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Date: 19980331

Dossier: 95-2833-IT-G

ENTRE :

JOHN S. WALTON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bonner, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel de cotisations d'impôt relatives aux années d'imposition 1986 et 1988. En établissant la cotisation, le ministre du Revenu national (le " ministre ") a inclus dans le revenu de l'appelant des montants calculés en vertu de l'article 94.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi ") à l'égard d'un " bien d'un fonds de placement non résidant " détenu par l'appelant.

[2]            L'article 94.1 a été ajouté à la Loi en 1984. Il s'agit d'une disposition anti-évitement qui peut exiger l'inclusion d'un montant déterminé dans le revenu lorsqu'un contribuable acquiert ou détient un bien d'un fonds de placement non résidant. L'inclusion s'impose s'il peut raisonnablement être conclu que l'une des raisons principales pour lesquelles le contribuable acquiert ou détient un tel bien est de tirer un bénéfice de placements sous-jacents détenus par le fonds de façon à faire réduire ou reporter l'impôt qui aurait été exigible en vertu de la partie I de la Loi si ces placements avaient été détenus par le contribuable directement. Cette mesure visait à empêcher l'utilisation de fonds de placement non résidants qui permettaient aux contribuables résidant au Canada de se soustraire complètement à l'impôt sur le revenu de placement ou de le reporter indéfiniment1.

[3]            Le paragraphe 94.1(1) se lit en partie comme suit :

94.1 (1) Lorsque, dans une année d'imposition, un contribuable, autre qu'une corporation de placement appartenant à des non-résidents, détient un bien ou a une participation dans un bien (appelé dans le présent article "bien d'un fonds de placement non résidant")

a)             qui est une action du capital-actions ou une créance d'une entité non résidante ou une participation dans une telle entité (autre qu'une corporation étrangère affiliée contrôlée du contribuable ou une entité non résidante prescrite) ou une participation dans une telle action, participation ou créance ou un droit ou une option d'achat d'une telle action, participation ou créance, et

b)             dont la valeur peut raisonnablement être considérée comme découlant principalement, directement ou indirectement, de placements de portefeuille de cette même entité ou de toute autre entité non résidante

                (i) en actions du capital-actions d'une ou de plusieurs corporations,

                (ii) en créances ou en rentes,

                (iii) en participations dans un ou plusieurs fonds ou organismes ou dans une ou plusieurs corporations, fiducies, sociétés ou entités,

                (iv) en marchandises,

                (v) en biens immobiliers,

                (vi) en avoirs miniers canadiens ou étrangers,

                (vii) en monnaie autre que la monnaie canadienne,

                (viii) en droits ou options d'achat ou de disposition de l'une des valeurs qui précèdent, ou

                (ix) toute combinaison de ce qui précède,

et que l'on peut raisonnablement conclure, compte tenu de toutes les circonstances, y compris

c)              la nature, l'organisation et les activités de toute entité non résidante, ainsi que les formalités et les conditions régissant la participation du contribuable dans toute entité non résidante ou les liens qu'il a avec une telle entité,

d)             la mesure dans laquelle tous les revenus, bénéfices et gains qui peuvent raisonnablement être considérés comme ayant été gagnés ou accumulés, directement ou indirectement, au profit de toute entité non résidante, sont assujettis à un impôt sur le revenu ou sur les bénéfices qui est considérablement moins élevé que l'impôt sur le revenu dont ces revenus, bénéfices et gains seraient frappés s'ils étaient gagnés directement par le contribuable, et

e)              la mesure dans laquelle les revenus, bénéfices et gains de toute entité non résidante pour un exercice financier donné sont distribués au cours de ce même exercice financier ou de celui qui le suit,

que l'une des raisons principales pour le contribuable d'acquérir, de détenir ou de posséder une participation dans un tel bien était de tirer un bénéfice de placements de portefeuille dans des biens visés à l'un des sous-alinéas (b)(i) à (ix), de façon que les impôts, s'il en est, sur les revenus, bénéfices et gains provenant de ces biens pour une année quelconque sont considérablement moins élevés que l'impôt dont ces revenus, bénéfices et gains seraient frappés en vertu de la présente Partie s'ils avaient été gagnés directement par le contribuable [...]

