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Date: 20010122

Dossiers: 2000-1406-EI, 2000-1407-CPP

ENTRE :

SASKATCHEWAN DEAF AND HARD OF HEARING SERVICES INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1]            Du consentement des parties, les présents appels ont été entendus sur preuve commune à Regina (Saskatchewan) le 21 novembre 2000.

[2]            L'appelante interjette appel de décisions du ministre du Revenu national (le « ministre » ) datées du 5 janvier 2000, selon lesquelles l'emploi exercé par le dénommé Patrick S. Provost (le « travailleur » ) chez l'appelante du 15 février au 19 août 1999 était assurable aux termes de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ) et ouvrait droit à pension aux termes du Régime de pensions du Canada (le « RPC » ). Le motif donné à l'appui de ces décisions est le suivant :

                                [TRADUCTION]

Il a été décidé que l'emploi en question était assurable et ouvrait droit à pension pour le motif suivant : vous occupiez cet emploi dans le cadre d'un contrat de louage de services, ce qui faisait de vous un employé.

Il était indiqué que les décisions étaient rendues en vertu de l'article 93 de la Loi et de l'article 27 du RPC, et qu'elles étaient fondées sur l'alinéa 5(1)a) de la Loi et sur l'alinéa 6(1)a) du RPC, respectivement.

[3]            Les faits pertinents nous apprennent que l'appelante est un organisme à but non lucratif qui fournit des services aux personnes sourdes, malentendantes ou atteintes de surdité postlinguistique. Entre autres choses, elle met des interprètes à la disposition de ces personnes. Le travailleur a été embauché pour offrir ce genre de service. L'appelante soutient avoir embauché le travailleur à titre d'entrepreneur indépendant, pour qu'il se joigne à l'équipe d'interprètes qu'elle emploie, et ce, aux termes d'un contrat d'entreprise, ce qui signifie que le travailleur n'occupait pas un emploi assurable ni un emploi ouvrant droit à pension. Le ministre a jugé au contraire qu'il s'agissait d'un contrat de louage de services. Voilà la question à trancher.

Le droit

[4]            La façon dont la Cour doit procéder pour déterminer s'il s'agit d'un emploi exercé aux termes d'un contrat de louage de services et, par conséquent, d'une relation employeur-employé, ou aux termes d'un contrat d'entreprise et, par conséquent, d'une relation avec un entrepreneur autonome, a été clairement énoncée par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (87 DTC 5025). La Cour d'appel fédérale a par la suite expliqué plus en détail le critère à appliquer dans l'affaire Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. c. M.R.N., C.A.F., no A-531-87, 15 janvier 1988 (88 DTC 6099). Plusieurs décisions rendues subséquemment par la Cour canadienne de l'impôt, dont certaines ont été citées par les avocates, montrent comment les lignes directrices exposées par la Cour d'appel fédérale ont été appliquées. Dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc., précité, la Cour d'appel fédérale s'est exprimée en ces termes :

[Analyse]

La cause décisive concernant cette question dans le contexte de la loi est la décision de la Cour dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. Le ministre du Revenu national, 87 D.T.C. 5025. Parlant au nom de la Cour, le juge MacGuigan a analysé des causes canadiennes, britanniques et américaines et, en particulier, il a mentionné les quatre critères pour rendre une telle décision qui sont énoncés par lord Wright dans l'affaire La ville de Montréal c. Montreal Locomotive Works Ltd., [1974] 1 D.L.R. 161, aux pages 169 et 170. Il a conclu à la page 5028 que :

         Dans ce contexte, les quatre critères établis par lord Wright constituent une règle générale, et même universelle, qui nous oblige à [TRADUCTION] « examiner l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties » . Quand il s'est servi de cette règle pour déterminer la nature du lien existant dans l'affaire Montreal Locomotive Works, lord Wright a combiné et intégré les quatre critères afin d'interpréter l'ensemble de la transaction.

