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Date: 20010123

Dossiers: 1999-3785-EI, 1999-3786-CPP

ENTRE :

ROTARY AIR FORCE MANAGEMENT INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

PETER G. HASELOH, LINDA M. LAFLEUR, DONALD N. LAFLEUR,

intervenants.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1]            Le 4 juin 1999, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a délivré à Rotary Air Force Management Inc. (RAF) — le payeur — et à chacun des intervenants des lettres de décision selon laquelle les intervenants avaient, au cours de la période allant du 1er janvier 1997 au 10 septembre 1998, exercé pour RAF un emploi assurable au sens des dispositions de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ). Dans chaque cas, le ministre a déterminé que les intervenants avaient exercé un emploi pour le payeur en vertu d'un contrat de louage de services et il était convaincu que les intervenants auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance avec le payeur. Le ministre avait délivré — le 4 juin 1999 — une lettre de décision concernant Daniel Haseloh dans laquelle il concluait que Daniel Haseloh avait exercé un emploi assurable pour le payeur au cours de la période allant du 1er janvier 1997 au 6 juin 1998. Toutefois, Daniel Haseloh est décédé dans un accident, et l'avis d'appel sur papier à en-tête de l'appelante — déposé le 26 août 1999 — était signé par Donald Lafleur, par Peter Haseloh et par Linda Lafleur pour elle-même et pour feu Daniel Haseloh. L'avis d'appel a été accepté par le greffe de la Cour canadienne de l'impôt comme étant un appel de RAF et, le 13 octobre 1999, Revenu Canada a envoyé des avis aux signataires les informant de l'appel et les informant qu'ils pouvaient participer en déposant un avis d'intervention. Le 24 novembre 1999, un avis d'intervention a été déposé, mais seulement au nom de Linda Lafleur, de Donald Lafleur et de Peter Haseloh. Aucune démarche n'a été faite au nom de la succession de feu Daniel Haseloh. Par la suite, la réponse à l'avis d'intervention mentionnait seulement les parties nommées par ledit avis.

[2]            Le ministre a — le 4 juin 1999 — délivré des lettres de décision à RAF et aux intervenants nommés, soit des lettres disant que le ministre avait conclu que les intervenants avaient exercé pour le payeur un emploi ouvrant droit à pension au cours de la période allant du 1er janvier 1997 au 10 septembre 1998, compte tenu du fait qu'ils avaient exercé un emploi en vertu d'un contrat de louage de services. En ce qui a trait au processus d'appel, les procédures ont été identiques aux procédures indiquées précédemment, et l'appel distinct de RAF — 1999-3786(CPP) — a été suivi d'un avis d'intervention, déposé de la même manière que dans le cas du présent appel. Le 4 juin 1999, le ministre a en outre délivré à l'appelante une lettre de décision disant que Daniel Haseloh avait exercé un emploi ouvrant droit à pension au cours de la période allant du 1er janvier 1997 au 6 juin 1998. L'avocate de l'intimé et le représentant de RAF — Donald Lafleur — ont convenu que la preuve recueillie dans le présent appel s'appliquerait à l'appel interjeté en vertu du Régime de pensions du Canada.

