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Date: 20010410

Dossier: 2000-554-GST-I

ENTRE :

JAMES N. ET MONIQUE P. CAIRNS,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Sarchuk, C.C.I.

[1]            James N. et Monique P. Cairns interjettent appel à l'encontre d'une cotisation établie par le ministre du Revenu national (le " ministre ") en date du 19 avril 1999, qui rejette leur demande de remboursement de taxe sur les produits et services (" TPS ").

[2]            Les parties s'entendent sur les faits suivants. Le 27 octobre 1994, les appelants ont acheté comme résidence personnelle une habitation condominiale, soit le 3C-328, Taylor Way, West Vancouver, et ils ont, ce faisant, acquis un intérêt à bail par voie de cession d'un des lots condominiaux issus de la conversion de la propriété que le promoteur louait. Le prix d'achat était de 370 000 $; en outre, les appelants devaient payer et avaient effectivement payé au vendeur 25 900 $ de TPS. L'opération s'est conclue le 27 octobre 1994. Une demande générale de remboursement du montant intégral de la TPS payée a été faite par les appelants et a été reçue par le ministre le 1er octobre 1998. Le 19 avril 1999, le ministre a rejeté la demande de remboursement pour le motif qu'elle n'avait pas été faite dans le délai prévu au paragraphe 261(3) de la Loi sur la taxe d'accise (la " Loi ").

[3]            M. Cairns a témoigné que le bien en question, soit un appartement, avait été acheté principalement pour répondre aux besoins de son épouse, qui était gravement malade. Cependant, une fois l'opération conclue, il était devenu évident qu'ils ne pourraient occuper l'appartement, à cause de la gravité des problèmes de santé de Mme Cairns et de la réticence de cette dernière à déménager. Comme l'a dit M. Cairns, [TRADUCTION] " elle ne voulait simplement pas quitter sa propre maison ". En novembre 1994, M. Cairns est devenu préoccupé quant au fait que leur omission d'occuper l'appartement pourrait avoir une incidence sur leur droit d'obtenir un remboursement pour habitations neuves. Il s'est donc renseigné auprès de Revenu Canada et il a avisé le représentant qu'ils ne pouvaient pas occuper l'appartement à cause des problèmes de santé de Mme Cairns et il a cherché à obtenir confirmation de ce qu'il comprenait, à savoir que la TPS sur cet achat était remboursable. Il a été avisé par Revenu Canada à cette époque que sa femme et lui n'étaient pas admissibles au remboursement pour habitations neuves. Il a en outre témoigné qu'il avait été informé de ce qui suit : [TRADUCTION] " indépendamment de la question de savoir si vous avez occupé l'appartement ou non, vous avez quatre ans à partir de la date à laquelle vous avez acheté l'appartement pour demander le remboursement de TPS ". Il a ajouté que, durant toute la période pertinente, ils continuaient à croire qu'ils avaient quatre ans à partir de la date d'achat pour déterminer ce qu'il en était quant au remboursement de TPS. Lorsque la situation a été clarifiée par la décision rendue dans l'affaire Taylor et Redmond c. La Reine[1], les appelants ont fait leur demande générale de remboursement le 29 septembre 1998, soit, selon M. Cairns, environ un mois avant l'expiration du délai de quatre ans dont on les avait informés.

[4]            Les appelants n'étaient pas représentés par un avocat. M. Cairns avait été présent tout au long de l'audition des appels Earnshaw et Throness c. La Reine, Alfred c. La Reine et May c. La Reine[2]. En son nom et au nom de son épouse, M. Cairns a demandé à la Cour de considérer la thèse et les arguments qui avaient été formulés dans ces causes, et de les appliquer à leur appel. Il n'y a eu aucune objection de l'avocat de l'intimée.

Régime législatif

[5]            Les dispositions pertinentes de la Loi qui étaient en vigueur le 1er octobre 1998, date à laquelle la demande générale de remboursement des appelants a été reçue par le ministre[3], se lisent comme suit :

261(1)      Dans le cas où une personne paie un montant au titre de la taxe, de la taxe nette, des pénalités, des intérêts ou d'une autre obligation selon la présente partie alors qu'elle n'avait pas à le payer ou à le verser, ou paie un tel montant qui est pris en compte à ce titre, le ministre lui rembourse le montant, indépendamment du fait qu'il ait été payé par erreur ou autrement.

[...]

261(3)      Le remboursement n'est versé que si la personne en fait la demande dans les deux ans suivant le paiement ou le versement du montant.