À la page 5029, il déclare :

Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l'ont interprété, mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé [TRADUCTION] « l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations » et ce même si je reconnais l'utilité des quatre critères subordonnés.

À la page 5030, il poursuit :

         Il est toujours important de déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles.

Il fait également observer : « Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents » .

[...] comme le juge MacGuigan, nous considérons les critères comme des subordonnés utiles pour peser tous les faits relatifs à l'entreprise de la requérante. C'est maintenant l'approche appropriée et préférable pour la très bonne raison que dans une cause donnée, et celle-ci peut très bien en être une, un ou plusieurs des critères peuvent être peu ou pas applicables. Pour rendre une décision, il faut donc considérer l'ensemble de la preuve en tenant compte des critères qui peuvent être appliqués et donner à toute la preuve le poids que les circonstances peuvent exiger.

[5]            Les critères mentionnés par la Cour peuvent se résumer ainsi :

a) le degré de contrôle exercé par l'employeur présumé ou l'absence d'un tel contrôle;

                b) la propriété des instruments de travail;

                c) les chances de bénéfice et les risques de perte;

d) l'intégration du travail de l'employé présumé à l'entreprise de l'employeur présumé.

[6]         Je prends note également du passage qui suit de l'arrêt Wiebe, précité, dans lequel le juge MacGuigan approuve l'approche adoptée par les tribunaux britanniques :

                C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739) :

[TRADUCTION]

Les remarques de LORD WRIGHT, du LORD JUGE DENNING et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci : « La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte » . Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

[7]            À cela, j'ajouterais un passage de l'arrêt Charbonneau c. Canada (M.R.N.), [1996] A.C.F. no 1337, où le juge Décary, s'exprimant au nom de la Cour d'appel fédérale, déclarait ceci :

Les critères énoncés par cette Cour [...] ne sont pas les recettes d'une formule magique. Ce sont des points de repère qu'il sera généralement utile de considérer, mais pas au point de mettre en péril l'objectif ultime de l'exercice qui est de rechercher la relation globale que les parties entretiennent entre elles. Ce qu'il s'agit, toujours, de déterminer, une fois acquise l'existence d'un véritable contrat, c'est s'il y a, entre les parties, un lien de subordination tel qu'il s'agisse d'un contrat de travail [...] ou s'il n'y a pas [...] un degré d'autonomie tel qu'il s'agisse d'un contrat d'entreprise ou de service. [...] En d'autres termes, il ne faut pas [...] examiner les arbres de si près qu'on perde de vue la forêt. Les parties doivent s'effacer devant le tout.

[8]            Pour ce qui est du deuxième aspect de la décision du ministre, voici le libellé de l'alinéa 6g) du Règlement sur l'assurance-emploi :

g) l'emploi exercé par une personne appelée par une agence de placement à fournir des services à un client de l'agence, sous la direction et le contrôle de ce client, en étant rétribuée par l'agence. DORS/97-31, art.1.

[9]            L'appelante a également mentionné à la Cour l'affaire Vulcain Alarme Inc. c. Le ministre du Revenu national, C.A.F., no A-376-98, 11 mai 1999 (1999 249 N.R. 1), dans laquelle la Cour d'appel fédérale a réexaminé la question. Le juge Létourneau a déclaré ce qui suit :

[...] Ces critères jurisprudentiels sont importants mais, faut-il le rappeler, ils ne sauraient compromettre le but ultime de l'exercice, soit d'établir globalement la relation entre les parties [...] Cet exercice consiste à déterminer s'il existe entre les parties un lien de subordination tel qu'il faille conclure à l'existence d'un contrat de travail au sens de l'article 2085 du Code civil du Québec ou s'il n'existe pas plutôt entre celles-ci ce degré d'autonomie qui caractérise le contrat d'entreprise ou de service [...]

