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Date: 19971003

Dossier: 95-571-UI

ENTRE :

RENÉE GENDRON,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Prévost, C.C.I.

[1]            Cet appel a été entendu à Rivière-du-Loup (Québec), le 17 septembre 1997.

[2]            Il s'agit d'un appel d'une décision du ministre du Revenu national (le "Ministre"), en date du 14 décembre 1994, déterminant que l'emploi de l'appelante chez Véronique Gendron, propriétaire de Antonio Gendron Enr., la payeuse, du 31 juillet au 20 novembre 1992 et du 10 janvier au 26 mars 1994, n'était pas assurable pour les raisons suivantes : "C'était un emploi où l'employée et l'employeur avaient entre eux un lien de dépendance et, de plus, cet emploi n'était pas exercé en vertu d'un contrat de louage de services."

[3]            Le paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel se lit ainsi :

"5.            En rendant sa décision, l'intimé, le ministre du Revenu national, s'est basé, inter alia, sur les faits suivants :

a)              La payeuse exploite une entreprise de location et d'opération de distributrices automatiques; elle possède 50 distributrices de barbotines (slush) qu'elle exploite à l'année avec une période active se situant entre les mois d'avril et septembre. (A)

b)             La payeuse a hérité de l'entreprise à la mort de son époux et elle est la seule et unique propriétaire de l'entreprise qu'elle a continué d'exploiter sous la raison sociale de "Antonio Gendron Enr.".(A)

c)              La payeuse n'emploie que 2 employées à temps partiel : l'appelante, fille de la payeuse, et Manon Turgeon qui effectue la livraison de la marchandise.(A)

d)             L'appelante rend des services à la payeuse (antérieurement à son père) depuis 1985 ou 1986 et la payeuse résume ses tâches ainsi durant les périodes en litige : (A)

-En 1992:                - Elle devait faire de la sollicitation auprès des clients pour faire connaître un nouveau produit, la limonade Thelma.

                - Elle devait préparer différents programmes pour les propriétaires, co-propriétaires ou locataires des distributrices.

- Elle devait effectuer les statistiques de ventes de l'hiver 1991 et de l'été 1992.

-En 1994 :                - Elle devait effectuer les statistiques de l'été 1993.

                                - Elle devait refaire le contrat des clients.

                - Elle devait effectuer de la promotion avec l'aide de la mascotte de "Slush Puppuies".

                - Elle devait préparer une carte territoriale des clients et préparer le programme de l'été 1994.

                - Elle devait contacter les clients en prévision de l'été 1994.

e)              L'appelante travaillait surtout dans un bureau aménagé au sous-sol de sa résidence et allait occasionnellement sur la route. (N)

f)              La payeuse a mentionné qu'elle fournissait un ordinateur à l'appelante pour effectuer son travail; elle a précisé qu'elle reprenait l'ordinateur entre les périodes de travail de l'appelante (alors que cette dernière a mentionné qu'elle le conservait en permanence). (N)

g)             L'appelante déterminait elle-même son horaire de travail et elle n'avait pas à noter ses heures de travail. (N)

h)             La payeuse a précisé que l'appelante faisait 35 heures par semaine en 1992 et 25 heures par semaine en 1994 alors que l'appelante a mentionné qu'elle faisait entre 20 et 25 heures par semaine en 1992 et entre 15 et 20 heures en 1994. (N)

i)               L'appelante recevait une rémunération de 10 $ de l'heure; ce qui ne correspond pas aux relevés d'emploi émis au nom de l'appelante (et contradictoire en fonction des heures travaillées selon la version de la payeuse ou celle de l'appelante). (N)

j)               La payeuse demandait souvent à l'appelante d'attendre pour encaisser ses chèques de paye car elle n'avait pas les fonds nécessaires; l'examen des chèques encaissés confirme que l'appelante les encaissait avec entre 2 à 6 mois de retard en 1992. (N)

k)              En 1992, l'appelante avait ses 2 jeunes enfants, âgés de 2 et 4 ans, à la maison sans avoir de gardienne, en 1994, elle aurait eu une gardienne. (N)

l)               La payeuse a mentionné qu'en 1994 l'appelante travaillait également pour un autre employeur durant la période en litige. L'appelante a précisé qu'elle travaillait depuis 1990 pour le ministère de la Chasse et de la Pêche, du lundi au jeudi entre 8 h et 16 h. (A)