[3]            Donald Lafleur a témoigné qu'il habite à Kindersley (Saskatchewan) et qu'il est le directeur général de la société appelante. Il a confirmé que l'actionnariat de RAF — durant la période pertinente — correspondait à ce qui était indiqué dans la réponse à l'avis d'appel, soit : Daniel Haseloh — 32,8 p. 100; Linda Lafleur — 16,8 p. 100; Donald Lafleur — 16,9 p. 100; Peter Haseloh — 28,5 p. 100; Les Brown — 5 p. 100. M. Brown n'était pas visé par la décision du ministre. M. Lafleur disait que, aujourd'hui, lui et son épouse — Linda — détiennent chacun 25 p. 100 des actions, que Peter Haseloh en détient 40 p. 100 avec son épouse et que Les Brown détient les 10 p. 100 restants. RAF a été créée en 1987, mais c'était les mêmes personnes qui exploitaient l'entreprise avant la constitution de la société. Le siège de la société était situé à Kindersley (Saskatchewan), et l'entreprise de RAF consistait à fabriquer des aéronefs prêts à monter, soit des autogires, dont on voit des illustrations dans un calendrier pour l'an 2000 établi par RAF et déposé sous la cote A-1. La partie de l'entreprise s'occupant de la fabrication était exploitée par une société appelée Rotary Air Force Engines Inc., dont les actionnaires étaient les mêmes que dans le cas de RAF, sauf que la Saskatchewan Diversification Corporation détenait des actions dans le cadre d'un mécanisme de financement. La conception initiale de l'aéronef avait été faite par Bernard Haseloh, soit un oncle de Linda Lafleur et de ses frères, Daniel Haseloh et Peter Haseloh. Donald Lafleur a dit qu'environ 5 p. 100 des recettes de la société provenaient de l'usinage de pièces devant servir dans le domaine du pétrole et que le reste était cependant attribuable à la fabrication et à la vente des aéronefs prêts à monter, qui étaient uniques en leur genre. L'atelier de RAF à Kindersley employait 22 personnes, dont le travail consistait à faire fonctionner des tours, diverses scies et des machines assistées par ordinateur. Ces travailleurs étaient payés à un salaire horaire, et une personne jouant le rôle de coordonnateur des ventes était considérée comme étant un entrepreneur indépendant. Donald Lafleur a dit que lui et son épouse — Linda — avaient travaillé au Yukon, où ils exploitaient une entreprise d'électricité, et que Peter Haseloh était mécanicien de machinerie lourde. Ayant travaillé dans ces domaines, ils étaient habitués à gagner des revenus importants. Daniel Haseloh avait été agent de vente et avait gagné un bon revenu. Les parties avaient décidé de prendre la conception d'autogire de Bernard Haseloh et d'ajouter des éléments de confort comme une cabine chauffée pour attirer des clients. À partir de 1987, ils ont tous travaillé très dur à la promotion du produit et — en 1988 — le modèle appelé RAF 1000 a été introduit, lequel a été suivi par une autre version — RAF 2000 — en 1990. Cette dernière version était un appareil à deux places que l'on avait créé pour satisfaire à une demande existant sur le marché. À cette époque, RAF avait ses locaux à Ponoka (Alberta). Après une tentative infructueuse pour obtenir du financement du gouvernement de cette province, l'entreprise avait été réimplantée à Kindersley (Saskatchewan), où le financement nécessaire avait été obtenu grâce au mécanisme d'un programme d'obligations municipales appuyé par la province de Saskatchewan. Une des conditions du programme de financement a été que les actionnaires de RAF concluent une convention d'actionnaires dans laquelle ils acceptaient tous de ne recevoir aucune paie de vacances ou prime d'heures supplémentaires pour faire en sorte que le salaire de chaque actionnaire employé par la société ne dépasse pas 3 000 $ par mois. Des restrictions supplémentaires étaient énoncées dans diverses clauses de ladite convention — déposée sous la cote A-2 —, y compris l'exigence selon laquelle les actionnaires devaient transférer à RAF tous les droits de propriété qui étaient alors à leur nom, par exemple des brevets, marques de commerce, licences, etc. Durant cette période, RAF avait 20 employés, qui recevaient des primes d'heures supplémentaires et qui étaient payés pour des fonctions supplémentaires concernant la participation à des salons de l'aéronautique qui se tenaient les weekends et où l'aéronef fabriqué par RAF était exposé. Le modèle initial — RAF 1000 — a été exposé à un salon de l'aéronautique tenu en Floride et par suite duquel le bureau de Kindersley a vendu 14 appareils. Ultérieurement, le RAF 2000 a été introduit sur le marché, et 24 appareils ont été vendus. Actuellement, l'appelante vend une version qui a été mise à jour et dont le moteur est différent. Donald Lafleur a dit que les obligations communautaires avaient été remboursées par RAF en 1997, de sorte que toutes les restrictions imposées par la convention — pièce A-2 — n'étaient plus en vigueur après cela. Toutefois, RAF a été impliquée dans un litige aux États-Unis au cours duquel on lui a imposé une condition qui l'a obligée à continuer de respecter à peu près les mêmes restrictions que dans le cas de ladite convention d'actionnaires jusqu'à ce que l'affaire finisse par se régler, en septembre 1998. Le 6 juin 1998, Daniel Haseloh est décédé dans une collision aérienne, alors qu'il s'acquittait d'une mission de photographie aérienne dans le cadre de la production d'une vidéocassette de promotion. Daniel avait fait des démonstrations d'autogire lors de salons de l'aéronautique afin d'attirer des acheteurs. Une fois les restrictions salariales supprimées, les actionnaires de RAF avaient tenu une réunion et examiné les niveaux de risque et de stress touchant le rendement de chaque membre du groupe familial et ils avaient utilisé ce facteur pour déterminer les sommes à retirer de la société sous forme de salaires. Daniel était celui qui gagnait le plus, en raison de son apport et vu le facteur de risque inhérent à son travail. Des exemples de formulaires de commande dont une partie était consacrée à des détails sur un vol gratuit d'introduction ont été déposés sous la cote A-3. Toutes les ventes du produit de RAF se faisaient sous la forme d'un ensemble prêt à monter et, en vertu de règlements établis par l'autorité fédérale compétente, l'acheteur devait effectuer 51 p. 100 du travail d'assemblage. Pour aider les acheteurs dans ce processus, RAF avait élaboré une série de manuels et de vidéocassettes dont on pouvait se servir durant la construction de l'aéronef prêt à monter, et même des acheteurs sans formation en mécanique pouvaient assembler l'appareil. RAF n'était pas autorisée à effectuer l'assemblage pour le client, car, en vertu de la législation fédérale, les autogires étaient considérés comme des aéronefs de construction amateur. Dans le cadre d'une stratégie de commercialisation, RAF avait conçu un programme dans lequel un propriétaire d'autogire pouvait faire une démonstration de l'appareil à un intéressé, puis lui vendre un aéronef prêt à monter et obtenir une commission sur la vente. Une convention — pièce A-4 — avait été rédigée à cette fin et était conclue habituellement par des instructeurs de pilotage d'aéronefs à voilure fixe, mais aussi par des personnes formées pour piloter seulement des autogires. Les qualifications requises pour piloter l'appareil issu de l'assemblage de l'aéronef prêt à monter de RAF étaient 12 heures d'instruction en double commande suivies de 12 heures de vol en solo, dans le contexte d'un total de 45 heures de vol et de 40 heures d'instruction au sol. Un examinateur nommé par le ministère des Transports est chargé de déterminer s'il convient de délivrer un permis à un candidat, ce qui peut comporter un vol de vérification de compétence, ou l'examinateur peut simplement rester au sol et observer la façon dont le pilote exécute des manoeuvres particulières. Pour former des pilotes, un instructeur de pilotage devait avoir 250 heures de vol. Pour revenir aux circonstances entourant la réimplantation de l'entreprise de RAF à Kindersley, Donald Lafleur a dit qu'une des exigences de l'arrangement en matière de financement par emprunt obligataire était que la société retienne les services d'un comptable qualifié. Ainsi, le comptable a recommandé à RAF de traiter les intervenants et Daniel Haseloh comme des employés et d'effectuer des déductions en se fondant sur le fait qu'ils étaient des employés assurables. Bien que les intervenants aient été réticents à suivre cette recommandation, une partie de la convention de financement conférait une fonction de surveillance à un conseil obligataire qui se composait de 10 représentants de la collectivité de Kindersley et dont deux membres quelconques avaient le droit de siéger à toute réunion d'affaires tenue par RAF. Ce conseil avait recommandé d'éviter tout différend avec Revenu Canada jusqu'au remboursement complet des obligations, et les actionnaires de l'appelante avaient accepté cette recommandation. Un document indiquant les sommes gagnées annuellement par les propriétaires de RAF entre 1991 et 1999 a été déposé sous la cote A-5. Donald Lafleur affirmait que, sans la possibilité de recevoir une augmentation de salaire pendant une longue période indéterminée, aucune personne non liée à l'appelante n'aurait exercé des fonctions de cadre supérieur pour 3 000 $ par mois, d'autant plus que le fait d'avoir à travailler 80 heures par semaine n'avait rien d'inhabituel. Avant de jouer un rôle dans l'entreprise familiale — ultérieurement devenue la RAF — Donald Lafleur était électricien d'entretien, ce qui, d'après des statistiques de la direction générale des normes du travail de la Saskatchewan qu'il a mentionnées, lui permettait de gagner 31,29 $ l'heure pour une semaine de 40 heures, soit un salaire mensuel net de plus de 4 200 $. Peter Haseloh est un mécanicien de machinerie lourde qualifié qui pouvait gagner 26,03 $ l'heure. Linda Lafleur avait travaillé comme administratrice, et le genre de services qu'elle fournissait pour RAF lui donnerait probablement droit à un salaire de 55 000 $ par année. Au cours de la période pendant laquelle les restrictions imposées par le mécanisme de financement étaient en vigueur, RAF a versé des cotisations à un régime d'assurance-vie des actionnaires et à un régime collectif de soins dentaires et a également versé des cotisations au titre des accidents du travail. M. Lafleur a dit que tous les actionnaires s'attendaient à être récompensés de leurs efforts par suite d'une augmentation de la valeur de la société. Une personne travaillant comme coordonnateur des ventes gagnait — au cours de sa première année — la somme de 40 000 $. Les employés travaillant à l'atelier gagnaient entre 10 et 16 $ l'heure pour une semaine de 40 heures. Donald Lafleur a traité d'une lettre en date du 29 avril 1998 — pièce A-6 — qui avait été rédigée sur du papier à en-tête de la Banque Canadienne Impériale de Commerce de Kindersley et qui énumérait les garanties accordées en faveur de la banque par les intervenants et Daniel Haseloh concernant divers prêts à RAF représentant presque 30 000 $. Au sujet des alinéas 7e) à 7j), inclusivement, de la réponse à l'avis d'appel, Donald Lafleur reconnaissait l'exactitude des faits qui y sont énoncés, soit :

[TRADUCTION]

e)              l'entreprise de l'appelante fournissait des immobilisations ainsi que des compétences en gestion à une filiale;

f)              Daniel jouait un rôle dans toutes les facettes de l'entreprise, et ses fonctions concernaient les services de pilote d'essai, le pouvoir de signature, l'embauchage et le congédiement, la gestion de trésorerie, le paiement de factures, les dépôts bancaires, les taux de change, la commercialisation, les documents relatifs aux ventes, les matériaux de construction, la correspondance avec les clients, l'évaluation des stocks, l'achat de matériel, la production, la fabrication, les blocs d'investissements, les demandes de prêts, les demandes d'ouverture de comptes et les caractéristiques de vol;

g)             Linda jouait un rôle dans toutes les facettes de l'entreprise, et ses fonctions concernaient les services administratifs, le pouvoir de signature, l'embauchage et le congédiement, la gestion de trésorerie, le paiement de factures, les dépôts bancaires, les taux de change, la commercialisation, les documents relatifs aux ventes, les matériaux de construction, la correspondance avec les clients, l'évaluation des stocks, l'achat de matériel, la production, la fabrication, les blocs d'investissements, les demandes de prêts, les demandes d'ouverture de comptes et les caractéristiques de vol;

h)             Peter jouait un rôle dans toutes les facettes de l'entreprise, et ses fonctions concernaient les services de directeur de la conception et de la production, le pouvoir de signature, l'embauchage et le congédiement, la gestion de trésorerie, le paiement de factures, les dépôts bancaires, les taux de change, la commercialisation, les documents relatifs aux ventes, les matériaux de construction, la correspondance avec les clients, l'évaluation des stocks, l'achat de matériel, la production, la fabrication, les blocs d'investissements, les demandes de prêts, les demandes d'ouverture de comptes et les caractéristiques de vol;

i)               Donald jouait un rôle dans toutes les facettes de l'entreprise, et ses fonctions concernaient les services de directeur général des ventes, le pouvoir de signature, l'embauchage et le congédiement, la gestion de trésorerie, le paiement de factures, les dépôts bancaires, les taux de change, la commercialisation, les documents relatifs aux ventes, les matériaux de construction, la correspondance avec les clients, l'évaluation des stocks, l'achat de matériel, la production, la fabrication, les blocs d'investissements, les demandes de prêts, les demandes d'ouverture de comptes et les caractéristiques de vol;

j)               les salaires des actionnaires étaient déterminés par consentement unanime des actionnaires;