Il a ajouté plus loin :

[...] Un entrepreneur par exemple qui travaille en sous-traitance sur un chantier ne dessert pas ses clients, mais ceux du payeur, i.e., l'entrepreneur général qui a retenu ses services. Le fait que M. Blouin ait dû se présenter chez la demanderesse une fois par mois pour prendre ses feuilles de service et ainsi connaître la liste des clients à servir et, conséquemment, le lieu d'exécution de la prestation de ses services n'en fait pas pour autant un employé. L'entrepreneur qui exécute des tâches pour une entreprise, tout comme l'employé dans un contrat de travail, doit connaître les lieux où ses services sont requis et leur fréquence. La priorité d'exécution des travaux requise d'un travailleur n'est pas l'apanage d'un contrat de travail. Les entrepreneurs ou sous-entrepreneurs sont aussi souvent sollicités par divers clients influents qui les forcent à établir des priorités quant à leur prestation de services ou à se conformer à celles qu'ils dictent.

Puis :

[...] Bien que les revenus de M. Blouin étaient calculés sur une base horaire, le nombre d'heures de travail était déterminé par le nombre de feuilles de services qu'il recevait de la demanderesse. Il n'y avait donc aucun revenu garanti pour M. Blouin et sa société. Contrairement aux techniciens oeuvrant comme employés à l'interne chez la demanderesse et dont la rémunération hebdomadaire était constante, les revenus de M. Blouin fluctuaient selon les appels de service. De fait, vers la fin de son contrat avec la demanderesse, M. Blouin ne faisait plus que l'équivalent de 40 heures par mois car il recevait peu de feuilles de service.

De plus, M. Blouin, qui utilisait son propre véhicule pour travailler, a dû assumer les pertes découlant d'un accident dans lequel il fut impliqué et se procurer un autre véhicule.

Ces commentaires m'apparaissent particulièrement pertinents.

Faits

[10]          On a indiqué, dans la réponse à l'avis d'appel signée au nom du ministre, que ce dernier s'était fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

                [TRADUCTION]

a)              les faits admis ci-devant;

b)             l'appelante n'était pas liée au travailleur;

c)              l'appelante est un organisme à but non lucratif multilingue et multiculturel, dont la mission est de promouvoir l'autonomie des personnes sourdes, malentendantes ou atteintes de surdité postlinguistique en fournissant des services qui améliorent leur qualité de vie;

d)             l'appelante offre des services d'aide en matière de communication orale, d'interprétation gestuelle et de prise de notes; elle fournit des renseignements sur les appareils et outils techniques et sur les services de counselling en réadaptation professionnelle, et elle y donne accès;

e)              l'entreprise de l'appelante n'est pas saisonnière;

f)              les heures d'ouverture normales de l'appelante sont de 8 h à 16 h 30 du lundi au vendredi;

g)             le travailleur offrait des services d'interprétation communautaire : réunions des Alcooliques anonymes, formation en maîtrise de la colère, séances d'information, interprétation dans le cadre d'activités de loisir, cours de premiers soins, etc.;

h)             le travailleur travaillait seul ou en compagnie d'un autre interprète;

i)               le nombre d'interprètes requis variait suivant le nombre d'heures pendant lesquelles les services devaient être fournis;

j)               l'échelle salariale établie par l'appelante avait été approuvée par le conseil d'administration;

k)              cette échelle salariale était la suivante :

                                                Niveau                                                                    Salaire horaire

