Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20000915

Dossiers: 98-1184-UI, 98-1185-UI

ENTRE :

EARLYBIRDS AWARDS INC.,

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1]            L'appelante, Earlybirds Awards Inc. (EBA), fait appel de deux décisions du ministre du Revenu national (le « ministre » ) concernant le caractère assurable du travail effectué par deux travailleurs. L'avocat de l'appelante et les avocates de l'intimé ont accepté que les deux appels soient entendus ensemble.

[2]            Le 5 août 1998, le ministre a rendu une décision selon laquelle Dora Weninger avait travaillé pour l'appelante aux termes d'un contrat de louage de services du 30 novembre 1997 au 24 février 1998 et avait exercé un emploi assurable au cours de cette période, conformément à l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ). Cette décision fait l'objet de l'appel 98-1184(UI).

[3]            Le 5 août 1998, le ministre a rendu une décision selon laquelle Corey Mazurat avait travaillé pour l'appelante aux termes d'un contrat de louage de services du 1er janvier au 30 avril 1997 et avait exercé un emploi assurable au cours de cette période, conformément à l'alinéa 5(1)a) de la Loi. Cette décision fait l'objet de l'appel 98-1185(UI).

[4]            Préalablement à l'audition de la preuve, l'avocat de l'appelante a déposé de consentement, à titre de pièces, différents cahiers numérotés de la manière suivante :

                Pièce A-1 - vol. 1 - onglets 1 à 14

                Pièce A-2 - vol. 2 - onglets 15 à 27.

[5]            Les pièces ci-dessus contiennent des documents portant sur la relation de travail entre l'appelante et Dora Weninger.

                Pièce A-3 - vol. 1 - onglets 1 à 10

                Pièce A-4 - vol. 2 - onglets 11 à 19

                Pièce A-5 - vol. 3 - onglets 20 à 24.

               

[6]            Les pièces ci-dessus contiennent des documents portant sur la relation de travail entre l'appelante et Corey Mazurat.

[7]            L'avocat de l'appelante a déposé une lettre (pièce A-6) datée du 15 novembre 1999 et envoyée par Me Susan Wong, avocate de l'intimé, dans laquelle étaient confirmées l'authenticité des différents rapports de décision préparés par le ministre, les décisions rendues et l'authenticité du formulaire CPT-110, « Rapport sur un arrêt ou un appel » . Le ministre n'était toutefois pas disposé à admettre la véracité des déclarations faites par les parties interrogées par lui lors de la préparation de ces rapports.

[8]            En ce qui concerne les cahiers, bien que les pièces A-1 et A-2 portent une étiquette indiquant le nom de Dora Weninger et le numéro de volume (1 et 2), il suffira de préciser le numéro de pièce et l'onglet, plus le numéro de page s'il y a lieu. De même, bien qu'elles portent les numéros de volume 1, 2 et 3, les pièces A-3, A-4 et A-5, dont l'étiquette indique qu'elles ont trait à Corey Mazurat, seront désignées par le numéro de pièce et l'onglet (ainsi que le numéro de page).

[9]            Au cours de son témoignage, Alfred Evans a indiqué qu'il résidait à Kelowna et que, durant la période visée par les appels, il était le président, le chef de la direction et l'unique administrateur de l'appelante. Il a expliqué qu'EBA est une société exploitant une entreprise de télémarketing (service 1-900) à Kelowna (Colombie-Britannique) sous le nom commercial de Evanly Rays Psychic Answers, l'entreprise consistant à fournir les services de voyants par téléphone aux clients ayant besoin de conseils. L'exploitation de l'entreprise a débuté au printemps 1994, quinze voyants offrant alors des consultations. À l'heure actuelle, ils ne sont plus que six. Toutefois, aux dires de M. Evans, avant que Revenu Canada, à la demande de Développement des ressources humaines Canada (DRHC), rende une décision portant que certains travailleurs étaient des employés embauchés aux termes d'un contrat de louage de services, EBA faisait appel à 50 personnes pour fournir des services de voyance et les sommes payées par EBA pour ces services s'élevaient à environ 50 000 $ par mois. Les lignes téléphoniques sont fournies par Telus (l'ancienne BC Tel), et EBA exerce ses activités 24 heures sur 24, tous les jours de l'année. Le principal organisme de réglementation de ces activités est le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), mais il existe également des règles établies par un réseau de fournisseurs de services téléphoniques dont fait partie Telus. Afin de surveiller les activités de télémarketing, le CRTC intercepte des appels au moins deux fois par jour dans le but d'observer la conduite, vis-à-vis des clients, des personnes qui se livrent à ces activités. M. Evans a expliqué que le système utilisé par EBA permettait d'effectuer des recherches dans les fichiers à l'aide d'un programme informatique afin d'établir si un client donné était un client régulier. Que ce soit le cas ou non, lors de chaque appel, un message est lu afin de donner certaines précisions aux clients, par exemple l'âge minimum requis — 18 ans — et le coût par minute d'appel. Le CRTC a fixé une limite de 50 $ par appel, de sorte que, si EBA facturait 2,99 $ la minute, le temps d'appel maximum autorisé était d'un peu moins de 17 minutes. M. Evans a fait mention de différents documents, contenus à l'onglet 14 de la pièce A-1, au sujet des services 1-900 et des règles établies par Stentor, société qui appartient conjointement à toutes les sociétés de téléphone canadiennes et qui a pour mandat de défendre les intérêts de ces dernières devant le CRTC. M. Evans a mentionné une entente entre EBA et Stentor (pièce A-2, onglet 15) qui, selon lui, représente l'assise de ce genre d'activités, puisqu'elle porte sur la fourniture de lignes téléphoniques par la société de téléphone contractante ainsi que sur des services complémentaires comme la facturation, le renvoi des plaintes, le soutien technique et les conseils spécialisés. Dans le cas d'EBA, la société de téléphone provinciale fournissait les lignes et le matériel, et elle percevait les montants payables à EBA par les clients conformément à une entente existante, en vertu de laquelle les sociétés de téléphone ont droit à une partie des montants perçus au titre des services d'appel. Lorsqu'un client composait le numéro de téléphone du service de voyance, un employé d'EBA prenait l'appel et lui demandait quel service il voulait obtenir, puisqu'il avait le choix entre la lecture des tarots et une conversation avec un voyant. Étant donné que de 30 à 40 p. cent des gens qui appellent sont des clients réguliers, ils demandent habituellement à parler à un voyant particulier avec lequel ils se sentent à l'aise. Si ce voyant ne peut prendre l'appel, on informe le client qu'il le rappellera aussitôt que possible. EBA faisait la publicité de ses services dans de nombreux médias — radio, télévision et presse écrite —, sans oublier la participation de voyants à des émissions-débats, la distribution de cartes professionnelles, les affiches, la participation à des activités communautaires et les consultations données par les voyants dans des restaurants locaux. EBA payait les frais de publicité rattachés à ses propres activités, et les voyants payaient les frais de leur publicité privée. M. Evans a déclaré que certains clients refusent de payer la partie de leur facture de services téléphoniques se rapportant aux services de voyants, et que les autres sociétés exploitant un service 1-900 se prévalaient d'un service de gestion du risque offert par les sociétés de téléphone afin de bloquer les appels des clients qui ne payaient pas les frais d'appel pour les services de voyants. Toutefois, EBA avait décidé de ne pas utiliser cette technologie et avait établi son propre mécanisme de perception. Chaque fois qu'une personne composait l'un des numéros d'EBA, l'appel était transféré et il y avait lecture d'un message en direct par le responsable, désigné à EBA comme le répartiteur de centre de communication ou de station pilote. Les instructions contenues dans le message, approuvé par le CRTC, étaient appliquées à la lettre lors de chaque appel par le répartiteur, qui indiquait au client le nom de la société (EBA), vérifiait que le client avait au moins 18 ans, puis précisait le tarif par minute d'appel et ajoutait que le client pouvait raccrocher à tout moment pendant la lecture des instructions sans avoir quoi que ce soit à payer, mais que, s'il décidait de poursuivre l'appel, la facturation débuterait trois secondes plus tard selon le tarif par minute prévu. On trouvera à la pièce A-2, onglet 15, page 36, un exemple de message, de même qu'une formule d'entrée en matière à l'intention des voyants qui faisaient leurs débuts au service d'EBA. Durant les 36 premières secondes, où les instructions étaient lues, aucuns frais n'étaient facturés au client, EBA devant toutefois payer la société de téléphone pour ce temps d'utilisation. Dans le but de permettre à EBA d'évaluer l'efficacité des différents moyens publicitaires employés, on demandait aux clients de préciser où ils avaient vu la publicité indiquant le numéro 1-900 qu'ils avaient composé. La pièce A-2, onglet 15, page 34, contient un exemple de publicité d'EBA. Le répartiteur demandait au client s'il souhaitait parler à un voyant en particulier, et il pouvait à l'occasion continuer de parler au client après la lecture du message obligatoire, le temps que durait la lecture n'étant pas facturable. Si un voyant donné ne pouvait prendre l'appel, on demandait au client s'il voulait parler à un autre voyant; dans l'affirmative, l'appel était acheminé à ce voyant. Celui-ci consignait la durée de l'appel et sa provenance, de façon à obtenir d'EBA le paiement auquel il avait droit. M. Evans a déclaré que, contrairement à d'autres sociétés offrant des services de voyance, il tenait à ce que tous les voyants au service d'EBA travaillent dans les locaux de la société et à ce que tous les appels soient pris par quelqu'un, au lieu d'aboutir à un répondeur ou à une boîte vocale. Avant de lancer son entreprise, M. Evans avait fait des recherches, appelant différents services de voyance qui s'annonçaient, ce qui lui avait permis de constater que, parfois, la consultation était interrompue par des pleurs d'enfants ou des aboiements de chiens en fond sonore. Dans les bureaux d'EBA à Kelowna et dans ceux de la société affiliée de Calgary, les voyants pouvaient utiliser deux pièces, l'une réservée aux fumeurs, l'autre aux non-fumeurs. Chaque pièce disposait de postes de travail dotés d'un bureau, d'un téléphone, de cloisons insonorisantes et de documents de référence. Certains voyants utilisaient leur propre casque téléphonique et apportaient leur matériel dans le but d'induire plus facilement une transe de voyance. Le répartiteur avait pour fonction de répondre aux appels et de les acheminer au fournisseur de services le plus à même de répondre aux besoins de chaque client. Le répartiteur gagnait un salaire fixe et pouvait aussi toucher une prime; EBA n'a jamais contesté le fait que les titulaires de ce poste étaient des employés embauchés aux termes d'un contrat de louage de services. Avant que soient rendues les décisions à l'origine des appels qui nous occupent, EBA avait eu recours aux services de 11 répartiteurs, qui étaient considérés comme des employés. Ces répartiteurs travaillaient par quart afin d'offrir un service permanent, l'entreprise n'interrompant jamais ses activités. Actuellement, EBA compte deux employés de bureau, alors que, avant les décisions, il y en avait 16 ou 17, qui accomplissaient différentes tâches — réception, publicité postale, opération machine, impression, éditique — et travaillaient de 9 h à 17 h, du lundi au vendredi, en contrepartie d'un salaire horaire établi en fonction de leurs compétences. EBA faisait également appel aux services de programmeurs et de commis comptables qui étaient des entrepreneurs indépendants. M. Evans a déclaré que la travailleuse Dora Weninger n'était ni administratrice, ni dirigeante ni actionnaire d'EBA, et qu'elle offrait à EBA uniquement des services de voyance, M. Evans estimant que ces services avaient été fournis aux termes d'un contrat daté du 17 novembre 1997 (pièce A-1, onglet 4) entre EBA et elle. EBA et Mme Weninger ont signé un autre contrat — similaire au précédent — le 5 janvier 1998 (pièce A-1, onglet 6). M. Evans a mentionné une facture datée du 30 novembre 1997 (pièce A-1, onglet 5A) présentée à EBA par Mme Weninger pour un montant de 50,63 $; celui-ci était calculé d'après son tarif de 50 cents la minute pour un temps total de 102,19 minutes, moins des frais de 4,77 $ pour avoir dépassé la limite par appel fixée par le CRTC. C'était le genre de facture que tous les voyants présentaient à EBA afin de se faire payer leurs services. EBA utilisait le service de paye de la Banque Royale, Payroll Technologies, pour l'envoi de chèques à tous les travailleurs. M. Evans a mentionné un exemple de relevé d'appels (pièce A-1, onglet 7C, page 1) établi par un voyant au cours d'un quart de travail. On trouve à la page 2 une feuille sur laquelle il est indiqué qu'EBA avait effectué une contre-vérification en examinant la facture de téléphone envoyée à EBA par la société de téléphone, dans le but de vérifier que les appels facturés par le voyant avaient bien été reçus et que le temps facturé était exact. Dora Weninger travaillait comme voyante sous le pseudonyme d' « Amber » , et bon nombre des relevés d'appels figurant à l'onglet 7 de la pièce A-1 sont établis à ce nom. Les paiements à Mme Weninger étaient effectués par le service Payroll Technologies de la Banque Royale, et il était précisé que ces paiements étaient effectués conformément à un contrat (pièce A-1, onglet 8). Mme Weninger a adressé une lettre de démission datée du 10 février 1999 (sic) (pièce A-2, onglet 20) à Evanly Rays Psychic Answers, l'un des nombreux noms commerciaux utilisés par EBA; dans cette lettre, elle demandait un congé d'une durée indéterminée, expliquant que différents problèmes de santé et de stress l'empêchaient de poursuivre ses activités de voyante. Elle y demandait également à EBA de préparer un relevé d'emploi, d'effectuer la retenue de ses cotisations obligatoires au titre de son emploi et de calculer la paye de vacances à laquelle elle avait droit, le cas échéant. La date à laquelle la lettre a été écrite est en fait le 10 février 1998.