Le paragraphe 261(3) tel qu'il se lisait à cette époque reflétait une modification qui a été apportée en 1997 et par laquelle le délai précédent, qui était de quatre ans, a été ramené à deux ans. La modification disposait en outre ceci :

                71(2)        Le paragraphe (1) s'applique aux montants suivants :

a)             ceux qui, après juin 1996, sont payés ou comptabilisés au titre de la taxe ou d'un autre montant à payer ou à verser en application de la partie IX de la même loi;

b)                   ceux qui, avant juillet 1996, sont payés ou comptabilisés au titre de la taxe ou d'un autre montant à payer ou à verser en application de cette partie, à l'exception des montants dont le remboursement est demandé aux termes de l'article 261 de la même loi avant juillet 1998[4].

Thèse des appelants

[6]            Les appelants invoquent l'affaire Taylor et Redmond c. La Reine[5], dans laquelle le juge en chef Garon, de la C.C.I., a dans des circonstances identiques statué que l'acquisition, par les parties appelantes, de leurs habitations respectives était exonérée de taxe en vertu de la partie IX de la Loi, et la cotisation du ministre leur refusant le remboursement de la taxe payée par erreur a donc été annulée. Comme cette décision a été rendue le 27 juillet 1998, les appelants soutiennent que leur droit de faire une demande générale de remboursement s'applique à partir de cette date. À l'appui de cette position, on a fait valoir que l'interprétation appropriée du paragraphe 261(1) peut être établie en lisant les paragraphes (1) et (3) ensemble et en utilisant le paragraphe (1) pour déterminer ce que signifient les termes " dans les deux ans suivant le paiement ou le versement du montant ". On a également fait valoir qu'il est nécessaire de prendre en compte dans la signification du paragraphe (3) le passage du paragraphe (1) qui dit " elle n'avait pas à [...] payer ou à [...] verser ". En lisant ces dispositions de cette manière et en admettant le fait que les appelants n'ont appris qu'ils " n'avai[en]t pas à [...] payer " le montant en litige que lorsque la décision Taylor et Redmond a été rendue, soit le 27 juillet 1998, les appelants avaient, si le délai légal s'appliquait effectivement, deux ans suivant cette date pour faire leur demande. Les appelants soutiennent qu'interpréter ainsi les termes mentionnés n'est pas contraire au sens ordinaire et à l'objet de la loi et représente plutôt une interprétation créative de la loi permettant à la Cour d'interpréter les dispositions législatives pertinentes de manière à accorder un redressement aux appelants.

[7]            À l'appui de cette façon d'aborder l'interprétation de lois fiscales, on a fait référence à l'affaire Harvey C. Smith Drugs Ltd. c. M.R.N.[6], dans laquelle le juge Reed a dit :

                À mon avis, les commentaires émis dans les arrêts Canada c. Fries, [1990] 2 R.C.S. 1322; et Johns-Manville Canada Inc. c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 46 selon lesquels, en cas d'incertitude, il faut donner le bénéfice du doute au contribuable, ne rejettent pas le principe énoncé dans l'arrêt Stubart. Ces affaires indiquent seulement que, si après avoir lu les dispositions législatives pertinentes en fonction de l'objet et de l'esprit de la Loi, on éprouve des doutes quant à l'interprétation visée, il faut pencher en faveur du contribuable, que la disposition en question prévoit une imposition, une exemption ou une déduction.

[8]            Les appelants dans la présente espèce adoptent en outre les arguments supplémentaires présentés dans l'affaire May c. La Reine, précitée. Dans cet appel-là, il a été soutenu qu'une interprétation raisonnable du paragraphe 261(3) de la Loi indique qu'une personne assujettie aux dispositions de la Loi saurait, dans la plupart des cas, si la vente d'une fourniture taxable a avorté, si la fourniture taxable est restée impayée ou si elle a été consommée hors du Canada. Dans de telles circonstances, il n'y aurait pas de TPS à payer, et la personne demanderait dans le délai imparti un remboursement à l'égard de la TPS versée sur la vente. D'autre part, jusqu'à ce qu'un tribunal détermine qu'une fourniture est exonérée, une personne ne saurait normalement pas qu'il est possible d'avoir un remboursement à l'égard d'une telle fourniture sur laquelle Revenu Canada a perçu de la taxe par erreur. Dans le cas des appelants en l'espèce, il n'a été déterminé que la fourniture de leur intérêt à bail était une fourniture exonérée que lorsque la décision Taylor et Redmond a été rendue, soit après l'expiration du délai imparti. Sur la foi d'une décision récente de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique (" C.A.C.-B. "), soit l'arrêt Hansen v. The Queen[7], il a été avancé que le paragraphe 261(3) peut être interprété comme fixant un délai de nature procédurale, car il indique qu'une personne demande un remboursement lorsqu'elle devient au courant de circonstances dans lesquelles la TPS n'était pas payable. Dans l'arrêt Hansen, la C.A.C.-B. a statué qu'un délai de nature procédurale peut être prorogé d'un commun accord ou en établissant qu'il y a préclusion. Ainsi, disent les appelants, Revenu Canada a, en acceptant le fait que des acheteurs avaient droit à des remboursements après que la décision Taylor a été rendue, consenti effectivement à proroger le début du délai à la date de la décision, soit au 27 juillet 1998.