                                                Débutant (sans certification)                             16,50 $

                                                Interprète diplômé                                                18,50 $

                                                Interprète certifié                                  27,50 $

l)               le travailleur recevait 16,50 $ l'heure et avait droit à une augmentation de 1 $ après chaque tranche de 250 heures de services;

m)             le travailleur était assuré de toucher un montant minimum correspondant à une heure et demie de salaire pour chaque séance;

n)             à la fin de chaque mois, le travailleur remettait à l'appelante un relevé des séances où il avait fourni des services et de ses heures de travail;

o)             le travailleur était payé une fois par mois;

p)             le travailleur recevait un chèque de paie le 15 du mois suivant celui où les services avaient été fournis;

q)             le travailleur avait droit à une heure de salaire si une séance était annulée avec moins de 24 heures de préavis;

r)              le travailleur était visé par la police d'assurance-responsabilité de l'appelante et par un mécanisme d'indemnisation des accidents du travail;

s)              le travailleur informait l'appelante des périodes où il ne pouvait travailler;

t)              le travailleur fournissait des services à l'appelante le soir et, parfois, la fin de semaine;

u)             l'appelante communiquait avec le travailleur pour lui confier du travail;

v)             le travailleur ne pouvait modifier l'heure des séances;

w)             l'appelante fournissait un remplaçant au besoin;

x)              les travaux confiés au travailleur étaient choisis en fonction de ses titres professionnels, de son niveau de compétence et de son expérience;

y)             le travailleur est membre de l'Association des interprètes de langage visuel du Canada (AILVC) et de la Saskatchewan Association of Visual Language Interpreters (SAVLI);

z)              le travailleur n'avait pas le diplôme — décerné au bout de deux ans — nécessaire pour obtenir sa certification;

aa)            le travailleur devait se conformer au code de déontologie de l'AILVC et de la SAVLI;

bb)           le directeur des communications de l'appelante décidait en dernier ressort de la distribution des travaux ainsi que des tâches qui pouvaient être confiées au travailleur, compte tenu de sa compétence;

cc)            les services du travailleur étaient fournis hors des locaux de l'appelante;

dd)           le travailleur fournissait personnellement les services;

ee)            les clients communiquaient avec l'appelante afin de réserver les services d'un interprète;

ff)             le travailleur était payé même si le client n'était pas satisfait de ses services;

gg)           le travailleur n'avait pas de bureau distinct;

hh)           le travail accompli par le travailleur était surveillé uniquement par le client ou par un autre interprète;

ii)              le travailleur n'avait pas besoin de formation;

jj)              le travailleur n'avait pas besoin d'outils dans l'exercice de ses fonctions;

kk)            le travailleur ne facturait pas de TPS à l'appelante;

ll)              le travailleur n'était pas le seul travailleur à offrir les mêmes services dans les mêmes circonstances.

[11]          L'appelante a admis les hypothèses de fait figurant aux alinéas a), b), c), d), e), f), g) (elle a indiqué que ces activités faisaient partie de la gamme des services qu'elle offrait), h), i), j), k), m), n), p), q), r), s), t), z), aa), cc), dd), jj), kk) et ll).

[12]          Elle a contesté — ou souhaitait expliquer ou commenter — les hypothèses de fait figurant aux alinéas j), l), o), u), v), w), x), y), bb), ee), ff), gg) (elle ignorait si tel était le cas ou non), hh) et (ii).

[13]          Ont témoigné Jerry Markin, directeur des services de communication de l'appelante, et Patrick Provost, le travailleur en question.

[14]          Le témoignage de M. Markin était clair et honnête et je l'accepte sans réserve. Ce témoin a expliqué la nature des activités de l'organisme et a indiqué être chargé, entre autres choses, de fournir les services d'interprètes aux clients, c'est-à-dire les personnes sourdes, malentendantes ou atteintes de surdité postlinguistique de toute la Saskatchewan. L'appelante est un organisme à but non lucratif dont le financement de base provient de l'État. Elle ne facture pas ses services à ses clients; toutefois, si d'autres groupes ou organismes veulent retenir ses services, elle exige alors des frais.

[15]          L'appelante comptait un certain nombre d'employés permanents travaillant à temps plein; ils avaient un horaire de travail régulier et profitaient de différents avantages sociaux. Jusqu'à une époque récente, des interprètes faisaient partie de ses employés à temps plein. Cette pratique ne donnait pas des résultats satisfaisants du point de vue des clients : essentiellement, il y avait trop de contraintes quant au choix et à la disponibilité des interprètes. C'est la raison pour laquelle l'appelante a constitué une équipe de travailleurs indépendants, qui précisaient eux-mêmes leur disponibilité et qui possédaient la compétence et les aptitudes requises pour offrir ces services. Patrick Provost était l'un d'eux.