[10]          M. Evans a déclaré que Corey Mazurat n'était ni administrateur, ni dirigeant ni actionnaire d'EBA, et qu'il avait commencé par fournir des services à EBA comme voyant indépendant, avant de devenir répartiteur, puis directeur général le 19 février 1998. À titre de répartiteur puis de directeur général, il touchait un salaire mensuel, avait droit à certaines primes et était considéré comme un employé. Le 1er avril 1999, M. Mazurat a cessé de travailler pour EBA. Il avait commencé à travailler pour EBA et à donner des consultations de voyance aux termes d'un contrat datant du 15 octobre 1994 conclu entre EBA et lui (pièce A-3, onglet 8). D'autres contrats ont été conclus entre les deux parties le 24 juillet 1995 (pièce A-3, onglet 9), le 30 août 1996 (pièce A-4, onglet 11), le 21 décembre 1996 (pièce A-4, onglet 12) et enfin le 2 janvier 1997 (pièce A-4, onglet 14), ce qui englobe la période en cause dans l'appel relatif au statut de M. Mazurat. M. Evans a déclaré que les modifications que comportait chaque nouveau contrat étaient de peu d'importance. M. Evans a reconnu différents documents (pièce A-3, onglet 10, sous-onglets A à M) se rapportant à la relation de travail entre M. Mazurat et EBA, notamment des factures, des feuilles de renseignements sur les clients (feuilles de contrôle) et des feuilles de paye. Les documents constituant les sous-onglets A à D de l'onglet 15, pièce A-4, se rapportent à la période allant du 1er janvier au 30 avril 1997. Le contrat du 2 janvier 1997 (pièce A-4, onglet 14) visait cette période. M. Evans a dit que, depuis le début des activités d'EBA, en mai 1994, tous les voyants avaient fourni leurs services à titre d'entrepreneurs indépendants, et ce, jusqu'à la décision rendue par Revenu Canada en avril 1998. Chaque contrat conclu avec un voyant contenait une clause identique ou similaire à la clause 2.01, à la page 3 du contrat conclu le 15 octobre 1994 entre M. Mazurat et EBA (pièce A-3, onglet 8), dans laquelle EBA convenait de [TRADUCTION] « payer à l'entrepreneur une commission égale à 50 cents la minute pour les services en direct fournis personnellement par ce dernier » . M. Evans a précisé que cette commission est par la suite passée à 60 cents la minute après minuit, et que des contrats subséquents contenaient des clauses additionnelles concernant la possibilité pour les travailleurs de fournir des services à d'autres entreprises de services de voyance par téléphone ou d'exploiter eux-mêmes une entreprise. Certains ont tiré parti de ces modifications des modalités de travail. M. Evans a dit que, durant les périodes visées par les deux appels, Mme Weninger et M. Mazurat pouvaient déterminer à leur guise leur horaire de travail, et que l'horaire était en général établi par les voyants eux-mêmes, collectivement ou par consensus, à l'aide d'une feuille de disponibilité qui était affichée dans les locaux d'EBA. La feuille de disponibilité fournie à titre d'exemple (pièce A-2, onglet 22) contient des inscriptions faites à la main par divers voyants. En dernier ressort, c'était au répartiteur/responsable de veiller à ce qu'un nombre suffisant de voyants soient en fonction pour répondre à la demande des clients. Certains voyants utilisaient aussi le jeu de tarots et, après 1995, certains appels reçus via la ligne 1-900, qui auraient normalement été traités par le personnel du bureau de Kelowna, étaient transférés à une société associée à EBA à Calgary, où un voyant donnait les consultations. Dans les bureaux d'EBA à Kelowna, différents travailleurs, dont Dora Weninger, prenaient des dispositions pour que d'autres voyants les remplacent au besoin pour un quart donné, et ils parvenaient généralement à s'arranger entre eux lorsqu'ils voulaient se faire remplacer. Le remplacement ne pouvait être effectué par une personne qui n'était pas déjà au service d'EBA comme voyant sans l'approbation de la direction de l'entreprise. Avant de travailler comme voyants pour EBA, les candidats devaient donner une consultation à trois à cinq personnes qu'ils ne connaissaient pas; après la consultation, l'exactitude de leurs commentaires était analysée. Selon M. Evans, il est possible d'enseigner la lecture des tarots ou les fonctions de répartiteur, mais on ne peut apprendre à quelqu'un à être voyant. La lecture des tarots était faite en direct par les travailleurs d'EBA, et de nombreux voyants avaient leur propre clientèle, car de 25 à 40 p. cent des clients étaient des habitués qui voulaient consulter un voyant en particulier. Même si le coût maximum d'un appel avait été fixé à 50 $ par le CRTC, EBA pouvait à sa guise demander 3,99 $ la minute d'appel. EBA a également convenu de payer un montant de base de 56 $ aux voyants qui faisaient le quart de nuit, mais cette situation ne s'est produite que deux ou trois fois sur une période de plusieurs années, car les commissions étaient presque toujours supérieures à ce minimum. M. Evans a expliqué que la direction ne pouvait exercer de contrôle sur les activités des voyants, étant donné que leurs aptitudes prenaient différentes formes et que certains devaient entrer en transe avant de pouvoir formuler des commentaires utiles aux clients. Parfois, un voyant se levait et quittait les lieux, mais jamais sans avoir au préalable transféré l'appel à un autre voyant, lorsque la chose était possible. EBA garantissait aux clients dont c'était le premier appel qu'ils seraient entièrement satisfaits, mais le voyant ayant répondu à l'appel avait droit à sa commission en toutes circonstances. Si un appel était transféré après un certain temps, le premier voyant et celui qui prenait le relais devaient se séparer la commission en proportion du temps qu'ils avaient consacré à l'appel. M. Evans a fait mention d'un certificat de constitution (pièce A-2, onglet 21A) d'une société appelée Vacation Travel Certificate Marketing Ltd., daté du 26 janvier 1990. Le 20 juin 1990, le nom de cette société est devenu Vacation Travel Marketing Ltd. ( « Vacation Travel » ), et M. Evans détenait 51 p. cent de ses actions, sans en être l'administrateur ni le dirigeant. Les autres actions étaient détenues par Leslie Krogel, qui occupait le poste d'administrateur. M. Krogel avait été responsable à EBA et, au printemps 1995, avait en fait calqué le système d'EBA à Calgary dans la nouvelle société, qui avait commencé ses activités sous le nom d'Innervision Crystal Connection ( « Innervision » ). Cette dernière a ensuite été exploitée à titre d'associée d'EBA. Le 30 octobre 1997, Revenu Canada a rendu une décision (pièce A-1, onglet 10A) sur le caractère assurable de l'emploi d'une travailleuse, Maureen Kirby, qui avait fourni des services de voyance du 1er septembre 1996 à la date de la décision. La décision établissait que l'emploi de Mme Kirby n'était pas assurable, puisqu'elle n'était pas une employée offrant des services aux termes d'un contrat de louage de services. M. Evans a indiqué qu'un fonctionnaire de Revenu Canada s'était rendu aux bureaux d'Innervision à Calgary et avait eu un entretien privé avec divers voyants ainsi qu'avec M. Krogel et avec lui-même. M. Evans a mentionné une autre décision (pièce A-7) rendue par Revenu Canada le 6 mars 2000 à propos d'un voyant, Terry Bauer, pour la période débutant le 1er juin 1999, au cours de laquelle M. Bauer avait fourni des services à la société de Calgary, qui exerçait ses activités sous le nom d'Innervision : cette décision établissait que M. Bauer n'exerçait pas un emploi assurable à Vacation Travel, puisqu'il n'offrait pas de services aux termes d'un contrat de louage de services. Une décision similaire (pièce A-8), rendue par Revenu Canada en vertu du Régime de pensions du Canada, indiquait que l'emploi de M. Bauer à Vacation Travel n'était pas un emploi ouvrant droit à pension. M. Evans a déclaré que l'agent des décisions s'était rendu dans les bureaux d'Innervision et avait passé en tout environ huit heures à observer les activités qui s'y déroulaient et à s'entretenir en privé avec huit ou neuf voyants, sans compter plusieurs conversations téléphoniques pouvant durer jusqu'à 30 minutes avec lui-même. M. Evans a ensuite mentionné des décisions antérieures (pièce A-1, onglet 9A) de Revenu Canada, datées toutes deux du 30 mars 1995, dans lesquelles il était établi que Treva Stubbs, voyante au service d'EBA, ainsi que d'autres personnes travaillant dans des conditions similaires, n'exerçait pas chez EBA un emploi assurable ou ouvrant droit à pension au cours de 1994. M. Evans a parlé aussi d'une autre décision (pièce A-2, onglet 16J, pages 8, 9 et 10), datée du 28 octobre 1997, concernant les services d'une voyante, Edita Kavcic, pour la période du 1er septembre 1996 au 1er janvier 1997. Dans le rapport de décision, l'agent des décisions, C. Drebit, a conclu que Mme Kavcic n'exerçait pas un emploi assurable chez EBA parce qu'elle n'offrait pas ses services aux termes d'un contrat de louage de services. Puis, le 18 août 1997, Revenu Canada a rendu une décision (pièce A-9) concernant Diana Thompson, qui avait travaillé à EBA de mai à septembre 1996. La décision était que Mme Thompson avait exercé un emploi assurable chez EBA parce qu'elle était une employée offrant des services aux termes d'un contrat de louage de services. M. Evans a dit n'avoir entendu parler de cette décision particulière que la veille de l'audition des présents appels, mais qu'il ne la contestait pas, car Diana Thompson travaillait, non pas comme voyante, mais comme répartitrice durant la période visée par la décision, et que ce poste était toujours occupé par un travailleur ayant la qualité d'employé. Concernant les décisions relatives à des voyants ayant travaillé pour la société au cours de différentes périodes, M. Evans a déclaré ne voir aucune différence concernant les conditions de travail, étant donné que les activités d'EBA à Kelowna et celles de Vacation Travel à Calgary (sous le nom d'Innervision) étaient semblables — d'ailleurs, cette dernière entreprise était essentiellement un calque de celle de Kelowna. Les voyants au service d'EBA en 1995, 1996 et 1997 recevaient des feuillets T4A sur lesquels étaient inscrites les sommes payées (pièce A-2, onglets 23, 24 et 25). Pour l'année d'imposition 1998, EBA a envoyé des feuillets T4 aux voyants, conformément à la décision de Revenu Canada selon laquelle ces derniers étaient des employés.

