du ministre énoncées aux alinéas e) à m) de la réponse. Ces allégations sont reproduites plus haut.

[17]          Le ministre a soutenu qu'au cours de la période de treize semaines en question, l'appelante devait toucher, irrégulièrement, sans jour de paye fixe ni mode de paiement préétabli, les montants brut de 400 $ par semaine pour une semaine de travail de 40 heures à 10 $ l'heure, moins un montant non divulgué pour le logement et les repas. Le ministre a également affirmé que les registres de la payeuse n'indiquaient pas que des paiements avaient bel et bien été effectués à l'appelante. Il a aussi allégué que le taux horaire de 10 $ était excessif puisqu'il était supérieur au taux de salaire moyen payé dans la région aux bonnes d'enfants logées et que la payeuse aurait pu engager une personne non liée qu'elle aurait payée moins cher.

[18]          L'appelante a déclaré qu'elle était payée par chèque. Elle n'a pu dire le montant des chèques. Elle a déclaré qu'elle touchait un montant brut de 400 $ par semaine, moins le logement et les repas. Elle a déclaré qu'elle avait donné à la payeuse trois chèques de 135,77 $, 306 $ et 152 $, et qu'elle avait fait un chèque à l'ordre du Receveur général; ces chèques représentaient ses cotisations d'assurance-chômage, ses cotisations au Régime de pensions du Canada et des versements au titre de l'impôt sur le revenu. Elle a dit qu'elle était logée et nourrie pour 80 $ par semaine, et qu'il lui restait par conséquent 320 $ par semaine.

[19]          En contre-interrogatoire, on lui a montré le relevé de sa rémunération qui a été remis au ministre (pièce R-1). Elle a déclaré qu'elle avait travaillé huit heures par jour de 7 h à 15 h, soit 40 heures par semaine. Après ces heures, elle " demeurait à leur disposition ", elle s'occupait des repas et elle donnait son bain à l'enfant. Elle a déclaré que les samedis et les dimanches, elle prenait également soin de la payeuse et de l'enfant et qu'elle avait travaillé plus de 40 heures, mais qu'elle n'avait été payée que pour 40 heures. En juin et en juillet, elle avait travaillé 8 heures par jour et, en août, 10 heures par jour.

[20]          On lui a montré également son relevé d'emploi (pièce R-2). À ce moment-là, elle a déclaré qu'elle n'était pas toujours payée pour 40 heures; si la payeuse décidait de lui donner plus d'argent, elle l'acceptait. Son chèque de paye n'était pas toujours le même d'un mois à l'autre. Elle préparait son relevé d'emploi et elle s'occupait de la feuille de paye. Elle a été payée les 2 et 8 août et le 10 septembre 1995. Elle a déclaré qu'il fallait qu'il y ait un autre chèque, ce qui paraissait indiquer qu'elle aurait reçu quatre chèques de paye.

[21]          L'appelante devait toucher un montant brut de 400 $ par semaine, moins 80 $ pour le logement et les repas, pour une semaine de cinq jours, à raison de 40 heures par semaine. Aucun chèque n'a été fourni au ministre. Le relevé de la rémunération (pièce R-1) fait état d'une rémunération brute de 5 491 $ pour les mois de mai à août. Ce montant est également indiqué sur le relevé d'emploi (pièce R-2) pour une période de travail de 13 semaines. Le montant de 5 491 $ réparti sur 13 semaines équivaut à 422,40 $ par semaine. Le logement et les repas (pièce R-1) du mois de mai au mois d'août s'élèvent à 1 108, 27 $, ou 85,25 $ par semaine, ou 12,17 $ par jour. Le document produit par l'appelante, provenant de l'agence de placement Selective Personnel (pièce A-1), n'indique pas le montant déduit au titre du logement et des repas.

[22]          La preuve de l'appelante établit qu'elle était payée 10,56 $ l'heure pour 40 heures de travail par semaine. Si l'on compare le relevé de la rémunération (pièce R-1) au relevé d'emploi (pièce R-2), à la demande de prestations (pièce R-4) et à la preuve, on ne peut conclure que le ministre a eu tort d'affirmer que l'appelante était payée irrégulièrement, sans jour de paye fixe. Le fait qu'aucun chèque n'a été produit ne signifie pas que l'argent n'a pas été versé, mais l'absence de chèques a permis au ministre d'affirmer que les registres de la payeuse n'indiquaient pas que les paiements avaient effectivement été faits. Si l'on se fie au relevé de la rémunération (pièce A-1), il devrait exister quatre chèques couvrant la période de paye correspondant aux montants et aux dates indiqués dans la colonne de la paye nette. Ces chèques manquaient. La preuve de l'appelante selon laquelle elle a versé à la payeuse ses cotisations d'assurance-chômage et ses cotisations au Régime de pensions du Canada aurait également amené le ministre à faire remarquer que ce n'est pas là la situation normale d'un employé qui n'est pas lié au payeur.