[9]            Les appelants soutiennent également qu'à cause de la préclusion le ministre ne peut rejeter leur demande de remboursement en affirmant que cette demande est frappée de prescription au motif qu'elle a été faite en retard. Ils disent que, si leur demande est frappée de prescription, l'omission de présenter la demande dans le délai requis est attribuable à des déclarations faites par des employés et représentants du ministre avant l'expiration du délai concernant leur droit à un remboursement général.

Thèse du ministre

[10]          L'intimée fait valoir que les appelants ont payé la taxe avant le 30 juin 1996. Ainsi, une demande de remboursement de taxe payée par erreur devait être déposée au 30 juin 1998. C'est donc à bon droit que le ministre a, par voie de cotisation, rejeté la demande des appelants, car ces derniers n'avaient fait leur demande que le 1er octobre 1998, soit trois mois après le délai légal du 30 juin 1998.

Conclusion

L'argument relatif au délai

[11]          J'ai conclu que l'" approche créative " qu'avait proposée l'avocat de l'appelante dans l'affaire Vivian M. May, précitée,quant à l'interprétation des paragraphes 261(1) et (3) de la Loi doit être rejetée. L'intention du législateur de fixer un délai pour la présentation d'une demande de remboursement est énoncée en termes non équivoques. Les appelants en l'espèce voudraient que la Cour interprète cette disposition particulière comme correspondant à ce qu'ils croyaient que le législateur aurait dit si ce dernier avait été saisi de cette situation particulière. Lorsque la signification d'un texte est claire, notre cour n'a pas compétence pour en atténuer les conséquences. Bien que notre cour puisse être en droit d'interpréter le libellé d'une loi adoptée par le législateur, elle ne peut le déformer pour le rendre conforme à ce qu'elle peut considérer comme raisonnable[8].

[12]          Je suis également d'avis que l'affaire Hansen se distingue de la présente espèce aussi bien en fait qu'en droit. Dans cette cause-là, il s'agissait de savoir si le droit de Mme Hansen de former une demande d'indemnisation à l'égard d'un terrain qui avait été exproprié aux fins d'une route était prescrit parce que le délai d'un an prévu à l'article 25 de la loi intitulée Expropriation Act[9] était écoulé. La commission appelée Expropriation Compensation Board (la " commission ") avait décidé que le ministère, étant lié par la préclusion, ne pouvait se fonder sur le délai. L'appel était interjeté contre cette décision. Pour ce qui est des faits relatifs à l'affaire Hansen, au cours d'une réunion entre les avocats tenue en juin 1995, le négociateur du ministère avait déclaré à l'avocat de Mme Hansen que le délai d'un an commencerait à courir à compter de la date de possession, soit le 8 août, plutôt qu'à compter de la date du paiement comme le spécifiait la disposition pertinente, soit le 21 juillet. Le juge MacKenzie, de la Cour d'appel, a conclu que cette déclaration n'était pas ambiguë et que c'était une déclaration de fait destinée à être suivie et ayant été suivie et il a statué que la commission avait eu raison de conclure que les éléments de la préclusion promissoire avaient été établis. Cet arrêt n'aide guère les appelants, car la préclusion à laquelle il a été conclu concernait une déclaration de fait, qui avait été suivie par Mme Hansen à son détriment. Tel n'est pas le cas dans la présente espèce, dans laquelle les déclarations de M. Gravelle (et d'autres représentants de Revenu Canada) reflétaient l'interprétation du ministère quant aux dispositions pertinentes de la Loi.

[13]          Il a également été allégué que le délai prévu au paragraphe 261(3) de la Loi est un délai de nature procédurale pouvant être prorogé d'un commun accord ou en établissant qu'il y a préclusion, et ce, sur la foi des propos suivants tenus par le juge MacKenzie dans l'arrêt Hansen :

[TRADUCTION]

En vertu de l'article 25, aux termes duquel une instance ne peut être introduite après l'expiration du délai d'un an, le propriétaire est réputé avoir accepté un paiement anticipé comme règlement intégral en l'absence de toute autre demande présentée dans le délai imparti. À mon avis, cela n'équivaut pas à l'extinction de la demande, qui est simplement réputée avoir été réglée. Cette distinction peut être subtile, mais je pense que le libellé de l'article 25 fixe un délai de nature procédurale qui peut être prorogé d'un commun accord ou en établissant qu'il y a préclusion.