[4]            Les cotisations en question étaient fondées sur ce que, pendant les années d'imposition en question, l'appelant détenait des actions d'une corporation résidant aux Bermudes, soit Santa Maria Enterprises Limited (" Santa Maria "). Il n'a pas été soutenu que ces actions détenues par l'appelant ne constituaient pas des biens visés par l'alinéa 94.1(1)a) de la Loi. De plus, l'alinéa 94.1(1)b) ne donnait lieu à aucun différend. La valeur des actions de Santa Maria reposait sur des actions détenues dans deux fonds constitués en personne morale gérés par la Bank of Bermuda. Presque tout le capital de Santa Maria était investi dans ces deux fonds et Santa Maria n'exerçait aucune autre activité commerciale. Il n'a pas été soutenu que les actions des deux fonds n'étaient pas des " placements de portefeuille " au sens de l'alinéa b).

[5]            L'article 94.1 est fondé sur le critère de " l'une des raisons principales ". En l'espèce, il s'agit uniquement de savoir si on peut raisonnablement conclure, conformément au paragraphe 94.1(1), que, pendant les années en question, l'une des raisons principales pour lesquelles l'appelant détenait les actions de Santa Maria était de tirer un bénéfice des placements de portefeuille de cette dernière de la façon prévue par ce paragraphe. L'appelant a soutenu que ses raisons principales d'investir de l'argent dans les actions de Santa Maria et de continuer à détenir ces actions étaient de préserver son capital et d'avoir à sa disposition des fonds qu'il pouvait investir dans une entreprise qu'il espérait lancer avec un collègue qui s'appelait Samuel Hannan. L'avantage fiscal de cette façon de faire, a affirmé l'appelant, était " troisièmement, un résultat attrayant ".

[6]            Selon l'avocat de l'appelant, l'issue du litige devait dépendre de ceci : le témoignage de l'appelant concernant son but subjectif serait-il retenu ou bien rejeté?

[7]            L'appelant a été le seul à témoigner à l'audition de l'appel. Il est né et a été élevé au Canada. Il a commencé sa carrière d'ingénieur et d'homme d'affaires au Canada. En 1977, l'appelant a cessé de résider au Canada; il a établi sa résidence en Angleterre où il a commencé à travailler. En 1979, il s'est installé au Brésil, où il a établi sa résidence et où il a travaillé comme cadre supérieur d'une grosse corporation. Son second était M. Hannan, qui résidait au Brésil. En septembre 1981, la corporation pour laquelle l'appelant travaillait a été rachetée. L'appelant a vendu ses actions et options d'achat d'actions de cette corporation moyennant une contrepartie d'environ 2,5 millions de dollars américains. Il a déposé l'argent dans un compte à la Bank of Bermuda. Au milieu de l'année 1982, l'appelant a mis fin à son emploi au Brésil et a décidé de revenir au Canada. À ce moment-là, M. Hannan envisageait également de changer de carrière. Il cherchait une entreprise qu'il pourrait acheter et gérer. Cela intéressait l'appelant de participer, en tant qu'investisseur, avec M. Hannan dans une entreprise si ce dernier pouvait trouver une possibilité d'affaires appropriée. C'est à ce moment-là que l'appelant a pris les dispositions relatives au placement, lesquelles sont demeurées essentiellement les mêmes jusqu'en 1989 et ont finalement donné lieu à l'établissement de la cotisation ici en cause.

[8]            L'appelant a témoigné qu'il voulait maintenir la valeur de son capital et que c'est la raison pour laquelle il ne voulait pas l'apporter avec lui au Canada, où le dollar était à la baisse et où l'on croyait que la prise de mesures de contrôle des changes était possible. En outre, comme il en a déjà été fait mention, l'appelant a déclaré vouloir garder ses fonds disponibles pour fins d'investissement au cas où M. Hannan et lui trouveraient quelque chose de valable. L'appelant en a discuté avec des directeurs des investissements de la Bank of Bermuda, qui lui ont recommandé de consulter John Carson, un avocat de Toronto. L'appelant a déclaré qu'il avait consulté Me Carson afin de savoir quelle serait sa situation fiscale au Canada étant donné que, comme il l'a dit, il était sur le point de revenir au pays. Il a affirmé avec insistance que c'était surtout des conseils sur le plan " corporation " qu'il recherchait et que les conseils en matière d'impôt sur le revenu n'avaient pour lui qu'un intérêt secondaire.

