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Date: 19971003

Dossier: 94-1889-IT-G

ENTRE :

KEITH E. FERREL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Mogan, C.C.I.

[1]            L'appelant était l'auteur de la fiducie familiale Ferrel (la "fiducie") créée en mai 1983. Depuis le mois de décembre 1984, l'appelant était l'unique fiduciaire de la fiducie. Neotric Enterprises Inc. ("Neotric") est une société de portefeuille familiale qui possède quatre filiales. Les actions à revenu variable de Neotric sont détenues par la fiducie et les actions comportant droit de vote non participantes sont détenues par l'appelant. Au cours des exercices qui ont pris fin les 30 septembre 1989 et 1990, Neotric a accumulé des frais de gestion de 152 000 $ et de 150 000 $ respectivement, payables à la fiducie. Pendant l'année civile 1989, Neotric a en fait versé des frais de gestion de 124 000 $ à la fiducie. En 1990, elle a versé des frais de gestion de 128 000 $ à la fiducie. En 1991, Neotric a versé à la fiducie le solde, de 50 000 $, des frais de gestion accumulés. Par des avis de nouvelles cotisations, le ministre du Revenu national (le "ministre") a ajouté au revenu déclaré de l'appelant la somme de 152 000 $ pour l'année 1989 et la somme de 150 000 $ pour l'année 1990, en appliquant les paragraphes 56(2) et 56(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la "Loi"). L'appelant a interjeté appel contre ces nouvelles cotisations. La principale question qui se pose dans ces appels, en ce qui concerne les années d'imposition 1989 et 1990, est de savoir si l'appelant est tenu d'inclure dans son revenu les frais de gestion que Neotric avait versés ou devait verser à la fiducie.

[2]            Trois filiales sont possédées en propriété exclusive par Neotric ou par la fiducie ou encore par Neotric et par la fiducie ensemble : Dysan Developments Inc., Hillsboro Properties Inc. et David Leslie Holdings Ltd. Une quatrième filiale, Hillsboro Developments Inc., appartient pour 50 p. 100 à Neotric et à la fiducie et pour 50 p. 100 à une personne sans lien de dépendance. En général, les filiales s'occupaient d'aménagement immobilier. Les états financiers de Neotric pour ses exercices qui ont pris fin les 30 septembre 1989 et 1990 ont été produits sous les cotes A-2 et A-3 respectivement. Dans ces deux années, Neotric a indiqué un revenu tiré des frais de gestion de 400 200 $ en 1989 et de 346 696 $ en 1990. Ces frais de gestion ont été versés à Neotric par les filiales; il s'agit des frais de gestion que Neotric a accumulés et qu'elle a ensuite versés à la fiducie.

[3]            L'appelant est un comptable agréé qui s'est présenté à la barre des témoins comme étant un homme d'affaires. Il a expliqué que la fiducie avait été créée en 1983 à diverses fins : à savoir, créer un fonds pour les études de ses enfants; protéger les biens familiaux contre les créanciers; permettre le transfert des biens familiaux aux enfants à un moindre coût au moment du décès des parents; et permettre des choix relatifs aux bénéficiaires privilégiés à l'égard du revenu de la fiducie. Les bénéficiaires du revenu de la fiducie sont les deux enfants de l'appelant, Conrad et Erin, nés en 1978 et en 1980 respectivement.

[4]            Les déclarations de revenu de fiducie T3 pour les exercices de la fiducie qui ont pris fin les 31 décembre 1989 et 1990 ont été produits sous les cotes A-6 et A-7. Ces déclarations confirment le témoignage oral de l'appelant, à savoir que le revenu de la fiducie dans chaque année était de fait réparti à parts égales entre les deux bénéficiaires du revenu et que des choix relatifs aux bénéficiaires privilégiés ont été faits à l'égard de ce revenu. Presque tout l'argent était laissé dans la fiducie, qui le prêtait de nouveau à Neotric pour qu'il soit utilisé au sein du groupe familial de corporations.