Je ne saurais convenir de l'argument présenté sur la foi de ces propos. Premièrement, les appelants n'ont pas établi la preuve d'une préclusion. Deuxièmement, le délai prévu au paragraphe 261(3) de la Loi est un délai de nature fondamentale et non pas simplement de nature procédurale et il ne peut être prorogé. Ce paragraphe dispose : " Le remboursement n'est versé que si la personne en fait la demande dans les deux ans [...] ". Comme l'a fait remarquer l'avocat de l'intimée, cette disposition prévoit clairement l'extinction de tous les droits au remboursement. De plus, rien n'indique que les appelants ont été mal informés par un fonctionnaire de Revenu Canada sur le délai fixé pour la présentation d'une demande de remboursement. Ainsi, il est difficile de trouver un fondement à l'argument selon lequel Revenu Canada a consenti effectivement à proroger le début du délai à la date de la décision Taylor et Redmond. En outre, même si les appelants avaient pu établir que Revenu Canada avait conclu une forme d'accord avec eux, un tel accord viserait en fait à déterminer la taxe autrement qu'en conformité avec la loi et serait illégal[10].

[14]          Je dois ajouter à ce qui précède qu'aucune disposition de la Loi ne permet au ministre ou encore à la Cour fédérale ou à notre cour de proroger ou de modifier les délais spécifiés dans une disposition législative comme le paragraphe 261(3) ou d'y déroger[11].

Argument relatif à la préclusion

[15]          Aucune preuve n'indique qu'un fonctionnaire ou représentant de Revenu Canada a fourni aux appelants de l'information erronée sur leur droit à un remboursement général. Cependant, à la fin de 1995, toutes les personnes qui avaient acheté les habitations condominiales en cause savaient que la position de Revenu Canada était qu'elles n'avaient pas droit au remboursement. De plus, malgré l'absence d'une preuve directe à cet égard, il est raisonnable de conclure que les appelants étaient au courant de cette position et qu'ils croyaient que la position de Revenu Canada indiquait implicitement qu'ils ne devraient pas faire une demande parce que celle-ci ne serait pas acceptée. Il est également justifié de conclure que, tout comme bien d'autres personnes, les appelants ont agi en conséquence et ont conclu que faire une demande serait une perte de temps. Ainsi, se fondant sur l'exactitude de la position exprimée par Revenu Canada, ils ont omis de présenter leur demande dans le délai imparti.

[16]          Bien qu'il soit clair qu'ils ont agi à leur détriment par suite des déclarations faites par des employés de Revenu Canada quant aux dispositions pertinentes de la Loi, les appelants ne peuvent avoir gain de cause. L'issue estoppel (préclusion fondée sur la chose jugée) a été examinée dans un certain nombre de causes, et le principe qui peut s'en dégager est que la Couronne ne peut être liée par une déclaration en matière d'interprétation du droit faite par l'un de ses employés ou représentants. Dans l'arrêt M.R.N. c. Inland Industries Limited[12], la Cour suprême du Canada a examiné certains articles de la Loi de l'impôt sur le revenu concernant la déductibilité de cotisations au titre de services passés à un régime de pension initialement accepté par le ministère du Revenu national pour fins d'enregistrement, mais à l'égard duquel des déductions ont ultérieurement été refusées. Parlant pour la Cour, le juge Pigeon a en fait disposé de toute question de préclusion en disant :

[...] Toutefois, il me paraît clair qu'une approbation donnée sans que les conditions prescrites par la loi ne soient remplies ne lie pas le ministre.

Ce principe a été appliqué dans l'affaire Stickel c. M.R.N.[13] par le juge Cattanach, qui a dit :

                En bref, les fins de non-recevoir [la préclusion] sont soumises à une règle générale: elles ne peuvent aller à l'encontre des lois d'application générale.

