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Date: 20010123

Dossiers: 1999-3332-EI, 1999-3334-CPP

ENTRE :

DANIELLE IRVINE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Cain, C.C.I.

[1]            L'appelante a porté en appel la décision de l'intimé datée du 6 octobre 1998, selon laquelle l'emploi de l'appelante chez First Light Productions Inc. (la « payeuse » ), durant la période allant du 16 juin 1997 au 3 août 1997 ( « la période en litige » ), n'était pas un emploi assurable ou ouvrant droit à pension au sens de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi sur l'a.-e. » ) et du Régime de pensions du Canada (le « RPC » ) respectivement. Les parties ont convenu que les deux appels devaient être entendus en même temps, la preuve présentée devant être appliquée à chaque appel selon le contexte, et qu'il n'était pas nécessaire de créer deux dossiers.

[2]            L'intimé a fondé sa décision sur les hypothèses suivantes :

                                [TRADUCTION]

a)              de janvier 1997 au 15 juin 1997, l'appelante et Anna Stassis (les « associées » ) ont exploité une entreprise semblable à celle de la payeuse en formant une société de personnes (la « société de personnes » );

b)             après le 15 juin 1997, la payeuse a poursuivi les projets entrepris par la société de personnes, et il n'y a pas de partage clair entre les activités de la société de personnes et celles de la payeuse;

c)              la société de personnes a obtenu un prêt à l'entreprise de 15 000 $ de Y Enterprises, et les associées en étaient personnellement responsables;

d)             les sommes empruntées par la société de personnes ont servi à exploiter la payeuse;

e)              le 16 juin 1997, en vertu des lois de la province de Terre-Neuve, la payeuse s'est constituée en une société à but non lucratif, et celle-ci ne comportait pas d'actionnaires;

f)              afin de respecter les conditions de la loi intitulée The Corporations Act de la province de Terre-Neuve et du Labrador, la payeuse devait avoir un minimum de trois administrateurs;

g)             l'appelante, Anna Stassis et Kelly Jones sont devenues les administratrices de la payeuse;

h)             Kelly Jones n'a ni investi d'argent dans la payeuse ni partagé la responsabilité pour les sommes empruntées par la société de personnes qui ont été utilisées pour exploiter la payeuse;

i)               pendant l'année civile 1997, Kelly Jones a principalement rendu des services à d'autres employeurs et n'a pas participé à l'exploitation de la payeuse;

j)               pendant l'année civile 1997, la payeuse était exploitée par les associées;

k)              la payeuse a terminé le projet qui avait été entrepris par la société de personnes et, du 30 juin 1997 au 7 septembre 1997, a dirigé une production sur Bell Island (Terre-Neuve) appelée « Place of First Light : the Bell Island Experience » ;

l)               de mai 1997 au 16 juin 1997, avant la constitution en personne morale de la payeuse, l'appelante a exercé des fonctions de productrice et elle devait notamment demander du financement au moyen de subventions publiques, s'assurer que les règlements du gouvernement étaient respectés et coordonner l'approbation du projet par la collectivité de Bell Island;

m)             l'appelante a reçu 1 000 $ pour les fonctions mentionnées à l'alinéa précédent au moyen d'un chèque daté du 21 juillet 1997 et tiré sur le compte bancaire de la payeuse;

n)             avant le 16 juin 1997, l'appelante a également auditionné des acteurs et rempli certaines fonctions de coproductrice et de directrice artistique afin de s'assurer que la production soit prête à commencer les représentations le 30 juin 1997;

o)             le nom de l'appelante a été inscrit dans le livre de paie de la payeuse le 16 juin 1997, date de sa constitution en personne morale, à titre de directrice artistique et de directrice de production; de plus, dans le cadre de ses fonctions, elle devait auditionner les acteurs, les faire répéter, trouver des lieux appropriés pour les représentations publiques et coordonner tous les aspects de la production, dont les décors, les costumes, les exigences techniques et le transport des acteurs et des spectateurs;

p)             outre l'appelante, les seules autres personnes inscrites dans le livre de paye étaient les acteurs;

q)             tous les autres travailleurs, y compris Anna Stassis, étaient embauchés par la payeuse dans le cadre du programme de création d'emplois de Développement des ressources humaines Canada;