[23]          L'autre grande interrogation du ministre était le taux de salaire de l'appelante comparativement à celui que touchent, dans la région, les bonnes d'enfants logées, à savoir 6,85 $ l'heure, soit le salaire minimum moins le logement et les repas, s'il y a lieu. L'appelante s'est informée auprès de plusieurs entreprises et elle a produit un document (pièce A-1), mentionné plus haut. Ce document n'indique pas le coût du logement et des repas ni le salaire de la personne à engager. Il indique cependant des honoraires d'intermédiaire. L'argument que, je présume, l'appelante fait valoir, est que si un employeur devait payer des honoraires d'intermédiaire en sus du salaire, le montant à débourser pour engager une personne provenant de l'une de ces agences serait supérieur au montant qu'elle gagnait.

[24]          Un salaire de 6,85 $ l'heure pour 40 heures de travail représenterait 274 $ par semaine. Si un employeur engageait une aide logée à 274 $ par semaine et qu'il payait l'équivalent d'un mois de salaire à titre d'honoraires d'intermédiaire, il paierait des honoraires d'intermédiaire de 1 096 $ (274 $ X 4) plus 3 562 $ (13 semaines X 274$), pour un total de 4 658 $. Ce montant serait inférieur de 833 $ au montant de 5 491 $ que l'appelante a reçu de la payeuse. Je me permets cependant d'ajouter que, lorsque le ministre compare un salaire aux fins du régime d'assurance-chômage établi par le législateur, il ne tient normalement pas compte des honoraires d'intermédiaire puisque cela ne fait pas partie du salaire de l'employé. C'est le salaire d'un travailleur qui est assurable, et les cotisations versées sont fondées sur ce salaire. Le salaire versé détermine également le montant des prestations versées en cas de perte d'emploi. Il est par conséquent possible de conclure qu'un salaire de 274 $ par semaine serait inférieur au montant sur lequel la payeuse et l'appelante s'étaient entendues. Cette preuve tend à confirmer que le ministre a tenu compte du taux de salaire moyen que touchent les bonnes d'enfants logées dans la région et du fait qu'une telle employée n'aurait pas reçu 10 $ l'heure et aurait coûté moins cher pour une semaine de 40 heures étalées sur cinq jours.

[25]          L'appelante s'est opposée à deux autres allégations. La première est l'allégation de l'intimé selon laquelle l'appelante avait besoin du nombre de semaines en question pour être admissible à des prestations d'assurance-chômage, ce que savait la payeuse avant d'engager prétendument l'appelante. Cette allégation concerne la payeuse, qui n'a pas été entendue à l'audience; il serait donc difficile pour la Cour d'infirmer cette allégation alors que la personne visée (la payeuse) n'est pas là pour l'expliquer.

[26]          L'autre allégation du ministre que l'appelante n'a pas admise est celle selon laquelle son embauche à temps plein par la payeuse visait à lui permettre d'être admissible à des prestations d'assurance-chômage.

[27]          Cette allégation a vraiment offensé l'appelante, qui s'est sentie accusée d'avoir agi de façon malhonnête, ce qui, si je puis dire, n'était pas le cas. Ce que le ministre devait décider, c'était si l'emploi devait être exclu ou inclus dans les emplois assurables. Les termes utilisés peuvent parfois surprendre les gens; cependant, l'appelante a interrompu sa période de prestations d'assurance-chômage, elle a accepté de travailler pour sa belle-fille et elle a informé le bureau d'assurance-chômage de son départ et de son arrivée. Il n'y a aucun doute que la période de travail de l'appelante pour la payeuse servirait, en temps normal, à présenter une nouvelle demande de prestations à la date où prendrait fin la période de prestations qui a été interrompue. Ce fait supplémentaire aurait été connu de l'appelante et de l'intimé, ce qui pouvait amener l'agent des appels à alléguer que, compte tenu de tous les faits, l'emploi était un emploi de commodité à cet égard. Il ne s'agit pas d'une allégation de malhonnêteté.