[4]            Au sujet de l'alinéa 7m) de ladite réponse, Donald Lafleur a affirmé que le profit réparti entre les actionnaires a été versé sous la forme d'un dividende, selon le nombre d'actions détenues par chacun, et non sous la forme d'un salaire compensatoire. La société a payé de l'impôt sur 200 000 $ pour bénéficier d'un taux inférieur, et le reste a été versé aux actionnaires. Les salaires payés à Donald Lafleur, à son épouse — Linda — ainsi qu'à Daniel Haseloh et à Peter Haseloh avaient été fixés par eux d'un commun accord, et les montants de ces salaires sont indiqués à l'alinéa 7n) de la réponse à l'avis d'appel. En 1996 et en 1997, chaque actionnaire pouvait retirer 3 000 $ par mois de la société, que des services aient ou non été fournis. Si un des quatre membres du groupe familial était absent, les autres remplissaient ses fonctions et faisaient des heures supplémentaires sans rémunération supplémentaire. Il n'y avait pas d'horaire de travail ni de calendrier de congés, et les membres de la famille étaient libres d'aller et venir à leur guise. Chacun avait des compétences pouvant lui permettre de gagner plus d'argent en fournissant des services à d'autres. Donald Lafleur a dit que lui et les autres couraient toujours le risque d'être tenus solidairement responsables du paiement d'une somme importante en raison de leur participation dans RAF. Afin d'obtenir le financement par emprunt obligataire pour RAF après l'installation de l'entreprise à Kindersley, chaque membre de la famille avait dû donner des biens personnels en garantie. La société émettrice d'obligations avait alors offert des actions aux membres du public, qui devaient en acheter au moins 100 dans chaque cas, la vente maximale à un particulier ne pouvant dépasser la somme de 10 000 $. En tout, 700 porteurs d'obligations ont participé au régime de financement et pouvaient se faire rembourser intégralement ou convertir les obligations en actions de RAF. La majorité des porteurs d'obligations ont accepté un remboursement; pour ce qui est de ceux qui avaient choisi de convertir les obligations en actions, ces actions ont ultérieurement été rachetées, de sorte que RAF est restée une société sous contrôle familial. Traitant à nouveau de salaires offerts sur le marché par rapport aux salaires des intervenants, Donald Lafleur a déposé sous la cote A-7 une liasse de feuilles reçues de la direction générale de la planification et des politiques en matière de travail de la Saskatchewan.

[5]            Au cours du contre-interrogatoire, Donald Lafleur a dit que ses fonctions à RAF sont essentiellement des fonctions de gestion mais incluent aussi des tâches en matière de vente, de financement et d'administration. Tous les outils et l'équipement nécessaires pour l'entreprise appartiennent à la société, et Donald Lafleur utilise une carte de crédit de la société pour des dépenses liées à l'entreprise. Il travaille bel et bien dans l'entreprise à longueur d'année, mais il aurait pu choisir de ne pas le faire, car il était en tout temps un administrateur et actionnaire de RAF, bien qu'il puisse y avoir eu des périodes durant lesquelles il n'était pas un dirigeant de la société. Il convenait avec l'avocate que, dans la convention de financement — pièce A-2 — il était désigné comme étant un employé de RAF.

[6]            Karen Klassen a témoigné qu'elle avait commencé à travailler pour l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) — auparavant appelée Revenu Canada — en 1998 et qu'elle est actuellement agente d'assurabilité aux fins de la Loi sur l'assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada. C'était elle qui avait rendu la décision du 10 septembre 1998, laquelle décision a ultérieurement été confirmée par le ministre dans la lettre du 4 juin 1999 et fait l'objet du présent appel. Karen Klassen a dit que, chaque fois que son bureau devait rendre une décision, la première étape consistait à déterminer s'il existait un contrat de louage de services ou un contrat d'entreprise. Dans les circonstances relatives aux intervenants et à RAF, il a été déterminé — conformément aux critères habituels — que les intervenants étaient des employés travaillant en vertu d'un contrat de louage de services. Mme Klassen a dit que l'étape suivante du processus consistait à examiner la Loi par rapport aux exclusions relatives à l'actionnariat. Dans le cas présent, elle avait déterminé qu'aucun actionnaire ne contrôlait plus de 40 p. 100 des actions avec droit de vote de RAF et qu'aucun d'eux n'exerçait donc un emploi exclu. Comme les intervenants et Daniel Haseloh étaient des personnes liées au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu et qu'ils étaient donc réputés avoir un lien de dépendance, le ministre devait, lorsqu'il exerçait le pouvoir discrétionnaire que lui conférait l'alinéa 5(3)b) de la Loi, être convaincu qu'il était raisonnable de conclure que les parties auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable. Une fois le ministre convaincu de cela, les parties pouvaient être considérées comme n'ayant pas de lien de dépendance. Mme Klassen a dit que, au bureau de Saskatoon, la pratique consiste à se reporter à l'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui définit des liens, puis à se reporter à l'article 69 de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui traite de contreparties insuffisantes de diverses sortes concernant des opérations entre des personnes ayant un lien de dépendance. Mme Klassen a dit qu'elle estime que cette disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu traite d'opérations frauduleuses et que la notion de lien de dépendance qui y est prévue vise l'exclusion d'opérations frauduleuses. En ce qui a trait à l'examen des circonstances relatives à des situations d'emploi, Mme Klassen a dit qu'elle suivait la politique du bureau, qui était de considérer que la loi avait pour objet d'exclure les emplois frauduleux ou fabriqués ou, pour reprendre le terme utilisé par le conseiller technique du bureau, tout emploi « inapproprié » . Mme Klassen a dit qu'elle cherchait donc à exclure les emplois frauduleux et elle a fait remarquer que les particuliers n'étaient pas libres de choisir que leur emploi soit considéré comme assurable ou non en vertu de la Loi. Mme Klassen a dit qu'elle examinait ensuite la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, avant de rendre la décision. (À ce stade du témoignage, j'ai commencé à poser des questions à Mme Klassen pour obtenir des éclaircissements, et il est important que je cite des passages provenant directement de la transcription. Le seul travail de révision qui ait été fait se rapportait à la syntaxe, à la ponctuation et à la grammaire ou consistait à supprimer des répétitions de termes et de membres de phrase et des répétitions de questions ou de réponses représentant simplement la reconnaissance ou confirmation de quelque chose; voici les extraits pertinents des échanges entre le témoin et la Cour :)

[TRADUCTION]

M. le juge : Donc, vous estimez réellement que, si un emploi dans une entreprise familiale à domicile est légitime, il est assurable?

Mme Klassen : Nous estimons que, s'il s'agit d'un emploi légitime et non d'un emploi inapproprié ou fabriqué, oui, en général, ce devrait être un emploi inclus en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi.

M. le juge : Que vise l'examen des facteurs énoncés dans la loi?

Mme Klassen : En examinant ces facteurs, nous constatons souvent qu'il ne s'agit pas d'un emploi légitime. Prenons la rétribution, par exemple; j'ai personnellement traité de cas dans lesquels tout le reste était en fait correct et raisonnable, sauf que se posait la question de savoir si la personne était vraiment payée, et j'ai personnellement traité de cas dans lesquels des personnes recevaient 3 000 $ par mois d'après ce que disaient des documents ou d'après ce que ces personnes elles-mêmes pouvaient me dire. Eh bien, avaient-elles eu droit à ces fonds? Recevaient-elles un chèque? La réponse était non, il s'agissait d'une opération sur papier, et l'argent n'avait jamais été entre les mains de la personne; ces personnes n'avaient jamais eu droit à cet argent et n'étaient donc pas rétribuées.

M. le juge : D'accord. Donc, les indices énoncés à l'alinéa (3)b), si je vous comprends bien, sont examinés seulement dans le processus ou contexte de la détermination de la légitimité de l'emploi, pour veiller à ce qu'il ne s'agisse pas d'une opération trompe-l'oeil?

Mme Klassen : Essentiellement, c'est beaucoup cela, oui. Ce que nous voulons inclure, ce sont les emplois valables, les emplois légitimes, et nous estimons que tel est l'objet de la mesure législative et que celle-ci ne représente pas un programme optionnel.