                En contre-interrogatoire, Alfred Evans a témoigné qu'EBA utilisait différents noms pour attirer les clients, dont Universal Light, Millennium Psychic Solutions, Triple A Psychic Answers et Evanly Rays Psychic Alliance. Il y avait des numéros 1-900 différents pour chacun de ces noms commerciaux, mais tous les appels étaient reçus aux bureaux d'EBA à Kelowna. La publicité postale se faisait à partir des bureaux de l'entreprise et, durant les périodes visées par les présents appels, EBA menait ses activités à partir de locaux loués, avenue Bernard, à Kelowna, où l'on trouvait 27 postes de travail à l'intention des voyants. Certains des services téléphoniques de voyance exploités par EBA étaient assortis de tarifs différents par minute d'appel, de sorte que la durée des appels pouvait varier avant que soit atteint le montant maximum des frais d'appel autorisé par le CRTC, soit 50 $. Il a été fait mention à M. Evans d'un rapport de décision (pièce A-5, onglet 21H) dans lequel il est écrit que les voyants pouvaient travailler à partir de leur domicile. M. Evans a expliqué que tous les voyants devaient travailler à partir des bureaux d'EBA. Il avait dit à un fonctionnaire de Revenu Canada qu'EBA envisageait d'adopter un système permettant de transférer les appels au domicile des voyants, mais il aurait dû ressortir que tout le travail des voyants au cours de la période pertinente avait été effectué à partir des bureaux d'EBA. On a reporté M. Evans à un rapport de décision concernant Diana Thompson (pièce A-2, onglet 17H), dans lequel il est écrit que cette dernière pouvait, si elle le voulait, prendre des dispositions pour travailler à son domicile. Dans un autre rapport de décision (pièce A-2, onglet 16J, page 9) montré à M. Evans, il est indiqué que Treva Stubbs avait déclaré à l'agent des décisions que les voyants pouvaient travailler à partir de leur domicile, mais que la majorité d'entre eux travaillait dans les bureaux d'EBA. M. Evans a expliqué que, durant le temps où ils étaient au service d'EBA, les voyants devaient travailler aux bureaux de la société, ajoutant que certains voyants fournissaient aussi des services à des entités exploitant des services téléphoniques de voyance non associées à EBA, par exemple la Psychic Alliance de Jo-Jo Savard, et qu'ils le faisaient à partir de leur domicile. Concernant l'entente entre EBA et Stentor (pièce A-2, onglet 15), M. Evans a indiqué que les frais indiqués à la page 37 étaient payés par EBA, y compris des frais d'installation de 1 500 $ et des frais d'utilisation de 10 cents la minute relativement au préambule de 18 secondes exigé par le CRTC. M. Evans a modifié le préambule, qui durait dès lors 36 secondes, et EBA a payé le temps d'utilisation correspondant. M. Evans a récemment décliné, au nom d'EBA, l'offre de Stentor de participer à un programme test de télémarketing dans lequel le tarif maximum par appel serait porté à 200 $, décidant plutôt qu'EBA adopterait un nouveau système passant par le réseau Internet. Conformément aux exigences de Stentor, EBA a mis sur pied un mécanisme de traitement des plaintes au moyen d'un numéro 1-800, et c'est M. Evans ainsi que Treva Stubbs qui traitaient les plaintes. Cela explique qu'EBA se soit vu imposer peu de frais par la société de téléphone en raison du refus des clients de payer la partie de la facture du téléphone correspondant aux services de voyance. Le contrat entre EBA et Dora Weninger (pièce A-1, onglet 4) a été rédigé par M. Evans, qui avait consulté un avocat à cet égard. Avec le taux de commission offert, la plupart des voyants gagnaient 12,60 $ l'heure en moyenne en 1998, mais certains pouvaient gagner plus de 18 $ l'heure. Il est indiqué à la clause 1.03 du contrat en question que l'entrepreneur/voyant pouvait refuser de travailler. Bien que la clause 2.01b) autorisât EBA à défalquer certaines sommes des commissions gagnées, la société l'a rarement fait, aux dires de M. Evans, parce que l'entreprise avait pour politique de constituer une provision pour créances irrécouvrables égale à 12 p. cent de son chiffre d'affaires. Lorsque la société de téléphone envoyait une somme d'argent à EBA, elle supposait que les clients acquitteraient la totalité de leur note de téléphone, y compris les frais associés aux services de voyance. Si ces frais étaient impayés, la société de téléphone les défalquait de la somme payable à EBA pour la période où le non-paiement était constaté. Le refus d'un client de payer les frais d'un appel à un service de voyance ne donnait jamais lieu à l'interruption du service de la part de la société de téléphone. EBA avait recours à son propre mécanisme de recouvrement qui, conjugué à la provision de 12 p. cent pour créances irrécouvrables, permettait de limiter les déductions pour services antérieurs sur les commissions des voyants à de modestes sommes et, généralement, à deux ou trois périodes de paye par année. Le voyant devait présenter une feuille de contrôle chaque jour, conformément à la clause 2.03 du contrat, et il était stipulé à la clause 3.04 que l'entrepreneur, par exemple Dora Weninger, acceptait de se conformer aux directives écrites d'EBA sur la méthode à utiliser par les voyants pour exercer leurs activités. EBA plaçait des annonces dans les journaux afin de trouver des personnes souhaitant travailler comme voyants. Il y avait aux bureaux d'EBA des caméras de surveillance fonctionnant 24 heures sur 24, à l'entrée, dans le couloir et dans les aires d'accès. La direction d'EBA surveillait en outre les appels des clients. La direction donnait comme instruction aux voyants de ne pas donner de conseils médicaux ni de formuler de commentaires négatifs. Les voyants pouvaient à leur guise informer les clients qu'ils avaient le droit de rappeler une fois la période d'appel maximum de 15 minutes terminée. Au cours d'une année, EBA tenait dans ses bureaux en moyenne trois ou quatre réunions générales, où tous les voyants étaient présents. Le voyant qui s'était engagé à être présent pour un quart de travail en signant la feuille de disponibilité mais qui ne pouvait travailler devait prévenir EBA par téléphone afin qu'un autre voyant le remplace pour le quart en question. Il y avait trois quarts de huit heures, mais les heures de travail des voyants variaient à l'intérieur de ces quarts. Parfois, lorsque les affaires étaient au ralenti, les travailleurs organisaient une loterie, et le gagnant pouvait s'absenter le reste de la journée. EBA estimait que le seul recours contre un voyant consistait à lui remettre l'avis approprié conformément aux modalités d'un contrat écrit. EBA fournissait les bureaux, les chaises, les chronomètres, les téléphones, les ordinateurs et certains documents de référence. EBA acquittait aussi le coût d'un permis d'exploitation délivré par la ville de Kelowna. Un voyant pouvait gagner jusqu'à un dollar la minute, plutôt que 50 ou 60 cents, en obtenant un numéro 1-900, puis en concluant une entente aux termes de laquelle EBA gérait le service associé à ce numéro en contrepartie de frais. Si un voyant, dans sa publicité, invitait le public à composer ce numéro plus un poste donné, chaque appel reçu donnait droit à un dollar la minute. De nombreux voyants utilisaient des dépliants publicitaires et des cartes professionnelles pour promouvoir leurs activités, et EBA en partageait parfois les frais. Les voyants recevaient leur commission même les mois où EBA pouvait avoir perdu de l'argent. De même, les travailleurs n'avaient pas à payer de frais ni à engager de dépenses pour les journées où ils ne se présentaient pas au travail. M. Evans a déclaré que Dora Weninger avait sa propre entreprise de voyance, qu'elle exploitait à partir de son domicile, lorsqu'elle ne travaillait pas pour EBA aux bureaux de cette dernière. Corey Mazurat donnait pour sa part des consultations dans les restaurants de Kelowna. Après que Revenu Canada eut rendu sa décision selon laquelle les voyants étaient des employés, M. Evans a convoqué une réunion pour discuter de cette question. Lors de la réunion, tous les voyants, sauf un, ont demandé à être traités comme des entrepreneurs indépendants, et M. Evans leur a demandé de fournir à Revenu Canada une déclaration à cette fin s'ils souhaitaient que la décision soit révisée. M. Evans a mentionné que, d'après ses relevés d'appels, il avait parlé à Melanie Bailey de Revenu Canada pendant moins de 11 minutes au sujet des conditions de travail de Dora Weninger et de Corey Mazurat, et qu'il s'était par la suite plaint de la procédure ayant abouti à la décision. Les voyants étaient payés deux mois après la prestation de leurs services, parce que la société de téléphone devait attendre deux semaines avant de recevoir les données de facturation du centre de traitement, après quoi il fallait expédier les notes de téléphone aux abonnés, qui avaient ensuite un certain temps pour effectuer leur paiement à la société de téléphone. Si un voyant continuait de parler à un client après la période maximale de 15 minutes, EBA continuait de payer à la société de téléphone des frais pour chaque minute additionnelle, et ces frais étaient soustraits de la commission à verser au voyant. EBA avait pour politique de ne pas autoriser un client à dépenser plus de 50 $ par jour.

                Melanie Bailey a déclaré — après avoir été assignée à témoigner par l'avocat de l'appelante — qu'elle est agente des décisions relatives au Régime de pensions du Canada et à l'assurance-chômage/assurance-emploi à l'Agence des douanes et du revenu du Canada, appelée auparavant Revenu Canada. Pour ce qui est de la préparation des décisions concernant les travailleurs Dora Weninger et Corey Mazurat, Mme Bailey a déclaré avoir parlé à Alfred Evans, chef de la direction d'EBA. Au sujet de sa note du 27 mai 1998 (pièce A-2, onglet 16C), Mme Bailey a dit être au courant de la décision antérieure à propos de Treva Stubbs, dans laquelle un autre agent des décisions avait jugé que cette dernière n'exerçait pas un emploi assurable à EBA. Elle a convenu que, avant l'élaboration des décisions dont l'appelante s'est plainte, elle ne s'était pas rendue aux bureaux d'EBA à Kelowna, indiquant que cette procédure est très rarement appliquée, sauf dans le cadre d'une vérification des feuilles de paye. Aucune politique n'interdit de se rendre aux lieux de travail pertinents dans le cadre de la procédure de décision, mais on ne le fait généralement pas. Mme Bailey était également au courant d'une décision antérieure de C. Drebit, qui avait conclu qu'une voyante d'EBA, Evita Kavcic, n'exerçait pas un emploi assurable. Elle a déclaré avoir examiné ce dossier et en avoir discuté avec M. Drebit, qui s'était considéré comme lié par la décision antérieure concernant Treva Stubbs. Mme Bailey avait rédigé la note à la suite d'une plainte — présentée sous forme de lettre — de M. Evans. Au cours d'une conversation téléphonique, ce dernier avait mentionné que Revenu Canada avait rendu des décisions à Calgary relativement à Innervision — société qui, à son avis, fonctionnait de la même manière qu'EBA —, dans lesquelles on concluait que certains voyants n'exerçaient pas un emploi assurable. Elle n'avait pas examiné ces décisions. Les décisions touchant Dora Weninger au titre de l'A-E et du RPC (pièce A-1, onglets 1 et 2) ont été rendues par K. J. Ritcey, directeur des services fiscaux du bureau de Penticton, mais elles étaient basées sur le travail qu'elle-même avait effectué. M. Ritcey est la personne responsable des décisions, et un tampon portant sa signature est apposé sur la lettre de décision. Mme Bailey a reconnu le rapport de décision (pièce A-10) qu'elle avait préparé le 21 avril 1998 concernant Corey Mazurat, ainsi que le rapport de décision (pièce A-11) daté du 17 avril 1998 concernant Dora Weninger.

                Au cours du contre-interrogatoire mené par les avocates de l'intimé, Melanie Bailey a déclaré être au service de Revenu Canada depuis 1992 et avoir commencé à travailler comme agente des décisions en 1996. Elle avait repris un dossier de décision sur lequel C. Drebit avait commencé à travailler mais qui lui avait été transféré parce que M. Drebit devait remplir d'autres fonctions au bureau. Il était indiqué dans le dossier que M. Drebit avait interrogé Corey Mazurat. Mme Bailey a dit que les décisions rendues antérieurement avaient un caractère obligatoire à l'égard d'un payeur et d'un travailleur uniquement jusqu'à ce qu'une nouvelle décision soit rendue, mais que Revenu Canada avait pour politique de s'estimer lié par ces décisions en présence de conditions de travail similaires, sauf si les faits étaient différents ou si une décision antérieure reposait sur des renseignements erronés. Selon Mme Bailey, il est apparu que C. Drebit n'était pas au courant de l'existence d'une décision rendue par K. Dunn, de Revenu Canada, concernant une travailleuse, Diana Thompson, pour la période allant de mai à septembre 1996, qui concluait que cette travailleuse avait exercé un emploi assurable chez EBA. Concernant ses conversations avec M. Evans, Mme Bailey a déclaré lui avoir parlé au téléphone et avoir rempli trois pages de notes pendant leurs deux conversations. Elle a examiné les faits exposés dans la lettre de Corey Mazurat du 4 février 1998 (pièce R-1), dans laquelle ce dernier demandait que le dossier soit réexaminé, étant donné qu'il était incertain de sa situation exacte durant la période où il travaillait à EBA. Mme Bailey a dit avoir examiné les faits, puis avoir rendu le 21 avril 1998 une décision dans laquelle elle concluait que M. Mazurat avait exercé un emploi assurable chez EBA. À son avis, les voyants n'avaient pas travaillé à partir de leur domicile depuis 1994, il n'y avait pas réellement de chances de bénéfice ni de risques de perte, l'entreprise de services de voyance avait été mise sur pied par EBA et lui appartenait entièrement et, sans les voyants, EBA n'avait aucune entreprise à exploiter.

                Bernie Keays a déclaré — après avoir été assigné à témoigner par l'avocat de l'appelante — qu'il était agent des appels à l'ADRC et que, dans le cadre de ses fonctions, il avait examiné les décisions relatives à Dora Weninger et à Corey Mazurat. M. Keays a dit s'être entretenu au téléphone avec Alfred Evans, Corey Mazurat et Dora Weninger. Il a reconnu le document intitulé « Rapport sur un arrêt ou un appel » (CPT-110), daté du 5 août 1998 (pièce A-2, onglet 16G), qu'il avait lui-même rédigé. Au moment de préparer ce rapport, M. Keays était au courant de la décision (pièce A-2, onglet 16H) où l'on avait conclu que Treva Stubbs n'exerçait pas un emploi assurable chez EBA en 1994, mais il n'était pas lié par cette décision. Il savait également qu'une décision similaire existait concernant la travailleuse Edita Kavcic. M. Keays a déclaré qu'il n'était pas au courant de la décision touchant des voyants travaillant à Calgary sous le nom d'Innervision Crystal Connections ou d'Innervision, et qu'il ne se souvenait pas que M. Evans eût mentionné cette décision au cours de leur conversation téléphonique. Il n'a pas visité les bureaux d'EBA à Kelowna et n'estimait pas la chose nécessaire pour rendre une décision.

                Au cours du contre-interrogatoire mené par Me Susan Wong, avocate de l'intimé, M. Keays a déclaré avoir envoyé des questionnaires — dont celui qui figure à l'onglet 3B de la pièce A-1 et qui est signé par Alfred Evans à titre de président d'EBA. Un questionnaire a également été envoyé par la poste à Dora Weninger, mais aucun formulaire rempli n'a été renvoyé à Revenu Canada. Les questionnaires envoyés à Corey Mazurat et à EBA (pièce A-3, onglet 3B) ont été remplis et renvoyés. M. Keays a indiqué que, dans le cadre de ses fonctions d'agent des appels, il n'avait jamais discuté du dossier avec un agent des décisions, ce qui aurait été à ses yeux tout à fait déplacé.