[5]            Les deux documents importants ont été produits sous les cotes A-4 et A-5; il s'agit des contrats en vertu desquels, selon l'appelant, la fiducie fournissait des services de gestion à Neotric et touchait en échange des frais de gestion. Étant donné que ces documents sont importants, je reproduirai les passages pertinents. La pièce A-4 est un contrat qui a été conclu le 1er janvier 1986 entre la fiducie (désignée comme étant la "FFF") et l'appelant en sa qualité personnelle (désigné comme étant "KEF"). Les attendus et les trois premières clauses de la pièce A-4 sont reproduits ci-dessous. La corporation désignée dans le premier attendu comme étant 299377 Alberta Limited a ensuite remplacé son nom par celui de Neotric Enterprises Inc., de sorte que j'ai modifié la nomenclature des autres passages cités de la pièce A-4 en remplaçant "299377" par "Neotric".

[TRADUCTION]

ATTENDU QUE LA FFF a convenu de fournir des services de gestion à 299377 Alberta Ltd. ("299377").

ATTENDU QUE KEF est l'unique fiduciaire de la FFF.

ATTENDU QUE KEF a convenu, en sa qualité de fiduciaire de la FFF, d'être le gestionnaire des services de gestion que la FFF fournit à Neotric.

EN CONSÉQUENCE LE PRÉSENT ACTE ATTESTE QU'en contrepartie des covenants mutuels contenus dans les présentes et d'une autre contrepartie de valeur, dont la réception et la suffisance sont par les présentes reconnues, KEF, en sa qualité de fiduciaire de la FFF, et la FFF conviennent de ce qui suit :

1.              Sous réserve des dispositions des présentes, KEF sera président et secrétaire-trésorier de Neotric et de ses compagnies associées et agira pour le compte de la FFF en ce qui concerne divers autres postes de direction. KEF pourra désigner d'autres personnes et retenir les services d'autres personnes pour représenter la FFF ou Neotric au sein de divers conseils et pour accomplir tout travail nécessaire.

2.              Le fiduciaire ou les fiduciaires de la FFF et KEF s'entendront à divers moments au sujet de la rémunération devant être versée à KEF, au besoin.

3.              En plus des frais prévus dans la clause 2 des présentes, KEF aura droit au remboursement de tous les frais qu'il aura à juste titre engagés dans l'exercice des fonctions prévues aux présentes.

La pièce A-5 est un contrat conclu le 1er janvier 1989 entre Neotric (désignée comme étant la "corporation"), la fiducie (désignée comme étant la "FFF") et l'appelant (désigné comme étant "KEF"). Voici les dispositions pertinentes de ce document :

[TRADUCTION]

ATTENDU QUE la corporation et la FFF ont convenu que la FFF fournira les services de KEF, qui sera nommé président et secrétaire de la corporation.

                EN CONSÉQUENCE LE PRÉSENT ACTE ATTESTE QU'en contrepartie des covenants mutuels contenus dans les présentes et d'une autre contrepartie de valeur, dont la réception et la suffisance sont par les présentes reconnues, la corporation et la FFF conviennent de ce qui suit :

1.              Sous réserve des dispositions des présentes, KEF sera président et secrétaire de la corporation.

2.              Pour les services fournis par KEF, la corporation versera à la FFF les frais de gestion dont il aura de temps en temps été convenu.

3.              En plus des frais prévus dans la clause 2 des présentes, KEF aura droit au remboursement de tous les frais qu'il aura à juste titre engagés dans l'exercice des fonctions prévues aux présentes.

[6]            Neotric a accumulé les frais de gestion de 152 000 $ et de 150 000 $ et les a déduits dans les exercices qui ont pris fin les 30 septembre 1989 et 1990, mais la fiducie a uniquement déclaré ces frais sur la base de ce qui avait été reçu. En 1989, la fiducie a reçu 124 000 $; en 1990, elle a reçu 128 000 $; elle a reçu les 50 000 $ restants en 1991. Dans chaque année, le revenu de la fiducie a été réparti moitié-moitié entre Conrad et Erin et des choix relatifs aux bénéficiaires privilégiés ont été faits pour le compte de ceux-ci. Selon la preuve non contestée que l'appelant a présentée, Conrad et Erin ensemble ont payé un montant total de plus de 95 000 $ au titre de l'impôt sur le revenu dans les années 1989, 1990 et 1991, à l'égard des montants de 124 000 $, de 128 000 $ et de 50 000 $ qui leur avaient été attribués dans ces années respectives. Ni l'appelant ni sa femme n'ont reçu directement ou indirectement l'argent que Neotric avait versé à la fiducie au titre des frais de gestion.