M. le juge : Mais ce ne sont pas les gens qui ont établi cela, c'est le Parlement qui a décidé que certaines personnes seront incluses au départ, puis exclues si elles ne répondent pas à certaines normes; donc, ce que je veux dire, c'est que les particuliers ne choisissent pas de participer ou de ne pas participer.

Mme Klassen : Ce que nous avons constaté, c'est que des particuliers, notamment des actionnaires, qu'il s'agisse ou non de personnes liées, demandent l'exclusion simplement parce qu'ils ne veulent pas payer les cotisations d'assurance-emploi, pour diverses raisons. Une des raisons que nous entendons souvent est que telle ou telle personne ne pourra jamais être congédiée, même si elle détient seulement 2 p. 100 des actions. La mesure législative nous dit d'exclure les particuliers détenant plus de 40 p. 100 des actions. Si une personne n'a pas, d'un point de vue juridique, le contrôle de cette société, qui peut dire qu'elle ne peut être congédiée? Encore là, j'ai traité d'un cas dans lequel il s'agissait d'une entreprise familiale qui ...

La Cour : D'accord, mais, quant à savoir si un étranger conclurait un contrat à peu près semblable, comme disait le représentant de l'appelante à la barre des témoins, quelle personne ayant ces compétences travaillerait aussi dur pour cette rétribution et accepterait par contrat de ne pas avoir de paie de vacances ni de prime d'heures supplémentaires et de ne jamais obtenir une augmentation et quel employé de cet atelier apposerait sa signature sur des documents en vertu desquels il pourrait encourir une responsabilité représentant des millions de dollars? Qui ferait cela?

Mme Klassen : Je voudrais traiter de la première partie de votre question. Il n'est pas peu fréquent que des actionnaires non liés concluent une convention semblable à la convention que ces particuliers ont conclue, qu'il s'agisse ou non de personnes liées. Encore là, je connais personnellement le cas d'actionnaires qui détiennent 10 p. 100 des actions et qui travaillent 60 ou 70 heures par semaine. Ils ne prennent congé ni le samedi ni le dimanche. Pourquoi font-ils cela? Parce qu'ils sont non seulement des travailleurs, mais également des actionnaires. Les actionnaires ont un intérêt commun : assurer la prospérité de l'entreprise.

M. le juge : Mais, à moins qu'ils ne soient définis comme étant des personnes liées, cela n'importe pas. Une personne n'est exclue que si elle entre dans le cadre de la définition de « personnes liées » . Une personne peut avoir 10 p. 100 des actions et, si elle n'est pas une personne liée, cela n'importe pas. Cela importe seulement si une personne entre dans la catégorie des personnes liées, auquel cas elle est réputée avoir exercé un emploi exclu, à moins que le ministre décide de la réintégrer dans la catégorie des personnes exerçant un emploi assurable; donc, c'est le seul cas où cela s'applique.

Mme Klassen : Eh bien, c'est vrai et, si un actionnaire lié fournit des services dans des circonstances comparables à celles d'actionnaires non liés, pourquoi ne serait-il pas inclus? Une telle entreprise aussi peut échouer.

M. le juge : Donc, vous estimez — corrigez-moi si je fais erreur — et votre bureau estime de toute évidence que fondamentalement, sauf s'il existe une preuve que l'emploi n'est pas légitime, les personnes travaillant pour cette société exercent un emploi assurable, n'est-ce pas?

Mme Klassen : Si elles entrent dans le cadre des autres dispositions, oui.

M. le juge : Mais vous avez dit plus tôt que, pour l'essentiel, les autres dispositions sont examinées seulement dans le contexte de la détermination de la légitimité de l'emploi, pour veiller à ce qu'il ne s'agisse pas d'un emploi inapproprié ou fabriqué, c'est ce que vous avez dit.

Mme Klassen : C'est bien ce que j'ai dit, monsieur le juge. Ce que je voulais dire, c'est que, dans cette situation, si une personne détient plus de 40 p. 100 des actions, alors, évidemment, elle ne serait pas incluse, en vertu de la loi.

M. le juge : Mais ce n'est pas ce que vous avez dit. Vous avez dit que vous estimez que la loi a pour objet d'exclure seulement les emplois frauduleux.

Mme Klassen : Oui.

M. le juge : Donc, si un emploi est légitime, s'il ne s'agit pas d'un emploi fabriqué ou « inapproprié » — quel que soit le sens de ce mot —, cet emploi doit être inclus parmi les emplois assurables.

Mme Klassen : Oui.

M. le juge : Vous avez alors dit que les indices dont je parlais étaient « seulement » examinés dans le processus de détermination de la légitimité de l'emploi et vous avez dit ensuite, face à mon insistance, que ces indices étaient « principalement » examinés dans ce processus. C'est ce que vous avez dit.

Mme Klassen : Quand on passe en revue la loi, on arrive au facteur de l'actionnariat avant d'arriver à la question du lien de dépendance, n'est-ce pas?

M. le juge : Oui.

Mme Klassen : Donc, si une personne détient plus de 40 p. 100 des actions, nous n'avons même pas à examiner la question du lien de dépendance, puisque la personne est déjà exclue.

M. le juge : C'est juste, mais je parle des indices énoncés à l'alinéa 5(3)b), soit les modalités d'emploi, la durée, les éléments de comparaison.

Mme Klassen : D'accord.

M. le juge : Vous avez dit que c'est principalement examiné compte tenu de l'article 69 de la Loi, que vous faites intervenir de quelque manière.

Mme Klassen : Non, je n'ai pas ... ce n'était pas à l'article 69 de la Loi, je suis désolée, monsieur, si je ... si je suis vague ...

M. le juge : D'accord. Qu'en est-il de l'article 69?

Mme Klassen : L'article 69 traite d'opérations qui sont « inappropriées » — je n'aime pas employer ce mot de nouveau, mais c'est celui qu'emploie mon conseiller technique, et ...

M. le juge : D'accord, mais pourquoi utilisez-vous l'article 69 de la Loi de l'impôt sur le revenu?

Mme Klassen : Parce que ...

M. le juge : Qu'est-ce qui vous donne le droit de faire cela?

Mme Klassen : Ce que je dis, c'est que c'est à ce genre de choses que la Loi de l'impôt sur le revenu relie des opérations entre parties ayant un lien de dépendance.

M. le juge : Oui, d'accord.

Mme Klassen : Quel genre de choses examinons-nous? Eh bien, cela traite d'opérations entre parties ayant un lien de dépendance destinées à contrevenir aux dispositions de la loi.

[7]            L'avocate de l'intimé a ensuite repris l'interrogatoire de Mme Klassen, qui a dit qu'elle avait considéré la durée de l'emploi et qu'elle avait constaté que RAF exploitait son entreprise à longueur d'année. Pour ce qui est de la rétribution en 1998, les intervenants et Daniel Haseloh étaient payés à salaire fixe, quel que soit le nombre d'heures travaillées, et les trois hommes recevaient un salaire de 5 000 $ par mois, tandis que Linda Lafleur recevait un salaire de 3 000 $ par mois. Mme Klassen a dit qu'il n'était pas déraisonnable que des travailleurs qui sont des actionnaires d'une société reçoivent un salaire fixe, indépendamment du nombre d'heures travaillées, car, en tant qu'actionnaires, ils ont intérêt à assurer la prospérité de l'entreprise et à « faire ce qu'il faut » pour y parvenir. Elle a dit qu'à son avis, bien qu'il puisse n'y avoir eu aucun autre employé — à RAF — qui fournissait exactement les mêmes services selon les mêmes modalités, il n'était pas juste de comparer les actionnaires faisant l'objet de sa décision avec les employés ordinaires, car il est assez fréquent que l'on examine le cas d'autres entreprises et que l'on s'attende que des personnes exerçant des fonctions de gestion travaillent des heures prolongées. Mme Klassen a dit qu'elle avait examiné l'importance du travail accompli, qu'elle avait conclu que les intervenants étaient indispensables pour l'exploitation de l'entreprise de l'appelante et qu'elle avait constaté qu'ils remplissaient des fonctions valables et raisonnables. Elle a dit que, avant de déterminer que les intéressés auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable avec RAF s'ils n'avaient pas été des personnes liées, elle avait fait examiner le dossier par le conseiller technique et avait en outre suivi la pratique du bureau consistant à examiner le dossier à fond avec d'autres employés de l'ADRC exerçant une fonction semblable, pour veiller à ce que la décision prise soit équitable. (À ce stade, il y a eu un autre échange entre le témoin et la Cour, et les extraits pertinents de la transcription — reproduits selon la méthode énoncée précédemment — se lisent comme suit :)

[TRADUCTION]

M. le juge : Mais le critère consiste à déterminer s'il est raisonnable de conclure qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance. Votre critère consiste à déterminer si des actionnaires d'une autre société auraient probablement agi de la même manière parce qu'ils étaient des actionnaires, comme dans le cas présent; tel est le critère que vous utilisez.

