Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19981203

Dossiers: 97-1803-UI; 97-1804-UI; 97-1805-UI

ENTRE :

NORMAND BERTHIAUME,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]            Ces appels ont été entendus sur preuve commune. L'appelant en appelle des décisions du ministre du Revenu national (le "Ministre"), voulant que pour les périodes du 14 décembre 1992 au 12 février 1993, du 5 juillet au 8 octobre 1993, du 9 mai au 29 juillet 1994, du 5 septembre au 28 octobre 1994, du 9 janvier au 3 mars 1995, du 26 juin au 29 septembre 1995 et du 13 mai au 30 août 1996, il n'ait pas exercé un emploi assurable au sens de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage et l'alinéa 5(2)i) et le paragraphe 5(3) de la Loi sur l'assurance-emploi (la "Loi").

[2]            Pour rendre sa décision dans l'appel portant le numéro 97-1803(UI), le Ministre s'est fondé sur les faits décrits au paragraphe 9 de la Réponse à l'avis d'appel (la "Réponse") comme suit :

a)              Le payeur a été constitué en corporation le 1er mai 1990 sous le nom de "Ferme Normand Berthiaume & Fils" et le 25 mars 1994, la dénomination sociale du payeur fut changée pour "Lait Porc M.C. Inc.".

b)             L'appelant a exploité la ferme familiale sous son propre nom, soit "Ferme Normand Berthiaume" de 1955 jusqu'à la date de constitution.

c)              Au moment de la constitution du payeur, la répartition des actions comportant droit de vote se lisait ainsi :

                - L'appelant avec 60 pour-cent des actions

                - Mario Berthiaume avec 20 pour-cent des actions

                - Marco Berthiaume avec 20 pour-cent des actions.

                Mario et Marco sont les fils de l'appelant.

d)             Le 27 juillet 1990, l'appelant décidait de "passer le flambeau à ses fils" et il vendait les 60 pour-cent des actions qu'il détenait du payeur.

e)              Une convention fut signée entre l'appelant et ses 3 fils et la nouvelle répartition des actions votantes du payeur se lisait ainsi :

                - Cécilien avec 12,000 actions ou 33 1/3 pour-cent

                - Mario avec 12,000 actions ou 33 1/3 pour-cent

                - Marco avec 12,000 actions ou 33 1/3 pour-cent.

f)              À la même date, soit le 27 juillet 1997, 14,000 actions de catégorie "A" détenues par l'appelant furent transférées en actions de catégorie "C", actions non-votantes, toujours au nom de l'appelant.

g)             L'appelant vendait toutes ses actions au payeur (à ses fils) pour la somme de 400 000 $ (il évaluait la valeur de la ferme à au moins 1 000 000 $).

h)             Le 27 juillet 1990, le payeur versait 200 000 $ à l'appelant et s'engageait à racheter la totalité des actions de catégorie "C" qu'il détenait sur une période de 10 ans.

i)               La convention intervenue entre l'appelant et le payeur spécifiait que le payeur retenait les services de l'appelant pour une période de 10 ans à raison de 20 semaines consécutives par année et ce, débutant en 1991.

j)               La convention spécifiait que l'appelant recevrait une rémunération fixe de 9 884 $ par année pour les 10 prochaines années (494.20 $ par semaine).

k)              Le 16 avril 1991, les fils de l'appelant fondaient la compagnie "Porcs S.B. Inc.", dont les activités, situées sur un rang voisin à St-Elzéar, s'intégraient à celles de la ferme.

l)               Le 3 octobre 1994, les fils de l'appelant formèrent une 3ième entreprise sous la raison sociale de "Via Porc Inc." dont les activités, situées à St-Isidore, s'intégraient à celles de la ferme.

m)             Au cours des périodes en litige, l'appelant a complété ses 20 semaines de travail consécutives en étant rémunéré par le payeur mais aussi par les 2 autres entreprises de ses fils (entreprises liées).

n)             Depuis 1991, l'appelant a donc rendu des services aux diverses entreprises de ses fils, dont le payeur, afin de respecter la convention intervenue entre eux.

o)             L'appelant travaillait souvent seul et sans avoir à respecter d'horaire de travail.

p)             L'appelant recevait une rémunération fixe et ce, sans que le payeur n'exerce quelque forme de contrôle que ce soit sur son travail ou sur le nombre d'heures réellement travaillées.

q)             L'appelant était "rémunéré" à chaque semaine, pendant 20 semaines consécutives, par dépôt direct.

r)              L'appelant a vendu sa ferme à ses fils et les faits démontrent que le prétendu contrat d'embauche faisait parti intégrante du contrat de vente intervenu entre les parties.