                Au cours de son témoignage, Corey Mazurat a déclaré n'avoir jamais été administrateur, dirigeant ni actionnaire d'EBA, mais avoir fourni des services à titre de voyant à EBA du 10 septembre 1994 au 10 décembre 1997. Par la suite, il avait travaillé comme répartiteur et responsable, ayant entre autres comme tâche de transférer les appels aux voyants; il avait rempli ce rôle à EBA jusqu'en août 1998, date à laquelle il avait recommencé à travailler comme voyant, jusqu'à ce qu'il quitte EBA, en avril 1999. Il a indiqué avoir écrit une lettre (pièce R-1) à Revenu Canada dans le but de faire annuler son numéro d'inscription aux fins de la taxe sur les produits et services (TPS) parce qu'il s'était vu imposer une pénalité pour non-paiement de montants de TPS. Il s'était rendu au bureau des services de TPS à Kelowna, où il avait reçu des conseils sur la manière de faire annuler son numéro d'inscrit aux fins de la TPS. Il était convaincu, au moment où il avait écrit la lettre du 4 février 1998, qu'il était un entrepreneur indépendant. M. Mazurat a convenu avoir signé différents contrats avec EBA, dont ceux datés du 24 juillet 1995, du 30 août 1996, du 21 décembre 1996 et du 2 janvier 1997. Le contrat du 21 décembre 1996 consistait en un addendum portant sur les sommes défalquées lorsque les clients ne payaient pas la partie de leur note de téléphone correspondant aux services de voyance. À ce que M. Mazurat avait compris, EBA avait jugé raisonnable de fixer un ratio de créances irrécouvrables égal à 12 p. cent de son chiffre d'affaires, tout excédent pouvant, au gré d'EBA, être répercuté sur les voyants, qui étaient alors redevables d'une part égale des sommes impayées, qu'on retenait sur leurs commissions futures. Il ignorait au juste pourquoi autant de contrats différents avaient été signés. Il avait obtenu un numéro d'inscrit aux fins de la TPS et pensait que la TPS était incluse dans la commission de 50 cents la minute; aussi ne s'était-il pas soucié d'effectuer d'autres calculs pour établir la taxe, signalant que celle-ci avait été retenue sur un chèque à titre de paiement pour la période de facturation allant du 10 septembre au 9 octobre 1994 (pièce A-3, onglet 10A). M. Mazurat remplissait la feuille de contrôle, et le personnel d'EBA préparait les factures à partir des renseignements qu'il avait consignés sur les feuilles quotidiennes, après avoir vérifié, à partir des données de la société de téléphone, les minutes qu'il avait facturées au cours d'une période de paye donnée. Suivant la politique d'EBA, un voyant pouvait obtenir une avance pouvant atteindre 25 p. cent de la commission qu'il avait gagnée à une date déterminée, cette avance étant garantie par un billet, dont on trouve un exemple à la pièce A-4, onglet A, page 2. M. Mazurat a déclaré qu'il était au courant des règles du CRTC lorsqu'il travaillait chez EBA, et que, si les frais maximums par appel étaient de 50 $, EBA pouvait fixer le tarif par minute. EBA limitait les appels à 15 minutes. De temps en temps, EBA offrait des primes, notamment des primes d'encouragement, et lui-même en avait reçu à une ou deux occasions, sous forme de paiements de 40 ou 50 $. Lorsqu'un appel durait plus que le maximum de 15 minutes, EBA imposait au voyant des frais de 35 cents la minute, et il pouvait être l'objet d'un grand nombre de retenues qui, si elles ne représentaient pas au total une somme très élevée, demeuraient importantes à ses yeux. M. Mazurat a fait mention de ses déclarations de revenu (T1 Générale) des années 1994 à 1998 (pièce A-5, onglet 23A à E), dans lesquelles il est indiqué que ses gains à EBA dépassaient 20 000 $ en moyenne par année. Il a produit ses déclarations à titre de travailleur indépendant et y a joint les feuillets T4A fournis par EBA. Outre son travail à EBA, M. Mazurat n'exploitait aucune entreprise de voyance, bien qu'il eût pu le faire. Chez EBA, il choisissait ses heures de travail et, s'il ne pouvait être présent au cours d'une période où il était censé être en fonction, il trouvait un autre voyant d'EBA pour le remplacer. Il n'avait aucune formation comme voyant, mais il avait acquis de l'expérience dans le domaine. Il faisait un peu de publicité pour faire connaître ses services de voyance. La plus grande partie de sa clientèle avait été établie par EBA, et seulement 10 à 12 p. cent des appels qui lui étaient transmis provenaient de clients réguliers qui demandaient expressément à lui parler. Le bureau était fourni par EBA, et il apportait ses livres, ses crayons et ses cartes, sans toutefois les déduire à titre de dépenses d'entreprise. EBA ne lui avait pas donné d'instructions sur la manière de donner une consultation de voyance mais avait souligné l'importance de respecter la limite de 15 minutes par appel. Lorsqu'il avait travaillé comme répartiteur et responsable chez EBA, il était bel et bien un employé, mais ce poste n'offrait pas la liberté d'action rattachée à la prestation de services de voyance, travail qu'il estimait effectuer à titre d'entrepreneur indépendant aux termes d'un ensemble de contrats écrits entre lui-même et EBA. À titre de répartiteur, il travaillait jusqu'à 50 heures par semaine sur différents quarts, tandis que, comme voyant, il choisissait à sa guise ses heures de travail, ce qui lui avait permis de faire des études en 1996. Lorsqu'il travaillait comme voyant, il connaissait parfois des jours creux où il ne gagnait pas grand-chose, soit parce qu'il n'y avait pas beaucoup d'appels, soit parce qu'il ne parvenait pas à établir de lien avec le client et que celui-ci raccrochait au bout de trois ou quatre minutes seulement. S'il ne parvenait pas à établir un lien avec le client, il tentait de transférer l'appel à un autre voyant, qui avait ainsi la possibilité de gagner une commission. En ce qui concerne le respect de la limite d'appel de 15 minutes, il utilisait un chronomètre ou encore sa montre pour savoir si la durée des appels approchait de ce temps limite.

                Au cours du contre-interrogatoire mené par Me Charlotte Coombs, avocate de l'intimé, Corey Mazurat a déclaré s'être inscrit aux fins de la TPS après avoir constaté qu'une somme de 102 $ avait été retenue sur son premier chèque de commission; il en avait discuté avec le comptable d'EBA, qui lui avait conseillé d'obtenir un numéro d'inscription. Il savait que, s'il gagnait moins de 30 000 $ par année, il n'aurait pas à percevoir ni à verser de TPS. Il avait lu dans un journal de Kelowna une annonce indiquant qu'on cherchait des voyants et des numérologues. Il s'était présenté au bureau d'EBA et avait parlé avec Treva Stubbs, puis il lui avait donné une consultation en présence de deux autres personnes. Il a dit que, lorsqu'il travaillait comme voyant chez EBA, il n'avait jamais été au courant qu'il était possible de gagner un dollar la minute en obtenant un numéro de poste particulier. M. Mazurat a convenu qu'il n'avait pas ajouté la TPS sur ses factures, dont une qu'on lui a demandé d'examiner (pièce A-4, onglet 14A). Étant donné qu'il y avait toujours des cubicules libres où s'installer pour travailler, il pouvait choisir ses heures de travail, et les voyants, même s'ils n'avaient pas inscrit leur nom sur la feuille de disponibilité pour un quart particulier, pouvaient habituellement se présenter aux bureaux d'EBA, le répartiteur leur transférant les appels que les autres n'avaient pas le temps de prendre. Parfois aussi, les voyants pouvaient se présenter au travail deux heures à l'avance et être inscrits — aussitôt — au tableau de service pour le quart suivant. Il a toujours pensé qu'il pouvait s'absenter lorsqu'il le voulait; et les travailleurs décidaient entre eux qui pouvait partir lorsque le travail était au ralenti. Il y avait une période d'attente de 90 jours avant qu'EBA lui paie sa commission. Il n'avait pas d'autres clients que ceux qui appelaient EBA, et il n'a jamais directement facturé ses services à un client. Sa seule publicité faite à titre personnel indiquait le numéro d'EBA. Dans sa lettre du 21 juillet 1998 à Bernie Keays (pièce A-3, onglet 5), il réaffirmait ne pas vouloir que sa relation d'entrepreneur indépendant avec EBA soit modifiée. Il ignorait que ses contrats avec EBA stipulaient qu'il devait personnellement fournir les services de voyance, mais la question de faire appel à un voyant ne faisant pas partie d'EBA pour le remplacer ne s'était jamais posée. Après que Revenu Canada eut rendu une décision en avril 1998, il avait continué de travailler pour EBA, et il savait que de nombreuses personnes avaient écrit des lettres à Revenu Canada pour faire valoir leur point de vue, soit qu'elles étaient des entrepreneurs indépendants (pièce A-4, onglet 18). À la suite de cette décision, une réunion avait été convoquée par Alfred Evans, qui avait alors demandé aux voyants s'ils voulaient contester la décision, ce que tous avaient accepté de faire, à une exception près. Presque tous voulaient être considérés comme des entrepreneurs indépendants, pour avoir le droit de déduire certaines dépenses d'entreprise et ne pas avoir à verser de cotisations d'assurance-emploi. M. Mazurat lisait également les tarots; il a convenu qu'il était entendu entre les voyants que ceux-ci ne prédiraient pas d'événements catastrophiques aux clients.

                Au cours du réinterrogatoire, M. Mazurat s'est reporté à une feuille de disponibilité (pièce A-2, onglet 22) et a expliqué que les voyants écrivaient leur nom dans l'espace correspondant aux heures où ils voulaient travailler. À partir de ces renseignements, un horaire, valable pour une semaine, était placé par EBA sur un tableau d'affichage.

                En réponse à une question posée par la Cour, M. Mazurat a déclaré que, si un voyant prévoyait être absent durant trois ou quatre semaines, il en informait la direction d'EBA. Le système d'établissement de l'horaire était très souple, deux ou trois personnes travaillaient durant le quart de nuit tandis que de six à dix voyants pouvaient travailler en même temps durant les quarts de jour.

                James Drayton Laramie a témoigné qu'il est chef de bureau chez Vacation Travel, à Calgary. Il n'a jamais été administrateur, dirigeant ni actionnaire d'EBA, mais il avait travaillé pour EBA comme voyant du 2 mai 1995 au 12 juillet 1996. Il avait ensuite travaillé comme responsable jusqu'au printemps 1998, puis il avait repris le travail de voyant jusqu'en janvier 1999, après quoi il avait déménagé à Calgary pour occuper le poste de responsable des répartiteurs chez Vacation Travel, qui exploitait une entreprise sous le nom d'Innervision. Lorsqu'il travaillait comme voyant, il se considérait comme un entrepreneur indépendant. Il devait se conformer aux règles du CRTC et aux politiques établies par EBA, par exemple ne pas proférer de jurons et respecter la limite de 15 minutes par appel. Il recevait une commission de 50 cents la minute, plus 10 cents la minute après minuit. Il connaissait le système de retenues d'EBA pour les appels durant plus de 15 minutes, et le total — selon un taux de 35 cents la minute — variant entre 10 et 50 $ par mois. Il déclarait son revenu à titre de travailleur indépendant et conservait les factures relatives à l'achat d'un casque téléphonique, de livres, de cartes, de guides et de matériel publicitaire. Il exploitait aussi « Drayton's Dreams » , un service de voyance où il demandait des honoraires d'au moins 40 $ par consultation, cette somme pouvant atteindre jusqu'à 75 $ lorsque la consultation se prolongeait. Il offrait ce service à son domicile ou chez ses clients. Il menait cette activité en plus de fournir des services de voyance à EBA. Au printemps, puis à la fin de l'automne 1998, il avait également fourni des services à une entité commerciale exerçant ses activités sous le nom d'Intel Psychics. Les appels étaient transférés d'Intel, à Vancouver, à sa résidence de Kelowna. Concernant son travail chez EBA, M. Laramie a déclaré qu'il se sentait libre de choisir lui-même ses heures de travail, et qu'il avait au fil des ans mené des recherches afin d'en apprendre plus sur le don de clairvoyance. Il a convenu qu'il était possible d'apprendre à une personne à lire les tarots, mais non de lui inculquer la clairvoyance, étant donné qu'il s'agit d'un don inné. Il distribuait des dépliants, donnait des cartes professionnelles, et donnait des prestations dans différentes entreprises de Kelowna, le tout à ses propres frais. Il avait également fait passer une annonce, à peu de frais, dans un journal à petit tirage de l'Alberta. Il savait qu'il aurait pu confier ses tâches de voyance à d'autres personnes si celles-ci avaient satisfait aux normes d'EBA, mais il ne l'avait pas fait, étant donné que la majorité de ses clients lui venaient par le truchement d'EBA, grâce à la publicité faite par la société. Ses autres clients étaient des habitués ou avaient entendu parler de lui grâce au bouche à oreille. Il ne facturait pas de TPS à EBA lorsqu'il établissait ses factures. Lorsqu'il ne parvenait pas à établir un lien avec un client, il demandait au répartiteur de transférer l'appel à un autre voyant et renonçait à toute commission sur l'appel. Il voulait pouvoir à sa guise choisir ses heures de travail et utiliser son propre matériel au cours des consultations. Les retenues effectuées par EBA pour les minutes excédant la limite par appel étaient calculées globalement, en proportion du nombre de minutes facturées pour la période en question par chaque voyant, et, dans l'ensemble, cette méthode de paye lui convenait.