r)              avant le 3 août 1997, l'appelante ne satisfaisait pas aux conditions requises pour être embauchée en vertu du programme de création d'emplois de Développement des ressources humaines Canada;

s)              la participation de l'appelante aux activités de la payeuse à titre d'administratrice lui assurait d'être embauchée pour le poste, même si elle n'était pas admissible au programme de création d'emplois de Développement des ressources humaines Canada et qu'elle devait être payée par la payeuse;

t)              après le 3 août 1997, l'appelante a également été payée par l'entremise du programme de création d'emplois de Développement des ressources humaines Canada;

u)             après le 3 août 1997, l'appelante a continué d'offrir ses services de directrice artistique et de coproductrice à la payeuse et elle n'a pas été payée par la payeuse pour ces services;

v)             l'appelante contrôlait son propre emploi et elle a déterminé le moment de son inscription dans le livre de paye et celui de sa mise à pied;

w)             l'appelante a été inscrite dans le livre de paye de la payeuse afin de pouvoir être admissible à des prestations d'assurance-emploi et, par conséquent, être admissible au programme de création d'emplois de Développement des ressources humaines Canada;

x)              il n'y a pas eu de contrat de louage de services entre l'appelante et la payeuse.

[3]            L'appelante a admis les hypothèses énoncées aux alinéas c) à g) inclusivement, k), o) à q) inclusivement, et t) et u), mais a nié toutes les autres hypothèses susmentionnées.

Faits

[4]            Selon la preuve présentée, la Cour tire les conclusions de faits suivantes.

[5]            Aux environs de l'année 1997, l'appelante, Anna Stassis et Kelly Jones, par l'intermédiaire de leur société de personnes faisant des affaires sous le nom de First Light Productions, ont commencé à réunir des fonds pour financer une production théâtrale à Bell Island (Terre-Neuve) (la « production de Bell Island » ).

[6]            Elles ont réussi à négocier un prêt bancaire de 15 000 $, ce qui leur a permis de demander des fonds supplémentaires au Conseil des arts du Canada, au Newfoundland Labrador Council for the Arts et à Développement des ressources humaines Canada. L'appelante et Anna Stassis ont personnellement garanti le prêt bancaire.

[7]            Une fois que la production théâtrale a été écrite, le trio a demandé des fonds supplémentaires aux conseils susmentionnés. Les acteurs qui touchaient des prestations d'assurance-emploi avaient le droit de jouer dans la production et on ajoutait une allocation supplémentaire à leurs prestations pour les convaincre d'y participer.

[8]            Avant que les organismes susmentionnés avancent ou approuvent un financement, ils ont exigé que la société de personnes soit constituée en une société à but non lucratif. La payeuse a été constituée en personne morale le 16 juin 1997. À cette époque, toutes les sommes de la société de personnes ont été déposées au crédit de la compagnie.

[9]            La structure d'une compagnie de théâtre à but non lucratif est la suivante :

                Le conseil d'administration - le conseil exerce un contrôle total sur toutes les activités.

                Les dirigeants de la compagnie sont :

                Le producteur délégué - il accomplit les mêmes fonctions qu'un directeur général.

                Le directeur artistique - il coordonne la sélection des productions que la compagnie entreprendra.

                La compagnie emploie ensuite le personnel suivant :

                Le directeur - une personne engagée pour participer à la sélection des acteurs et des actrices et pour préparer la production des représentations.

                Les acteurs

                L'équipe de scène

                L'agent de publicité

                Les comptables

[10]          La payeuse étant une jeune compagnie, le conseil d'administration original a eu de la difficulté à attirer des gens, de sorte que c'est le trio qui a formé le conseil d'administration. L'appelante est devenue directrice artistique, et Anna Stassis est devenue productrice déléguée.

[11]          L'appelante avait été à l'origine du scénario de la production de Bell Island, et elle était diplômée de l'École nationale de théâtre du Canada. Le conseil a conclu qu'elle était la personne la plus apte à diriger la production. Elle a été embauchée pour un salaire de 400 $ par semaine, ce qui constitue le salaire minimal devant être versé à la directrice d'une production financée par les organismes susmentionnés.

[12]          Elle a travaillé comme directrice du 16 juin 1997 au 3 août 1997 à un salaire négocié de 400 $ par semaine. La directrice avait un contrôle presque exclusif sur la préparation des acteurs pour la production.