[7]            L'appelant soutient que la fiducie est une fiducie commerciale en ce sens qu'elle exploite une entreprise (c'est-à-dire qu'elle fournit des services de gestion). Selon la pièce A-5, les services de gestion ont été fournis à Neotric non par l'appelant, mais par la fiducie par l'entremise de l'appelant. L'avocat de l'appelant a comparé la relation qui existait entre la fiducie, Neotric et l'appelant aux corporations professionnelles qui existent communément en Alberta, ces corporations s'engageant à fournir à un client des services professionnels qui sont en fait fournis par une personne particulière compétente qui possède les actions de la corporation. Dans ces conditions, les services et la rémunération passent du client à la corporation professionnelle même si les services eux-mêmes sont fournis par la personne compétente à laquelle la corporation sert d'écran.

[8]            Pour étayer l'intégrité du contrat qui a été produit sous la cote A-5, l'appelant se fonde sur la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l'affaire M.N.R. v. Cameron, 72 DTC 6325. Dans cette affaire-là, M. Cameron et deux associés avaient travaillé pour une compagnie qui s'appelait "Campbell Limited". M. Cameron et ses deux associés avaient démissionné et avaient formé une nouvelle compagnie de gestion dont ils étaient devenus des actionnaires à parts égales ainsi que des employés. La nouvelle compagnie de gestion a convenu de fournir les services de M. Cameron et de ses deux associés à Campbell Limited. L'ancien employeur a versé à la nouvelle compagnie de gestion des sommes qui correspondaient à peu près aux salaires qui étaient antérieurement versés à M. Cameron et à ses deux associés; cependant, la nouvelle compagnie de gestion n'avait pas versé à M. Cameron et à ses associés les pleins montants reçus de Campbell Limited. Le ministre estimait que toute l'opération était un trompe-l'oeil; il a imposé M. Cameron pour ce qui semblait être sa part des montants que Campbell Limited avait versés à la nouvelle compagnie de gestion. L'appel que M. Cameron avait interjeté contre la cotisation devant la Cour de l'Échiquier a été accueilli. Le ministre en a appelé devant la Cour suprême du Canada, qui a rejeté l'appel. La Cour suprême a conclu que le contrat conclu entre Campbell Limited et la nouvelle compagnie de gestion n'était pas un trompe-l'oeil. À la page 6328, le juge Martland, qui rendait jugement au nom de la Cour, a dit ceci :

                Ces paiements ont été effectués en vertu d'une entente. Independent a déclaré les recettes comme un revenu et elle a payé l'impôt sur le revenu à l'appelant. Le paiement de ces sommes par Campbell Limited ne pouvait légalement être revendiqué par l'intimé, Steele ou Symon, ni par les trois collectivement, mais seulement par Independent. L'intimé ne pouvait légalement obliger Independent à lui payer ces sommes.

La décision Cameron n'était pas fondée sur l'application de l'article 56 de la Loi, mais l'appelant soutient que le même principe devrait s'appliquer en l'espèce parce que l'intimée n'a pas allégué que l'entente qui avait été conclue entre l'appelant, la fiducie et Neotric était un trompe-l'oeil. L'appelant dit que, cela étant, il faudrait reconnaître la validité de l'entente tripartite qui a été produite sous la cote A-5 comme la Cour suprême a reconnu la validité du contrat de gestion dans l'affaire Cameron. La Cour suprême du Canada est arrivée à une conclusion similaire, en se fondant sur des faits différents, dans l'affaire The Queen v. Campbell, 80 DTC 6239.