[3]            Les Réponses dans les appels portant les numéros 97-1804(UI) et 97-1805(UI) ne donnent pas de motifs différents, sauf que les noms des employeurs varient ainsi qu'on peut le voir au paragraphe suivant. L'appelant avait un lien de dépendance avec chacun des employeurs.

[4]            Les paragraphes 22 et 22 A à 22 G de l'Avis d'appel décrivent ainsi les tâches de l'appelant :

22.            Les tâches effectuées par l'appelant, au cours de ces sept (7) périodes d'emploi, seront précisées ultérieurement ou lors de l'audition;

22A.         Pour la période du 14 décembre 1992 au 12 février 1993 (Ferme Normand Berthiaume & Fils Inc.), l'appelant a effectué, notamment, les tâches suivantes :

(du 14-12-92 au 31-12-92)

- Construction d'un bâtiment pour le petit lait :

Les tâches ont été de faire la footing, le solage, les murs et la toiture. La grandeur du bâtiment est de quinze (15) pieds de long par sept (7) pieds de large. Les tâches ont été supervisées par Cécilien, lequel a donné à l'appelant le plan et les endroits pour aller chercher les matériaux. L'appelant a exécuté les tâches, seul, de 8 h 00 a.m. à 6 h 00 p.m., soit environ quarante-cinq (45) heures par semaine;

- Déneigement et entretien de la machinerie :

(du 04-01-93 au 25-01-93)

- Réparation et réaménagement de la gestation no 90 :

Les tâches ont été de casser le ciment des auges à l'eau, démancher les vieilles cages de gestation (coupées avec torches et soudeuses), couler du ciment et ponter le dalot de l'écureur, assembler cinquante (50) cages de gestation et installer l'eau et l'entrée d'air. Les tâches ont été supervisées par Cécilien. L'appelant a été aidé de façon ponctuelle, par d'autres employés du payeur. Les semaines de travail de l'appelant étaient d'environ quarante-cinq (45) heures;

- Déneigement et entretien de la machinerie;

(du 25-01-93 au 12-02-93)

- Réparations dans la vacherie (agrandir les stalles et faire le bureau) :

Les tâches ont été de casser le ciment du plancher des vaches, installer une forme sur les dalots, démancher les stalles existantes et les déplacer, réinstaller la tuyauterie et les bols à l'eau, déplacer les animaux, couler le ciment, faire le plancher du bureau et les divisions dans la vacherie. Les tâches ont été supervisées par Mario et Marco, lesquels ont aidé l'appelant à exécuter lesdites tâches. Les semaines de travail de l'appelant étaient d'environ quarante-cinq (45) heures;

- Déneigement et entretien de la machinerie;

22B.         Pour la période du 5 juillet 1993 au 8 octobre 1993 (Porc S.B. Inc.), l'appelant a effectué, notamment, les tâches suivantes :

Durant cette période, le payeur a construit une porcherie de deux cent sept (207) pieds de long par quarante (40) pieds de large, une maternité de trente-six (36) pieds de large par soixante-deux (62) pieds de long et une chambre électrique de vingt (20) pieds par vingt (20) pieds. L'entrepreneur en construction Guy Turmel Inc. a exécuté la construction. L'appelant a travaillé comme manoeuvre avec l'entrepreneur. Il a excavé avec les tracteurs du payeur et il s'est occupé, entre autres, d'apporter les matériaux manquants. Pour une durée de deux (2) semaines, l'appelant a épandu du fumier pour le payeur. Le travail de l'appelant a été supervisé par Cécilien et l'entreprise Guy Turmel Inc.;

22C.         Pour la période du 9 mai 1994 au 29 juillet 1994 (Lait Porc M.C. Inc.), l'appelant a effectué, notamment, les tâches suivantes :

- Construction d'une section de maternité :