Mme Klassen : Nous cherchons à déterminer s'il existe un emploi valable, un emploi véritable.

M. le juge : Mais on ne peut comparer des actionnaires; en vertu de la disposition législative, on ne vous demande pas de comparer des actionnaires d'autres sociétés avec les actionnaires de cette société-ci. On vous demande de déterminer s'il est raisonnable de conclure que ces personnes auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas été liées à la société en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, si elles n'avaient pas eu en fait de lien de dépendance. Donc, ne devez-vous pas vous demander si une personne sans lien de dépendance sollicitant un emploi semblable à celui des intéressés accepterait de travailler aussi dur pour 3 000 $ par mois et de s'obliger à ce point-là? N'est-ce pas là la comparaison à faire?

Mme Klassen : Dans cette situation, je chercherais à déterminer si une personne non liée s'engagerait dans ce type de relation comme gestionnaire et si l'on s'attendrait qu'elle travaille aussi dur en tant que gestionnaire. Je crois que l'on s'attendrait qu'elle travaille aussi dur.

M. le juge : Pour cette somme d'argent?

Mme Klassen :        C'est possible, oui

M. le juge : Oui, mais est-ce probable?

Mme Klassen : Mon mari le fait.

[...]

Mme Klassen : Ces personnes ont également leur rôle d'actionnaires. Comme travailleurs, oui, elles pouvaient gagner 30 000 $, mais, pour ce qui est de l'année que j'ai examinée, trois des quatre gagnaient 60 000 $.

[8]            Contre-interrogée par Donald Lafleur, Karen Klassen a dit qu'elle jugeait raisonnable qu'une personne travaille de longues heures pour 3 000 $ par mois sans aucune augmentation pendant des années si cette personne croyait dans le produit ainsi que dans l'organisation de l'entreprise et même si elle devait donner des biens personnels en garantie.

[9]            Donald Lafleur, soit le représentant de la société appelante, soutenait que la preuve démontrait que l'organisation de l'entreprise était l'aboutissement d'un rêve et que les intervenants et Daniel Haseloh étaient tous membres d'un groupe lié fonctionnant comme une cellule familiale et d'une manière non semblable à ce qu'il en est dans une relation de travail entre des parties sans lien de dépendance.

[10]          L'avocate de l'intimé soutenait que la décision du ministre se situait dans les limites permises par la jurisprudence pertinente et que la Cour n'avait pas à intervenir.

[11]          Conformément à l'alinéa 5(2)i) de la Loi, un emploi assurable n'inclut pas « l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance » . À ce stade — sans plus — les intervenants et Daniel Haseloh étaient tous des personnes liées exerçant un emploi pour une société liée au sens de l'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu, et leurs emplois entreraient dans la catégorie des emplois exclus ou — plus précisément — des emplois non inclus dans la catégorie des emplois assurables. Toutefois, le processus ne s'arrête pas là, et le ministre est tenu par l'alinéa 5(3)b) de la Loi d'examiner certaines caractéristiques de ces emplois conformément au libellé de la disposition, soit :

« l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance. » [L'italique est de moi.]

[12]          Pour des raisons qui, je l'espère, deviendront évidentes, j'ai mis l'accent sur certains termes de la disposition précitée et je me reporterai au libellé précis de cette disposition au cours de l'analyse de la preuve.

[13]          La première question est de savoir si la preuve révèle un fondement me permettant de remettre en cause la décision du ministre.

[14]          Dans l'affaire Crawford and Company Ltd. et M.R.N., rapportée dans [1999] A.C.I. no 850 (QL), soit une décision rendue le 8 décembre 1999, le juge suppléant Porter, de la C.C.I., a examiné les appels de trois employés d'une société, deux de ceux-ci étant frères, qui entraient dans la catégorie des personnes liées au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le troisième appelant n'était pas une personne liée à la société et les faits applicables à ce dernier devaient être examinés séparément puisque le Ministre n'avait pas exercé le pouvoir discrétionnaire que lui conférait l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi. L'analyse effectuée par le juge Porter en ce qui concerne les deux frères est détaillée et pertinente à celle qui doit être nécessairement effectuée dans les présents appels. C'est pourquoi je cite de longs extraits de la décision dans l'affaire Crawford parce qu'elle est conforme à ma compréhension du droit et que les faits dans cette affaire et dans le présent appel sont à peu près semblables. À la page 21, en commençant au paragraphe 58, le juge Porter dit :

58 Dans le cadre du régime établi par la Loi sur l'a.-e., le Parlement a prévu que certains emplois sont assurables et donnent droit à des prestations s'ils cessent, et que d'autres emplois, qui sont "exclus", ne donnent droit à aucune prestation s'ils cessent. Lorsque des personnes qui ont un lien de dépendance concluent une convention d'emploi, il s'agit d'un "emploi exclu". Des conjoints, des parents et leurs enfants, des frères, et des sociétés contrôlées par ces personnes sont réputés avoir entre eux un lien de dépendance suivant le paragraphe 251(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui régit cette situation. Cette disposition législative a manifestement pour but d'éviter au régime d'avoir à payer une multitude de prestations fondées sur des conventions d'emploi factices ou fictives; voir les observations de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Paul c. Le Ministre du Revenu national, (A-223-86) inédite, où le juge Hugessen a déclaré :

          Nous sommes tous disposés à présumer, comme nous y invite l'avocat de l'appelante, que l'alinéa 3(2)c) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, et le paragraphe 14a) du Règlement sur l'assurance-chômage visent entre autres à éviter les emplois abusifs de la Caisse d'assurance-chômage par la création de soi-disant rapports "employeurs-employés" entre des personnes dont les rapports sont, de fait, très différents. Cet objectif se révèle tout à fait pertinent et rationnellement justifiable dans le cas des époux qui vivent ensemble maritalement. Mais même si, comme le soutient l'appelante, nous ne sommes en présence que d'époux légalement séparés et qui peuvent traiter entre eux sans lien de dépendance, la nature de leurs rapports en qualité de conjoints est telle qu'elle justifie, à notre avis, d'exclure de l'économie de la Loi l'emploi de l'un par l'autre.      

           

                                      [...]     

          Nous n'écartons pas la possibilité que les dispositions susmentionnées aient d'autres objectifs, comme par exemple la décision conforme à une politique sociale visant à écarter du champ d'application de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage tous les emplois exercés au sein de l'unité familiale, comme l'a suggéré l'avocat de l'intimé. (C'est moi qui souligne.)

           

59 La rigueur de cette disposition a toutefois été atténuée par l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'a.-e., lequel prévoit qu'un emploi dans un cas où l'employeur et l'employé sont des personnes liées est réputé être exercé sans lien de dépendance et peut donc être considéré comme un emploi assurable, s'il remplit toutes les autres conditions, c'est-à-dire si le ministre est convaincu, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'il est raisonnable de conclure qu'ils auraient conclu entre eux un contrat à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu (en fait) un lien de dépendance.

60 Il pourrait être utile que je reformule la façon dont je comprends cet alinéa. Pour les personnes qui sont liées, la Loi exclut tout droit à des prestations d'assurance, à moins qu'on ne puisse convaincre le ministre que la convention d'emploi est bel et bien la même qu'auraient conclue des personnes non liées, c'est-à-dire des personnes qui n'ont manifestement aucun lien de dépendance. Le Parlement a jugé que, s'il s'agit d'un contrat de travail à peu près semblable, il devrait en toute équité être inclus dans le régime. Toutefois, c'est le ministre qui décide. Sauf s'il est convaincu qu'il y a lieu de l'inclure, l'emploi reste exclu et l'employé n'a pas droit à des prestations.