[16]          Il a été clairement établi entre l'appelante et le travailleur — de même qu'entre elle et les autres interprètes — que l'interprète était embauché à titre d'entrepreneur indépendant. M. Markin et Patrick Provost ont convenu de ce point. De fait, durant la même période, le travailleur était au service d'un conseil scolaire local comme employé à temps plein.

[17]          Selon les modalités convenues, si l'appelante recevait une demande de service — mentionnant parfois un interprète en particulier —, elle communiquait avec un des membres de l'équipe. Si celui-ci était libre et acceptait de fournir le service, le travail lui était confié et il prenait les dispositions voulues avec le client. Les membres de l'équipe étaient cependant payés par l'appelante à un taux horaire convenu d'avance en fonction de leur expérience. Ils consignaient leurs heures de travail et les services fournis, puis ils présentaient une facture à l'appelante à la fin de chaque mois; ils touchaient le salaire correspondant le mois suivant, pourvu que l'appelante reçoive la facture avant le 5 de ce mois, sinon, ils étaient payés le mois suivant.

[18]          Les travailleurs devaient se conformer à des normes professionnelles établies par des organisations professionnelles.

[19]          Si un travail devait durer plus d'un certain nombre d'heures, on faisait appel aux services d'un deuxième interprète; les interprètes travaillaient alors 20 minutes en alternance : pendant que l'un travaillait, l'autre faisait une pause. En outre, les travaux étaient classés en fonction de leur niveau de difficulté, qui n'était pas le même (par exemple, une procédure devant un tribunal par rapport à une activité de loisir).

[20]          Je suis convaincu que les interprètes avaient toujours la possibilité de refuser un travail s'ils ne voulaient pas le faire pour une raison quelconque, et qu'ils ne subissaient aucune pression ni n'avaient à justifier leur refus. Ils étaient clairement des travailleurs autonomes à cet égard. S'ils acceptaient un travail et que, pour une raison quelconque, ils ne pussent le mener à bien, ils tentaient, conjointement avec l'appelante, de trouver quelqu'un qui soit en mesure de les remplacer, et ce remplaçant était ensuite rémunéré par l'appelante.

[21]          C'étaient en grande partie les interprètes qui décidaient de la manière dont ils effectuaient leur travail, en conformité avec les normes professionnelles. Une fois le travail confié à un interprète, l'appelante n'intervenait plus, si ce n'est pour payer l'interprète ultérieurement.

[22]          Le travailleur acquittait ses frais de déplacement en ville, de stationnement et de téléphone cellulaire ainsi que ses cotisations professionnelles. Il n'y avait absolument aucune autre dépense. Si le travailleur devait se rendre à l'extérieur de la ville, il avait droit au remboursement de ses frais additionnels.

[23]          Même si la situation ne s'est pas présentée, le travailleur pouvait à sa guise accepter d'autres travaux rémunérés offerts par d'autres sources de son choix.

[24]          Mentionnons pour la forme que le travailleur était visé par une police d'assurance-responsabilité publique souscrite et payée par l'appelante. Cette police couvrait le personnel à temps plein, les travailleurs indépendants comme M. Provost, les bénévoles et les membres du conseil. Ce fait me semble dénué de pertinence.

[25]          Le travailleur était également visé par un mécanisme d'indemnisation des accidents du travail en tant qu'entrepreneur indépendant; les cotisations y relatives étaient acquittées par l'appelante. Le travailleur n'avait pas droit à des avantages sociaux, et il n'avait pas à se tenir à la disposition de l'appelante durant des périodes données. Il ne se rendait pas aux locaux de l'appelante, puisqu'il n'avait aucune raison de le faire.