Les tâches de l'appelant ont consisté à casser du ciment dans la maternité existante, de remplir avec du gravier, de former les solages, d'installer les cages et les entrées d'air, de faire la plomberie, de faire des divisions, la peinture et l'excavation. L'appelant était accompagné d'un ouvrier du nom de Normand Lachance et des fils de ce dernier. Cécilien a supervisé les travaux. Les dimensions de ladite section de maternité est de quarante (40) pieds de large par quarante-cinq (45) pieds de long ainsi qu'un corridor de quatre (4) pieds de large par soixante-dix pieds de long;

22D.         Pour la période du 5 septembre 1994 au 28 octobre 1994 (Porc S.B. Inc.), l'appelant a effectué, notamment, les tâches suivantes :

Faire l'isolation de la plomberie des quatorze (14) chambres de mise-bas et de deux cent quarante (240) cages, installer des protections en vinyle près des cages, vider les citernes pour la saison hivernale, changer les fixtures de plusieurs fluorescents, laver les chambres de mise-bas, faire de la soudure dans la gestation. L'appelant était seul lors de l'exécution de ces tâches et c'est Cécilien qui les a supervisées;

22E.          Pour la période du 9 janvier 1995 au 3 mars 1995 (Via Porc Inc.), l'appelant a effectué, notamment, les tâches suivantes :

Le payeur a réparé sept (7) porcheries de deux cent (200) pieds par quarante (40) pieds. Les tâches ont consisté à casser le ciment, refaire les dalots, installer des prises d'air, peinturer les murs et les plafonds et laver et désinfecter les bâtisses. L'appelant a travaillé avec d'autres employés du payeur ainsi que le soudeur Jean-Pierre Nadeau et l'excavateur J.D. Sylvain. L'appelant agissait à titre de contremaître. Les tâches de l'appelant ont été supervisées par Cécilien;

22F.          Pour la période du 26 juin 1995 au 29 septembre 1995 (Lait Port M.C. Inc.), l'appelant a effectué, notamment, les tâches suivantes :

- Travaux habituels sur la ferme :

Pour les six (6) premières semaines, les tâches de l'appelant ont consisté à faire les deux (2) premières coupes de foin, l'épandage du fumier, l'entretien des clôtures, la maintenance dans les porcheries, le perçage de trou dans les murs pour l'installation de nouveaux ventilateurs, le lavage et la peinture des porcheries et l'ensilage de foin. Les tâches de l'appelant ont été supervisées par Cécilien, Mario et Marco;

- Construction d'une meunerie :

Pour les huit (8) dernières semaines, les tâches de l'appelant ont consisté à faire l'excavation, la footing, le solage, les murs, la toiture, les divisions, la construction de deux (2) bureaux, l'électricité et la peinture. L'appelant a travaillé avec Cécilien, Mario et Marco, avec d'autres employés du payeur ainsi qu'avec l'entrepreneur Guy Turmel Inc.;

22G.         Pour la période du 13 mai 1996 au 30 août 1996 (Lait Port M.C. Inc.), l'appelant a effectué, notamment, les tâches suivantes :

Couper une van de pitounes et une van de billots, faire les semences, l'épandage du purin, l'ensilage du foin, l'entretien et la réparation de la machinerie et des bâtiments, les deux (2) premières coupes de foin en balle et le labourage. Les tâches de l'appelant ont été supervisées par Cécilien, Mario et Marco;

[5]            Messieurs Cécilien Berthiaume, Gaétan Beaudry et l'appelant ont témoigné à la demande de l'avocat de ce dernier. Monsieur Bruno Arguin, agent des appels, a témoigné à la demande de l'avocate de l'intimé.

[6]            Les alinéas 9 b), 9 c), 9 h) à 9 j), 9 m), 9 n) et 9 r) ont été admis.

[7]            En ce qui concerne l'alinéa 9 a) de la Réponse, les lettres patentes ont été déposées comme pièce A-1. Elles sont en date du 11 décembre 1978. L'article 3.3 de la pièce A-2 fait état d'une compagnie constituée par statuts de continuation émis le 30 avril 1990 et enregistrés le 1er mai 1990. Ce qui peut expliquer l'énoncé de l'alinéa 9 a) de la Réponse.