61 Le paragraphe 93(3) de la Loi sur l'a.-e. porte sur les appels au ministre et sur le règlement de questions par celui-ci. Il dispose que "[l]e ministre règle la question soulevée par l'appel ou la demande de révision dans les meilleurs délais et notifie le résultat aux personnes concernées."

62 Le ministre est donc tenu de régler la question. La Loi l'exige. Si le ministre n'est pas convaincu, l'emploi reste exclu et l'employé n'a pas droit aux prestations. Si toutefois il est convaincu, sans plus de cérémonie et sans prise d'aucune mesure par le ministre (sauf la communication de la décision), l'employé a droit à des prestations, pourvu qu'il remplisse les autres exigences. Il ne s'agit pas d'un pouvoir discrétionnaire au sens que, si le ministre est convaincu, il peut alors juger que l'emploi est assurable. Il doit "régler la question" et, selon ce qu'il décide, aux termes de la Loi l'emploi est réputé soit comporter un lien de dépendance, soit ne pas en comporter. En ce sens, le ministre n'a pas à proprement parler de pouvoir discrétionnaire à exercer car, en prenant sa décision, il doit agir de façon quasi judiciaire et il n'a pas le droit de faire le choix qui lui plaît. Il ressort des décisions de la Cour d'appel fédérale sur cette question que le même critère s'applique à une multitude d'autres fonctionnaires qui prennent des décisions quasi judiciaires dans de nombreux domaines différents. Voir Tignish Auto Parts Inc. v. M.N.R., 185 N.R. 73, Ferme Émile Richard et Fils Inc. v. M.N.R., 178 N.R. 361, Attorney General of Canada and Jencan Ltd. (1997), 215 N.R. 352 et Her Majesty the Queen and Bayside Drive-in Ltd. (1997), 218 N.R. 150.

[15]          Dans l'arrêt Adolfo Elia c. M.R.N., [1998] A.C.F. no 316 (QL), soit une décision de la Cour d'appel fédérale en date du 3 mars 1998, le juge d'appel Pratte disait, à la page 2 :

Contrairement à ce qu'a pensé le juge, il n'est pas nécessaire, pour que le juge puisse exercer ce pouvoir, qu'il soit établi que la décision du Ministre était déraisonnable ou prise de mauvaise foi eu égard à la preuve que le Ministre avait devant lui. Ce qui est nécessaire, c'est que la preuve faite devant le juge établisse que le Ministre a agi de mauvaise foi, ou de façon arbitraire ou illégale, a fondé sa décision sur des faits non pertinents ou n'a pas tenu compte des faits pertinents. Alors, le juge peut substituer sa décision à celle du Ministre.

[16]          Dans l'arrêt Légaré c. Canada (ministre du Revenu national), [1999] A.C.F. no 878, soit une autre décision de la Cour d'appel fédérale, le juge d'appel Marceau, parlant pour la Cour, disait à la page 2 :

                                La Cour est ici saisie de deux demandes de contrôle judiciaire portées à l'encontre de deux jugements d'un juge de la Cour canadienne de l'impôt dans des affaires reliées l'une à l'autre et entendues sur preuve commune où se soulevaient une fois de plus les difficultés d'interprétation et d'application de cette disposition d'exception du sous-alinéa 3(2)c)(ii). Une fois de plus, en effet, car plusieurs décisions de la Cour canadienne de l'impôt et plusieurs arrêts de cette Cour se sont déjà penchés sur le sens pratique à donner à ce sous-alinéa 3(2)c)(ii) depuis son adoption en 1990. On voit tout de suite en lisant le texte les problèmes qu'il pose par delà la pauvreté de son libellé, problèmes qui ont trait principalement à la nature du rôle attribué au ministre, à la portée de sa détermination et, par ricochet, à l'étendue du pouvoir général de révision de la Cour canadienne de l'impôt dans le cadre d'un appel sous l'égide des articles 70 et suivants de la Loi.

                                Les principes applicables pour la solution de ces problèmes ont été abondamment discutés, encore qu'apparemment, à en juger par le nombre de litiges soulevés et les opinions exprimées, leur exposé n'ait pas toujours été pleinement compris. Pour les fins des demandes qui sont devant nous, nous voulons reprendre, en des termes qui pourront peut-être rendre plus compréhensibles nos conclusions, les principales données que ces multiples décisions passées permettent de dégager.

                                La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre: c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était "convaincu" paraît toujours raisonnable.

[17]          Dans le présent appel, Karen Klassen, soit l'agente d'assurabilité qui avait rendu la décision qui a ultérieurement été confirmée par le ministre, a expliqué la politique, la procédure et le raisonnement sous-jacents à la décision selon laquelle les intervenants et Daniel Haseloh exerçaient un emploi assurable pour la société appelante. Comme le disait le juge Bowman, de la Cour canadienne de l'impôt, dans le jugement Donald Persaud c. M.R.N. — 96-1987(UI) — en date du 7 janvier 1998, à la page 12 :

Étrangement, l'appelant est pour la première fois informé de la teneur de ce qu'on appelle les hypothèses lorsque le procureur général dépose une réponse à l'avis d'appel. Si je comprends bien, elles ne sont en général pas communiquées à l'appelant avant que le règlement soit rendu, et l'appelant (à cette étape il est un requérant) n'a pas la possibilité de les réfuter ou d'indiquer pourquoi le règlement qui lui est défavorable ne devrait pas être rendu.

[18]          Un appelant pourrait faire une demande en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, S.R.C. 1980-81-82-83, ch. 111, annexe 1 « 1 » , pour obtenir des documents comme le Rapport sur la règlement de la question ou un appel — formulaire CPT 110 — et d'autres renseignements pertinents recueillis durant le processus ayant conduit à la ratification de la décision du ministre. En outre, un appelant pourrait demander une ordonnance à la Cour, conformément aux dispositions de l'article 18 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (assurance-emploi), pour pouvoir soumettre une partie à un interrogatoire préalable sous serment et l'obliger à communiquer des documents. Toutefois, ces procédures sont rarement suivies, et il est fréquent que la partie intimée dans ces appels ne communique pas de documents de la sorte, si bien que seules les hypothèses de fait énoncées dans la réponse à l'avis d'appel permettent d'examiner le raisonnement sous-jacent à la décision. Lorsque, en rendant sa décision, le ministre ne fait simplement que déterminer si un particulier exerçait un emploi en vertu d'un contrat de louage de services ou d'un contrat d'entreprise, les faits — tels qu'énoncés dans les hypothèses — se passent habituellement fort bien de commentaires. Le ministre ne fait pas vraiment d'analyse et n'utilise pas son pouvoir discrétionnaire avant de rendre sa décision. Par contre, lorsque le ministre doit, d'après la loi, être « convaincu » qu'il existait une certaine situation pour qu'un lien de dépendance soit en fait réputé ne pas être ce qu'il était précédemment réputé être — ce qui n'est pas une mince affaire en soi —, différents facteurs s'appliquent, et il serait utile d'en connaître davantage sur le processus utilisé par le ministre. Je commencerai par énoncer les hypothèses de fait figurant au paragraphe 8 de la réponse à l'avis d'appel :

[TRADUCTION]

En arrivant à la décision qu'il a rendue, le ministre a pris en compte les hypothèses de fait suivantes à l'appui du motif pour lequel Daniel, Linda, Peter et Donald ont été réputés avoir un lien de dépendance avec l'appelante :

a)              les hypothèses de fait ci-dessus;

b)             Daniel, Linda, Peter et Donald ont reçu l'intégralité de leur salaire et de leur prime;

c)              Daniel, Linda, Peter et Donald contrôlaient leurs propres heures et journées de travail;

d)             Daniel, Linda, Peter et Donald travaillaient entre 60 et 85 heures par semaine;

e)              Daniel, Linda, Peter et Donald n'étaient pas payés pour les heures supplémentaires;

f)              l'appelante disait que les autres employés travaillaient des heures et journées normales et étaient payés pour les heures supplémentaires, s'ils en faisaient;

g)             Daniel, Linda, Peter et Donald n'avaient pas de congés de maladie ni de paie de vacances;

h)             Daniel, Linda, Peter et Donald continuaient à recevoir leur plein salaire même quand ils étaient absents;

i)               si un actionnaire s'absentait pour une période prolongée, il n'était pas remplacé, et un autre actionnaire remplissait ses fonctions;

j)               Daniel, Linda, Peter et Donald n'étaient pas supervisés;