[9]            L'avocat de l'appelant s'est fondé sur la décision que la Cour suprême du Canada avait rendue dans l'affaire The Queen v. McClurg, 91 DTC 5001. En rejetant l'appel interjeté par le ministre, le juge en chef Dickson, qui rendait jugement au nom de la majorité, a dit ceci, à la page 5012 :

[...] [Le paragraphe 56(2)] a pour objet d'assurer que les paiements qui auraient autrement été reçus par le contribuable ne soient pas détournés au profit d'un tiers comme technique d'évitement fiscal. Cet objet n'est pas contrecarré parce que, dans le contexte du droit des sociétés, les profits appartiennent à la société en sa qualité de personne juridique tant qu'un dividende n'est pas déclaré : Welling, précité, aux pp. 609 et 610. Si aucun dividende n'avait été déclaré ni versé à un tiers, il n'aurait pas non plus été touché par le contribuable. Ce montant aurait plutôt simplement fait partie des bénéfices non distribués de la société. Par conséquent, en règle générale, le versement d'un dividende ne peut raisonnablement être considéré comme un avantage détourné par un contribuable en faveur d'un tiers au sens du par. 56(2).

À mon avis, la dernière phrase figurant dans le passage précité permet de faire une distinction entre l'affaire McClurg et le présent appel parce que Neotric n'a pas versé les sommes à la fiducie au titre de dividendes. L'avocate de l'intimée s'est également fondée sur la décision rendue dans l'affaire McClurg parce que le juge LaForest, en rendant jugement au nom de la minorité, a énoncé les conditions nécessaires à l'application du paragraphe 56(2), à la page 5021 :

                En ce qui concerne l'application du par. 56(2) en l'espèce, il est utile, à mon avis, de commencer par séparer les différentes parties de cette disposition. Le juge Cattanach a adopté une telle analyse dans l'affaire Murphy v. The Queen (1980), 80 DTC 6314 (C.F.S.P.I.), où il a déclaré aux pp. 6317 et 6318 :

                Pour que le paragraphe 56(2) s'applique, toutes les conditions d'assujettissement prévues doivent être réunies.

                Voici ces quatre conditions :

                (1)            il doit y avoir un paiement ou transfert de biens à une personne autre que le contribuable;

                (2)            paiement ou transfert doit être effectué suivant les instructions ou avec l'accord du contribuable;

                (3)            paiement ou transfert doit être effectué au profit du contribuable ou de toute autre personne que le contribuable désire avantager;

                (4)            paiement ou transfert aurait été inclus dans le calcul du revenu du contribuable si ce dernier, au lieu de l'autre personne, l'avait reçu.

Il faut maintenant déterminer si ces quatre éléments ou conditions préalables à l'application du par. 56(2) sont présents dans l'opération en l'espèce.

L'avocate de l'intimée a soutenu que les quatre conditions précitées sont présentes en l'espèce et que le paragraphe 56(2) devrait donc s'appliquer. En ce qui concerne la quatrième condition, cela semble être une présomption selon laquelle le paiement ou le transfert aurait été fait à la personne faisant l'objet d'une cotisation s'il n'avait pas été fait au bénéficiaire réel. En l'espèce, si Neotric n'avait pas versé les frais de gestion à la fiducie, rien ne montre que ces frais auraient été versés à l'appelant. Je suis convaincu qu'ils n'auraient pas du tout été payés. Il n'y aurait rien eu à inclure dans le revenu de l'appelant.

[10]          L'intimée se fonde sur l'interprétation fort technique de la pièce A-5 pour soutenir que l'appelant avait droit aux frais de gestion payés par Neotric. L'appelant a reconnu avoir lui-même rédigé le document produit sous la cote A-5 sans bénéficier de l'aide d'un avocat et l'intimée soutient donc que ce document doit correspondre exactement à l'intention de l'appelant. Le paragraphe 2 de la pièce A-5 est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

Pour les services fournis par KEF, la corporation versera à la FFF les frais de gestion dont il aura de temps en temps été convenu.

L'intimée a souligné que, selon le paragraphe susmentionné, les services doivent être fournis par KEF (soit par l'appelant Keith E. Ferrel) en sa qualité personnelle; pourtant, Neotric est tenue de verser les frais de gestion à la fiducie à l'égard de ces services. En d'autres termes, le paragraphe ne dit pas que les services seront rendus par KEF "pour le compte de la fiducie". À mon avis, cette interprétation du paragraphe 2 est trop stricte compte tenu du reste du document. Le premier attendu est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

ATTENDU que la corporation et la FFF ont convenu que la FFF fournira les services de KEF, qui sera nommé président et secrétaire de la corporation.

