Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20010419

Dossier: 98-485-IT-I

ENTRE :

MURRAY STEPHEN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]            Les appels en l'instance sont interjetés à l'encontre des cotisations établies pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994, par lesquelles le ministre du Revenu national a refusé la déduction de pertes de 13 914,17 $, de 8 561,81 $ et de 7 795,05 $ dans le calcul du revenu de l'appelant. À l'exception d'une période au cours de laquelle il n'avait pas d'emploi en 1992, l'appelant travaillait à plein temps en tant que mécanicien d'entretien d'établissement. Le motif du rejet est que l'appelant n'exploitait pas une entreprise ou, pour employer l'expression traditionnellement utilisée dans de telles affaires, il n'avait pas " d'attente raisonnable de profit ".

[2]            Selon l'appelant, l'activité qui constitue une entreprise dont il souhaite déduire les pertes dans le calcul de son revenu est la fabrication et la vente d'objets de bois comme des trains et des camions jouets, des animaux, des chevaux à bascule, des ornements pour le jardin et des maisons de poupées.

[3]            La pièce A-4 est un ensemble de photographies de certains des articles que l'appelant a fabriqués. Il est évident que l'appelant est un artisan habile et prolifique.

[4]                 L'appelant a commencé à travailler le bois dans les années 1980. Au début, il s'agissait pour lui d'un passe-temps, mais en 1989, il a décidé d'en faire une activité commerciale.

[5]            Les prétendues hypothèses invoquées dans la réponse à l'avis d'appel sont les suivantes.

                [TRADUCTION]

6. En établissant la cotisation à l'égard de l'appelant, le ministre s'est fondé sur les hypothèses suivantes :

a) pendant toute la période pertinente, l'appelant travaillait à plein temps sauf en 1992 où il a été sans emploi pendant un certain temps au cours de l'année;

b) le travail du bois était le passe-temps de l'appelant. Il a commencé à exercer l'activité quand il a cru être en mesure de fabriquer les jouets illustrés dans les livres de modèles qu'il consultait;

c) depuis le début de l'activité en 1989, l'appelant a déclaré les revenus (pertes) suivants de l'activité, respectivement, à titre de pertes d'entreprise :

1990 1991 1992 1993 1994 1995

Revenu brut ($) 914 3 190 4 747 2 946    2 865 1 660

Dépenses ($) 4 455 13 038 18 661 11 507 10 660 8 200

Perte nette déclarée ($) 3 541 9 838 13 914    8 561 7 795 6 540

d) les recettes déclinantes des ventes brutes relatives à l'activité ne sont que des fractions du coût des biens vendus, ainsi que 30 p. 100 à 50 p. 100 des frais de véhicule à moteur et de la déduction pour amortissement pendant chacune des années d'exploitation :

   1990 1991 1992 1993 1994 1995

Coût des biens vendus ($) 2 688 3 337 6 423 3 041 4 317 2 238

Véhicule à moteur et        5 791 7 710 6 066 4 986 5 032

DPA ($)

e) l'appelant a également déclaré, à titre de dépenses engagées à l'égard de l'activité, des frais de repas et de représentation, des frais de bureau, l'achat de fourniture et de petits outils et la location de kiosques. Le montant total dépensé chaque année pour ces éléments uniquement est supérieur au revenu brut reçu à chaque année d'imposition de l'exploitation;

f) l'appelant n'a conservé aucun document permettant de lier l'usage de l'automobile et les frais de repas à l'activité;

g) la majorité des ventes ont été effectuées dans des expositions d'artisanat. Pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994, l'appelant a participé à 12, 7 et 6 expositions, respectivement;

h) l'appelant n'a fait de la publicité à l'égard de l'activité qu'en 1993, où un montant de 108 $ a été déclaré à cet égard et il n'a fait aucune publicité pour les autres années de 1990 à 1995;

i) l'activité était sous-capitalisée;

j) l'appelant n'avait pas de formation dans le domaine de l'activité;

k) avant de commencer l'activité, l'appelant n'a préparé aucun plan d'affaires afin de déterminer si elle était rentable;

l) l'appelant n'a pas fait de projets en vue d'apporter des changements importants à l'activité depuis le début de l'activité;

m) l'appelant n'avait pas d'attente raisonnable de tirer un profit de l'activité pendant les années d'imposition 1992, 1993 et 1994;

n) les dépenses dont l'appelant demande la déduction à l'égard de l'activité étaient des frais personnels ou des frais de subsistance;

o) les dépenses effectuées n'étaient pas raisonnables dans les circonstances.

