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Date:19971003

Dossier: 96-1733-UI

ENTRE :

ÉMILIEN CORBIN,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Prévost, C.C.I.

[1]            Cet appel a été entendu à Rivière-du-Loup (Québec), le 15 septembre 1997.

[2]            Il s'agit de l'appel d'une décision du ministre du Revenu national (le "Ministre"), en date du 23 juillet 1996, déterminant que l'emploi de l'appelant chez Johanne Rioux, la payeuse, du 25 mai au 22 septembre 1995, n'était pas assurable car c'était un emploi où l'employé et l'employeure avaient entre eux un lien de dépendance.

[3]            Le paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel se lit ainsi :

"5.            En rendant sa décision, l'intimé, le ministre du Revenu national, s'est basé, inter alia, sur les faits suivants :

a)              L'appelant exploitait une ferme laitière sur une terre de 62 hectares; en octobre 1991 il mariait Mme Johanne Rioux et continuait d'exploiter sa ferme. (A)

b)             Le 4 février 1994, une convention de société était enregistrée entre les conjoints pour l'exploitation de la ferme. (A)

c)              Lors de l'enregistrement de la société, chacun des associés faisait l'apport suivant : (A)

                L'appelant : les fonds de terre avec la résidence et les bâtiments de ferme, tout le matériel roulant, la machinerie et l'outillage agricole servant à l'exploitation, tout le troupeau et le contingent de production laitière. Cet apport avait une valeur fiscale de 195 000 $.

                Mme Johanne Rioux : apport monétaire de 100 $.

d)             Le partage des revenus et pertes de la société se faisaient selon les proratas suivants : (A)

                - L'appelant :                                          80 %

                - Mme Johanne Rioux :          20 %

e)              Le 12 juin 1995, les associés signèrent un contrat de dissolution de société et donation avec une clause rétroactive d'application de ce contrat au 1er mai 1995 (peu avant le début de la période en litige). (A)

f)              Par ce contrat, l'appelant faisait donation à la payeuse du 80 % des biens meubles et immeubles utilisés pour la ferme. (A)

g)             La payeuse s'engageait envers l'appelant, si elle voulait vendre ou céder les biens de l'entreprise à les lui rétrocéder aux mêmes conditions (sans coûts). (A)

h)             La payeuse continua d'exploiter la ferme, dont les activités se reportaient à la production laitière (troupeau d'environ 25 vaches), comme propriétaire unique. (A)

i)               Durant la période en litige, l'appelant a continué de rendre les mêmes services qu'auparavant il rendait sur la ferme : il faisait tout le travail relié au champ, soit faire les semences, enlever les roches, faire les foins, s'occuper des grains (orge), faire les labours et l'épandage du fumier. (ASAP)

j)               L'appelant prétend qu'il travaillait 40 heures par semaine pour une rémunération de 240 $ par semaine alors que la moyenne des salaires versés dans l'agriculture était de 382,50 $ en 1993-94. (APLPPLREI)

k)              L'appelant prétend qu'il ne s'occupait pas de traire les vaches. (A)

l)               La payeuse s'occupait prétendument des vaches, faisait occasionnellement le transport de balles de foin, travaillait à l'étable et s'occupait de la comptabilité et tenue de livres. (A)

m)             L'appelant faisait le même travail que durant les années antérieures et n'avait pas à être dirigé ou contrôlé dans l'accomplissement de ses tâches. (NTQR)

n)             En 1993, la payeuse a été la seule à être inscrite au registre de paye pour un total de 10 semaines. (A)

o)             En 1994, la payeuse aurait été inscrite au registre de paye durant 6 semaines et l'appelant que pendant une semaine. (A)

p)             En 1995, l'appelant prétend avoir travaillé pour la payeuse pendant 18 semaines. (A)

q)             L'appelant avait obtenu un relevé d'emploi de 3 semaines pour avoir travaillé à une pépinière en mai 1995; avec son relevé d'emploi obtenu de la payeuse, il totalisait 21 semaines alors que 20 semaines étaient requises pour lui permettre de se qualifier pour recevoir des prestations d'assurance-chômage. (A)

r)              L'appelant est le conjoint de la payeuse et ils sont donc liés au sens de l'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu. (A)

s)              La payeuse n'aurait jamais engagé une personne non liée dans des conditions à peu près semblables à celles offertes à l'appelant. (N)"