                Au cours du contre-interrogatoire mené par Me Susan Wong, M. Laramie a déclaré que, lorsqu'il faisait le quart de nuit, il n'avait jamais eu à se prévaloir du montant de base prévu de 56 $. Avant de se joindre à EBA, il avait mis sur pied Drayton's Dreams à titre d'entreprise individuelle, et il n'a jamais employé de travailleur dans cette entreprise. Même si les contrats conclus avec EBA stipulaient clairement que les services de voyance devaient être fournis par l'entrepreneur lui-même, il estimait possible de sous-traiter ces services, sous réserve de l'approbation d'EBA. Au sujet d'un état des résultats des activités d'une entreprise (pièce A-16), M. Laramie a convenu que la somme de 11 085 $ qui y figurait provenait de ses activités chez EBA en 1995 et constituait la plus grande partie de son revenu. Il en a été de même jusqu'à ce qu'il commence à travailler comme répartiteur et soit rémunéré à titre d'employé. Pour l'année d'imposition 1998 de M. Laramie, EBA lui avait conseillé de déclarer la totalité de son revenu gagné chez EBA à titre de revenu d'emploi. Dans sa déclaration de revenu pour l'année d'imposition 1997, il avait déduit une somme au titre des frais de véhicule à moteur qu'il avait engagés pour se rendre au domicile de ses clients afin de leur donner des consultations.

                En réinterrogatoire, M. Laramie a déclaré qu'il estimait pouvoir facturer en moyenne 30 minutes l'heure environ, ce qui représentait un revenu horaire d'au moins 15 $.

                Eufemia Torrenueva a témoigné qu'elle travaillait chez EBA comme voyante sous le pseudonyme de Faye. Elle a reconnu une lettre (pièce A-20) datée du 28 avril 1998, qu'elle avait écrite à Revenu Canada, demandant que la décision soit modifiée afin qu'elle soit considérée comme une entrepreneuse indépendante. Elle a déclaré n'avoir jamais été administratrice, dirigeante ni actionnaire d'EBA, et avoir signé divers contrats, datés du 9 décembre 1994 (pièce A-21), du 21 juillet 1995 (pièce A-22) et du 27 décembre 1996 (pièce A-23) — qui modifiaient un contrat antérieur. Elle a reconnu sa carte professionnelle (pièce A-24) au nom de Gypsy Rose Faye et mentionnant le numéro 1-900 d'EBA, ainsi que quelques feuillets publicitaires — qu'elle a payés — sur lesquels est indiqué le numéro de téléphone de sa résidence. Elle a rempli un formulaire d'inscription aux fins de la TPS (pièce A-25) et a produit ses déclarations de revenu pour les années 1995 (pièce A-26), 1996 (pièce A-27), 1997 (pièce A-28) et 1998 (pièce A-29), dans lesquelles elle déclarait un revenu d'entreprise à titre de travailleuse indépendante. Elle a commencé à travailler chez EBA comme voyante le 9 décembre 1994, et elle y travaille encore, à Kelowna. Elle recevait une commission de 50 cents la minute, plus une prime de 10 cents lorsqu'elle travaillait après minuit, et elle connaissait la méthode d'EBA consistant à effectuer une retenue de 35 cents pour chaque minute excédant la limite de 15 minutes, estimant que ces retenues lui coûtaient en moyenne 35 $ par mois environ. De 1995 à 1998, elle a gagné au total 78 819,79 $ comme voyante au service d'EBA, et tout son revenu a été déclaré comme étant tiré d'un travail indépendant. En même temps qu'elle fournissait des services à EBA, elle exploitait une entreprise sous le nom de Gypsy Rose Faye et demandait 25 $ la consultation, qui avait lieu à son domicile ou à la résidence des clients. Elle s'était procuré un permis d'exploitation auprès de la ville de Kelowna, et elle était autorisée à travailler pour d'autres agences de voyance. Elle pouvait choisir ses heures de travail et fournissait elle-même les services. Elle avait étudié les tarots, la numérologie, le channeling et l'interprétation des rêves pendant plus de 30 ans, mais elle n'avait reçu aucune formation d'EBA. Elle estimait que de 80 à 90 p. cent de ses clients passaient par EBA, mais qu'elle avait de 15 à 20 p. cent de clients réguliers. Elle fournissait ses bandes enregistrées, ses cristaux et son chronomètre, dont elle déduisait le coût à titre de dépenses d'entreprise. Lorsqu'elle transférait un appel à un autre voyant, elle n'était pas payée pour le temps passé avec le client avant le transfert. Elle savait qu'EBA appliquait la TPS aux appels et, tout au long de son association avec EBA, elle s'est considérée comme une entrepreneuse indépendante, libre de ses mouvements et pouvant annuler un quart de travail même si elle était inscrite à l'horaire. En travaillant chez EBA, elle a pu élargir sa clientèle, et elle avait la possibilité de déduire certaines dépenses dans le calcul de son revenu.

                Au cours du contre-interrogatoire mené par Me Susan Wong, Mme Torrenueva a déclaré avoir toujours su que, aux termes de son contrat avec EBA, elle devait fournir personnellement les services. Elle s'était jointe à EBA dans le but d'élargir sa propre clientèle, à une époque où les activités de voyance étaient en plein essor. Étant donné qu'EBA avait un établissement commercial, elle pouvait consacrer plus de temps à ses activités de voyance. Elle s'était inscrite aux fins de la TPS parce que, en plus de gagner de l'argent comme voyante, elle vendait des produits Amway. Elle a admis que, en 1995, la quasi-totalité de son revenu tiré d'activités de voyance provenait d'EBA, et que 400 $ seulement — sur près de 25 000 $ au total — provenaient de consultations qui n'étaient pas rattachées à EBA. En 1996 et en 1997, la totalité de son revenu tiré de la prestation de services de voyance est provenu d'EBA. En 1998, sur un revenu de près de 30 000 $, moins de 500 $ ont été tirés de consultations privées.

                Au cours de son témoignage, Terry Bauer a indiqué qu'il résidait à Calgary, en Alberta, qu'il n'occupe aucune charge chez EBA et qu'il ne possède aucune action de cette société. Il a travaillé comme voyant chez EBA du 16 mai 1994 au 6 mai 1996, puis est devenu répartiteur/responsable. Il a quitté EBA en septembre 1996 mais y est revenu en mars 1997 et y est demeuré jusqu'à son déménagement à Calgary, le 26 juillet 1999, pour travailler chez Vacation Travel, qui exerçait ses activités sous le nom d'Innervision. Il a conclu un contrat (non daté) avec EBA (pièce A-30) en 1994 et en a signé un autre (pièce A-31) le 22 juillet 1995. Le 3 novembre 1995, il a signé un autre contrat (pièce A-32) sous le nom de Psyart Enterprises (parfois PsyArt ou Psy Art Enterprises), entreprise individuelle lui appartenant. Le 6 janvier 1998, il a conclu un autre contrat (pièce A-33) avec EBA, cette fois sous le nom de Psyart, puis encore un autre (pièce A-34), le 1er novembre 1998, le nom d'entrepreneur indiqué dans ce document étant Psyart. Il a demandé un numéro d'inscription aux fins de la TPS et, sur le formulaire d'inscription (pièce A-35), il a écrit comme nom d'entreprise Psyart Enterprises, indiquant qu'il en était le président. Dans sa déclaration de revenu de 1994 (pièce A-36), il a déclaré un revenu tiré d'un travail indépendant, et il a fait de même dans ses déclarations de revenu de 1995 (pièce A-37), de 1996 (pièce A-38) et de 1997 (pièce A-39). Il faisait de la publicité pour les services de PsyArt Ent., se déclarant le chef de la direction de l'entreprise et fournissant son numéro de téléphone à domicile. Il avait également recours à une autre publicité, dans laquelle il déclarait être membre du Evanly Rays Psychic Group et fournissait le numéro 1-900 utilisé par EBA (pièce A-40). M. Bauer a déclaré que, lorsqu'il travaillait comme voyant chez EBA, il n'existait ni échéances ni priorités, et que le tarif par minute était fixé par EBA dans les limites du maximum global imposé par le CRTC. Il recevait une commission de 50 cents la minute et EBA effectuait une retenue sur ses commissions si ses appels dépassaient la limite fixée. Lorsqu'il donnait une consultation à titre privé — en tant que propriétaire de Psyart —, il demandait 50 $ et rendait le service à sa résidence ou à celle des clients. Il n'avait pas de permis d'exploitation pour son entreprise individuelle. Il fournissait aussi des services de voyance à d'autres sociétés spécialisées dans ce domaine durant la période où il travaillait chez EBA. S'il devait se faire remplacer par quelqu'un pour un quart, il faisait toujours appel à quelqu'un travaillant déjà à EBA, et jamais à quelqu'un de l'extérieur. Il a suivi un cours de lecture des tarots, mais il estimait que son don de clairvoyance était inné. EBA fournissait les téléphones et l'ameublement, mais il fournissait ses runes, ses cristaux et ses tarots, dont il déduisait le coût à titre de dépenses d'entreprise. Il facturait la TPS à EBA et s'est toujours considéré comme un entrepreneur indépendant lorsqu'il fournissait des services de voyance.

                Au cours du contre-interrogatoire mené par Me Charlotte Coombs, avocate de l'intimé, M. Bauer a déclaré qu'il avait décidé d'utiliser le nom de Psyart et que, dans l'état des résultats des activités d'une entreprise joint à sa déclaration de revenu (pièce A-36) pour son année d'imposition 1994, il avait utilisé l'adresse d'EBA comme adresse de sa propre entreprise. Cette année-là, il a déduit 1 344,36 $ à titre de frais d'automobile, ce montant correspondant exclusivement aux frais engagés pour se rendre de son domicile aux bureaux d'EBA et pour en revenir. Dans sa déclaration de revenu de 1995 (pièce A-37), il a une fois de plus indiqué l'adresse des bureaux d'EBA à Kelowna comme adresse où il avait gagné son revenu tiré d'un travail indépendant, et il a utilisé le nom de Psy-Art Enterprises pour décrire son entreprise. Dans sa déclaration de revenu pour l'année d'imposition 1996, M. Bauer, qui était alors un responsable chez EBA et était considéré comme un employé de la société, a déclaré son revenu pour l'année — gagné antérieurement à titre de voyant — comme revenu d'entreprise. M. Bauer a déclaré que, exception faite d'une somme de 500 $, la totalité de son revenu provenait de services fournis à EBA. En 1997, le revenu d'entreprise indiqué dans sa déclaration de revenu (pièce A-39) s'élevait à 7 419,36 $, soit le montant exact indiqué sur le T4A qui lui avait été délivré par EBA. M. Bauer a déclaré que, à la suite de la décision rendue par Revenu Canada en 1998, il avait envoyé au ministère une lettre dans laquelle il soutenait que lui-même et les autres voyants d'EBA étaient des entrepreneurs indépendants.

                En réinterrogatoire, Terry Bauer a déclaré que, lorsqu'il avait commencé à travailler chez EBA, en 1994, il lui suffisait de se présenter aux bureaux de la société, même s'il n'avait pas de quart de travail, et le répartiteur lui transférait les appels que les autres voyants ne pouvaient prendre.

                Treva Stubbs a témoigné que, depuis 1996, elle est directrice générale d'EBA, mais qu'elle n'est pas une dirigeante ni une actionnaire de la société. Avant d'occuper ce poste, elle travaillait comme voyante chez EBA depuis 1994. Elle a signé un contrat avec EBA le 15 mai 1994 (pièce A-42) et a commencé à travailler dans le cadre d'un régime où elle avait droit à une commission de 50 cents la minute pour les appels dont elle s'occupait. Les retenues faites lorsque les appels dépassaient la limite de 15 minutes pouvaient lui coûter jusqu'à 100 $ par mois. En 1994, elle a gagné plus de 36 000 $ chez EBA; elle donnait aussi des consultations privées pour 20 à 25 $, mais ces consultations n'ont pas généré un gros revenu. Elle n'a pas fourni de services à d'autres sociétés de voyance, mais elle aurait pu le faire et, si elle devait se faire remplacer, elle faisait appel à quelqu'un qui travaillait déjà pour EBA. Dans un tel cas, il n'était pas nécessaire d'obtenir l'approbation préalable d'EBA. Elle n'avait pas suivi de formation spéciale en clairvoyance, et elle considérait être « clairsentiente » , c'est-à-dire capable de ressentir les émotions d'autrui, ce qui était selon elle un don inné. On trouvait sur ses cartes professionnelles (pièce A-43) le numéro de téléphone et le nom commercial d'EBA; c'est elle qui payait le coût de ces cartes au moyen de retenues sur ses commissions. Au départ, 90 p. cent des appels étaient reçus en raison de la publicité faite par EBA, mais elle a pu se constituer une clientèle d'habitués qui représentait jusqu'à 40 p. cent de son revenu global. Elle n'avait pas pris la peine de s'inscrire aux fins de la TPS parce qu'elle ne prévoyait pas avoir un revenu supérieur à 30 000 $. Concernant le contexte dans lequel s'inscrit la décision (pièce A-1, onglet 9B) rendue le 30 mars 1995, qui établit qu'elle n'exerçait pas un emploi assurable chez EBA en 1994, Treva Stubbs a déclaré que deux fonctionnaires de Revenu Canada s'étaient précédemment rendus aux bureaux d'EBA afin d'observer la nature du travail qui y était effectué et qu'ils avaient interrogé les voyants. Elle estimait à l'époque être une entrepreneuse indépendante, libre de choisir ses heures de travail et de déduire les dépenses reliées à son travail. La feuille de disponibilité était utilisée par le répartiteur/responsable pour préparer l'horaire de la semaine à venir, et certains voyants utilisaient des noms différents pour se désigner eux-mêmes s'ils utilisaient un numéro de poste particulier. Après être devenue directrice générale, elle a pu constater que plusieurs voyants utilisaient la méthode du numéro de poste pour gagner un revenu de un dollar la minute. Les voyants qui annonçaient ce service devaient en payer le coût, mais les annonces devaient quand même être approuvées par EBA, qui s'assurait qu'elles étaient conformes aux règles du CRTC. EBA utilisait différents noms, et certains investisseurs possédaient un numéro 1-900 particulier, qui était utilisé dans certaines publicités; EBA traitait les appels à l'aide de son matériel et imputait des frais, variant entre 1,09 et 1,29 $ la minute, pour ce service. Le système téléphonique permettait de déterminer le nom commercial ou le nom d'entité associé à l'appel. Le nom commercial Evanly Rays appartenait à EBA, qui ne faisait qu'offrir des services opérationnels à l'égard de tous les autres noms, en contrepartie de frais. Certains voyants acceptaient volontiers d'être l'objet d'une retenue de 35 cents la minute lorsqu'ils dépassaient la limite de 15 minutes, parce que cela pouvait amener le client à les rappeler, ce qui leur permettrait de gagner plus tard une commission pour une autre période de 15 minutes. La moyenne des créances irrécouvrables dans l'industrie, attribuables aux personnes qui ne paient pas les frais d'appel relatifs à un service de voyance figurant sur leur note de téléphone, était au départ de 30 p. cent, mais elle a baissé par la suite pour s'établir à 24 p. cent. EBA imputait 12 p. cent de son chiffre d'affaires aux créances irrécouvrables, après quoi tous les voyants étaient l'objet d'une retenue proportionnelle sur leurs commissions.