[6]            Un grand nombre d'hypothèses sont correctes sur le plan factuel. Certaines ne servent qu'à étoffer l'argumentation. Je suis d'avis que les hypothèses i), j), k) et l) sont singulièrement inacceptables. En particulier, les mots de ces alinéas figurent dans presque toutes les affaires portant sur l'attente raisonnable de profit que j'ai entendues. Ils représentent une récitation machinale de clichés et de stéréotypes qui n'a rien à voir avec l'affaire. Il n'est pas concevable qu'ils aient pu former le fondement factuel des cotisations. Il est évident que la personne qui a rédigé la réponse a extrait sans discernement des phrases d'autres affaires (probablement l'affaire Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480) qui paraissaient bien et les a éparpillés dans la réponse à titre d'hypothèses. On ne soulignera jamais assez qu'en invoquant des hypothèses dans une réponse qui ont pour effet de définir le fardeau qui repose sur l'appelant, l'intimée a la responsabilité importante d'établir honnêtement le véritable fondement de la cotisation et non de concocter des paragraphes passe-partout imaginaires.

[7]            Ceci étant dit, il me reste à décider si les cotisations sont correctes ou non.

[8]            Dans l'affaire Kaye c. La Reine, C.C.I., no 97-2772(IT)I, 9 avril 1998 ([1998] 3 C.T.C. 2248), on a indiqué ce qui suit :

4 Je ne trouve pas particulièrement utile, dans les cas de ce genre, l'utilisation de l'expression rituelle, et je préfère formuler ainsi la question : " Y a-t-il une entreprise véritable? " C'est une question plus générale qui, je crois, revêt plus de sens et qui, du moins en ce qui me concerne, mène à une série de questions et de réponses plus concluantes. Il ne fait pas de doute qu'elle englobe la question du caractère raisonnable de l'attente de profit du contribuable, mais elle va aussi plus loin. Comment peut-on dire qu'un entrepreneur faisant le forage de puits d'exploration a une attente raisonnable de profit et qu'il exploite une entreprise quand on connaît le très faible taux de succès de ce genre d'entreprise? Pourtant, personne ne conteste le fait que les compagnies du genre exploitent une entreprise. C'est le caractère commercial de l'entreprise, révélé par sa structure, qui en fait une entreprise. L'intention subjective de faire de l'argent entre certes en ligne de compte, mais ce n'est pas le facteur déterminant, bien que l'absence d'une telle intention puisse nuire à l'assertion qu'une activité est une entreprise.

5                      On ne peut considérer le caractère raisonnable de l'attente de profit de façon isolée. Il faut se demander : " Est-ce qu'une personne raisonnable qui examine une activité en particulier et applique des normes courantes de gestion d'entreprise affirmerait qu'il s'agit bien d'une entreprise? " Pour répondre à la question, la personne raisonnable fictive examinerait entre autres choses la structure du capital, les connaissances du participant et le temps consacré à l'activité. Elle évaluerait également si la personne qui prétend exploiter une entreprise a procédé de façon ordonnée et méthodique, de la manière dont une personne en affaires procéderait normalement.

6 Cela mène à une autre considération —, soit la question du caractère raisonnable. L'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu traite en particulier du caractère raisonnable des dépenses, mais la notion n'est pas coulée dans le béton. L'article 67 s'applique dans le contexte d'une entreprise et suppose l'existence d'une entreprise. C'est également un des volets de la question visant à déterminer si une activité particulière est une entreprise. Par exemple, on ne peut dire, en l'absence de raisons contraignantes, qu'une personne dépenserait 1 000 000 $ si tout ce dont elle pouvait raisonnablement s'attendre de tirer est un revenu de 1 000 $.

[9]            Je trouve le raisonnement du paragraphe 6 de l'affaire Kaye particulièrement pertinent en l'espèce. Si l'on examine les chiffres des alinéas c) et d) des hypothèses, il est difficile de conclure qu'une personne raisonnable dépenserait de tels montants d'argent afin d'obtenir les recettes modestes produites comme l'indique l'alinéa c).