La pièce A-5 est une entente tripartite conclue entre Neotric, la fiducie et l'appelant. Selon moi, il ressort clairement du libellé du premier attendu et du paragraphe 2 que l'appelant convient que la fiducie peut fournir ses services à Neotric. Les frais de gestion en question n'auraient pas été payés du tout s'ils n'avaient pas été versés à la fiducie.

[11]          En me fondant sur les décisions que la Cour suprême a rendues dans les affaires M.N.R. v. Cameron et The Queen v. Campbell, je conclus qu'il existait une entente véritable entre la fiducie, Neotric et l'appelant, laquelle a pris effet le 1er janvier 1989, comme le montre la pièce A-5. Sur la base de cette entente tripartite, l'appelant n'avait pas le droit de recevoir les frais de gestion que Neotric pouvait avoir versés à la fiducie. La question de savoir si l'appelant a reçu une rémunération personnelle de la fiducie à l'égard des services de gestion qu'il fournissait à Neotric pour le compte de la fiducie était une question qui n'intéressait que l'appelant et la fiducie.

[12]          En l'absence d'un trompe-l'oeil, rien en droit n'empêche une personne de convenir de fournir des services professionnels ou des services de gestion à un client par l'entremise d'une corporation ou d'un tiers comme une fiducie. À supposer que la fiducie ait convenu au moyen d'un contrat licite de fournir les services de l'appelant à Neotric, il s'agit de savoir si l'appelant peut encore être assujetti aux dispositions de l'article 56 de la Loi. En particulier, le ministre se fonde sur les paragraphes 56(2) et 56(4) qui sont énoncés ci-dessous, à l'exception des passages non pertinents :

56(2)        Tout paiement ou transfert de biens fait, suivant les instructions ou avec l'accord d'un contribuable à toute autre personne au profit du contribuable ou à titre d'avantage que le contribuable désirait voir accorder à l'autre personne [...] doit être inclus dans le calcul du revenu du contribuable dans la mesure où il le serait si ce paiement ou transfert avait été fait au contribuable.

                [...]

56(4)        Lorsqu'un contribuable a, à une date quelconque avant la fin d'une année d'imposition [...], transféré ou cédé à une personne avec laquelle il avait un lien de dépendance son droit sur toute somme [...] qui serait, si ce droit n'avait pas été ainsi transféré ou cédé, incluse dans le calcul de son revenu pour l'année du fait que cette somme aurait été reçue ou à recevoir par lui dans ou pour l'année, cette somme doit être incluse dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année, sauf si le revenu provient d'un bien que le contribuable a également transféré ou cédé.

[13]          La Cour d'appel fédérale a examiné la question de l'application du paragraphe 56(2) dans l'affaire Winter and Winter v. The Queen, 90 DTC 6681. Les faits de cette affaire ne sont pas importants, mais le juge Marceau (qui rendait jugement au nom de la Cour) a fait la remarque suivante, à la page 6684 :

                Il est couramment admis que la disposition prévue au paragraphe 56(2) est fondée sur la doctrine de la "recette présumée" et qu'elle vise principalement les cas où le contribuable cherche à éviter de recevoir ce qui serait, entre ses mains, un revenu en s'arrangeant pour que le montant soit versé à quelqu'un d'autre, et ce pour son propre bénéfice (par exemple, pour éteindre une dette) ou pour le bénéfice de cette autre personne (voir les motifs du juge Thurlow dans l'arrêt Miller, précité, et ceux du juge Cattanach dans l'arrêt Murphy, précité). [...] le libellé même de la disposition n'exige pas, comme condition d'application, que le contribuable ait initialement eu droit au montant versé ou au bien transféré au tiers; mais uniquement que le contribuable ait été lui-même imposable à cet égard si le versement ou le transfert avait été fait à lui. Il me semble cependant que, lorsque la doctrine de la "recette présumée" n'est pas clairement en cause, parce que le contribuable n'avait aucun droit au versement effectué ou au bien transféré, il n'est que juste d'inférer que le paragraphe 56(2) ne peut recevoir application que si l'avantage accordé n'est pas directement imposable entre les mains du cessionnaire. En effet, selon moi, une disposition en matière d'évitement fiscal revêt un caractère essentiellement subsidiaire; sa raison d'être est d'empêcher l'évitement de l'impôt payable sur une opération donnée, et non de doubler l'impôt normalement payable ni d'accorder aux autorités fiscales une discrétion administrative qui leur permettrait de choisir entre deux contribuables possibles.