k)              Daniel, Linda, Peter et Donald choisissaient les fonctions qu'ils rempliraient et contrôlaient leur propre travail;

l)               Daniel, Linda, Peter et Donald ne pouvaient être congédiés;

m)             Daniel, Linda, Peter et Donald étaient libres de travailler pour d'autres;

n)             les actionnaires sont responsables à l'égard des pertes de la société;

o)             le ministre était convaincu qu'il était raisonnable de conclure que l'appelante et Daniel, Linda, Peter et Donald auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[19]          Durant presque toute la période pertinente, les salaires des parties ont été limités par la convention d'actionnaires requise en raison du mécanisme du financement par emprunt obligataire, puis par certains aspects de la poursuite qui avait été engagée aux États-Unis contre RAF et qui concernait aussi les intervenants en tant que particuliers. Non seulement la restriction avait un rapport avec les dividendes sur les actions, mais elle s'appliquait aux salaires, primes ou autres rétributions. Certes, les parties recevaient le montant intégral de leurs salaires de la société qui, ainsi, évitait de trouver avec un arriéré de paiement, mais elles travaillaient dans un cadre sensiblement différent de celui d'autres employés, et cela a été reconnu par le ministre, comme en fait foi le libellé des hypothèses citées précédemment. Il est difficile de comprendre comment, après avoir bien considéré les hypothèses précises figurant aux alinéas 8b) à 8n) inclusivement, le ministre est arrivé à la conclusion — énoncée comme un fait — qu'il était raisonnable de conclure que l'appelante (RAF) et Daniel Haseloh, Peter Haseloh, Donald Lafleur et Linda Lafleur auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[20]          On peut trouver la réponse à l'énigme en revenant au témoignage de l'agente d'assurabilité, Karen Klassen, dont la décision a été confirmée par le ministre le 4 juin 1999. À mon avis — pour dire les choses carrément —, la méthode que Mme Klassen a utilisée, conformément à la politique de son bureau, a été de considérer les dispositions pertinentes de la Loi sur l'assurance-emploi comme si elles lui donnaient le mandat d'imposer des charges sociales. Cependant, ce n'est pas — à ce stade — l'objet de cette loi. Il est clair dans le témoignage de Mme Klassen que l'objet primordial de la Loi est de considérer l'emploi de personnes liées comme inclus dans les emplois assurables, pourvu que le travail soit accompli légitimement et qu'il n'y ait aucune preuve d'une fraude ou d'opérations se caractérisant par des contreparties insuffisantes comme l'indique d'une manière assez détaillée l'article 69 — avec ses 14 paragraphes — de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il est également clair que la comparaison faite par Karen Klassen se fondait sur une interprétation des conditions de travail des intervenants et de Daniel Haseloh et sur un scénario dans lequel d'autres personnes pouvaient avoir travaillé pour une société dans laquelle elles détenaient également des actions, mais pas dans une proportion de plus de 40 p. 100 car il ne s'agirait pas alors d'un emploi assurable. Certes, on peut se reporter au cas d'autres travailleurs d'autres industries semblables pour avoir un autre outil pour analyser les divers indices énoncés à l'alinéa 5(3)b) de la Loi. Toutefois, le règlement final de la question — pour que le ministre soit « convaincu » — doit être basé sur un examen de la question de savoir si l'on pourrait raisonnablement s'attendre qu'une personne non liée — un étranger — ayant une expérience et des compétences semblables fournisse des services à la société appelante selon des conditions de travail à peu près semblables, compte tenu du montant de la paie, du mode de paiement, de la possibilité d'une rétribution accrue ou supplémentaire, des heures de travail, des modalités d'emploi, ainsi que de l'élément de risque relatif à des biens personnels, autre que le risque que court normalement un actionnaire. Le critère ne consiste pas à déterminer s'il est probable qu'un actionnaire ayant plus ou moins de 40 p. 100 des actions dans une autre société travaillerait aussi dur et accepterait de prendre un risque personnel dans l'intérêt supérieur de cette société dans l'espoir d'une récompense à venir; le critère consiste plutôt à déterminer s'il est raisonnable de conclure que RAF et Donald Lafleur, Linda Lafleur, Daniel Haseloh et Peter Haseloh auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas été des personnes liées et s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance. Il ressort clairement de l'ensemble de la preuve que je dois remettre en cause la décision du ministre, pour le motif que le ministre a utilisé des faits non pertinents, n'a pas tenu compte de faits pertinents et a mal appliqué le droit en cherchant à s'acquitter de la tâche requise par l'alinéa 5(3)b) de la Loi. Lorsqu'il y a une accumulation de diversions suffisante pour obscurcir le tableau d'ensemble, il faut repartir de zéro et réexaminer toute la situation. Ayant décidé d'intervenir, je dois examiner la preuve pour déterminer si les particuliers nommés exerçaient un emploi assurable pour RAF durant la période pertinente considérée dans chaque lettre de décision.

[21]          Dans l'affaire David Putter c. M.R.N., 1999-457(EI), entendue avec les appels Daniel Putter c. M.R.N., 1999-456(EI), et Equinox Industries Ltd. c. M.R.N., 1999-458(EI), j'avais examiné la situation de deux frères qui travaillaient depuis longtemps dans une entreprise familiale et j'avais conclu qu'ils n'exerçaient pas un emploi assurable. Au paragraphe 18 (pages 17-18), j'écrivais ce qui suit :

Je n'ai pas l'intention de reprendre tous les éléments de preuve dans les appels en l'instance parce que je les ai examinés durant le processus au terme duquel j'ai décidé d'intervenir. Il est raisonnable de conclure que, David et Daniel Putter, après avoir travaillé respectivement 21 ans et 15 ans pour la compagnie, n'étaient pas employés... en vertu de circonstances-...notamment leur rétribution, (inférieure aux normes de l'industrie), la quantité de travail effectué, le manque de vacances, la capacité à contrôler leur rémunération, l'absence de toute obligation de se plier à la volonté des actionnaires majoritaires, le risque qu'ils ont couru pendant de nombreuses années en se rendant personnellement responsables des dettes de la compagnie... et ont clairement établi qu'ils n'auraient pas conclu un contrat de travail semblable avec Equinox s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance avec la compagnie. Il m'apparaît que le ministre peut difficilement déterminer, d'une manière objective, s'il est raisonnable de conclure que les parties auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable, à moins d'avoir devant lui une preuve sur les salaires ou les conditions de travail comparables au sein de la même industrie ou d'une industrie connexe. Il est certainement possible d'utiliser un critère à partir duquel est évalué un emploi en particulier, parce que, autrement, il serait loisible aux parties de prétendre que, en dépit du fait qu'elles n'ont pas suivi les pratiques normales des entreprises dans un marché semblable, elles ont tout de même conclu le contrat d'emploi sur une base purement subjective. C'est, sans aucun doute, la manière dont les choses se passent, dans la situation inverse, quand la demande de prestation est rejetée pour le motif que les modalités de l'emploi du prestataire auprès d'un employeur lié, une fois que tous les faits ont été examinés, ne correspondent pas aux modalités qui s'appliquent normalement, ou que l'on s'attendrait voir s'appliquer dans le cas d'employés non liés ayant conclu un contrat de travail à peu près semblable.

[22]          Dans une affaire récente, Jason Miller c. M.R.N., 2000-2373(EI), j'ai examiné la situation d'une entreprise familiale dans laquelle trois fils détenaient chacun 16 p. 100 des actions en circulation de la société employeuse, tandis que les 52 p. 100 restants étaient contrôlés par une société dont les actions appartenaient à la mère et au père, à parts égales. Dans cette cause, j'ai dit, à la page 18 :

Je signale que, dans l'examen de cette affaire, je n'ai pas pour rôle de substituer mon opinion à celle du ministre. La question de savoir si je serais arrivé à la même conclusion au départ n'est pas pertinente. La jurisprudence pertinente établit qu'une intervention doit être basée sur une conclusion que le ministre a agi de mauvaise foi ou d'une manière capricieuse ou non conforme à la loi ou qu'il a fondé sa décision sur des faits non pertinents ou qu'il n'a pas tenu compte de faits pertinents.

[23]          La différence entre un cas où un tribunal remettra en cause la décision d'un ministre et un cas où il ne la remettra pas peut sembler ténue, parfois. De plus, il peut apparaître clairement au cours des motifs du jugement que le juge serait probablement arrivé à une conclusion différente de celle du ministre s'il avait pu — en droit — se lancer dans un procès de novo.