[4]            Dans le texte qui précède de la Réponse à l'avis d'appel, la Cour a indiqué ainsi, entre parenthèses, après chaque sous-paragraphe les commentaires du procureur de l'appelant à l'ouverture de l'audience :

                (A)=                                         admis

                (ASAP)=                                 admis sauf à parfaire

                (APLPPLREI)=       admis pour la première partie le reste étant ignoré

                (N)=                                         nié

                (NTQR)=                                 nié tel que rédigé

La preuve de l'appelant

Selon la payeuse Johanne Rioux :

[5]            Elle est née sur une ferme et elle avait à coeur que celle de l'appelant fasse à tout le moins ses frais.

[6]            C'est pour cela qu'elle en est devenue dans un premier temps sociétaire et seule propriétaire par après.

[7]            À un moment donné au préalable elle avait pris la comptabilité en mains car l'appelant faisait des pertes avec sa ferme et qu'il fallait un meilleur contrôle.

[8]            Avant de devenir sociétaire ou co-propriétaire de la ferme, elle avait été sur sa liste de paie pendant trois ans et elle avait ainsi reçu des prestations d'assurance-chômage après ses mises à pied annuelles.

[9]            L'appelant a toujours eu des problèmes d'argent avec sa ferme et il s'est découragé avec le temps : c'est ce qui l'a amené à la prendre comme associée et à lui faire ensuite la donation dont il est question ci-dessus.

[10]          Par ailleurs, elle n'était pas encore découragée et elle se sentait bien capable de prendre la relève.

[11]          Lorsqu'elle est devenue propriétaire de la ferme, l'appelant, devenu simple employé, n'avait plus de pouvoir décisionnel et c'est elle qui décidait de ses tâches, de son horaire de travail et "de tout".

[12]          Au préalable l'appelant était influencé par d'autres personnes et "ce n'était pas bon".

[13]          L'appelant a oeuvré, il est vrai, quelques semaines à une pépinière en mai 1995 et elle a alors engagé d'autres personnes à contrat pour travailler à la ferme car "c'était plus payant ainsi".

[14]          L'appelant est un très bon employé car il est capable de tout faire dans le champ comme à l'étable.

[15]          Elle aime mieux faire le travail de l'étable mais l'appelant peut y voir aussi très bien.

[16]          Avant de devenir seule propriétaire de la ferme concernée, elle en a discuté avec l'appelant et avec d'autres personnes et il a été convenu que c'était la meilleure solution à adopter dans les circonstances.

[17]          Dans le pâturage elle contrôle les vaches et c'est à peu près tout ce qu'elle y fait.

[18]          Elle s'occupe surtout de la traite des vaches et du transport des poches d'orge ainsi que de l'engrais en sac.

[19]          Le salaire de l'appelant a été négocié avec lui et il était bien d'accord.

[20]          C'est d'ailleurs ce que les jeunes demandent pour un travail semblable.

[21]          Si l'appelant n'avait pas accepté un tel salaire, elle aurait essayé d'embaucher un autre employé à cette même rémunération.

[22]          L'appelant faisait du "40 heures par semaine" et son salaire avait du sens.

[23]          Ils faisaient "vie commune", mais étaient quand même des personnes très différentes.

[24]          Il y avait encore de l'amour entre eux, mais en affaires, c'est évidemment "chacun pour soi".

[25]          Elle aime bien "avoir l'appelant à la ferme même s'il n'est pas irremplacable cependant".

[26]          Ils se sont mariés en 1991 et la ferme concernée a appartenu à son mari et à ses ancêtres depuis très longtemps.

[27]          Si la convention de société (pièce I-1) a été signée, c'était pour rentabiliser la ferme et éviter des pertes.

[28]          L'appelant en faisait cependant encore et c'est pour cela qu'elle est devenue seule propriétaire aux termes d'une "Dissolution de société et Donation" (pièce I-2) par Émilien Corbin à Dame Johanne Rioux signée devant notaire le 12 juin 1995.

[29]          Lorsqu'elle a mis l'appelant à pied après 18 semaines de travail, elle lui a bien remis un relevé d'emploi (pièce I-3).

[30]          Depuis qu'elle est la seule propriétaire, elle ne prend pas de salaire mais elle vit cependant avec les revenus de la ferme.