[17]          Le raisonnement à la base du principe exprimé dans ces causes a été succinctement résumé par le juge Bowman dans l'affaire Goldstein c. La Reine[14] :

                On dit parfois que la préclusion n'est pas recevable contre la Couronne. Cette affirmation n'est pas exacte et semble provenir d'une mauvaise application du terme préclusion. Le principe de la préclusion lie la Couronne, tout comme d'autres principes de droit. La préclusion du fait du comportement, telle qu'elle s'applique à la Couronne, comprend des déclarations de faits de fonctionnaires de la Couronne sur lesquelles le sujet s'est fondé et en fonction desquelles il a agi, à son détriment. La doctrine n'a aucune application lorsqu'une interprétation particulière d'une loi a été communiquée à un sujet par un fonctionnaire de l'État, que le sujet s'est fondé sur cette interprétation à son détriment et que le gouvernement a ensuite retiré ou modifié l'interprétation. Dans un tel cas, un contribuable cherche parfois à invoquer la doctrine de la préclusion. Ce n'est pas approprié non pas parce que ces déclarations donnent lieu à une préclusion qui ne lie pas la Couronne, mais plutôt parce qu'aucune préclusion ne peut se poser lorsque de telles déclarations ne sont pas conformes au droit. Bien que la préclusion soit maintenant un principe de droit positif, elle prend son origine dans le droit de la preuve et, en tant que telle, se rapporte aux déclarations de faits. Elle n'a aucun rôle à jouer lorsque des questions d'interprétation du droit sont en cause, car la préclusion ne peut déroger au droit.

[18]          La question dont je suis saisi est de savoir si les déclarations que des fonctionnaires de Revenu Canada ont faites à divers propriétaires d'habitations condominiales au sujet de l'assujettissement à la taxe de la fourniture de leurs habitations étaient des déclarations de fait ou de droit. Ces déclarations portaient essentiellement que l'acquisition des habitations condominiales était assimilée à une opération d'achat-vente, qu'elle ne représentait pas une fourniture exonérée et qu'elle était donc à juste titre assujettie aux 7 p. 100 de TPS. À mon avis, il s'agissait non pas de déclarations de fait, mais plutôt d'une opinion quant à l'interprétation appropriée des dispositions pertinentes de la Loi. Dans de telles circonstances, les appelants ne peuvent faire valoir la préclusion afin d'empêcher le ministre de se fonder sur les dispositions du paragraphe 261(3) de la Loi pour rejeter leur demande de remboursement.

[19]          Les appelants ont invoqué plusieurs autres motifs dans les actes de procédure, y compris l'enrichissement injustifié du ministre et la négligence de sa part et, se fondant sur les dispositions de la loi de la Colombie-Britannique intitulée Limitation Act, ils ont affirmé que leur demande n'était pas frappée de prescription. Ces motifs n'ont pas été invoqués à l'audience.

[20]          Le 23 août 2000, les jugements dans les affaires Melton c. La Reine et Setton c. La Reine[15] ont été rendus. Ces causes concernaient des questions identiques à celles qui se posent dans l'appel de M. et Mme Cairns. Aussi bien dans l'affaire Melton que dans l'affaire Setton, la Cour a conclu ce qui suit, en se fondant sur l'alinéa 43c) de la Loi d'interprétation[16] du Canada et sur l'interprétation que la Cour d'appel de l'Ontario avait donnée d'une disposition semblable de la Loi d'interprétation de l'Ontario dans l'affaire Re Falconbridge Nickel Mines Ltd. v. Minister of Revenue for Ontario[17] :

[...] Le simple fait que les appelants avaient acheté leur unité condominiale au cours de la période pendant laquelle l'ancien paragraphe 261(3) de la Loi était en vigueur et avaient payé en trop et à tort la TPS leur donne droit de demander le remboursement à l'intérieur du délai de quatre ans. Le ministre avait l'obligation de rembourser ces montants même si la demande était faite en retard en vertu du paragraphe 261(3) modifié. Les appelants possédaient un droit né ou naissant aux sommes détenues par le ministre jusqu'à l'expiration du délai de quatre ans.

Le législateur n'a pas expressément éliminé le droit né de certains contribuables qui ont présenté leur demande à l'intérieur du délai de prescription de quatre ans prévu par l'ancien paragraphe 261(3) de la Loi. Immédiatement après l'entrée en vigueur de la modification, les appelants possédaient toujours un droit né de présenter une demande pour le remboursement de la TPS et de recevoir ce remboursement. Leur droit à un remboursement se serait éteint à la fin du délai de quatre ans.

Comme cette question n'avait pas été soulevée dans le cadre du présent appel, les deux parties ont été invitées à présenter des observations supplémentaires. Les appelants n'en ont pas présenté, se contentant d'invoquer la décision rendue dans les affaires Melton et Setton. La thèse de l'intimée est que, par la mesure législative modifiant le paragraphe 261(3) de la Loi, le législateur a explicitement exprimé une " intention contraire " quant à l'application de l'alinéa 43c) de la Loi d'interprétation.