                Au cours du contre-interrogatoire mené par Me Susan Wong, Treva Stubbs a convenu qu'elle ne donnait pas beaucoup de consultations privées lorsqu'elle était au service d'EBA, étant donné qu'elle n'avait pas les fonds suffisants pour faire sa propre publicité et qu'il fallait répondre aux appels aux bureaux d'EBA. Elle a effectué beaucoup d'heures de travail, travaillant parfois sept jours par semaine, ce qui lui a permis de gagner beaucoup d'argent en 1994. Certains des services téléphoniques de voyance appartenant à un investisseur coûtaient jusqu'à 4,99 $ la minute.

                Appelée à témoigner par l'avocate de l'intimé, Dora Weninger a déclaré qu'elle vivait à Kelowna et qu'elle travaillait actuellement comme opératrice en éditique, mais qu'elle avait travaillé comme voyante chez EBA au cours de la période pertinente, plus précisément du 30 novembre 1997 au 24 février 1998, puis jusqu'en janvier 1999. Le 25 février 1998, elle a fait une demande de prestations d'assurance-emploi, alors qu'elle travaillait chez EBA, parce qu'elle n'avait encore reçu aucun chèque de commission, du fait de la période d'attente applicable. Au départ, elle avait présenté une demande d'aide sociale à l'administration provinciale, mais un fonctionnaire provincial lui avait dit de s'adresser à DRHC et lui avait conseillé de présenter une demande de prestations d'assurance-emploi. Jusqu'à ce qu'elle commence à travailler chez EBA, elle n'avait jamais été rémunérée pour ses services de voyance. En octobre 1997, elle a suivi un cours de lecture des tarots donné par James Laramie à EBA. Ce dernier devait par la suite lui accorder une entrevue et l'informer que, si elle voulait être engagée comme voyante, elle devait donner trois consultations à des étrangers. Elle a passé l'épreuve et, le 30 novembre 1997, elle a travaillé une journée afin de vérifier si elle était en mesure d'accomplir le travail, compte tenu du fait qu'elle n'était pas certaine de ses aptitudes aux tarots. Toutefois, elle n'a pas retravaillé avant le 10 janvier 1998. Auparavant, elle avait subi des blessures dans un accident de la route, et le fait de demeurer assise durant une période prolongée lui causait de la douleur, aussi a-t-elle pris un congé afin de bien se remettre. Elle a commencé à se sentir mieux en janvier 1998, de sorte qu'elle a téléphoné à James Laramie afin de voir si elle pouvait revenir au travail; il a accepté. Aux bureaux d'EBA, il y avait deux pièces séparées par des portes coulissantes en verre, chaque pièce comportant dix cubicules équipés de bureaux et de téléphones. Elle a acheté son propre casque téléphonique ainsi que des tarots et des cristaux, mais Corey Mazurat lui a dit de ne pas apporter d'ordinateur portatif. Chaque appel était reçu par un répartiteur, qui lisait le message obligatoire en début d'appel puis transférait l'appel au voyant suivant sur la liste. Les appels faits sur une ligne assortie de frais de 4,99 $ la minute duraient seulement neuf minutes, le montant maximum de 50 $ — incluant la taxe — étant alors atteint. Mme Weninger a déclaré qu'une feuille de disponibilité était placée sur le comptoir chaque lundi matin et que, au cours des deux mois suivants, elle avait indiqué sur cette feuille qu'elle allait travailler de minuit à 8 h, du lundi au vendredi. Par la suite, elle a travaillé de 8 h à 20 h pendant deux mois, accumulant en moyenne environ 50 heures de travail par semaine. Trois voyants travaillaient durant le quart de minuit, et huit étaient en poste le jour et le soir. En cas de pénurie de travailleurs lors d'un quart, le personnel d'EBA appelait les gens pour leur demander de venir travailler, et elle se sentait tenue d'accepter. Mme Weninger a déclaré que la facture pour ses services (pièce A-1, onglet 7A) était préparée par le personnel d'EBA. Au cours d'un quart, elle inscrivait sur un relevé (pièce A-1, onglet C) l'heure où commençait et où se terminait chaque appel, le nombre total de minutes et des commentaires relatifs à la conversation. Elle n'a pas demandé de numéro d'inscription aux fins de la TPS. Elle a un jour appris que les travailleurs pouvaient obtenir une avance correspondant à 25 p. cent des commissions gagnées jusque-là. Mme Weninger a mentionné une facture se rapportant à une période de paye de septembre 1998 (pièce R-2), sur laquelle certaines minutes étaient facturées au tarif normal de 50 cents, d'autres à 55 cents (clients réguliers), d'autres encore à 60 cents pour le travail accompli après minuit, avec une prime de 5 cents la minute si les clients demandaient expressément à parler à Amber — le pseudonyme utilisé par Mme Weninger. Pour la période de paye en question, une somme de 13,78 $ avait été retenue sur sa rémunération en raison des appels ayant dépassé la limite autorisée. De plus, sa part des créances irrécouvrables se chiffrait à 58,30 $. À trois reprises en février 1998, elle avait reçu le paiement minimum de 56 $ pour le quart de nuit. Lorsqu'elle ne pouvait se rendre au travail, elle téléphonait au répartiteur de service, qui trouvait un remplaçant, sauf vers la fin de 1998, où elle devait trouver son remplaçant elle-même parmi les voyants au service d'EBA. Elle a toujours estimé nécessaire d'obtenir l'autorisation du répartiteur pour pouvoir quitter le travail pendant un quart. Les réunions du personnel avaient lieu aux bureaux d'EBA et, même s'il n'existait pas de directive écrite portant que les voyants devaient y assister, Mme Weninger a indiqué s'être fait dire par différents répartiteurs qu'il serait bon qu'elle y assiste, ce qu'elle faisait habituellement, sauf si elle venait de terminer le quart de nuit. S'il n'y avait pas beaucoup d'appels pendant le quart de soir, on tirait d'un chapeau le nom d'un des travailleurs souhaitant retourner chez eux, et le travailleur en question pouvait s'en aller. Au cours d'une des réunions, Alfred Evans a dit être préoccupé par l'éventualité que certains voyants « volent » des clients d'EBA et a déclaré que les voyants fournissant des services à EBA n'étaient pas autorisés à donner des consultations privées aux personnes ayant appelé chez EBA. De toute façon, Mme Weninger n'a donné aucune consultation privée lorsqu'elle travaillait pour EBA et n'a pas non plus fourni de services à d'autres entreprises de services téléphoniques de voyance. À la fin du cours de tarots, pour lequel elle a versé des frais de 25 $, elle a appris de James Laramie que, si elle quittait EBA dans les trois mois pour aller travailler pour une autre entreprise de voyance, elle devrait payer le coût réel du cours, évalué à 600 $. Elle croyait savoir que l'une des stipulations des contrats écrits (pièce A-1, onglet 4 et pièce R-3) l'autorisait à refuser de travailler, mais que, si l'on se fiait aux bruits qui circulaient dans le bureau, il était malavisé de refuser un quart de travail libre. Elle croyait aussi savoir que, aux termes de son premier contrat, daté du 17 novembre 1997, elle devait fournir personnellement les services. Après que Revenu Canada eut rendu sa décision, une réunion a été convoquée par la direction d'EBA, et Alfred Evans a distribué une feuille (pièce R-4) sur laquelle étaient exposés certains faits dont les voyants devaient tenir compte en vue de rédiger une lettre à l'intention de Revenu Canada. Elle a écrit une lettre, datée du 28 avril 1998, à Melanie Bailey, agente des décisions (pièce A-2, onglet 16F), dans laquelle elle affirmait être travailleuse indépendante et détenir un permis d'exploitation à l'appui de ce fait. Elle y indiquait qu'elle louait ses services à EBA à ses propres conditions et qu'elle facturait ses services à EBA de la même manière qu'elle les facturait aux clients qu'elle visitait à leur domicile ou qu'elle recevait chez elle. Mme Weninger a déclaré que, à l'époque où elle avait écrit cette lettre, elle avait été influencée par une conversation privée avec Alfred Evans, qui lui avait dit qu'une telle lettre pourrait contribuer à « régler le problème » et que les voyants, dont elle-même, risquaient fort d'avoir à payer des milliers de dollars d'arriérés d'impôt sur le revenu s'ils n'étaient plus considérés comme des entrepreneurs indépendants. Elle s'est ensuite penchée plus à fond sur la situation des travailleurs indépendants par rapport à celle des employés, ce qui l'a amenée à penser qu'elle avait toujours été une employée. C'est pour cette raison qu'elle a présenté un recours en vertu de l'Employment Standards Act de la Colombie-Britannique, et l'Employment Standards Tribunal a maintenu une décision antérieure selon laquelle elle avait été une employée d'EBA de novembre 1997 au 31 janvier 1999 (l'avocat de l'appelante a informé la Cour que cette décision fait actuellement l'objet d'un appel).

                En contre-interrogatoire, Dora Weninger a confirmé n'avoir jamais été administratrice, dirigeante ni actionnaire d'EBA. Elle avait travaillé pendant une journée comme voyante pour EBA le 27 novembre 1997, puis elle avait pris congé jusqu'au 10 janvier 1998. Après avoir quitté EBA, en janvier 1999, elle a commencé à travailler pour une autre entreprise de services téléphoniques de voyance, où elle gagnait 8 $ l'heure plus une prime, puis elle est devenue répartitrice. Interrogée au sujet d'une facture (pièce A-1, onglet 5A) et d'une feuille de contrôle des appels (pièce A-1, onglet 5C), Mme Weninger a convenu avoir rempli la feuille, qui avait ensuite servi à préparer la facture présentée pour obtenir paiement de la commission gagnée. Elle a signé un contrat (pièce A-1, onglet 4) daté du 17 novembre 1997 mais n'a jamais vu le contrat (pièce A-1, onglet 6) daté du 5 janvier 1998 (qui ne porte pas sa signature), sauf au cours de l'instance devant l'Employment Standards Tribunal. Elle estimait que le premier contrat était en vigueur durant toute la période où elle avait travaillé chez EBA, car on ne lui avait jamais remis d'avis de cessation d'emploi. Au départ, elle n'était au courant ni des détails concernant l'application de la TPS ni des exigences d'inscription, mais elle a par la suite appris que, si son revenu annuel était inférieur à 30 000 $, elle n'avait pas à se procurer de numéro d'inscription aux fins de la TPS. La facture relative au mois de septembre 1998 (pièce R-2) est, autant qu'elle s'en souvienne, la seule sur laquelle on avait défalqué un montant attribuable à sa part des créances irrécouvrables, du fait que ces créances avaient excédé la limite fixée par la direction d'EBA. À la suite de la décision de 1998 selon laquelle elle était une employée d'EBA, elle a reçu un feuillet T4 sur lequel était inscrit le montant de ses gains. Avant de commencer à travailler chez EBA, elle avait obtenu de la ville de Kelowna un permis d'exploitation, qui lui avait été délivré par un fonctionnaire et sur lequel elle était classée dans la catégorie des sténographes publics, ce qui semblait être la description s'apparentant le plus aux activités qu'elle entendait exercer, soit la prestation de services de voyance et la vente de certaines huiles et de produits connexes. Elle n'a tiré aucun revenu de cette entreprise. En ce qui a trait à la possibilité de travailler pour d'autres sociétés de voyance, il n'en a été question qu'une fois, lorsque James Laramie lui a rappelé que, si elle quittait EBA après moins de trois mois pour aller travailler chez un concurrent, elle devrait payer la pleine valeur du cours de lecture des tarots, et non uniquement la somme symbolique de 25 $ qu'elle avait déjà payée. Elle a convenu que ni M. Evans ni Mme Stubbs ne lui ont jamais dit qu'il lui était interdit de travailler pour une autre entreprise de services téléphoniques de voyance. Elle a acquis son expérience au fil des ans, en lisant les lignes de la main et en étudiant les cristaux, uniquement comme passe-temps, puis en étudiant les runes et les méthodes orientales servant à dire la bonne aventure. Elle a acheté des tarots, des livres, des cristaux et des pyramides pour décorer son cubicule, mais EBA fournissait le bureau et le téléphone. EBA ne lui a pas donné d'instructions sur la façon dont devait se dérouler une consultation de voyance, mais on lui a demandé de s'efforcer de faire durer l'appel 15 minutes et de mener la consultation sur un ton positif, par exemple en évitant de dire aux clients qu'ils allaient mourir. Il n'est arrivé que rarement qu'elle transfère un client au répartiteur afin que l'appel soit acheminé à un autre voyant. Sur les feuilles de disponibilité, elle utilisait le pseudonyme Amber. Selon ses souvenirs, pendant l'été 1998, il lui est arrivé à deux reprises de recevoir sur son téléphone cellulaire, alors qu'elle était en camping, un appel du répartiteur d'EBA lui demandant de venir travailler. Habituellement, elle inscrivait son nom sur la feuille de disponibilité pour des quarts de 12 heures, de 8 h à 20 h, et, lorsque les appels se faisaient rares, en particulier pendant le quart de nuit, les voyants avaient créé un système de loterie pour choisir celui d'entre eux qui pouvait partir avant la fin du quart. À l'époque, elle considérait qu'il fallait prévenir le répartiteur par politesse. Elle a écrit, dans sa lettre du 28 avril 1998 à Revenu Canada (pièce A-2, onglet 16F), qu'elle n'était pas tenue par EBA de suivre le cours de lecture des tarots, que de la publicité était faite pour ce cours et qu'il était aussi offert au public. Dans une autre lettre, datée du 12 décembre 1998 et adressée au bureau des appels de Revenu Canada (pièce A-2, onglet 18), elle énumérait à la page 4 les outils qu'elle possédait et qu'elle utilisait dans le cadre de son travail de voyante, ainsi que la valeur qui leur était attribuée, valeur qui totalisait environ 1 000 $. Mme Weninger a déclaré que, à la fin de décembre 1998, elle avait commencé à penser que sa relation de travail avec EBA la classait probablement dans la catégorie des employés plutôt que dans celle des entrepreneurs indépendants. Elle se souvient d'avoir reçu la feuille (pièce R-4) exposant les exigences relatives aux entrepreneurs, mais elle ne se rappelle pas d'où elle provenait au juste. Un vote a été tenu lors d'une réunion générale en avril 1998 et elle a voté, de même que tous les autres voyants — sauf deux —, en faveur de la présentation à Revenu Canada de renseignements à l'appui d'un réexamen de leur situation, afin qu'ils soient plutôt considérés comme des entrepreneurs indépendants. Elle a recueilli de plus amples renseignements sur la question en se rendant au bureau local de DRHC. Elle n'a pas discuté de la situation avec les autres voyants, la plupart d'entre eux lui reprochant d'avoir été à l'origine du problème en présentant une demande d'aide sociale, puis en recevant le conseil de demander des prestations d'A-E, ce qui avait enclenché le processus ayant abouti à la décision. Elle avait seulement voulu obtenir un peu d'argent pour se tirer d'affaire jusqu'à ce qu'elle reçoive son premier chèque de commission. Après que la décision eut été rendue, Treva Stubbs lui avait dit qu'un changement de situation pourrait se traduire par une augmentation de l'impôt à payer sur le revenu gagné. Mme Weninger a déclaré que, une fois l'impôt sur le revenu déduit et les autres retenues faites par suite de la décision, son revenu disponible était nettement moins élevé. Le 16 février 1999, elle a signé un document (pièce R-3) dans lequel étaient énoncés les modalités de travail et le barème de rémunération.