m)             L'appelante travaillait seule, sans la présence de la payeuse qui n'avait pas à dicter le travail de l'appelante; en fait, la payeuse n'était intéressée que par le produit final du travail de l'appelante. (N)

n)             L'appelante est la fille de la payeuse et elles sont donc liées au sens de l'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu. (A)

o)             N'eût été du lien unissant l'appelante à la payeuse, celle-ci n'aurait pas été engagée pour effectuer un tel travail. (N)

p)             D'ailleurs, la payeuse n'aurait jamais engagé une personne non liée à des conditions à peu près semblables à celles offertes à l'appelante. (N)

q)             Au cours de la période en litige, il n'existait pas de véritable contrat de louage de services, d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal entre l'appelante et la payeuse. (N)"

[4]            Dans le texte qui précède de la Réponse à l'avis d'appel, la Cour a indiqué ainsi, entre parenthèses, après chaque sous-paragraphe les commentaires du procureur de l'appelante à l'ouverture de l'audience :

                (A)=                         admis

                (N)=                         nié

La preuve de l'appelante

Selon son témoignage :

[5]            Elle avait un territoire dans la région de Québec et elle contrôlait ainsi les ventes de la payeuse jusqu'à Edmundston vers le sud et jusqu'à Rimouski vers l'est.

[6]            Si elle a admis les tâches décrites au sous-paragraphe d) de la Réponse à l'avis d'appel, elle s'occupait cependant en plus de placer les machines distributrices, de vérifier si celles-ci étaient rentables et de s'assurer que les propriétaires de dépanneurs achetaient bien les produits de la payeuse.

[7]            Elle travaillait généralement dans le sous-sol de la maison de sa mère où le commerce était dirigé.

[8]            Un dépliant publicitaire (pièce A-1) montre bien le produit "Slush Puppie" qu'elle commercialisait.

[9]            Deux photos (pièce A-2) font voir l'extérieur de la maison de sa mère avec le camion de la payeuse et le sous-sol où elle travaillait.

[10]          Elle ne recevait pas de clients chez sa mère, mais allait plutôt les rencontrer sur la route.

[11]          Elle habitait à moins d'un kilomètre de chez sa mère où le bureau du sous-sol était spécialement aménagé pour le travail à effectuer : l'ordinateur s'y trouvait en permanence et tous les instruments de travail appartenaient bien à sa mère.

[12]          Il pouvait lui arriver de terminer un travail à sa propre résidence le soir, mais c'était très rare cependant.

[13]          Au cours de la première période en litige, elle travaillait de 8 h 30 à 16 h 30 sauf évidemment son heure de dîner et elle faisait ainsi 35 heures par semaine pour un salaire hebdomadaire de 350 $.

[14]          Des semaines elle faisait plus d'heures et d'autres moins, mais la moyenne de sa prestation de travail était bien de 35 heures.

[15]          Elle a négligé à l'occasion d'encaisser ses chèques de paie (pièces A-3 et A-4) sur réception et à l'occasion aussi sa mère lui a demandé de retarder leur encaissement dans l'attente d'entrées de fonds.

[16]          Elle savait cependant qu'elle serait payée et elle l'a d'ailleurs très bien toujours été.

[17]          Dans le bureau chez sa mère, elle passait 70 à 75 % de son temps, le reste de son travail se faisant sur la route.

[18]          Sa mère habitait en haut du bureau et elle était à même de la surveiller et elle le faisait régulièrement en plus de lui donner ses directives.

[19]          Son père est décédé en 1990 mais fort heureusement sa mère connaissait un peu la "business".

[20]          En 1992 elle avait un enfant mais elle le faisait garder dans une maison privée pour aller travailler chez sa mère.

[21]          En 1994, lorsqu'elle oeuvrait aussi au ministère de la Chasse et de la Pêche, elle réussissait quand même à faire ses 25 heures de travail pour la payeuse.

[22]          En effet, le vendredi elle ne travaillait pas au ministère et après son travail à cet endroit les autres jours de la semaine elle se rendait directement au bureau chez sa mère : le midi elle en profitait également pour aller voir les clients de la payeuse sur la route.