[8]            L'alinéa 9 d) a été nié à cause du mot "vendait". Il aurait fallu lire "transférait à titre gratuit".

[9]            L'alinéa 9 e) a été nié à cause des mots "une convention fut signée". Toutefois, il est admis que la répartition des actions décrites à cet alinéa représente bien le résultat des transferts d'actions.

[10]          L'alinéa 9 f) a été nié pour l'usage du mot "transférées" il aurait fallu y lire "converties".

[11]          L'alinéa 9 g) a été nié. Il aurait fallu lire que les actions de catégorie "C" devaient être rachetées sur une période de dix ans pour une somme de 405 249 $. L'alinéa suivant a été admis. Cet alinéa pourrait être complété en ajoutant les mots "au montant de 405 249 $" après les mots "s'engageait à racheter".

[12]          Les alinéas 9 k) et 9 l) ont été niés tel que rédigés parce que dans le premier cas, ce sont les épouses de Cécilien et de Mario qui sont les actionnaires de Porc S.B. Inc., et dans le deuxième cas, parce que les deux frères avaient fait l'acquisition d'une entreprise existante mais qui était en faillite.

[13]          L'entreprise a été commencée par l'appelant en 1955. En 1979, l'entreprise a commencé à agir sous le mode corporatif. L'appelant avait 60 pour-cent des actions et Cécilien et Mario 20 pour-cent chacun. Les deux fils avaient alors 22 et 20 ans. Marco en avait 15. En 1990, l'appelant a transféré l'entreprise agricole, ferme laitière et porcine ainsi qu'une érablière, aux trois fils ci-avant nommés. Il y a eu des donations d'actions par l'appelant à ses fils, et par Cécilien et Mario à Marco, (pièces A-2 et A-3).

[14]          L'entente la plus importante relativement au présent litige est la pièce A-4. Cette entente en date du 27 juillet 1990, entre l'appelant et ses trois fils, prévoyait l'engagement de l'appelant pour 20 semaines pendant 10 ans à un salaire annuel de 9 884 $, le rachat des actions de catégorie "C" détenues par l'appelant sur une période de 10 ans pour un montant global de 182 000 $ et le versement d'un dividende cumulatif de sept pour-cent sur le solde des actions de catégorie "C". Advenant le défaut de respecter l'un des trois engagements, tout montant impayé deviendra une créance portant un intérêt au taux de dix pour-cent l'an.

[15]          En garantie de l'exécution des engagements ci-avant décrits, il y a le cautionnement personnel des fils, une prohibition d'aliéner les actions détenues dans la compagnie et une clause de garanties accessoires prévoyant qu'aucune modification importante dans le capital-actions ni à l'égard des actifs de l'entreprise ne seront apportées sans le consentement préalable de l'appelant.

[16]          Les clauses 1.1, 1.2 et 1.3 décrivent les modalités de l'emploi de l'appelant :

1.1 - Engagement

                La compagnie Ferme Normand Berthiaume & Fils Inc., retient, par les présentes, les services et engage monsieur Normand Berthiaume avec pour fonctions celles qui lui ont été attribuées antérieurement, lesquelles sont bien connues des parties et pourront être précisées de temps à autre par le conseil d'administration de Ferme Normand Berthiaume & Fils Inc.

1.2 - Durée de l'engagement

                Le présent contrat d'emploi est d'une durée de vingt (20) semaines consécutives par année, et ce, pendant une période de dix (10) années, commençant en mil neuf cent quatre-vingt-onze (1991).

                Lesdites vingt (20) semaines consécutives travaillées par monsieur Normand Berthiaume devront l'être pendant la période intensive d'activité de la compagnie et seront déterminées plus précisément à l'amiable entre les parties, d'année en année.

1.3 - Salaire

                En considération des services à rendre par ledit Normand Berthiaume, Ferme Normand Berthiaume & Fils Inc. s'engage à lui verser à chaque année un salaire de neuf mille huit cent quatre-vingt-quatre dollars (9 884 $) pendant ladite période des vingt (20) semaines consécutives où il sera à l'emploi de la compagnie.

[17]          Monsieur Cécilien Berthiaume est le président et le directeur des entreprises agricoles dont il est mention dans ces appels.