[10]                 L'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu est fondé sur l'existence d'une entreprise et exige une réduction des déductions dans la mesure où les dépenses ne sont pas raisonnables. Outre l'article 67, le caractère déraisonnable touche la question de l'existence d'une entreprise parce qu'il remet en question le caractère commercial de l'entreprise. Cela est particulièrement vrai lorsque les dépenses dont on demande la déduction sont considérablement disproportionnées par rapport aux recettes, réelles ou raisonnablement prévues. Je crois que cela est vrai en l'espèce alors que les frais de véhicule à moteur, les frais de bureau, la déduction pour amortissement et les frais de déplacement sont des multiples des recettes brutes.

[11]          Il existe d'autres facteurs qui semblent incompatibles avec l'existence d'une entreprise. Les frais d'automobile sont approximatifs. Aucun registre de l'usage professionnel n'a été conservé, et la moitié des dépenses ont été déclarées à titre de dépenses d'entreprise. On peut affirmer la même chose pour les frais de repas et de représentation. La fixation des prix était peu méthodique. Habituellement, il s'agissait du double du coût du matériel sans qu'il soit tenu compte du temps passé à la création d'un article.

[12]          Il existe un élément peu vraisemblable sur le plan commercial quant au fait de dépenser plus de 40 000 $ en matériel, en outils et en déplacement dans l'espoir de réaliser un profit en allant à 25 expositions d'artisanat en trois ans et en vendant pour environ 10 000 $ d'articles.

[13]          Les livres comptables laissent également beaucoup à désirer. Je trouve très étrange que rien ne soit inscrit dans l'état des résultats quant au stock initial ou au stock final. Cela signifierait que l'appelant a vendu au cours de l'année exactement ce qu'il a produit.

[14]          L'avocat de l'appelant me demande de tenir pour avéré le fait que M. Stephen avait l'intention d'exploiter une entreprise. Je n'ai aucune hésitation à le faire. Cela a été largement prouvé. Malheureusement, cela ne suffit pas. Comme le juge en chef Couture l'a déclaré dans l'affaire P. Zolis c. M.R.N., C.C.I., no 85-381(IT), 20 février 1987, aux pages 5 et 6 ([1987] 1 C.T.C. 2199, à la page 2201) :

Les aspirations ou les ambitions qu'un contribuable peut nourrir à l'égard d'une activité qu'il pratique ne sont pas suffisantes en soi pour que l'activité en question puisse être considérée comme une entreprise au sens strict de cette expression dans la législation applicable, aussi authentique que puisse être cette activité.

[15]          L'avocat de l'appelant a admis ouvertement que les dépenses dont la déduction est réclamée n'étaient pas raisonnables, une conclusion que j'aurais probablement tirée de toute façon. Il me demande alors de réduire les dépenses que je considère déraisonnables et il commence par me suggérer de rejeter la DPA relativement au camion. Bien que je loue l'avocat pour sa franchise et l'habileté avec laquelle il a avancé l'argument, je trouve cette solution plutôt arbitraire. Il n'y a réellement pas de fondement en vertu duquel je pourrais recalculer les dépenses afin de les rendre raisonnables par rapport aux recettes produites. Si je le fais, je conclurais probablement que toutes les dépenses dépassant les recettes produites étaient déraisonnables et j'en viendrais donc à la même conclusion en utilisant la voie du caractère raisonnable que si j'avais emprunté la voie de l'attente raisonnable de profit. Comme je l'ai indiqué précédemment, le caractère raisonnable au sein de l'article 67 fonctionne dans le contexte d'une entreprise ainsi, que, du moins dans des cas extrêmes, à l'extérieur du cadre de l'article 67 à l'étape initiale de la détermination de la question de savoir si une entreprise existe. C'est la situation en l'espèce.

[16]          Les appels sont rejetés. Puisque, après avoir commencé l'affaire sous le régime de la procédure générale, l'appelant a choisi de passer à la procédure informelle, il ne sera pas adjugé de dépens.

Signé à Vancouver, Canada, ce 19e jour d'avril 2001.

" D. G. H. Bowman "

J.C.A.

Traduction certifiée conforme ce 5e jour de novembre 2001.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

98-485(IT)I

ENTRE :

MURRAY STEPHEN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 22 mars 2001 à Hamilton (Ontario), par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Avocat de l'appelant :              Me Gerard P. Murphy

Avocate de l'intimée :                Me Sointula Kirkpatrick

JUGEMENT

          Il est ordonné que les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 soient rejetés.

          Il ne sera pas adjugé de dépens.


Signé à Vancouver, Canada, ce 19e jour d'avril 2001.

" D. G. H. Bowman "

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de novembre 2001.

Martine Brunet, réviseure


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.