[26]          Les plaintes, qui semblent avoir été rares et espacées, étaient présentées directement à l'appelante, qui en faisait part ou non au travailleur, tout dépendant de leur nature. Des conflits de personnalité surgissaient parfois entre des clients et des interprètes, mais aucune procédure disciplinaire n'était prévue.

[27]          Au cours de son témoignage, Patrick Provost a confirmé que, d'après ce qu'il avait compris, il travaillait pour l'appelante en qualité d'entrepreneur indépendant. Lorsque son emploi à temps plein pour le conseil scolaire a pris fin, M. Provost a présenté une demande de prestations d'assurance-emploi, et on lui a alors indiqué que son travail pour l'appelante correspondait également à un emploi assurable. Il a précisé que, non seulement on le lui avait mentionné au bureau de l'assurance-emploi, mais encore qu'on avait insisté sur ce point. Il semble que ce soit là l'origine de toute cette affaire.

[28]          Voilà les faits saillants tels qu'ils m'apparaissent.

Application aux faits des quatre volets du critère

[29]          Il ressort du droit applicable en la matière que la Cour doit examiner le fond de l'entente conclue entre les parties, et non pas simplement l'appellation donnée à l'entente. Si le fond et l'appellation ne concordent pas, le fond doit prévaloir. Toutefois, lorsque les parties se sont clairement précisé l'une à l'autre la nature du contrat qu'elles souhaitaient conclure et qu'il n'y a aucune preuve convaincante du contraire, j'estime que la Cour doit prendre acte de l'intention initiale des parties. Il n'appartient ni à la Cour ni au ministre de récrire le contrat conclu entre les parties en l'absence de preuve convaincante d'une divergence entre son contenu et l'intention déclarée.

[30]          Contrôle : je dois garder à l'esprit que ce qui importe ici, ce n'est pas tant le contrôle réellement exercé par la payeuse que le droit d'exercer un contrôle. Plus le travailleur est un spécialiste compétent, moins il y a lieu de prévoir un contrôle; c'est alors sur le droit d'exercer un contrôle qu'il faut se pencher.

[31]          En dehors de l'attribution initiale du travail à une personne apte à l'exécuter, l'appelante n'exerçait aucun contrôle en l'instance. Elle se contentait de confier à une personne compétente le soin de fournir des services au client; cette personne s'acquittait du travail ainsi confié, et elle présentait subséquemment une facture à l'appelante. Le travailleur pouvait à sa guise accepter ou non le travail, ou encore travailler ailleurs ou non, quand cela lui convenait. On constate clairement l'absence totale de contrôle et de droit de contrôle dans cette entente. L'examen de ce volet du critère indique clairement selon moi l'existence d'un contrat d'entreprise conclu avec un entrepreneur indépendant.

[32]          Instruments de travail et matériel : aucun instrument de travail ni aucun matériel n'étaient utilisés en l'espèce. Le travailleur était responsable de ses déplacements et fournissait son propre téléphone cellulaire. Il payait ses cotisations professionnelles. Tous ces éléments indiquent également que nous sommes en présence d'un contrat d'entreprise.

[33]          Chances de bénéfice et risques de perte : il n'y avait pas réellement de chances de réaliser un bénéfice au sens où on l'entend dans le cas d'une entreprise, car il s'agissait d'une activité de faible envergure. Le travailleur recevait simplement un salaire horaire en contrepartie d'un service qu'il fournissait, et ses dépenses étaient minimes. Il ne risquait pas de subir de perte, et la possibilité de gagner plus d'argent en travaillant un plus grand nombre d'heures ne représente pas une chance de bénéfice au sens du présent volet. Celui-ci ne permet de trancher ni dans un sens, ni dans l'autre.