[18]          Monsieur Cécilien Berthiaume décrit le travail de l'appelant comme celui d'un manoeuvre ou homme à tout faire qui est expérimenté et à qui on n'a pas à donner beaucoup d'instructions. Il dit que l'entente n'a pas été respectée à la lettre et qu'ainsi certaines années il y a eu 19, ou 20, ou 22 semaines de travail. Le témoin s'est référé à la description des travaux faite aux paragraphes 22 A à 22 G de l'avis d'appel. Ces descriptions ont été préparées par lui et ses deux frères à la demande de leur avocat. Il n'y a eu aucun document qui est venu étayer ces descriptions des tâches supposément accomplies par l'appelant. Il faut se rappeler qu'en 1992, l'appelant avait 58 ans. Le salaire hebdomadaire était de 450 $. Le nombre d'heures : 45.

[19]          Le 10 mai 1994, Ferme Normand Berthiaume et Fils a acheté un véhicule de modèle Ranger 4X4 Ford de l'année 1987, pour l'usage quotidien de l'appelant, au coût de 8 515,85 $ (pièce I-3). Monsieur Cécilien Berthiaume explique l'achat en disant qu'il n'y a pas une journée où l'entreprise n'a pas besoin d'un outil et que l'appelant utilisait notamment le véhicule à cette fin pour l'entreprise.

[20]          Monsieur Gaétan Beaudry est un comptable pour la fédération de l'UPA de la Beauce. Il y est directeur de la fiscalité. Il a expliqué la nature des ententes intervenues entre l'appelant et ses fils en 1990. Il a aussi fait le constat que l'entreprise agricole dirigée et exploitée par les fils de l'appelant était un modèle dans la région de la Beauce.

[21]          L'appelant a expliqué qu'il avait cédé son entreprise agricole en 1990 à l'âge de 56 ans. Il est né en 1934. Il se dit en bonne santé, ce qui semble véridique si l'on se fie à son aspect physique. Il dit qu'il travaille sur les projets de construction. Au début, il mentionne deux semaines, ensuite il mentionne six à huit semaines. Il participe aussi aux travaux généraux de la ferme. Il fait de l'entretien des bâtiments avec Cécilien ou Mario ou avec des employés de la ferme. Il travaille quand ses fils lui téléphonent. La description de ses différentes périodes d'emploi est vague et donne l'impression d'une occupation à l'année longue selon la demande de ses enfants ou pour leur prêter un petit coup de main. Sa déclaration statutaire en date du 30 octobre 1996 a été produite comme pièce I-4. Il dit notamment ceci :

... J'ai donc vendu mes 60 % d'actions pour 400 000 $. Mes trois fils ont formé une nouvelle compagnie, Mario, Cécilien et Marco ont acheté mes parts 60 % pour 400 000 $. Les gars m'ont versé 200 000 $ et pour les aider, je leur ai cédé mes actions graduellement. En effet, l'autre 200 000 $ m'est versé à raison de 20 000 $ par année plus intérêt jusqu'à l'an 2 000 c'était donc un bail de 10 ans. Lorsque j'ai vendu à mes fils, la ferme valait au moins 1 000 000 $ et elle était endettée de 150 000 $. Cependant je voulais leur donner une chance et je leur ai vendu 400 000 $. Lorsque j'ai vendu je n'avais pas d'entente avec mes fils pour qu'ils m'embauchent. Lorsqu'ils m'embauchent, c'est qu'il y a du travail. ... Je pouvais choisir mes horaires de travail et mes fils ne contrôlaient pas mes heures. Ils avaient confiance en moi. De plus, il y a 3 ans, la ferme Lait Port et moi avons acheté conjointement un pick-up Ford. ... J'utilise ce véhicule à tous les jours pour mes déplacements. ...

[22]          L'appelant, lors de sa déclaration statutaire, a dit qu'il ne se souvenait pas qu'il avait signé une entente avec ses fils au sujet d'un emploi.