                Ainsi, je reconnais que la validité d'une cotisation établie en vertu du paragraphe 56(2) de la Loi, dans le cas où le contribuable n'avait lui-même aucun droit au versement effectué ou au bien transféré, est assujettie à une condition implicite, soit celle que le bénéficiaire ou le cessionnaire n'ait pas été assujetti à l'impôt sur l'avantage qu'il a reçu. [...]

[14]          Si je comprends bien le passage précité, lorsque le ministre se fonde sur le paragraphe 56(2) pour imposer une personne particulière à l'égard d'une somme versée à un tiers, il n'est pas nécessaire que la personne en cause ait le droit de recevoir la somme. Toutefois, il faut que la personne soit assujettie à l'impôt si elle avait de fait reçu la somme. De plus, si la personne en question n'avait pas le droit de recevoir la somme, le paragraphe 56(2) s'applique uniquement si la somme n'était pas imposable entre les mains du tiers.

[15]          Je retiens la preuve non contestée de l'appelant, à savoir que tous les frais de gestion sont passés par l'entremise de la fiducie aux bénéficiaires du revenu de la fiducie et que les choix relatifs aux bénéficiaires privilégiés ont été faits pour le compte des bénéficiaires du revenu. L'intimée n'a pas tenté de contredire la déclaration de l'appelant selon laquelle les deux bénéficiaires du revenu de la fiducie avaient payé un montant total de plus de 95 000 $ autitre de l'impôt sur le revenu à l'égard des frais de gestion que le fiduciaire leur avait attribués. En d'autres termes, tous les frais de gestion que Neotric avait versés à la fiducie étaient de fait imposés entre les mains des bénéficiaires du revenu.

[16]          Si j'applique la décision Winter aux faits de l'espèce, l'appelant n'avait pas le droit de recevoir les frais de gestion de Neotric, mais s'ils les avait reçus, il aurait été assujetti à l'impôt. La première condition d'application du paragraphe 56(2) a donc été remplie. Les frais de gestion reçus par la fiducie ont été attribués aux bénéficiaires du revenu; les choix relatifs aux bénéficiaires privilégiés ont été faits auprès de Revenu Canada; et les bénéficiaires ont payé au titre de l'impôt sur le revenu un montant total de plus de 95 000 $ sur les frais de gestion que la fiducie avait reçus. Par conséquent, la seconde condition relative à l'application du paragraphe 56(2) n'a pas été remplie parce que les bénéficiaires ont payé l'impôt sur les montants en question. Je répéterai une phrase du passage précité de l'arrêt Winter :

En effet, selon moi, une disposition en matière d'évitement fiscal revêt un caractère essentiellement subsidiaire; sa raison d'être est d'empêcher l'évitement de l'impôt payable sur une opération donnée, et non de doubler l'impôt normalement payable ni d'accorder aux autorités fiscales une discrétion administrative qui leur permettrait de choisir entre deux contribuables possibles.

Si les cotisations ici en cause étaient confirmées, les montants de 152 000 $ et de 150 000 $ seraient imposés à deux reprises.

[17]          Puisque j'ai conclu que l'appelant ne pouvait pas en droit recevoir les frais de gestion que Neotric avait versés à la fiducie, je conclus que le paragraphe 56(4) de la Loi n'aide pas l'intimée en ce qui concerne les cotisations ici en cause. De plus, l'appelant n'était pas tenu d'inclure une fraction des montants de 152 000 $ et de 150 000 $ dans le calcul de son revenu pour les années 1989 et 1990. Par conséquent, la pénalité imposée en vertu du paragraphe 163(1) pour l'année 1990 doit être annulée. Les appels sont admis avec dépens.

Ottawa, Canada, le 3 octobre 1997.

" M. A. Mogan "

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour de janvier 1998.

Benoît Charron, réviseur

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