[34]          Intégration : il ressort que l'entreprise de l'appelante consistait à fournir des services nombreux et variés à sa clientèle, et que l'interprétation était l'un de ces services. Toutefois, il faut envisager la situation du point de vue du travailleur, non de la payeuse. Le travailleur se présentait simplement comme un interprète professionnel fournissant des services aux clients de l'appelante, comme et quand cela lui convenait. Ainsi que l'indiquait le juge Létourneau, de la Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Vulcain,précitée, un entrepreneur qui travaille par exemple en sous-traitance sur un chantier ne sert pas ses clients, mais ceux du payeur, c'est-à-dire l'entrepreneur général qui a retenu ses services. La présente affaire n'est pas différente. Dans l'affaire Vulcain, la Cour d'appel fédérale a clairement indiqué qu'un tel facteur milite pour l'existence d'un contrat d'entreprise.

[35]          À mon avis, ce volet du critère indique clairement en l'espèce l'existence d'un contrat d'entreprise avec un entrepreneur indépendant. Bien qu'il ait ainsi fourni des services à la clientèle de l'appelante, le travailleur n'était pas intégré à l'entreprise de cette dernière, qui faisait plutôt appel à lui à titre de tiers pour fournir des services à sa clientèle. Voilà la différence.

Conclusion

[36]          En fin de compte, il faut se détacher des arbres et examiner la forêt dans son ensemble, ainsi qu'évaluer si, au vu de l'ensemble de la preuve, il existait un degré d'indépendance suffisant, au sens entrepreneurial du terme, pour conclure que le travailleur est un entrepreneur indépendant, ou si au contraire le travail accompli et la manière dont il était accompli étaient si étroitement liés à l'entreprise de l'appelante que le degré d'indépendance était insuffisant.

[37]          Dans la situation examinée ici, les parties ont clairement exprimé leur intention de conclure entre elles un contrat d'entreprise. Cette intention est parfaitement confirmée par l'examen de la situation selon plusieurs des quatre volets du critère, et il n'y avait à toutes fins pratiques aucun élément venant l'infirmer. Selon moi, rien dans la preuve ne vient contredire clairement cette intention avouée ni indiquer de quelque façon qu'il s'agissait d'un contrat de louage de services.

[38]          Somme toute, je suis d'avis que l'entente était bel et bien un contrat d'entreprise conclu avec un entrepreneur indépendant. Par conséquent, l'emploi n'était pas assurable au sens de la Loi ni n'ouvrait droit à pension aux termes du RPC. Les appels sont admis, et les décisions du ministre sont infirmées.

Signé à Calgary (Alberta), ce 22e jour de janvier 2001.

« M. H. Porter »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de juin 2001.

Philippe Ducharme, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-1406(EI)

ENTRE :

SASKATCHEWAN DEAF AND HARD OF HEARING SERVICES INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Saskatchewan Deaf and Hard of Hearing Services Inc. (2000-1407(CPP)), le 21 novembre 2000,

à Regina (Saskatchewan) par

l'honorable juge suppléant Michael H. Porter

Comparutions

Avocate de l'appelante :                       Me Christine Clifford

Avocate de l'intimé :                            Me Angela Evans


JUGEMENT

          L'appel est accueilli et la décision du ministre est infirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Calgary (Alberta), ce 22e jour de janvier 2001.

« M. H. Porter »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de juin 2001.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-1407(CPP)

ENTRE :

SASKATCHEWAN DEAF AND HARD OF HEARING SERVICES INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Saskatchewan Deaf and Hard of Hearing Services Inc. (2000-1406(EI)), le 21 novembre 2000,

à Regina (Saskatchewan) par

l'honorable juge suppléant Michael H. Porter

Comparutions

Avocate de l'appelante :                       Me Christine Clifford

Avocate de l'intimé :                            Me Angela Evans

JUGEMENT

          L'appel est accueilli et la décision du ministre est infirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Calgary (Alberta), ce 22e jour de janvier 2001.

« M. H. Porter »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de juin 2001.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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