[23]          Monsieur Bruno Arguin est agent des appels pour Revenu Canada. Il explique qu'en date du 31 décembre 1996, une décision avait été rendue par un agent d'assurance à Revenu Canada portant que les emplois n'étaient pas assurables. L'appelant en a appelé au Ministre par l'intermédiaire de son avocat. Ce dernier écrivait notamment ceci dans sa lettre au Ministre en date du 12 mars 1997 (pièce I-5) :

Compte tenu que monsieur Berthiaume ainsi que ses employeurs ont déjà collaboré avec divers fonctionnaires de Revenu Canada et du Développement des Ressources Humaines du Canada dans le dossier en titre, transmettant, entre autres, une panoplie de documents et répondant, notamment, à différentes questions (dont les réponses ont d'ailleurs été mal rapportées) et compte tenu que ce n'est pas la première fois, au cours des dernières années, qu'ils se soumettent à toute cette "parade" pour déterminer l'assurabilité de l'emploi de monsieur Berthiaume, AUCUNE ENTREVUE NE SERA ACCORDÉE À REVENU CANADA PAR MONSIEUR BERTHIAUME ET SES EMPLOYEURS.

Monsieur Berthiaume et ses employeurs sont, néanmoins, disposés à répondre à un questionnaire écrit.

Dès que le dossier sera attribué à un agent des appels, nous apprécierions que ce dernier nous contacte afin qu'il y ait un dénouement rapide du dossier.

[24]          Monsieur Arguin a relaté qu'il avait téléphoné à l'avocat pour lui dire qu'il voulait procéder à son enquête, soit par entrevues ou soit par conférences téléphoniques et que l'avocat pouvait être présent mais qu'il ne considérait pas qu'il s'agissait d'un cas où il désirait procéder par questionnaire écrit. Le 5 juin 1997, (pièce I-6), monsieur Arguin a répondu en substance que si l'appelant et ses employeurs ne voulaient pas se soumettre au genre d'enquête que lui considérait comme adéquate, il rendrait cette décision à partir des documents et des rapports en sa possession. Il donnait cependant une possibilité à l'avocat de permettre l'enquête souhaitée. Comme rien ne s'est passé du côté de l'appelant et de ses employeurs, les décisions du Ministre ont été rendues le 17 juillet 1997. C'est de ces décisions dont il y a appel.

[25]          Monsieur Arguin a déterminé que vu l'entente constatée par la pièce A-4, stipulant l'obligation d'embaucher l'appelant 20 semaines par année pour une période de 10 ans pour un salaire prédéterminé, vu qu'il n'y avait pas d'éléments pour déterminer la nature et l'importance du travail et vu l'usage du véhicule à l'année longue mis à la disposition de l'appelant par l'entreprise agricole, que l'emploi était exclu en vertu de l'alinéa 3(2)c) de la Loi.

[26]          L'avocat de l'appelant fait valoir surtout que le pouvoir discrétionnaire du Ministre n'a pas été judicieusement exercé vu l'absence d'enquête de la part de l'agent du Ministre. Il fait valoir aussi que, dans les faits pris en compte par le Ministre, plusieurs ne se sont pas révélés exacts. Il fait valoir que les faits révélés par la preuve ne peuvent qu'amener à conclure qu'une entente similaire aurait été passée avec une personne n'ayant pas un lien de dépendance avec l'employeur.

[27]          L'avocate de l'intimé fait valoir que la personne faisant appel au Ministre ne peut dicter à l'agent d'enquête la façon de conduire son enquête. Elle fait valoir que lors de sa déclaration statutaire l'appelant ne s'est pas souvenu de l'entente prévoyant son embauche sur une période de dix ans. Elle fait aussi valoir que les faits sur lesquels le Ministre s'est fondé pour rendre sa décision se sont révélés substantiellement vrais.

[28]          L'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage se lit comme suit (l'alinéa 5(2)i) et le paragraphe 5(3) de la Loi sur l'assurance-emploi sont similaires) :

3.(2) Les emplois exclus sont les suivants :

                                ...

c)              sous réserve de l'alinéa d), tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :

(i)             la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,

(ii)            l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance;

[29]          Tel que mentionné au sous-alinéa 3(2)c)(i) de la Loi, la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminé en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu. Les paragraphes 251(1) et 251(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu définissent ce qu'il faut entendre par cette expression. Ils se lisent comme suit :

251(1) Lien de dépendance — Pour l'application de la présente loi :

a)             des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

b)             la question de savoir si des personnes non liées entre elles n'avaient aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