                En contre-preuve, Alfred Evans a témoigné qu'il avait vu pour la première fois la feuille sur les exigences applicables aux entrepreneurs indépendants (pièce R-4) juste avant le début de la présente audience. M. Evans a fait observer que le logiciel utilisé par EBA ne possède pas la police de caractères utilisée pour imprimer ce document. Pour ce qui est de la lettre du 28 avril 1998 de Mme Weninger à Revenu Canada, il n'a pas obligé cette dernière à l'écrire; elle lui en a donné une copie, qu'il a fait parvenir, avec d'autres lettres de voyants, à l'agent des décisions. Il a également travaillé aux bureaux de Vacation Travel — la société associée — à Calgary, tout comme Treva Stubbs, et les deux entreprises étaient en activité à toute heure du jour et de la nuit, tous les jours de la semaine. Ils n'étaient pas en mesure de permettre ou d'interdire à un voyant de quitter le travail au cours d'un quart ou de s'absenter pour une journée. Il a déclaré qu'il n'avait jamais établi deux chèques de paye différents — un destiné à des employés, l'autre, à des entrepreneurs indépendants —, ainsi que l'ont déclaré des fonctionnaires de Revenu Canada à un certain moment, dans le but de montrer l'écart de rémunération nette entre les voyants, une fois effectuées les retenues au titre de l'impôt sur le revenu et les autres déductions applicables. Il jugeait cette allégation « scandaleuse » et a souligné qu'aucun document ne venait l'appuyer. Il n'a rien eu à voir avec le contenu des lettres envoyées par les voyants à Revenu Canada, et il n'a apporté aucune modification à ces lettres.

                L'avocat de l'appelante a soutenu que, si EBA disposait des lignes téléphoniques et du matériel requis, la prestation des services de voyance proprement dite était contrôlée pour l'essentiel par le CRTC, par voie de réglementation. Dans des décisions rendues précédemment, il avait été conclu que Treva Stubbs et Edita Kavcic, toutes deux voyantes, étaient des entrepreneuses indépendantes au moment où elles fournissaient des services à EBA, et des décisions similaires avaient été rendues à l'égard de voyants travaillant sous le nom d'Innervision à Calgary dans des conditions à peu près identiques à celles existant chez EBA à Kelowna. Ces décisions n'avaient pas été portées en appel, ce qui leur donnait force obligatoire pour les parties. L'avocat a mentionné les différents contrats signés par Dora Weninger et Corey Mazurat et la manière dont les parties se comportaient aux termes de ces contrats. Au vu de la preuve, l'avocat a conclu que le contrôle exercé sur les voyants était très réduit, exception faite des mesures qu'il était raisonnable de considérer comme faisant partie des contrats écrits, et que les travailleurs utilisaient leurs propres outils et pouvaient influer — dans une certaine mesure — sur leurs bénéfices et leurs pertes en ayant recours à un numéro de poste particulier et en évitant les retenues effectuées lorsque la limite de 15 minutes par appel était dépassée.

                Les avocates de l'intimé ont prétendu que le contrôle censé découler des contrats écrits comprenait l'exigence voulant que les voyants fournissent personnellement les services. Le barème de rémunération était déterminé d'avance, et aucune négociation n'avait lieu entre les voyants et EBA. L'horaire de travail définitif était établi par la direction d'EBA, et les outils nécessaires à l'exécution des activités productrices de gains appartenaient à EBA. Les avocates ont souligné que l'infrastructure appartenait à EBA, qui s'occupait également des modes de publicité, de la prestation des services aux clients et de la perception des recettes. Les services des voyants faisaient partie intégrante de l'exploitation de l'entreprise, et la quasi-totalité des revenus des voyants provenaient d'EBA. Les avocates ont soutenu que, tout bien considéré, l'appelante n'avait pas fait la preuve que les décisions rendues par le ministre étaient erronées, et que ces décisions devaient donc être confirmées.

                Dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 ([1986] 2 C.T.C. 200), la Cour d'appel fédérale a approuvé l'assujettissement de la preuve aux critères suivants, en précisant bien qu'il s'agit en fait d'un critère unique qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant sur l'ensemble des éléments qui entrent dans le cadre des opérations. Voici ces critères :

                1. Le critère du contrôle

                2. La propriété des instruments de travail

                3. Les chances de bénéfice et les risques de perte

                4. Le critère de l'intégration

Contrôle

                La preuve a démontré que, de façon générale, les voyants pouvaient décider de leurs heures de travail en indiquant les jours et les quarts qui leur convenaient le plus sur la feuille de disponibilité. Toutefois, l'horaire proprement dit était établi, à partir des renseignements inscrits sur cette feuille, par le répartiteur/responsable, un employé d'EBA, qui avait pour responsabilité de s'assurer qu'un nombre suffisant de voyants étaient au travail en tout temps pour répondre à la demande. Les travailleurs ont établi leur propre système de loterie permettant à l'un d'entre eux de quitter le travail plus tôt lors des périodes creuses. La façon dont le travail était effectué au cours des conversations avec les clients était déterminée en fonction des règles du CRTC et de la politique d'EBA interdisant les jurons et la prédiction d'événements aux conséquences néfastes. Il est ironique de constater qu'il était interdit de formuler la seule prédiction dont la justesse soit absolument garantie, soit le décès du client. Étant donné que le client était informé au préalable que la TPS était applicable, le vieil adage sur le caractère inévitable de la mort et des impôts s'était déjà vérifié pour moitié. Compte tenu de la nature du service offert, la direction d'EBA comprenait qu'il pouvait arriver que les voyants ne puissent établir de lien avec un client, pour une raison ou pour une autre. Dans un tel cas, le voyant informait le répartiteur de la situation, et ce dernier transférait l'appel à un autre voyant. Si le travail ne se déroulait pas au gré d'un voyant pendant un quart de travail, le voyant pouvait partir avant la fin du quart, mais le répartiteur était toujours informé de sa décision. Par suite des recherches qu'il avait menées avant de lancer l'entreprise, Alfred Evans, chef de la direction d'EBA, insistait pour que tous les appels soient reçus en direct et pour que les voyants effectuent la consultation à partir des cubicules insonorisés des bureaux d'EBA. Dans le monde du travail moderne, bon nombre de travailleurs, en particulier ceux âgés de moins de 35 ans, ont plus d'un emploi. C'est pourquoi les employeurs ont appris à faire preuve de plus de souplesse en autorisant les gens à choisir leurs heures de travail et à faire part à l'employeur de leur disponibilité certains jours ou la fin de semaine. Le simple fait de ne plus appliquer strictement le concept de supervision caractéristique de la relation commettant-préposé, qui est à la source du statut d'employé aux termes d'un contrat de louage de services, n'a pas pour effet de transformer une relation de travail agréable et conviviale en une relation entre entrepreneurs indépendants. Dans les présents appels, le service devait être fourni personnellement, et l'horaire était en bout de ligne établi par la direction d'EBA.

Les instruments de travail

                Les voyants étaient autorisés à apporter certains outils au travail et à les utiliser dans le cadre des consultations qu'ils donnaient aux clients. Certains voyants achetaient leur propre casque téléphonique, à leur choix. Les chaises, bureaux, cubicules, fournitures, livres de référence, documents et, surtout, téléphones et lignes téléphoniques étaient fournis par EBA et lui appartenaient. La méthode utilisée pour répondre aux appels, en établir la provenance et les facturer, et la méthode de perception des frais auprès des clients aux termes de l'entente entre EBA et la société de téléphone, étaient appliquées par le personnel d'EBA au moyen des ordinateurs et des logiciels de la société. EBA payait le coût de mise en place du système permettant de recevoir les appels et de fournir les services requis. Les articles utilisés par les travailleurs, dont Dora Weninger (apparemment celle qui s'était constitué la plus vaste collection au fil des ans), étaient essentiellement personnels, un peu comme les outils de prédilection d'un menuisier ou d'un mécanicien, et EBA n'exigeait pas leur possession en vue d'accomplir les tâches constituant l'essentiel de la relation de travail.

Les chances de bénéfice et les risques de perte

                Dans les présents appels, l'avocat de l'appelante a fait mention du système consistant à imposer aux voyants des frais de 35 cents par minute d'appel excédant la limite de 15 minutes, ainsi que de la procédure utilisée par EBA pour retenir sur le revenu de chaque employé une part proportionnelle des créances irrécouvrables. En premier lieu, cette retenue au titre des créances irrécouvrables était une mesure unilatérale d'EBA — lorsque celle-ci décidait de recourir à cette procédure, ce qui était rare. La retenue pour les minutes excédentaires s'apparente assez à une clause pénale dans un contrat, aux termes de laquelle un plombier ou un entrepreneur accepte d'achever ses travaux à une date donnée, faute de quoi il renonce à une certaine somme d'argent parce qu'il n'a pas respecté l'échéance ou une autre condition. Cela suppose toutefois que le rapport entre les parties est régi par un contrat d'entreprise, puisqu'il n'est pas possible de créer une situation d'entrepreneur indépendant en imposant des conditions illégales — du moins si la relation de travail est en fin de compte une relation employeur-employé. Voici le libellé de l'article 21 de l'Employment Standards Act, RSBC, chap. 113 :

                               

                                [TRADUCTION]

21(1) Sauf lorsque cela est autorisé ou exigé par la présente loi ou par toute autre loi de la Colombie-Britannique, l'employeur ne peut, directement ou indirectement, retenir ou déduire tout ou partie du salaire d'un employé ni en exiger le paiement, pour quelque raison que ce soit.

(2) L'employeur ne peut exiger d'un employé qu'il paie une part des coûts d'exploitation de l'entreprise de l'employeur, sauf lorsque les règlements l'y autorisent.