[9]            À la suite de la consultation, Me Carson a rédigé à l'intention de l'appelant un long rapport daté du 9 septembre 1982. Ce rapport mettait presque exclusivement l'accent sur les règles relatives au revenu étranger accumulé, tiré de biens (" REATB ") figurant aux articles 91 à 95 de la Loi. Me Carson semble s'être donné beaucoup de mal pour déterminer où se trouvait exactement la ligne de démarcation entre les arrangements qui donnaient lieu à l'impôt en vertu des règles relatives au REATB et ceux qui n'y donnaient pas lieu. Dans sa lettre, Me Carson soulignait que les règles relatives au REATB en vertu desquelles le revenu de placement d'une corporation étrangère affiliée contrôlée est attribué à son actionnaire canadien ne s'appliquent pas si la corporation étrangère affiliée n'est pas une " corporation étrangère affiliée contrôlée ".

[10]          Par suite de la consultation, Me Carson, pour le compte de l'appelant et de M. Hannan, a fait en sorte que Santa Maria soit constituée le 29 septembre 1982 sous le régime des lois des Bermudes. L'appelant a investi dans Santa Maria les 2,5 millions de dollars tirés de la vente de ses actions et options. M. Hannan a investi près de 2 millions de dollars dans la compagnie. Ils sont chacun devenus propriétaire de 50 p. 100 des actions avec droit de vote de la catégorie " A " de Santa Maria. Ils sont également devenus chacun propriétaire d'actions privilégiées rachetables à dividende non cumulatif de Santa Maria, mais pas dans la même proportion. Les actions privilégiées ne comportaient pas de droit de vote et, par conséquent, ni l'appelant ni M. Hannan ne contrôlait la compagnie. C'est pourquoi Santa Maria ne pouvait pas être considérée comme une corporation étrangère affiliée contrôlée de l'appelant au sens de l'alinéa 95(1)a) de la Loi. L'appelant a témoigné que les actions avec droit de vote de Santa Maria étaient divisées également entre M. Hannan et lui de façon qu'ils puissent tous les deux travailler ensemble à titre d'associés.

[11]          Santa Maria était une " entreprise exonérée " en vertu des lois des Bermudes, c'est-à-dire qu'aux Bermudes elle était exonérée des impôts existants et futurs sur ses bénéfices et sur ses immobilisations. Les actions de Santa Maria étaient détenues pour l'appelant et M. Hannan par une maison des Bermudes, Murdoch and Company, qui fournissait à Santa Maria des administrateurs et des dirigeants résidant aux Bermudes. Les administrateurs recevaient des instructions de M. Hannan et de l'appelant par l'entremise de Me Carson. Avant 1990, toutes les réunions d'administrateurs et d'actionnaires de Santa Maria avaient lieu aux Bermudes. Selon le critère de la gestion centrale et du contrôle, Santa Maria résidait aux Bermudes. Elle ne pouvait pas être considérée comme résidant au Canada compte tenu de l'endroit où elle avait été constituée.

[12]          Presque tout l'argent investi dans Santa Maria par l'appelant et par M. Hannan a ensuite été investi par Santa Maria dans des actions donnant droit aux plus-values de la Bermuda International Bond Fund Limited et dans des actions gérées de la Bermuda International Currency Fund Limited. Les deux fonds étaient des sociétés d'investissement à capital variable constituées en vertu des lois des Bermudes. Le gestionnaire des fonds était une filiale de la Bank of Bermuda. Les fonds tiraient des revenus de placements dans des devises étrangères, dans des obligations d'État et dans des bons du Trésor, et de placements similaires de haute qualité rapportant un revenu fixe. Chaque fonds avait reçu du gouvernement des Bermudes un engagement selon lequel il serait exonéré d'impôt sur le revenu, sur les bénéfices et sur les gains en capital jusqu'au mois de mars 1906. Les titulaires d'actions de ces deux fonds n'avaient pas droit à des dividendes en argent. Les bénéfices nets des fonds étaient accumulés et se reflétaient dans le prix des actions, qui étaient rachetables à des prix fondés sur la valeur des actifs nets des fonds.