251(2) Définition de "personnes liées" — Pour l'application de la présente loi, sont des "personnes liées" ou des personnes liées entre elles :

a)             des particuliers unis par les liens du sang, du mariage ou de l'adoption;

b)             une société et :

(i)             une personne qui contrôle la société si cette dernière est contrôlée par une personne,

(ii)            une personne qui est membre d'un groupe lié qui contrôle la société,

(iii)           toute personne liée à une personne visée au sous-alinéa (i) ou (ii);

c) deux sociétés :

(i)             si elles sont contrôlées par la même personne ou le même groupe de personnes,

(ii)            si chacune des sociétés est contrôlée par une personne et si la personne contrôlant l'une des sociétés est liée à la personne qui contrôle l'autre société,

(iii)           si l'une des sociétés est contrôlée par une personne et si cette personne est liée à un membre d'un groupe lié qui contrôle l'autre société,

(iv)           si l'une des sociétés est contrôlée par une personne et si cette personne est liée à chaque membre d'un groupe non lié qui contrôle l'autre société,

(v)            si l'un des membres d'un groupe lié contrôlant une des sociétés est lié à chaque membre d'un groupe non lié qui contrôle l'autre société,

(vi)           si chaque membre d'un groupe non lié contrôlant une des sociétés est lié à au moins un membre d'un groupe non lié qui contrôle l'autre société.

[30]          L'appelant est une personne liée aux sociétés qui l'ont supposément employé en vertu du sous-alinéa 251 (2)b)(iii) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Donc, il y a application des dispositions de la Loi concernant l'exclusion des emplois entre personnes liées.

[31]          Selon la décision de la Cour d'appel fédérale dans Canada c. Jencan Ltd. (1997) 215 N.R. 352, le rôle de notre Cour à l'égard du pouvoir discrétionnaire exercé par le Ministre sous l'autorité du sous-alinéa 3(2)c)ii) de la Loi est un rôle de contrôle de la légalité de la décision prise dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Ce contrôle doit être exercé avec la retenue judiciaire requise. Je cite aux pages 17 et 23 de la version française :

... La Cour de l'impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) - en examinant le bien-fondé de cette dernière - lorsqu'il est établi, selon le cas, que le ministre : (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent.

...

... En d'autres termes, ce n'est que lorsque la décision du ministre n'est pas raisonnablement fondée sur la preuve que l'intervention de la Cour de l'impôt est justifiée. Une hypothèse de fait qui est réfutée au procès peut, mais pas nécessairement, constituer un défaut qui fait que la décision du ministre est contraire à la loi. Tout dépend de la force ou de la faiblesse des autres éléments de preuve. La Cour de l'impôt doit donc aller plus loin et se demander si, sans les hypothèses de fait qui ont été réfutées, il reste suffisamment d'éléments de preuve pour justifier la décision du ministre. Si la réponse à cette question est affirmative, l'enquête est close. Mais, si la réponse est négative, la décision est alors contraire à la loi et ce n'est qu'alors que la Cour de l'impôt est justifiée de procéder à sa propre appréciation de la prépondérance des probabilités. Le juge Hugessen l'a expliqué tout récemment dans l'arrêt Jolyn Sports, précité. À la page 4 de ses motifs du jugement, il déclare en effet :

Dans tout appel interjeté en vertu de l'article 70, les conclusions de fait du ministre, ou ses "présuppositions", seront énoncées en détail dans la réponse à l'Avis d'appel. Si le juge de la Cour de l'impôt qui, contrairement au ministre, se trouve dans une situation privilégiée pour apprécier la crédibilité des témoins qu'il a vus et entendus, parvient à la conclusion que certaines ou la totalité de ces présuppositions de fait étaient erronées, il devra déterminer si le ministre pouvait légalement tirer la conclusion qu'il a tirée en se fondant sur les faits établis en preuve.