                Malheureusement, il n'est pas rare que les propriétaires de restaurant exigent des serveurs qu'ils paient le coût de la vaisselle brisée, ou qu'ils effectuent des retenues sur leur salaire lorsqu'un client s'en va sans avoir payé son addition, mais il n'empêche qu'une telle pratique est interdite par la loi. De même, le préposé d'une station libre-service qui est assis dans le bureau ne peut être tenu responsable de la perte subie si un client fait le plein, puis démarre sans payer. Ces pertes, tout comme les créances irrécouvrables d'EBA, correspondent au coût d'exploitation de l'entreprise. EBA acceptait cette réalité dans une certaine mesure en fixant à 12 p. cent de son chiffre d'affaires la limite à concurrence de laquelle elle prenait en charge ce coût avant de faire appel aux voyants pour en payer une partie. L'écart de salaire après minuit et le paiement minimum garanti de 56 $ ne sont pas caractéristiques de la prestation de services par un entrepreneur indépendant. La preuve n'étaye pas la position d'EBA selon laquelle il existait cette merveilleuse possibilité de gagner un dollar la minute en utilisant un numéro de poste particulier étant l'objet d'une publicité particulière. Même les voyants qui, dans leur témoignage, ont indiqué qu'ils voulaient être considérés comme des entrepreneurs indépendants n'étaient pas au courant de ce moyen de gagner un revenu additionnel au cours de la période considérée. Il existait une politique stricte, établie par EBA, selon laquelle les voyants ne devaient pas accorder de consultation privée à une personne avec laquelle ils avaient été mis en rapport par le service téléphonique d'EBA. Les services fournis par les voyants — après que ceux-ci avaient fini leur quart de travail à EBA — ne différaient pas de ceux fournis par un mécanicien qui est au service d'un concessionnaire automobile et qui gagne un revenu d'appoint en effectuant des travaux de mécanique pour ses voisins ou ses amis en dehors de ses heures de travail. Les travailleurs peuvent être au service d'une ou de plusieurs entreprises et exploiter quand même leur propre entreprise à temps perdu. L'analyse doit porter sur les chances de bénéfice et les risques de perte dans le cadre de la prestation des services, qui est l'élément central de la relation de travail à l'étude. Dans les présents appels, je suis incapable de voir comment un voyant pourrait tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement des tâches plus que pourrait le faire un employé payé à la commission ou à la pièce. Il n'existait pas de risque de perte — du strict point de vue d'une entreprise —, ce qui aurait pu être le cas si EBA avait imposé un tarif fixe à un voyant pour l'usage d'un cubicule et du matériel au lieu de le payer selon un tarif fixe par minute établi de façon unilatérale par EBA. C'est EBA qui définissait les primes, notamment les primes d'encouragement, et qui en fixait le montant. Les voyants recevaient leur commission selon le nombre de minutes de consultation, et ils n'avaient pas d'obligation légale à l'égard des pertes découlant de quelque activité que ce soit de l'entreprise. Étant donné que les clients qui appelaient pour la première fois avaient droit à un remboursement intégral s'ils n'étaient pas satisfaits à la fin de leur consultation, cette perte éventuelle était à la charge d'EBA, et le voyant concerné recevait quand même sa commission par minute.

L'intégration

                Ce critère a souvent été décrit comme celui dont l'application est la plus difficile. À la page 206 de son jugement dans l'affaire Wiebe, précitée, le juge d'appel MacGuigan déclarait :

De toute évidence, le critère d'organisation énoncé par lord Denning et d'autres juristes donne des résultats tout à fait acceptables s'il est appliqué de la bonne manière, c'est-à-dire quand la question d'organisation ou d'intégration est envisagée du point de vue de l' « employé » et non de celui de l' « employeur » . En effet, il est toujours très facile, en examinant la question du point de vue dominant de la grande entreprise, de présumer que les activités concourantes sont organisées dans le seul but de favoriser l'activité la plus importante. Nous devons nous rappeler que c'est en tenant compte de l'entreprise de l'employé que lord Wright a posé la question « À qui appartient l'entreprise? »

C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739) :

[TRADUCTION] Les remarques de lord Wright, du lord juge Denning et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci : « La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte » . Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents, comme l'a indiqué le juge Cooke.

                Il ressort de la preuve que les voyants gagnaient un revenu grâce à l'infrastructure sophistiquée mise en place par EBA. Le tout était l'oeuvre d'Alfred Evans, qui était le cerveau derrière toutes les activités de la société. C'est EBA qui avait conclu un contrat avec Stentor et avec la société de téléphone. Les travailleurs, dont Dora Weninger et Corey Mazurat, n'auraient pu, comme le faisaient Telus et son prédécesseur, faire le suivi des minutes d'appel, facturer les services aux abonnés au nom d'EBA, puis transférer les fonds à EBA une fois les factures envoyées, ou effectuer ultérieurement des retenues lorsque les abonnés refusaient de payer le coût des services de voyance. EBA disposait d'employés responsables de la gestion des appels et du calcul des sommes payables aux voyants, et une division particulière au sein de l'entreprise faisait beaucoup de publicité sous forme de brochures, de dépliants, d'annonces à la radio et dans la presse écrite, sans compter la coordination d'autres formes de publicité. Invariablement, l'entreprise visée par la publicité — sous différents noms — était celle exploitée par EBA. Les cartes professionnelles personnelles distribuées par les voyants, qui ne servaient pas à annoncer des consultations privées au domicile des voyants ou des clients, ne comportaient qu'un numéro de téléphone, soit celui d'EBA. Les témoignages ont établi que la très grande majorité des appels reçus était attribuable à l'organisation efficace et bien structurée relevant d'EBA. Que les voyants en soient venus à considérer les clients réguliers comme constituant leur clientèle propre ne tient pas compte du fait que ces clients, même s'ils demandaient à parler à un voyant en particulier, utilisaient pour ce faire une ligne appartenant à EBA, et que c'était le répartiteur d'EBA qui transférait l'appel au voyant en question s'il était libre, ou sinon à un autre voyant. C'est EBA qui continuait d'établir les factures et de percevoir les recettes auprès de la société de téléphone. La presque totalité du revenu des voyants provenait des consultations de voyance ou de la lecture des tarots pour des clients ayant eu recours aux services téléphoniques d'EBA. Le revenu gagné à titre privé par les différents voyants durant la période où ils travaillaient pour EBA était très peu élevé. À l'évidence, EBA considérait que les personnes faisant les appels étaient des clients de la société, puisqu'il était interdit aux voyants de donner des consultations privées aux personnes avec lesquelles ils avaient été mis en rapport par l'entremise du service téléphonique d'EBA. Voilà qui en dit long sur la possibilité d'accroître sa clientèle; l'une des raisons données par Eufemia Torrenueva pour expliquer qu'elle se soit jointe à EBA était justement qu'elle pensait pouvoir ainsi élargir son bassin de clients éventuels. L'opinion des voyants selon laquelle ils étaient des entrepreneurs indépendants était surtout fondée sur la marge de manoeuvre dont ils disposaient au plan de l'horaire de travail et sur le fait que les clients réguliers faisaient partie, à leurs yeux, de leur propre « entreprise » . Dans les faits, cette situation ne diffère pas de celle d'un client qui, au restaurant, demande une table dans une section où travaille un serveur particulier ou d'une personne qui, pour conserver le même genre de coiffure ou parce qu'elle a été satisfaite auparavant, prend rendez-vous avec un coiffeur particulier dans un salon de coiffure. Les travailleurs ne pouvaient exercer de contrôle sur leur propre destinée ni, de toute évidence, prédire leur situation ultime dans le cadre de travail d'EBA. Le fait que, dans leur déclaration de revenu, certains travailleurs aient déduit des sommes de leur prétendu revenu d'entreprise — déductions que rejetterait un vérificateur de Revenu Canada après les avoir examinées à peine quelques instants — ne contribue en rien à transformer un employé en entrepreneur. Une fois toute la preuve examinée, la réponse à la question « à qui appartenait l'entreprise? » est tout à fait évidente. Elle appartenait à EBA; les services des voyants faisaient partie intégrante de l'entreprise et constituaient l'essence même des activités menées dans le cadre d'une structure commerciale complexe, pour laquelle EBA avait dû conclure des contrats avec d'autres entités, dont la société de téléphone provinciale et Stentor (organisme national composé de toutes les sociétés de téléphone du Canada), et assumer le fardeau de l'observation des règles du CRTC.

                Il est indéniable que les travailleurs Dora Weninger et Corey Mazurat ont conclu avec EBA des contrats écrits, aux termes desquels ils devaient fournir personnellement des services de voyance. La seule raison pour laquelle on faisait signer continuellement de nouveaux contrats aux voyants, en particulier dans le cas de M. Mazurat, alors que le contrat précédent était encore en vigueur, était à mon avis de rappeler constamment aux travailleurs qu'ils étaient bel et bien des entrepreneurs indépendants fournissant des services aux termes d'un contrat écrit. Quoi qu'il en soit, les gens ne peuvent à leur guise définir ou caractériser leur relation de travail, sauf s'ils s'appuient sur les faits en cause. Dans l'affaire Ministre du Revenu National c. Emily Standing, C.A.F., no A-857-90, 29 septembre 1992 (147 N.R. 238), le juge d'appel Stone déclarait à la page 2 (N.R. : aux pages 239 et 240) :

                [...] Rien dans la jurisprudence ne permet d'avancer l'existence d'une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes appréciées en fonction du critère de l'arrêt Wiebe Door.

                À la page 562 (C.T.C. : à la page 205) de son jugement dans l'affaire Wiebe, précitée, le juge d'appel MacGuigan déclarait :

                [...] Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l'ont interprété, mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé ci-dessus « l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations » , et ce, même si je reconnais l'utilité des quatre critères subordonnés.

                Les gens, tant les payeurs que les travailleurs, ont parfois de la difficulté à accepter le fait qu'ils ne soient pas libres de choisir leur statut. Il est plus difficile encore pour les travailleurs et les entreprises d'avoir quelque certitude d'avoir agi judicieusement en choisissant mutuellement une méthode acceptable qui permet à l'un de fournir, et à l'autre de recevoir, un service en contrepartie d'un paiement. Arrive ensuite quelqu'un — comme Dora Weninger — qui décide de demander des prestations qui ne sont versées qu'aux personnes ayant la qualité d'employé, et ce, après avoir tiré profit de certains avantages monétaires ou fiscaux à titre d'entrepreneur présumé. La situation ne s'améliore pour aucune des parties concernées lorsque des décisions contradictoires sont rendues, même si celles-ci visent des périodes et des travailleurs différents, alors que les circonstances entourant la fourniture de services par les travailleurs sont, pour l'essentiel, à peu près identiques à celles observées relativement à la décision qui finit par être portée en appel devant la Cour canadienne de l'impôt. Toutefois, il faut rendre justice aux agents des décisions et aux agents des appels, qui doivent rendre des décisions dans chaque dossier à partir des renseignements qui leur sont fournis, et l'on a selon moi tenu compte de la possibilité qu'avaient présumément les voyants d'EBA de travailler à leur domicile pour EBA, ce qui n'était pas du tout le cas. En fait, c'était exactement le contraire, puisque les services de voyance fournis par les travailleurs à EBA devaient être rendus à partir des bureaux d'EBA, conformément à la politique de l'entreprise. Il suffit souvent que les faits soient légèrement différents pour que le résultat ne soit plus le même, ainsi que le découvrira rapidement, à sa consternation, toute personne qui se penche sur ce domaine de jurisprudence. Je ne vois malheureusement aucune façon d'éviter ce problème, sauf peut-être l'adoption de modifications législatives autorisant une forme quelconque de renonciation à certains services à l'intérieur d'une période limitée dans certaines circonstances. Dans les affaires de ce genre, les appelants expriment souvent l'opinion que la législation actuelle n'est plus adaptée aux besoins associés au monde du travail moderne, mais c'est aux législateurs qu'il appartient d'en juger dans le cadre de la modernisation permanente du régime national, par exemple, ainsi qu'on l'a vu récemment, avec l'adoption de modifications qui rendent assurable chaque heure de travail, mesure qui, de toute évidence, a été prise en raison du fait que des millions de personnes tirent leur revenu d'une combinaison de trois ou quatre emplois à temps partiel. Le désir de disposer d'un horaire de travail souple et d'un milieu de travail agréable, d'où sont absents les modèles hiérarchiques rigides accompagnés de titres et de préfixes alphabétiques ou numériques étranges servant à indiquer le rang ou le poste de cadre, amène souvent les gens à supposer qu'un tel environnement est incompatible avec la relation employeur-employé traditionnelle, et qu'ils doivent donc être des travailleurs indépendants dans le contexte plus vaste d'une autre entreprise, surtout lorsqu'ils ont signé un contrat censé accorder ce statut. Il est déconcertant pour quelqu'un de se cogner au mur de jurisprudence qu'a dressé le travail incessant d'interprétation des lois, et de se faire dire que depuis des mois, ou même des années, ses activités professionnelles reposaient au fond sur une fausse prémisse, même si cela a commencé en toute innocence et s'est poursuivi en toute bonne foi. N'ayant pas la chance de posséder des pouvoirs de voyance, je ne puis prévoir de changements de ce système, qui continuera donc à exaspérer, à dérouter et à déconcerter ceux qui sont en quête de clarté et de certitude concernant l'aspect « ressources humaines » du monde des affaires moderne.

                Les décisions rendues par le ministre concernant les travailleurs Dora Weninger et Corey Mazurat sont correctes et sont donc confirmées par les présentes. Les appels sont rejetés.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 15e jour de septembre 2000.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 23e jour de février 2001.

Philippe Ducharme, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

98-1184(UI)

98-1185(UI)

ENTRE :

EARLYBIRDS AWARDS INC.,

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appels entendus ensemble le 14 juin 2000 à Vancouver (Colombie-Britannique) par

l'honorable juge suppléant D. W. Rowe

Comparutions

Avocat de l'appelante :                         Me Arthur J. Lee

Avocates de l'intimé :                           Me Charlotte Coombs

                                                          Me Susan Wong

JUGEMENT

                   Les appels sont rejetés et la décision du ministre est confirmée selon les motifs de jugement ci-joints.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 15e jour de septembre 2000.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de février 2001.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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