[23]          Elle n'a aucune implication financière dans la payeuse.

[24]          En 1993 elle n'a pas travaillé pour sa mère car elle était en congé de maternité.

[25]          La payeuse l'a remplacée elle-même mais elle ne faisait alors de la sollicitation que par téléphone.

[26]          Sa mère la contrôlait bien en lui donnant une liste de clients à aller rencontrer et en exigeant un rapport ensuite.

[27]          Elle a bien elle aussi un ordinateur à sa maison, mais il n'est pas équipé d'une imprimante cependant.

[28]          Ses relevés d'emploi (pièce I-1) indiquent bien qu'elle a gagné 350 $ par semaine en 1992 et 249,60 $ en 1994.

[29]          Sur la route il est difficile d'avoir un horaire régulier, mais elle faisait bien quand même toutes les heures de travail pour lesquelles elle était payée.

[30]          Elle n'a jamais rencontré l'agente des appels, Rita Bolduc, et elle lui a parlé au téléphone seulement.

[31]          L'intimé ne fait entendre aucun témoin.

Les plaidoiries

Selon le procureur de l'appelante :

[32]          L'emploi de sa cliente était exclu de par la Loi, mais le Ministre aurait dû le ré-inclure et il a eu tort de ne pas le faire.

[33]          Le sous-paragraphe e) précité est faux, la preuve étant à l'effet que l'appelante travaillait régulièrement au commerce de la payeuse ou bien sur la route.

[34]          Le sous-paragraphe f) est aussi faux, la preuve ayant démontré que l'ordinateur de la payeuse demeurait en permanence à son bureau et que celui de l'appelante qui était chez elle n'avait même pas d'imprimante.

[35]          Eu égard au sous-paragraphe g), l'appelante avait bien un horaire de travail hebdomadaire à respecter.

[36]          Son salaire était très raisonnable pour le travail qu'elle faisait.

[37]          Il y eut, il est vrai, des retards demandés par la payeuse pour l'encaissement des chèques de paie de l'appelante, mais ses salaires lui ont complètement été payés et elle n'a pas en conséquence subi de pertes.

[38]          En ce qui concerne le sous-paragraphe m), la preuve est à l'effet que la payeuse surveillait l'appelante régulièrement au bureau en plus de lui donner ses directives.

[39]          Elle est aussi à l'effet que sa mère contrôlait l'appelante en lui donnant une liste de clients à aller voir et en exigeant un rapport par après.

[40]          Une autre personne aurait dû être engagée si sa cliente n'avait pas été là et disponible à la fois.

[41]          Elle n'avait aucun risque de perte et était bien intégrée à l'entreprise.

Selon le procureur de l'intimé :

[42]          Dans le cadre de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage, le Ministre a un pouvoir discrétionnaire et dans l'affaire Ferme Émile Richard et Fils Inc. c. M.R.N. (A-172-94), l'honorable juge Décary a écrit pour la Cour d'appel fédérale (page 3) :

"Ainsi que cette Cour l'a rappelé récemment dans Tignish Auto Parts Inc. c. ministre du Revenu national, ((25 juillet 1994), A-555-93, C.A.F. ...), l'appel devant la Cour canadienne de l'impôt, lorsqu'il s'agit de l'application du sous-alinéa 3(2)c)(ii), n'est pas un appel au sens strict de ce mot et s'apparente plutôt à une demande de contrôle judiciaire. La Cour, en d'autres termes, n'a pas à se demander si la décision du Ministre est la bonne; elle doit plutôt se demander si la décision du Ministre résulte d'un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire. Ce n'est que si la Cour en arrive à la conclusion que le Ministre a fait un usage inapproprié de sa discrétion, que le débat devant elle se transforme en un appel de novo et que la Cour est habilitée à décider si, compte tenu de toutes les circonstances, un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu entre l'employeur et l'employé s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance."

[43]          Le Ministre n'a pas fait un usage inapproprié de sa discrétion et la Cour n'a en conséquence pas à intervenir.

[44]          Il y a des retards considérables dans l'encaissement des chèques de paie et c'est un élément important à considérer.

[45]          L'appelante n'avait pas un horaire fixe à suivre; elle avait un nombre d'heures à faire et c'est tout.