[13]          Le 16 juillet, la compagnie a payé à l'appelante 1 000 $ pour le travail qu'elle avait accompli afin de réunir des fonds pour la société de personnes originale. L'argent n'a pas été prélevé sur le prêt original, puisque la totalité du prêt devait servir à soutenir les demandes de prêt effectuées par la suite. La compagnie se trouvait dans une meilleure situation financière pour effectuer le paiement en juillet.

[14]          Durant les premières semaines de représentation, l'appelante a continué à recueillir des données qui lui ont permis de polir la production. Le 3 août 1997, l'appelante a mis un terme à ses fonctions de directrice. Elle a démissionné de son poste de directrice artistique. À partir de ce moment, c'est la productrice déléguée, Anna Stassis, qui a exercé le contrôle de la production.

[15]          Aucune preuve n'a été présentée afin de démontrer que le conseil d'administration avait autorisé l'embauchage de l'appelante à titre de directrice de la production de Bell Island, à l'exception du témoignage de vive voix de l'appelante.

Décision

[16]          J'ai été impressionné par le témoignage de l'appelante et je suis convaincu que toutes les activités auxquelles elle a participé au cours de la période en litige, que ce soit en sa qualité d'administratrice de la payeuse ou durant son emploi ultérieur de directrice de production de Bell Island, à Terre-Neuve, étaient de bonne foi. Bien qu'il soit habituel d'exiger que le témoignage d'un appelant soit corroboré par une preuve documentaire ou le témoignage de vive voix d'une autre personne, bien informée des circonstances, en l'espèce, je conclus que le témoignage de l'appelante était suffisamment précis et crédible pour appuyer son appel.

[17]          L'intimé a été désavantagé par le fait que ses hypothèses ont été formulées à la suite d'une enquête effectuée par une personne qui n'avait aucune connaissance de la structure et de l'exploitation d'une compagnie de théâtre. Selon son témoignage de vive voix à l'audience, il est clair qu'au moment de son enquête, il ne comprenait pas la nature et les fonctions des différents intervenants qui composent le personnel d'une compagnie de théâtre, qui ont été exposées ci-dessus.

[18]          Le témoignage de l'appelante a démoli ou rendu non pertinentes les hypothèses formulées par l'intimé aux alinéas a), b), h), i), j), l), m), n), r), s), v), w) et x) et il a établi une preuve prima facie. Aucun des éléments de preuve présentés par l'intimé n'a contesté cette preuve prima facie.

[19]          L'appelante, Anna Stassis et Kelly Jones ont en réalité formé une société de personnes au début de 1997 dans l'espoir de réunir des fonds afin de soutenir financièrement la production de Bell Island. Le fait que Kelly Jones ait décidé de ne pas garantir personnellement le montant de 15 000 $ qu'avait emprunté la société de personnes afin de pouvoir demander un financement n'est pas pertinent. En tant qu'associée, elle aurait probablement été responsable en tout état de cause.

[20]          La payeuse a été constituée en personne morale afin d'assumer le fardeau financier de la société de personnes, malgré le fait que l'appelante et Anna Stassis étaient responsables du prêt original de 15 000 $. Le fait que la payeuse travaillait sur les même projets que ceux qu'avait entrepris la société de personnes n'est pas pertinent. Comme on le verra plus loin dans le présent jugement, la payeuse était en droit une entité distincte.

[21]          La payeuse n'était pas une société par actions, et aucun des membres, y compris Kelly Jones, n'a investi dans la compagnie. La société de personnes a prêté à la payeuse le montant emprunté de 15 000 $, qui est devenu une dette due par la compagnie à la société de personnes originale. Au moyen d'une entente, la société de personnes a accepté de payer à l'appelante un montant de 1 000 $ pour tous les services qu'elle avait rendus avant la constitution en personne morale, et le fait que le montant a été payé après cette constitution et sur le compte de la payeuse n'est pas pertinent. La dette de la payeuse à l'endroit de la société de personnes a été réduite de ce montant.

[22]          Après sa constitution en personne morale, la payeuse était une entité juridique distincte et était régie par l'appelante, Anna Stassis et Kelly Jones en leur qualité de membres du conseil, et non en leur qualité d'associées.