[31]          L'appelant travaillait de 8 h à 17 h et les autres employés de la ferme étaient à contrat.

[32]          À ce stade de l'enquête, le procureur de l'intimé admet que si l'appelant témoignait ce serait au même effet que son épouse.

[33]          Le procureur de l'intimé reconnaît ensuite que l'emploi concerné était assurable du 12 juin au 22 septembre 1995.

[34]          Le procès-verbal en fait état et le procureur de l'intimé y a en conséquence apposé ses initiales.

[35]          Le procureur de l'appelant fait alors entendre à nouveau Johanne Rioux sur les circonstances de la rétroactivité visée à la pièce I-2.

Selon elle :

[36]          Les discussions sur cette question ont débuté en novembre 1994 alors qu'ils ont convenu de se séparer comme associés.

[37]          Ils voulaient au départ que ça se passe au tout début de janvier 1995 aux fins d'impôt sur le revenu.

[38]          Ils sont allés voir le notaire et il a dans un premier temps accepté de préparer la documentation voulue, mais par après il a refusé de le faire, un peu avant les Fêtes, craignant que quelqu'un de la famille "ne revienne contre lui".

[39]          C'est alors qu'ils ont rencontré le notaire Michaud au mois de janvier 1995.

[40]          Il fallait l'accord de la Caisse populaire de St-Jean-de-Dieu et de la Société de financement agricole et cela a prix un certain temps.

[41]          Il y eut aussi un délai au bureau d'enregistrement.

[42]          Elle aurait aimé que ce soit rétroactif au 1er janvier 1995, mais l'appelant ne voulait pas.

[43]          C'est le notaire qui a suggéré la date du 1er mai 1995.

[44]          Dans les faits elle avait pris possession bien avant cette date, à savoir en janvier 1995.

[45]          L'intimé ne fait entendre aucun témoin.

Les plaidoiries

Selon le procureur de l'appelant :

[46]          C'est depuis le mois de novembre 1994 que le projet de dissolution de société est en marche et Johanne Rioux avait pris possession bien avant le 25 mai 1995.

[47]          En droit civil, un accord de volonté équivaut à un contrat.

[48]          Dans la pièce I-2, l'épouse de l'appelant se déclare officiellement en possession depuis le 1er mai 1995, mais dans les faits elle l'était bien avant cette date.

Selon le procureur de l'intimé :

[49]          Dans cette pièce I-2 c'est la date du 1er mai 1995 qui est mentionnée et non une date antérieure.

[50]          À la page 6 de ce document il est aussi écrit : "...les comparants déclarent que la donation ci-dessus des actifs constitue à toutes fins, la dissolution de leur dite société en date du premier mai mil neuf cent quatre-vingt-quinze (1995)."

[51]          Entre les parties il est possible de faire rétroagir une convention, mais il n'est pas permis de le faire à l'encontre de tiers dont le ministre du Revenu national.

Le délibéré

[52]          Étant donné que le procureur de l'intimé a reconnu que l'emploi concerné était assurable du 12 juin au 22 septembre 1995, pour conclure ci-après il y a lieu seulement de décider de la question de la rétroactivité sans avoir à analyser la preuve offerte sur l'emploi lui-même.

[53]          Les discussions préalables à la signature de la pièce I-2 ont pu être longues et laborieuses pour diverses raisons, mais ce qui compte vis-à-vis des tiers c'est l'acte notarié qui fait foi de sa date et il est daté du 12 juin 1995.

[54]          Johanne Rioux admet d'ailleurs qu'elle aurait aimé que l'acte concerné soit rétroactif au 1er janvier 1995, mais que l'appelant ne voulait pas.

[55]          Il est vrai qu'en droit civil un accord de volonté peut équivaloir à un contrat mais entre les parties seulement et non pas vis-à-vis des tiers dont le ministre du Revenu national.

[56]          Par une clause rétroactive il est impossible de rendre assurable un emploi qui ne l'était pas.

[57]          La décision entreprise doit donc être modifiée de manière à ce que l'emploi concerné ne soit pas assurable du 25 mai au 11 juin 1995 seulement, mais qu'il le soit cependant du 12 juin au 22 septembre 1995.

"A. Prévost"

J.S.C.C.I.

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