Le délibéré

[46]          Le Ministre a pris pour acquis que l'appelante travaillait surtout dans un bureau aménagé au sous-sol de sa résidence à elle, ce qui n'est pas le cas du tout car elle travaillait plutôt dans le bureau du commerce situé au sous-sol de la résidence de sa mère.

[47]          Elle apportait peut-être à l'occasion un peu de travail chez elle, mais il n'est pas contredit que cela arrivait très rarement et seulement pour terminer un travail débuté au bureau.

[48]          L'intimé a aussi pris pour acquis que la payeuse fournissait son ordinateur à l'appelante pour travailler chez elle, ce qui est faux suivant la preuve non contredite car l'ordinateur de la payeuse était toujours à son bureau dans le sous-sol de sa résidence alors que l'appelante avait aussi son propre ordinateur sans imprimante toutefois chez elle.

[49]          L'appelante est la seule à témoigner et elle affirme qu'elle avait un horaire hebdomadaire à respecter et le Ministre n'en a pas tenu compte.

[50]          L'intimé a cru que l'appelante avait déjà mentionné qu'elle faisait entre 20 et 25 heures par semaine en 1992 et entre 15 et 20 heures en 1994, mais ce n'est pas du tout ce qu'elle dit sous serment à l'audience.

[51]          Les relevés d'emploi (pièce I-1) font bien voir que l'appelante faisait 350 $ par semaine en 1992 et 249,60 $ en 1994 et c'est à tort que le Ministre écrit que cela ne concorde pas avec les versions de l'appelante et de sa mère.

[52]          Le retard dans l'encaissement des chèques de paie de l'appelante n'est pas très très régulier, il est vrai, mais il faut examiner l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties et en faisant cet exercice la Cour est d'avis qu'elle doit intervenir.

[53]          Suivant la preuve, en 1992 l'appelante avait un seul enfant et elle le faisait garder dans une maison privée alors que le Ministre a cru qu'elle avait alors deux enfants à la maison sans avoir de gardienne.

[54]          L'appelante admet volontiers qu'en 1994 elle a travaillé pour le ministère de la Chasse et de la Pêche, mais elle explique très bien comment elle arrivait à faire quand même ses 25 heures de travail pour le compte de la payeuse.

[55]          Suivant son témoignage que la Cour croit entièrement, l'appelante était surveillée et contrôlée par sa mère qui lui donnait ses directives dont une liste de clients à aller voir et qui lui demandait un rapport de ses démarches par après.

[56]          Le salaire à 10 $ l'heure paraît très raisonnable pour le travail accompli.

[57]          Si l'appelante n'avait pas été là, la payeuse aurait certes dû engager une autre personne pour la remplacer.

[58]          Tous les instruments de travail appartenaient bien à la payeuse.

[59]          Il est normal pour une employée compétente de terminer parfois à la maison un travail commencé au bureau.

[60]          Suivant la preuve non contredite, l'appelante n'a aucune implication financière dans les affaires de la payeuse.

[61]          Les explications de l'appelante sur son absence au travail en 1993 et sur son remplacement sont très crédibles et au surplus non contredites.

[62]          Il est vrai que sur la route il est difficile d'avoir un horaire régulier, mais il est certain que l'appelante faisait bien toutes les heures pour lesquelles elle était payée.

[63]          Elle n'a jamais rencontré l'agente des appels, Rita Bolduc, elles se sont seulement parlé au téléphone et il y eut certes des malentendus.

[64]          L'appelante n'avait aucun risque de perte car elle savait bien que sa mère lui paierait complètement son salaire et c'est d'ailleurs ce qui s'est produit.

[65]          Il est certain que si l'appelante n'avait pas été disponible, une autre personne aurait dû être engagée à sa place surtout pour faire de temps en temps du travail nécessaire sur la route.

[66]          Il paraît évident que l'enquête a été bâclée.

[67]          L'intimé a fait un usage inapproprié de sa discrétion et l'enquête faite de novo fait voir que compte tenu de toutes les cironcstances un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu entre l'employeure et l'employée si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[68]          L'appel doit donc être accueilli et la décision entreprise infirmée.

Laval (Québec), le 3 octobre 1997.

" A. Prévost "

J.S.C.C.I.

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