[23]          Bien qu'elle ait été niée par l'appelante, qui n'était pas représentée par avocat, l'hypothèse énoncée à l'alinéa l) est vraie, mais non pertinente. Il ne fait aucun doute qu'elle a travaillé pour la société de personnes et qu'elle aurait exercé des fonctions semblables à celles qu'elle avait remplies en sa qualité de membre dirigeant de la payeuse. Toutefois, la payeuse était une entité juridique distincte.

[24]          L'appelante a admis l'hypothèse énoncée à l'alinéa o). Toutefois, son témoignage a clairement démontré que du 16 juin 1997 au 3 août 1997, elle n'a rempli aucune fonction de directrice artistique et de directrice de la production. Cependant, même si elle l'avait fait, la Cour est d'avis, pour les motifs présentés ci-dessous, que cela ne serait pas non plus pertinent.

[25]          En ce qui concerne l'hypothèse énoncée à l'alinéa r), l'appelante a indiqué dans son témoignage qu'elle avait suffisamment d'heures de travail en banque, en raison d'un emploi occupé dans une agence de voyage, pour avoir droit à des prestations en vertu de la Loi sur l'a.-e. Aucune preuve n'a été déposée afin de réfuter ce fait.

[26]          La preuve relative à l'hypothèse énoncée à l'alinéa s) a indiqué que l'appelante était la personne la mieux placée pour agir à titre de directrice de la production de Bell Island, et aucune preuve n'a été présentée par l'intimé pour appuyer l'hypothèse énoncée à l'alinéa w) qui a été niée.

[27]          Pour ce qui est de l'hypothèse énoncée à l'alinéa u), le fait que l'appelante soit passée, chez la payeuse, de sa situation d'employée de bonne foi à sa situation de membre dirigeant actif n'est pas pertinent.

[28]          Selon la position de l'intimé, établie de manière réaliste, la payeuse était l'alter ego des associées et une simple structure grâce à laquelle celles-ci exploitaient leur société de personnes. En outre, l'embauchage de l'appelante pour diriger la production de Bell Island était un stratagème visant à lui permettre d'être admissible à des prestations sous le régime de la Loi sur l'a.-e. L'intimé a également soutenu que s'il y avait un contrat entre l'appelante et la payeuse, il s'agissait alors d'un contrat d'entreprise, puisque la payeuse n'avait pas ou avait peu de contrôle sur l'exécution par l'appelante de son contrat de directrice.

[29]          Un membre ou un actionnaire d'une société peut devenir un employé de cette entité. Dans l'affaire Lee v. Lee's Air Farming Ltd., [1960] 3 All E.R. 420, le Conseil privé a examiné le cas d'un pilote qui contrôlait une société et qui s'était nommé lui-même chef pilote à un salaire qu'il avait déterminé lui-même. À la suite du décès du pilote dans le cadre de l'exercice de ses fonctions, la Cour a conclu que le poste particulier de l'actionnaire à titre d'administrateur dirigeant et de principal actionnaire ne l'empêchait pas de conclure, au nom de la compagnie, un contrat d'emploi avec lui-même ni de conclure un contrat de louage de services ou de travailler comme préposé en vertu d'un tel contrat.

[30]          À la page 425, lord Morris de Borth-Y-Gest, qui a rédigé la décision pour le Conseil, a déclaré ce qui suit :

                                [TRADUCTION]

[...] Était-il une personne qui avait conclu un contrat de louage de services avec un employeur ou qui travaillait pour cet employeur en vertu d'un tel contrat? La Cour d'appel a cru que son poste particulier d'administrateur dirigeant l'empêchait d'être un préposé de la compagnie intimée. Selon ce point de vue, il est difficile de savoir quels étaient sa situation et son poste lorsqu'il remplissait la tâche ardue et délicate consistant à piloter un avion appartenant à la compagnie intimée et lorsque, des airs, il traitait en surface des terres agricoles. Il recevait un salaire pour cela. La compagnie intimée conservait un registre des salaires, dans lequel son salaire était inscrit. Le travail était accompli à la demande des agriculteurs, qui avaient des droits et des obligations contractuels à l'égard de la compagnie intimée seule. On ne peut suggérer que, lorsqu'il exerçait les activités susmentionnées, le défunt accomplissait son devoir d'administrateur dirigeant. Leurs Seigneuries n'ont pu s'empêcher de conclure que les activités aériennes avaient été exercées parce que le défunt avait un certain lien contractuel avec la compagnie intimée. Ce lien s'est formé parce que le défunt, en tant que personne juridique, était désireux de travailler pour la compagnie intimée, autre entité juridique, et de conclure un contrat avec elle.