[21]          Plus précisément, l'avocat de l'intimée fait valoir que le paragraphe 261(3) a été modifié par L.C. 1997, ch. 10, art. 71 (la " loi modificative "). Cette loi a mis en oeuvre des mesures qui avaient été proposées dans un avis de motion de voies et moyens déposé le 23 avril 1996. Le paragraphe 71(1) de la loi modificative a eu pour effet de ramener de quatre ans à deux ans le délai dans lequel on doit demander le remboursement d'un montant payé par erreur au titre de la TPS. Le paragraphe 71(2) traite de l'application de cette modification. Ce paragraphe se lit comme suit :

71(2)        Le paragraphe (1) s'applique aux montants suivants :

a)             ceux qui, après juin 1996, sont payés ou comptabilisés au titre de la taxe ou d'un autre montant à payer ou à verser en application de la partie IX de la même loi;

b)             ceux qui, avant juillet 1996, sont payés ou comptabilisés au titre de la taxe ou d'un autre montant à payer ou à verser en application de cette partie, à l'exception des montants dont le remboursement est demandé aux termes de l'article 261 de la même loi avant juillet 1998.

L'intimée fait valoir que, par les alinéas 71(2)a) et b), le législateur a établi un code complet pour la mise en oeuvre de la modification. Ces deux alinéas couvrent toutes les périodes possibles au cours desquelles un contribuable peut avoir payé par erreur des montants au titre de la TPS. L'alinéa a) prévoit que la loi modificative s'applique aux montants perçus par erreur au titre de la TPS après le 30 juin 1996. L'alinéa b) prévoit que la modification s'applique aux montants perçus par erreur au titre de la TPS avant juillet 1996. Ainsi, selon l'intimée, le langage clair de l'alinéa b) précise bien que, dans certaines circonstances, la modification doit en fait s'appliquer à des montants payés avant juillet 1996. Il est expressément prévu que la modification s'applique à ces montants à moins qu'un remboursement ne soit demandé avant juillet 1998. Le législateur a exprimé l'intention de faire en sorte que la modification s'applique à certains montants même si ces derniers ont été payés avant l'annonce de la modification à l'étude comme dans le cas des appelants. Il est donc avancé que le législateur a fait un choix explicite visant l'extinction des droits acquis qui auraient pu exister en vertu du libellé précédent du paragraphe 261(3).

[22]          L'intimée a en outre fait valoir que le fait que le législateur a explicitement indiqué comment chaque opération relative à de la TPS payée par erreur doit être traitée à la lumière de la modification — que le paiement ait été effectué avant ou après le 30 juin 1996 — ne laisse aucune place à l'application de l'alinéa 43c) de la Loi d'interprétation. Comme le législateur a exprimé une intention contraire à celle exprimée à l'alinéa 43c), l'intimée soutient que le paragraphe 3(1) s'applique de manière à soustraire la modification aux effets de l'alinéa 43c). L'intimée soutient également que donner effet à l'alinéa 43c) serait contraire à l'intention expresse du législateur, donc contraire au paragraphe 3(1) de la Loi d'interprétation.

Analyse

[23]          L'interaction de l'alinéa 43c) et du paragraphe 3(1) de la Loi d'interprétation avait été examinée dans l'affaire Esso Resources Canada Limited c. La Reine[18]. Dans cette cause-là, une loi fédérale imposant une taxe sur le gaz naturel et sur les liquides extraits du gaz naturel prévoyait un remboursement de la taxe payée dans certaines circonstances. Le contribuable avait acheté des quantités de liquides extraits du gaz naturel et utilisait ces produits pour une fin admissible au cours de la période allant du 24 mai au 31 décembre 1985. Une loi modificative a porté abrogation de la taxe d'accise sur les liquides extraits du gaz naturel au 4 mars 1986. Le 1er décembre 1986, le contribuable a demandé un remboursement de la taxe qui avait été payée en vertu de la Loi. Le ministre a rejeté la demande, alléguant que les dispositions pertinentes de la Loi sur la taxe d'accise avaient été abrogées. L'appel du contribuable a été accueilli. Le juge Reed a conclu que le contribuable avait effectué un paiement en trop en raison du fait que la taxe avait été payée sur un produit exonéré de taxe. Après avoir statué que la demanderesse dans cette cause-là avait un droit acquis (né ou naissant) à l'égard des sommes détenues par la défenderesse, le juge Reed a fait observer aux pages 18 et 19 (DTC, aux pages 6476 et 6477) :