[13]          L'appelant et M. Hannan n'ont pas réussi à trouver une entreprise qui les intéressait. L'appelant a déclaré qu'en 1983 M. Hannan avait enquêté sur une entreprise qui semblait prometteuse, mais que cela n'avait abouti à rien. Selon l'appelant, on avait songé à d'autres placements. Pour ce qui est du moment où les enquêtes ont eu lieu et de leur étendue, ils n'ont pas été révélés. En fin de compte, les projets se sont évanouis lorsque M. Hannan a été nommé directeur général d'une grosse entreprise minière brésilienne. La preuve n'indique pas à quel moment la nomination a eu lieu. Par conséquent, depuis le début et jusqu'en 1989, presque tout l'argent de Santa Maria a continué à être investi dans les deux fonds, rapportant un revenu en intérêts, quoique indirectement.

[14]          Il a été admis que si le revenu, les bénéfices et les gains tirés des actifs du fonds d'obligations et du fonds de devises avaient été réalisés directement par l'appelant, le revenu de celui-ci ainsi que les gains en capital nets imposables et l'impôt fédéral à payer sur ces gains auraient été en 1986, en 1987 et en 1988 les suivants :

1986

1987

1988

Revenu et gain en capital imposable

381 819 $

223 399 $

140 208 $

Impôt fédéral

136 310 $

78 190 $

41 922 $

[15]          À mon avis, la preuve concernant les circonstances en l'espèce permet de conclure que l'une des raisons principales pour lesquelles Santa Maria a été interposée entre l'appelant et les placements sous-jacents était d'éviter l'impôt auquel l'appelant aurait été assujetti en sa qualité de résident du Canada s'il avait détenu directement sa part proportionnelle de ces placements. Me Carson n'avait pas simplement donné des conseils. Il a créé une structure qui ne semble pas avoir été destinée uniquement à atteindre les objectifs décrits par l'appelant dans son témoignage. La preuve ne révèle aucune raison convaincante pour la décision de constituer Santa Maria aux Bermudes, si ce n'est que cette dernière pouvait y obtenir le statut d'entreprise exonérée d'impôt. Aucun motif non fiscal d'ordre commercial n'a été avancé en ce qui concerne le recours aux services de Murdoch and Company. Initialement, l'appelant et M. Hannan avaient peut-être eu l'intention d'investir les fonds de Santa Maria dans une entreprise à être exploitée par eux, s'ils en trouvaient une. Toutefois, rien dans la preuve n'indique que, pendant les années en question, ils aient encore eu pareille intention. La seule raison évidente pour laquelle l'appelant a continué à détenir des actions de Santa Maria pendant les années en question, c'était la possibilité de se mettre à l'abri de l'impôt sur les bénéfices tirés des placements sous-jacents. Il est difficile d'imaginer comment la possibilité de réaliser des épargnes fiscales telles que celles dont il a ci-dessus été question pouvait être une raison moins importante de détenir les actions de Santa Maria que les raisons subjectives que l'appelant a invoquées. Dans le jugement Symes v. The Queen, 94 DTC 6001, le juge Iacobucci a dit, à la page 6014 :

                Comme dans d'autres domaines du droit, lorsqu'il faut établir l'objet ou l'intention des actes, on ne doit pas supposer que les tribunaux se fonderont seulement, en répondant à cette question, sur les déclarations du contribuable, ex post facto ou autrement, quant à l'objet subjectif d'une dépense donnée. Ils examineront plutôt comment l'objet se manifeste objectivement, et l'objet est en définitive une question de fait à trancher en tenant compte de toutes les circonstances. [...]

À mon avis, l'appelant se rappelle imparfaitement les raisons qui l'ont amené à acquérir et à continuer à détenir les actions de Santa Maria. La preuve ne permet pas de conclure que le ministre a commis une erreur en appliquant l'article 94.1 de la Loi dans les circonstances de l'espèce.

[16]          Les appels seront rejetés avec dépens.

Ottawa, Canada, ce 31e jour de mars 1998.

" Michael J. Bonner "

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 25e jour de septembre 1998.

Erich Klein, réviseur



1                L'historique de l'article 94.1 est exposé dans Robert G. Witterick, c.r., Securities Lending, Offshore Funds, and Defeasances, dans le Report of Proceedings of the Thirty-Sixth Tax Conference, 1984, Conference Report, Association canadienne d'études fiscales, page 618, à la page 639.

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