et poursuivant à la page 426, le savant juge a déclaré :

                                [TRADUCTION]

Il n'y a donc aucune raison de nier la possibilité qu'un lien contractuel ait été créé entre le défunt et la compagnie intimée. Si cette étape est réalisée, leurs Seigneuries ne voient alors aucune raison pour laquelle l'éventail des liens contractuels possibles ne pourrait comprendre un contrat d'entreprise, et, si le défunt, en sa qualité de représentant de la compagnie intimée, pouvait négocier un contrat d'entreprise entre celle-ci et lui-même, il n'y a aucune raison pour qu'un contrat de louage de services ne puisse aussi avoir été négocié. On dit que là réside la difficulté parce que l'on fait valoir que le défunt ne pouvait à la fois avoir l'obligation de donner des ordres et celle d'y obéir. Mais ce point de vue ne tient pas compte du fait que ce serait la compagnie intimée et non pas le défunt qui donnerait les ordres. Le contrôle demeurerait entre les mains de la compagnie intimée, peu importe le représentant qui l'exercerait. Le fait qu'aussi longtemps que le défunt restait administrateur général investi des pleins pouvoirs, il lui appartiendrait d'agir en qualité de représentant de la compagnie intimée et de donner des ordres ne modifie pas le fait que celle-ci et le défunt constituaient deux personnes juridiques distinctes. Si le défunt était lié à la compagnie intimée par un contrat de louage de services, celle-ci possédait alors un droit de contrôle. Son mode d'exercice ne modifierait ni ne diminuerait le droit à cet exercice.

[31]          La situation de l'appelante n'était pas différente de celle du pilote. Bien qu'elle fût une personne ayant un poste de direction, elle a été choisie pour diriger la production de Bell Island en raison de son talent. Le pilote n'avait pas abandonné son poste de dirigeant, et le Conseil privé a conclu que, lorsqu'il faisait de la pulvérisation sur les récoltes dans les champs des agriculteurs, il n'exerçait pas sa fonction de dirigeant, mais remplissait son devoir d'employé de la compagnie. Aucune disposition de la Loi sur l'a.-e. n'empêcherait une telle entente, et, lorsque, en l'espèce, la Cour conclut qu'une telle entente était de bonne foi, un tel emploi, s'il respecte toutes les autres conditions, doit être assurable.

[32]          L'intimé affirme qu'il est interdit de créer ou d'augmenter délibérément la probabilité qu'une demande soit présentée en vertu de la Loi sur l'a.-e. et, à l'appui de cette affirmation, cite l'affaire Tanguay c. Canada (Commission d'assurance-chômage), C.A.F., no A-1458-84, 2 octobre 1985 (68 N.R. 154). Toutefois, cette affaire a une application très limitée. En effet, dans cette affaire, les employés avaient volontairement quitté leur poste afin de donner à de jeunes employés une chance d'avancement et un emploi garanti. La Cour a conclu que cette manière de créer du chômage n'était pas assurable, puisque les fonds constituaient une assurance contre le chômage et que celui qui était délibérément créé ou qui augmentait délibérément le risque n'était pas assurable. En l'espèce, l'emploi de l'appelante n'a pas été créé délibérément. L'appelante a été embauchée afin de faire un travail particulier, qui devait être fait, puis elle a démissionné après l'exécution de la tâche. Son chômage n'a pas été délibérément créé.

[33]          L'appelante a indiqué dans son témoignage que, durant la période en litige, elle avait eu un contrôle total sur les répétitions et la préparation des acteurs relativement à leurs différents rôles. L'intimé a soutenu que c'était ce qui faisait que l'on était en présence d'un contrat d' « entreprise » plutôt que d'un contrat de « louage de services » .

[34]          Dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 ([1986] 2 C.T.C. 200), le défunt juge McGuigan, qui a rédigé la décision pour la majorité de la Cour d'appel fédérale, a, au sujet de toute la question du contrôle lorsqu'il s'agit de faire la distinction entre un contrat de louage de services et un contrat d'entreprise, fait la déclaration suivante aux page 558 et 559 (C.T.C., à la page 203) :

                En common law, le critère traditionnel qui confirme l'existence d'une relation employeur-employé est le critère du contrôle, que le baron Bramwell a défini dans Regina v. Walker (1858), 27 L.J.M.C. 207, à la page 208 :

                [TRADUCTION] À mon sens, la différence entre une relation commettant-préposé et une relation mandant-mandataire est la suivante : un mandant a le droit d'indiquer au mandataire ce qu'il doit faire, mais le commettant a non seulement ce droit, mais aussi celui de dire comment la chose doit être faite.