[24]          Pour revenir aux faits du présent appel, il ne semble pas raisonnable que les particuliers touchés par la décision du ministre accepteraient une limitation continue de leurs salaires — au profit de la société — ou travailleraient entre 60 et 85 heures par semaine sans rémunération supplémentaire, sauf s'ils étaient disposés à le faire dans le contexte d'une entreprise familiale sur la base d'un lien de dépendance. Les employés de l'atelier — dont certains gagnaient 16 $ l'heure — gagneraient près de 5 000 $ par mois s'ils travaillaient autant, et il est bien certain qu'ils n'auraient pas été payés pour des heures non travaillées. Durant presque toute la période pertinente, de sérieuses restrictions limitaient la capacité des parties — en tant que travailleurs — de négocier un taux raisonnable de rémunération avec la société. Les conditions de travail — à part la rétribution et à part les heures excessives — étaient par ailleurs raisonnables, sauf que des personnes non liées qui seraient embauchées comme gestionnaires n'accepteraient probablement pas que leurs conditions de travail soient inextricablement liées à certains autres engagements que l'on exige d'un actionnaire dans une société. Il s'agissait d'un emploi à temps complet résultant du fait que les Lafleur et les Haseloh avaient constitué en société une entreprise familiale en se fondant sur une invention de leur oncle, soit l'invention d'un type d'aéronef. On a adhéré à une structure de société en raison des particularités du régime de financement et en raison d'événements ultérieurs, mais les membres de la famille ont continué à réaliser leur rêve de longue date principalement dans le contexte de cette relation familiale et, pour faire de l'entreprise un succès, ils s'abstenaient d'exercer d'autres emplois qui auraient été très payants et pour lesquels ils étaient tous qualifiés et expérimentés. Le travail accompli était nécessaire et important et il était essentiel pour l'exploitation de l'entreprise de RAF. Comme le disait Donald Lafleur au cours de son témoignage, lui et les autres membres de la famille — pour des raisons commerciales — avaient antérieurement choisi de suivre la recommandation du conseil obligataire et de ne pas faire de vagues lorsque Revenu Canada avait imposé à RAF le paiement de cotisations pour le motif que les intervenants et Daniel Haseloh exerçaient un emploi assurable. Dans l'affaire Le ministre du Revenu national c. Emily Standing, C.A.F., no A-857-90, 29 septembre 1992 (147 N.R. 238), le juge d'appel Stone disait à la page 2 (N.R. : aux pages 239-240) :

...Rien dans la jurisprudence ne permet d'avancer l'existence d'une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes appréciées en fonction du critère de l'arrêt Wiebe Door. (87 DTC 5025)

[25]          Bien que le contexte habituel dans lequel s'inscrit la citation ci-dessus se rapporte à la question de savoir si un travailleur était un employé ou un entrepreneur indépendant, ce point s'applique au présent appel en ce que les parties ne peuvent choisir d'être incluses ou non dans la catégorie des personnes considérées comme exerçant un emploi assurable, car il ne s'agit pas d'un régime optionnel, et l'inclusion est déterminée par la loi et par la jurisprudence pertinente. De plus, chaque période pertinente doit être évaluée séparément, quoique des situations et événements antérieurs et ultérieurs soient souvent pertinents en ce qu'ils aident à trancher la question.

[26]          Le fait est qu'en examinant — globalement — la relation de travail des intervenants et de Daniel Haseloh avec RAF dans le présent appel, cela ne m'apparaît pas comme une situation où il est raisonnable de conclure que RAF et une personne non liée, sans lien de dépendance, auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable. Quand on a supprimé les restrictions salariales, du fait que l'on pouvait voir une fin au litige, la rétribution a augmenté considérablement, en conformité avec une décision prise lors d'une réunion familiale, et les paiements ont fait l'objet de feuillets T4 délivrés aux bénéficiaires. On ne s'attendrait normalement pas à cette forme de rattrapage salarial dans le cas d'une personne sans lien de dépendance. Il est clair que leurs intérêts économiques étaient liés à ceux de la société, comme dans la situation relative à l'affaire Crawford,précitée, dans laquelle le juge Porter disait, au paragraphe 93 :

À mon avis, il n'existait pas entre chacun des travailleurs en cause dans ces appels et la société appelante le degré d'intérêt économique contraire qui permettrait d'affirmer qu'il s'agissait d'intérêts distincts. Sans contredit, leurs intérêts économiques étaient liés si étroitement à ceux de la société qu'on ne pouvait dire de cette dernière qu'elle agissait de manière indépendante. Il n'y avait pas dans ces arrangements le genre de négociation véritable qu'il y aurait entre des personnes, des étrangers sur le marché et dont j'ai parlé précédemment. Il n'y avait pas le genre d'indépendance d'esprit ou d'indépendance quant aux objectifs entre la société et les trois particuliers qui permettrait d'affirmer qu'ils traitaient entre eux sans lien de dépendance. En conséquence, je conclus qu'aucun d'eux n'exerçait un emploi assurable.

[27]          Vu les conclusions énoncées dans les présents motifs, l'appel est accueilli et chaque décision du ministre — en date du 4 juin 1999 — est modifiée de manière à établir ce qui suit :

-               Daniel Haseloh exerçait un emploi pour Rotary Air Force Management Inc. en vertu d'un contrat de louage de services au cours de la période allant du 1er janvier 1997 au 6 juin 1998, mais il n'exerçait pas un emploi assurable, car lui et la société avaient un lien de dépendance.

-               Peter Haseloh, Donald Lafleur et Linda Lafleur exerçaient un emploi pour Rotary Air Force Management Inc. en vertu d'un contrat de louage de services au cours de la période allant du 1er janvier 1997 au 10 septembre 1998, mais ils n'exerçaient pas un emploi assurable, car eux et la société avaient un lien de dépendance.

[28]          Les parties avaient convenu que la preuve recueillie dans le présent appel s'appliquerait à l'appel 1999-3786(CPP). Il est indubitable sur la foi de la preuve que Daniel Haseloh, Peter Haseloh, Donald Lafleur et Linda Lafleur exerçaient tous un emploi pour RAF en vertu d'un contrat de louage de services. Il n'y a dans le Régime de pensions du Canada aucune disposition comparable à l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi et, à moins que des personnes ne soient exclues par le paragraphe 6(2) du Régime de pensions du Canada, elles sont incluses, en tant qu'employés. Les particuliers nommés exerçaient pour RAF un emploi ouvrant droit à pension, et les décisions — en date du 4 juin 1999 — rendues à cet effet par le ministre sont confirmées. En conséquence, l'appel 1999-3786(CPP) est par les présentes rejeté.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 23e jour de janvier 2001.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 25e jour de juillet 2001.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-3785(EI)

ENTRE :

ROTARY AIR FORCE MANAGEMENT INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

PETER G. HASELOH, LINDA M. LAFLEUR, DONALD N. LAFLEUR,

intervenants.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Rotary Air Force Management Inc. (1999-3786(CPP)), le 22 novembre 2000, à

Saskatoon (Saskatchewan),

par l'honorable juge suppléant D. W. Rowe

Comparutions :

Représentant de l'appelante :                Donald N. Lafleur

Avocate de l'intimé :                            Me Suzanne Lalonde

Représentant des intervenants :             Donald N. Lafleur

JUGEMENT

          L'appel est accueilli, et la décision du ministre est modifiée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 23e jour de janvier 2001.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de juillet 2001.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-3786(CPP)

ENTRE :

ROTARY AIR FORCE MANAGEMENT INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

PETER G. HASELOH, LINDA M. LAFLEUR, DONALD N. LAFLEUR,

intervenants.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Rotary Air Force Management Inc. (1999-3785(EI)), le 22 novembre 2000, à

Saskatoon (Saskatchewan), par

l'honorable juge suppléant D. W. Rowe

Comparutions :

Représentant de l'appelante :                Donald N. Lafleur

Avocate de l'intimé :                            Me Suzanne Lalonde

Représentant des intervenants :             Donald N. Lafleur

JUGEMENT

          L'appel est rejeté, et la décision du ministre est confirmée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 23e jour de janvier 2001.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de juillet 2001.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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