[28]          Le ministre a-t-il exclu l'emploi de l'appelante au sens du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi?

[29]          Dans l'arrêt Procureur général du Canada et Jencan Ltd.[2], la Cour d'appel fédérale a énoncé dans les termes suivants les principes qui doivent guider la Cour de l'impôt lorsqu'elle se penche sur un appel interjeté en application du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi :

                L'arrêt que notre Cour a prononcé dans l'affaire Tignish, précitée, exige que, lorsqu'elle est saisie d'un appel interjeté d'une décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), la Cour de l'impôt procède à une analyse à deux étapes. À la première étape, la Cour de l'impôt doit limiter son analyse au contrôle de la légalité de la décision du ministre. Ce n'est que lorsqu'elle conclut que l'un des motifs d'intervention est établi que la Cour de l'impôt peut examiner le bien-fondé de la décision du ministre. Comme nous l'expliquerons plus en détail plus loin, c'est en limitant son analyse préliminaire que la Cour de l'impôt fait preuve de retenue judiciaire envers le ministre lorsqu'elle examine en appel les décisions discrétionnaires que celui-ci rend en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). Dans l'arrêt Tignish, notre Cour a, sous la plume du juge Desjardins, expliqué dans les termes suivants la compétence limitée qui est conférée à la Cour de l'impôt à cette première étape de l'analyse :

Le paragraphe 7(1) de la Loi porte que la Cour de l'impôt a le pouvoir de décider toute question de fait et de droit. La requérante, qui en appelle du règlement du ministre, a le fardeau de prouver sa cause et a le droit de soumettre de nouveaux éléments de preuve pour réfuter les faits sur lesquels s'est appuyé le ministre. Toutefois, comme la décision du ministre est discrétionnaire, l'intimé fait valoir que la compétence de la Cour de l'impôt est strictement circonscrite. Le ministre est la seule personne qui puisse établir à sa satisfaction, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rémunération versée, les modalités d'emploi et l'importance du travail accompli, que la requérante et son employée sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance. Souscrivant à l'arrêt Minister of National Revenue v. Wrights' Canadian Ropes Ltd., qui fait autorité, l'intimé prétend que, à moins que l'on établisse que le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances (comme il y est tenu aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi), a pris en compte des facteurs dépourvus d'intérêt ou a violé un principe de droit, la Cour ne peut intervenir. En outre, la Cour a le droit d'examiner les faits qui, selon la preuve, se trouvaient devant le ministre quand il est arrivé à sa conclusion, pour décider si ces faits sont prouvés. Mais s'il y a suffisamment d'éléments pour appuyer la conclusion du ministre, la Cour n'a pas toute latitude pour l'infirmer simplement parce qu'elle serait arrivée à une conclusion différente. Toutefois, si la Cour est d'avis que les faits sont insuffisants, en droit, pour appuyer la conclusion du ministre, la décision de ce dernier ne peut tenir et la Cour est justifiée d'intervenir.

À mon avis, la position de l'intimé est correctement exposée sur le plan du droit [...][3].

                Dans l'arrêt Ferme Émile Richard c. M.R.N., notre Cour a confirmé sa position. Dans une remarque incidente, le juge Décary a déclaré ce qui suit :

Ainsi que cette Cour l'a rappelé récemment dans Tignish Auto Parts Inc. c. Ministre du Revenu national (25 juillet 1994), A-555-93, C.A.F. inédit), l'appel devant la Cour canadienne de l'impôt, lorsqu'il s'agit de l'application du sous-alinéa 3(2)c)(ii), n'est pas un appel au sens strict de ce mot et s'apparente plutôt à une demande de contrôle judiciaire. La Cour, en d'autres termes, n'a pas à se demander si la décision du Ministre est la bonne; elle doit plutôt se demander si la décision du Ministre résulte d'un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire. Ce n'est que lorsque la Cour en arrive à la conclusion que le Ministre a fait un usage inapproprié de sa discrétion, que le débat devant elle se transforme en un appel de novo et que la Cour est habilitée à décider si, compte tenu de toutes les circonstances, un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu entre l'employeur et l'employé s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance[4].