Toutefois, il existe un problème encore plus difficile, le fait que le Parlement aurait supprimé volontairement ce droit acquis en adoptant la modification du 4 mars 1986. Cet argument se fonde sur le fait que le Parlement a abrogé non seulement les dispositions de remplacement de la partie V, mais également les dispositions portant remboursement de l'alinéa 68 (1)g). L'alinéa 43c) de la Loi d'interprétation porte qu'une loi abrogative ne touche pas les droits acquis, mais cette disposition ne s'applique que lorsqu'une intention contraire ne figure pas ailleurs dans la loi (voir le paragraphe 3(1) de la Loi). De plus, même si les membres du Parlement et le gouvernement ne voulaient pas, au sens subjectif, imposer une taxe sur le gaz en question, si les termes exprès de la loi le prévoient (même s'ils ont été adoptés par inadvertance), il faut alors leur donner effet. S'il y a abrogation expresse du droit acquis de la demanderesse, il faut alors laisser au Parlement le soin d'adopter une loi pour corriger cette erreur si c'est effectivement la sienne. Je voudrais souligner que l'on n'a donné aucune explication rationnelle de la raison pour laquelle le Parlement, en abrogeant la taxe sur le gaz naturel et sur les liquides extraits du gaz naturel, pouvait vouloir imposer une taxe sur une marchandise qui ne l'était pas auparavant.

Le droit acquis de la demanderesse n'a pas été abrogé de façon expresse, en ce sens qu'une disposition prévoit qu'" après le 1er juin 1985, aucun remboursement de la taxe perçue ne sera versé ". Cependant, peut-on affirmer qu'il l'a été de façon nécessairement implicite? Je ne crois pas que le fait que la modification du 4 mars 1986 est rétroactive au 1er juin 1985 permette de répondre à cette question. À mon avis, le fait de cette rétroactivité ne permet pas du tout de conclure qu'on a voulu révoquer les droits acquis existant le 4 mars 1986. Cela s'explique en partie par le fait que l'exemption visée par les termes de la loi était liée à la date d'imposition de la taxe. De plus, dès le 4 mars 1986, la demanderesse avait accompli tout ce qu'il fallait faire (sauf déposer une demande) pour avoir droit à un remboursement, et il n'y a eu aucune abrogation expresse de ce droit. L'argument selon lequel le Parlement a voulu, de façon implicite, abroger le droit de la demanderesse se fonde uniquement sur le fait que l'autorisation visée à l'alinéa 68(1)g) de faire un remboursement à l'égard des taxes prévues par la partie V a été abrogée. Toutefois, je ne suis pas prêt à conclure que l'abrogation de l'alinéa 68(1)g) indique que le Parlement voulait de façon nécessairement implicite abroger les droits acquis de la demanderesse. Tout au plus, il a pu abroger par inadvertance le mécanisme de remboursement et, par conséquent, empêcher l'exercice du droit acquis, mais je ne crois pas que ce soit le cas en l'espèce.

[24]          Je suis convaincu que, contrairement à ce qu'il en était dans l'affaire Esso Resources, une telle disposition existe bel et bien dans le présent appel. Le paragraphe 71(1) de la loi modificative modifie le paragraphe 261(3) de la Loi de manière à ce qu'il se lise comme suit : " Le remboursement n'est versé que si la personne en fait la demande dans les deux ans [...] ". Puis l'alinéa 71(2)b) indique que la modification apportée au paragraphe 261(3) de la Loi s'applique lorsque de la TPS a été payée par erreur avant juillet 1996 et qu'un remboursement n'a pas été demandé avant juillet 1998. À mon avis, lues ensembles, ces dispositions établissent en termes non équivoques l'" intention contraire " expresse qui avait été jugée absente dans l'affaire Esso Resources.

[25]          L'affaire Falconbridge Nickel Mines est différente, car la Cour d'appel de l'Ontario ne traitait nullement de dispositions législatives pouvant d'une quelconque manière être considérées comme l'expression d'une intention contraire de la part de l'assemblée législative provinciale. En outre, la Cour d'appel de l'Ontario disait que les faits de l'affaire Falconbridge Nickel Mines représentaient des circonstances exceptionnelles, reconnaissant que, avant la modification, aucun délai n'existait quant à la demande de remboursement en cause. Ce tribunal reconnaissait également que la modification ne prévoyait aucune période transitoire postérieure à la modification et qu'ainsi, si un contribuable avait dépassé le délai à la date d'entrée en vigueur de la modification, il perdait alors immédiatement toute possibilité de demander un remboursement. Dans ces circonstances, le tribunal a conclu que le droit de présenter la demande avait été acquis. La situation en l'espèce aussi est différente, car la modification du paragraphe 261(3) a simplement écourté un délai existant. De plus, la loi modificative prévoyait en fait bel et bien une période de transition en ce qu'un contribuable était en droit de se fonder sur le délai précédent de quatre ans tant que la demande était présentée avant juillet 1998. Par conséquent, si, à la date de la modification, une personne avait dépassé le délai de deux ans mais se trouvait à l'intérieur du délai de quatre ans suivant la date à laquelle de la TPS avait été payée par erreur, cette personne aurait encore jusqu'à deux ans pour demander un remboursement. Cela prouve non seulement que la situation dans l'affaire Falconbridge Nickel Mines se distingue de l'espèce, mais aussi que le législateur a structuré la modification en question de manière à englober tous les scénarios factuels possibles et à ne laisser aucune place pour le maintien de droits acquis. Il ne faut pas présumer que le législateur adopte des lois qui n'ont aucun effet[19]. L'existence d'un droit acquis quant au délai de quatre ans ne peut être conciliée avec le libellé de l'alinéa 71(2)b) de la loi modificative. Donc, si un remboursement en vertu de l'article 261 n'a pas été demandé avant juillet 1998, comme c'est le cas en l'espèce, le nouveau délai de deux ans doit être appliqué. L'appel est rejeté.