[32]          L'avocat de l'appelant, ou un appelant, peut-il dicter à l'agent du Ministre chargé de l'enquête au niveau des appels, le mode d'enquête que celui-ci doit utiliser? Je crois que de poser la question amène déjà la réponse. L'avocat de l'appelant désirait connaître la position de la Cour à ce sujet. Habituellement, la Cour ne se prononce que s'il y a eu un débat judiciaire sur une question. Dans ce cas-ci, la réponse me paraît tellement évidente que je vais la donner. L'agent du Ministre au niveau des appels doit rendre une décision après s'être formé une opinion sur le litige. Il a un rôle quasi-judiciaire. Mais qu'un agent du Ministre agisse dans un rôle quasi-judiciaire ou dans un rôle d'inspection, c'est à lui de déterminer la meilleure façon d'en arriver à connaître la vérité dans les normes de ce qui est raisonnable. Il me semble évident qu'une rencontre avec les appelants ou au moins une conversation téléphonique avec eux est nécessaire pour lui permettre d'évaluer les motifs d'appel et permettre aux appelants d'être entendus. Même une conversation téléphonique ne paraît pas toujours suffisante aux appelants pour exprimer la totalité de leur point de vue. Il se peut toutefois que ce mode soit acceptable pour les fins d'efficacité. Mais sûrement, il n'y a aucune obligation pour l'agent des appels de procéder par questionnaire écrit s'il juge que ce n'est pas ainsi qu'il obtiendra la meilleure lumière sur un dossier. Je suis d'avis que l'appelant, vu son manque de collaboration, ne peut se plaindre de l'absence d'enquête. Mais, de toute façon, je suis d'avis que le Ministre avait suffisamment d'information pour rendre sa décision.

[33]          L'alinéa 3(2)c) de la Loi s'applique aux situations contractuelles entre personnes liées et amène à analyser les conditions de travail des travailleurs pour déterminer s'il s'agit d'emplois qui se retrouveraient normalement dans le marché du travail. La Loi n'empêche pas qu'un employeur retienne les services d'une personne liée plutôt que ceux d'un étranger, mais il faut que les conditions de l'emploi soient à peu près identiques à celles qui auraient été négociées avec un étranger.

[34]          À mon avis, la preuve n'a pas révélé que les conditions d'emploi de l'appelant étaient des conditions normales d'un employé. La description des travaux a été préparée par le président de l'entreprise avec l'aide de ses frères. L'appelant lui-même avait beaucoup de difficultés à se remémorer les différents travaux faits. Quand l'appelant décrit le travail qu'il fait pour l'entreprise, c'est une suite de petits travaux pour rendre service et pour s'occuper. Je ne doute pas qu'il soit utile à l'entreprise agricole mais il l'est aux heures qui lui conviennent. Les travaux décrits dans l'avis d'appel sont des travaux d'un jeune manoeuvre. L'appelant est en bonne santé mais il n'est tout de même pas un jeune manoeuvre. De plus son état d'ancien propriétaire et de père des dirigeants actuels fait qu'il n'est pas possible de croire qu'il ait exécuté sous leurs ordres et pour des heures prolongées les travaux décrits à l'Avis d'appel et qui sont reproduits au paragraphe 4 de ces motifs. De plus, l'engagement, la durée de son engagement et la rémunération de l'appelant étaient en fonction d'une entente passée entre lui et les dirigeants des entreprises et qui les liait pour dix années consécutives. Une telle entente ne peut que semer un fort doute sur l'authenticité de la relation d'emploi. Un autre élément qui s'ajoute au doute est la mise à la disposition personnelle de l'appelant, par l'entreprise agricole, à l'année longue, d'un véhicule automobile appartenant à l'entreprise.

[35]          Je suis de plus d'avis, selon la preuve présentée, que les faits sur lesquels le Ministre s'est fondé pour rendre sa décision en vertu de l'alinéa 3(2)c) de la Loi, se sont révélés substantiellement vrais. Les erreurs relevées au cours de la preuve sont minimes et souvent dues aux faits rapportés par l'appelant ou les membres de sa famille. De plus, ces erreurs n'ont pas de portée essentielle sur l'authenticité de la relation d'emploi.

[36]          Je conclus que le Ministre a exercé sa discrétion de façon raisonnable quand il a décidé, compte tenu de toutes les circonstances, notamment les modalités d'emploi, la durée et la nature du travail ainsi que la rémunération, que les parties n'auraient pas conclu entre elles un tel contrat s'il n'y avait eu entre elles un lien de dépendance. L'appel est en conséquence rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de décembre, 1998.

"Louise Lamarre Proulx"

J.C.C.I.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.