                L'article 70 confère le droit d'interjeter appel devant la Cour de l'impôt de toute décision rendue par le ministre en vertu de l'article 61, y compris de toute décision rendue en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). La compétence que possède la Cour de l'impôt de contrôler la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) est circonscrite parce que le législateur fédéral, par le libellé de cette disposition, voulait de toute évidence conférer au ministre le pouvoir discrétionnaire de rendre de telles décisions. Les mots " si le ministre du Revenu national est convaincu " que l'on trouve au sous-alinéa 3(2)c)(ii) confèrent au ministre la compétence pour exercer le pouvoir discrétionnaire administratif de rendre le type de décision visé par ce sous-alinéa. Comme il s'agit d'une décision rendue en vertu d'un pouvoir discrétionnaire, par opposition à une décision quasi-judiciaire, il s'ensuit que la Cour de l'impôt doit faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de la décision du ministre lorsque celui-ci exerce ce pouvoir. Ainsi, lorsque le juge Décary déclare dans l'arrêt Ferme Émile, précité, que ce type d'appel interjeté devant la Cour de l'impôt " s'apparente plutôt à une demande de contrôle judiciaire ", il voulait simplement souligner, à mon humble avis, qu'on doit faire preuve de retenue judiciaire envers les décisions que le ministre rend en vertu de cette disposition à moins que la Cour de l'impôt ne conclue que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui est contraire à la loi.

                Si le pouvoir qu'a le ministre de réputer que des " personnes liées " n'ont pas de lien de dépendance entre elles pour l'application de la Loi sur l'assurance-chômage est un pouvoir discrétionnaire, pourquoi, pourrait-on se demander, le droit d'interjeter appel devant la Cour de l'impôt en vertu de l'article 70 s'applique-t-il au sous-alinéa 3(2)c)(ii)? La réponse est que même l'exercice de pouvoirs discrétionnaires est susceptible d'un contrôle judiciaire pour s'assurer que ces pouvoirs sont exercés d'une manière judiciaire ou, en d'autres termes, qu'ils sont exercés d'une manière qui est compatible avec la loi. Il découle nécessairement du principe de la primauté du droit que tous les pouvoirs conférés par le législateur sont intrinsèquement limités. Dans l'arrêt D.R. Fraser and Co. Ltd. v. Minister of National Revenue, lord Macmillan a résumé les principes juridiques qui devraient régir un tel contrôle judiciaire. Il a déclaré :

[TRADUCTION]

Les critères selon lesquels il faut juger l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi ont été définis dans plusieurs arrêts qui font jurisprudence et il est admis que si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi, sans influence d'aucune considération étrangère, ni de façon arbitraire ou illégale, aucune cour n'a le droit d'intervenir, même si cette cour eût peut-être exercé ce pouvoir discrétionnaire autrement s'il lui avait appartenu[5].

                Le juge Abbott, de la Cour suprême, a cité et approuvé les commentaires de lord Macmillan dans l'arrêt Boulis c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration[6]. Voir également les arrêts Friends of the Oldman River Society c. Canada (ministre des Transports)[7] et Canada c. Purcell[8].

                Ainsi, en limitant la première étape de l'analyse de la Cour de l'impôt à un contrôle de la légalité des décisions rendues par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), notre Cour a simplement appliqué des principes judiciaires acceptés dans le but de trouver le juste milieu entre le droit que possède le demandeur en vertu de la loi de faire contrôler la décision du ministre et la nécessité de faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de celle-ci, compte tenu du fait que le législateur fédéral a conféré un pouvoir discrétionnaire au ministre aux termes de cette disposition.

                Compte tenu de ce qui précède, le juge suppléant de la Cour de l'impôt n'était justifié d'intervenir dans la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) que s'il était établi que le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui était contraire à la loi. Et, comme je l'ai déjà dit, l'obligation d'exercer un pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire implique l'existence de motifs d'intervention spécifiques. La Cour de l'impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) — en examinant le bien-fondé de cette dernière — lorsqu'il est établi, selon le cas, que le ministre : (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent.

[30]          La Cour de l'impôt, lorsqu'elle se penche sur un appel interjeté en application du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi, doit effectuer une analyse à deux étapes.

[31]          La Cour de l'impôt n'est justifiée de modifier le règlement du ministre que s'il est établi que ce dernier a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière contraire à la loi. La Cour de l'impôt est justifiée de modifier le règlement rendu par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), en examinant le bien-fondé du règlement, lorsqu'il est établi " que le ministre : (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent ".

[32]          En d'autres termes, la Cour n'est pas tenue de déterminer si la décision du ministre était une bonne décision. Ce que la Cour doit déterminer, c'est si la décision du ministre est le résultat d'un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire.