Signé à Winnipeg (Manitoba), ce 10e jour d'avril 2001.

" A. A. Sarchuk "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 7e jour de novembre 2001.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-554(GST)I

ENTRE :

JAMES N. ET MONIQUE P. CAIRNS,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 12 juillet 2000 à Vancouver (Colombie-Britannique), par

l'honorable juge A. A. Sarchuk

Comparutions

Pour les appelants :                    Les appelants eux-mêmes

Avocat de l'intimée :                   Me P. Bell

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation de taxe sur les produits et services établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 19 avril 1999 et porte le numéro 982820464129P0003, est rejeté.


Signé à Winnipeg (Manitoba), ce 10e jour d'avril 2001.

" A. A. Sarchuk "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de novembre 2001.

Martine Brunet, réviseure




[1]               C.C.I., no 96-705(GST)G, 27 juillet 1998 ([1998] G.S.T.C. 80).

[2]               Décisions en date du 22 août 2000 (nos de dossier de la Cour 2000-356(GST)I, 2000-604(GST)I et 2000-645(GST)I).

[3]               La demande de remboursement elle-même était datée du 29 septembre 1998.

[4]               Voir L.C. 1997, ch. 10, paragraphes 71(1) et (2).

[5]               C.C.I., no 96-705(GST)G, 27 juillet 1998 ([1998] G.S.T.C. 80).

[6]               [1992] 3 C.F. 363, à la page 375 ([1992] 54 F.T.R. 32, aux pages 38 et 39).

[7]               Diane Hansen et al v. The Queen in right of the Province of British Columbia, as represented by the Minister of Transportation and Highways, 2000 BCCA 338.

[8]               Affaire Altrincham Electric Supply Limited. v. Sale Urban District Council, [1936] 154 L.T. 379, à la page 388, citée par le juge Estey qui l'approuvait, dans l'arrêt Wanklyn et al v. M.N.R., [1953] 2 R.C.S. 58.

[9]        R.S.B.C. 1996, ch. 125. L'article 25 se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Si une demande visant la détermination d'une indemnisation n'est pas faite à la commission dans l'année suivant un paiement fait en vertu de l'article 20, le propriétaire dont le terrain a été exproprié est réputé avoir accepté ce paiement en règlement intégral de sa demande d'indemnisation et il ne peut introduire une instance pour que soit déterminée une indemnisation.

[10]             Voir par exemple l'arrêt Cohen c. La Reine, C.A.F., no A-64-78, 3 juin 1980 (80 DTC 6250).

[11]             Au sujet du délai spécifié au paragraphe 256(3) de la Loi, voir les observations formulées dans l'affaire Domjancic c. La Reine, C.A.F., no A-385-96, 14 avril 1997 ([1997] G.S.T.C. 30), juges Stone et Robertson et juge suppléant Gray, et C.C.I., no 95-2808(GST)I, 13 mars 1996 ([1996] G.S.T.C. 52), juge Hamlyn.

[12]             [1974] R.C.S. 514, à la page 523 (72 DTC 6013, à la page 6017).

[13]             [1972] C.F. 672, à la page 685 (72 DTC 6178, à la page 6185).

[14]             C.C.I., no 94-840(IT)I, 1er mars 1995, à la page 11 (96 DTC 1029, à la page 1034).

[15]             1999-5086(GST)I et 1999-5000(GST)I.

[16]             L.R.C. 1985, ch. I-21, art. 43.

[17]             (1981) 121 D.L.R. (3d) 403 (C.A.).

[18]             C.F. 1re inst., no T-986-87, 28 septembre 1988 (88 DTC 6469).

[19]             Alberta Wheat Pool and Saskatchewan Wheat Pool c. La Reine, C.A.F., no A-835-96, 13 avril 1999, aux pages 17 et 18 (99 DTC 5198, à la page 5203).

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