Ce critère est tout aussi important aujourd'hui, comme la Cour suprême du Canada l'a indiqué dans l'affaire Hôpital Notre-Dame de l'Espérance et Théoret c. Laurent, [1978] 1 R.C.S. 605, en souscrivant à l'énoncé suivant, à la page 613 : « le critère essentiel destiné à caractériser les rapports de commettant à préposé est le droit de donner des ordres et instructions au préposé sur la manière de remplir son travail » .

                Néanmoins, dans Vicarious Liability in the Law of Torts, Londres, Butterworths, 1967, le professeur P. S. Atiyah a affirmé, à la page 41, que [TRADUCTION] « le critère de contrôle établi par le baron Bramwell ... est d'une simplicité trompeuse qui ... tend à perdre toute valeur après analyse » . Ce critère a le grave inconvénient de paraître assujetti aux termes exacts du contrat définissant les modalités du travail : si le contrat contient des instructions et des stipulations détaillées, comme c'est chose courante dans les contrats passés avec un entrepreneur indépendant, le contrôle ainsi exercé peut être encore plus rigoureux que s'il résultait d'instructions données au cours du travail, comme c'est l'habitude dans les contrats avec un préposé, mais une application littérale du critère pourrait laisser croire qu'en fait, le contrôle exercé est moins strict. En outre, le critère s'est révélé tout à fait inapplicable pour ce qui est des professionnels et des travailleurs hautement qualifiés, qui possèdent des aptitudes bien supérieures à la capacité de leur employeur à les diriger.

[35]          L'appelante était apparemment compétente dans sa profession et la directrice la plus qualifiée disponible. Elle a indiqué dans son témoignage que pour exercer efficacement sa fonction de directrice, elle devait avoir le contrôle total sur la formation des acteurs et la préparation de la production. Si la payeuse n'était pas satisfaite du rendement de la directrice, elle avait le pouvoir et le droit de la remplacer. Elle a été embauchée sur une base hebdomadaire et à un salaire fixe et elle devait se présenter au travail tous les jours au moment des répétitions. Les autres membres de la payeuse ne possédaient ni la formation ni la compétence pour diriger la production de Bell Island, mais conservaient le droit de contrôler l'exécution par l'appelante du contrat de louage de services.

[36]          La Cour conclut que l'emploi occupé pendant la période en litige constituait un emploi assurable et ouvrant droit à pension, accueille l'appel et infirme la décision de l'intimé.

Signé à Rothesay (Nouveau-Brunswick), ce 23e jour de janvier 2001.

« M. F. Cain »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 11e jour de juin 2001.

Isabelle Chénard, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-3332(EI)

ENTRE :

DANIELLE IRVINE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Danielle Irvine (1999-3334(CPP)), le 23 août 2000, à St. John's (Terre-Neuve), par

l'honorable juge suppléant M. F. Cain

Comparutions

Pour l'appelante :                       L'appelante elle-même

Avocat de l'intimé :                              Me John O'Callaghan

JUGEMENT

          L'appel est accueilli et la décision du ministre est infirmée selon les motifs du jugement ci-joints.


Signé à Rothesay (Nouveau-Brunswick), ce 23e jour de janvier 2001.

« M. F. Cain »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de juin 2001.

Isabelle Chénard, réviseure


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-3334(CPP)

ENTRE :

DANIELLE IRVINE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Danielle Irvine (1999-3332(EI)), le 23 août 2000, à St. John's (Terre-Neuve), par

l'honorable juge suppléant M.F. Cain

Comparutions

Pour l'appelante :                                 L'appelante elle-même

Avocat de l'intimé :                                        Me John O'Callaghan

JUGEMENT

          L'appel est accueilli et la décision du ministre est infirmée selon les motifs du jugement ci-joints.


Signé à Rothesay (Nouveau-Brunswick), ce 23e jour de janvier 2001.

« M. F. Cain »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de juin 2001.

Isabelle Chénard, réviseure


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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