[33]          Ce n'est que si la Cour en arrive à la conclusion que le ministre a fait un usage inapproprié de sa discrétion que le débat devant elle se transforme en un appel de novo et que la Cour est habilitée à déterminer si, compte tenu de toutes les circonstances, un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu entre l'employeur et l'employé s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[34]          La Loi impose au ministre l'obligation d'analyser toutes les circonstances de l'emploi, notamment le taux de paye, les modalités ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, sans se limiter à ces éléments. Cela ne signifie pas pour autant que les personnes qui sont liées entre elles ne sont pas admissibles à des prestations d'assurance-chômage en vertu de la Loi, mais, pour être admissibles, elles doivent satisfaire aux critères établis par le législateur dans la Loi. La Loi a également utilisé l'expression " un contrat de travail à peu près semblable ", qui ne signifie pas exactement le même contrat ni un contrat identique.

[35]          Dans la présente affaire, la nature et l'importance du travail de l'appelante étaient très importantes et exceptionnelles. La Cour ne peut ignorer le dévouement dont a fait preuve l'appelante.

[36]          Le ministre a tenu compte des faits suivants : la rétribution de l'appelante, les modalités de son emploi, le mode de paiement, les nombreuses heures travaillées en sus des 40 heures de travail par semaine, le remplacement par d'autres personnes qui n'ont pas été payées, le paiement par l'appelante à la payeuse de ses cotisations au Régime d'assurance-chômage et au Régime de pensions du Canada, les registres de la payeuse qui n'indiquaient pas le paiement du salaire, la comparaison faite avec des emplois semblables dans la région, la lettre que le fils de l'appelante a adressée à l'intimé en décembre 1995 (qui souhaitait que les deux seules personnes interviewées garantissent qu'elles resteraient pendant une période de douze semaines et qu'elles n'accepteraient aucun autre emploi pendant la durée de leur travail) et la durée incertaine de l'absence du fils de l'appelante (était-ce douze ou treize semaines?), qui était la raison principale de son emploi. Le fils de l'appelante ne voulait pas d'une personne qui démissionnerait pendant son absence. On peut facilement comprendre cela mais, que se passerait-il si la personne engagée ne répondait pas aux attentes de la payeuse pendant l'absence de son époux?

[37]          Le ministre devait se poser la question suivante : les conditions et circonstances de l'emploi seraient-elles les mêmes si l'employée n'était pas liée à la payeuse? Le ministre a déterminé qu'elles ne le seraient pas. A-t-il utilisé son pouvoir discrétionnaire à bon escient?

[38]          Tous ces faits tendent à démontrer que le ministre a pris en considération toutes les circonstances entourant l'emploi de l'appelante et que sa décision n'était pas contraire à la loi.

[39]          Par conséquent, l'appelante n'a pas fait la preuve que le ministre a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites, ou qu'il a pris en considération des faits non pertinents ou qu'il n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes.

[40]          L'appelante a fait valoir à la fin qu'elle avait l'impression d'être victime de discrimination. Cette question a été débattue auparavant relativement au sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi.

[41]          En ce qui concerne l'article 15 de la Charte, le juge Archambault, de la Cour, dans l'affaire Thivierge c. Ministre du Revenu national (1994), A.C.I. no 876, a conclu que le texte révisé du sous-alinéa 3(2)c)(ii), tel qu'il est rédigé aujourd'hui et reproduit au début de ma décision, ne contrevenait pas à l'article 15 de la Charte et qu'il n'était pas discriminatoire. Je souscris à cette conclusion.

[42]          Il n'a été donné à la Cour aucune raison, en droit, de modifier le règlement de l'intimé.

IV-           Décision

[43]          L'appel est rejeté et le règlement du ministre est confirmé.

S. Cuddihy

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]



[1] Attorney General of Canada v. Kaur (167 N.R. 98).

[2] (C.A.F.) A-599-96, aux pages 14 à 17.

[3] Tignish Auto Parts Inc. v. M.N.R. (185 N.R. 73).

[4]                (1994), 178 N.R. 361, aux pages 362 et 363 (C.A.F.).

[5] (1949) A.C. 24, à la page 36 (C.P.).

[6] [1974] R.C.S. 875, à la page 877.

[7] [1992] 1 R.C.S. 3, aux pages 76 et 77.

[8] [1996] 1 C.F. 644, à la page 653 (C.A.), le juge Robertson.

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