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Date: 20010420

Dossier: 2000-1643-IT-I

ENTRE :

MARVIN KANT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge O'Connor, C.C.I.

[1]            Le présent appel a été entendu à Sudbury (Ontario) le 23 février 2001.

Les Faits

[2]            Le ministre a établi une cotisation à l'égard de l'appelant au moyen d'un avis daté du 27 septembre 1999 et a inclus un montant de 19 000 $ provenant d'un régime d'assurance-salaire.

[3]            L'appelant a subi un accident d'automobile le 18 octobre 1993 qui l'a rendu invalide d'une manière permanente et incapable de travailler. L'appelant a intenté une action en justice contre Millie Baird, l'automobiliste responsable de l'accident et l'action a été réglée le 10 avril 1997. L'appelant a reçu 490 000 $ pour tous les dommages qu'il a subis, ce qui comprend des dommages-intérêts généraux pour souffrances et douleurs, perte de revenu avant le procès, perte de capacité de gains futurs, dépenses domestiques ainsi que frais pécuniaires.

[4]            L'appelant recevait 950 $ par mois d'un régime d'assurance-salaire de la London Life, Compagnie d'Assurance-Vie (" London Life ") auquel son employeur, Lac Minerals Ltd, avait souscrit. Le jugement de la Cour de l'Ontario (Division générale), daté du 10 avril 1997, prévoit également que :

                                [TRADUCTION]

5. LA COUR ORDONNE ET DÉCLARE qu'à compter de la date du présent jugement, le demandeur, Marvin Kant, détiendra en fiducie pour la défenderesse, Millie Baird, et lui versera le revenu hebdomadaire ou les prestations de revenu pour invalidité prolongée qu'il a reçus ou qu'il doit recevoir de la London Life, Compagnie d'Assurance-Vie et de la Allstate Insurance Company.

6. LA COUR ORDONNE ET DÉCLARE que tous les droits dont le demandeur, Marvin Kant, est titulaire à l'égard du paiement d'un revenu hebdomadaire ou de prestations de revenu pour invalidité prolongée en vertu de polices d'assurance émises par la London Life, Compagnie d'Assurance-Vie et la Allstate Insurance Company sont cédés à la défenderesse.

[5]            L'inclusion des paragraphes susmentionnés découle de l'application du paragraphe 267(1) de la Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, c. I-8, qui est ainsi rédigé :

267. (1) Non-application de la règle de la source incidente. Les dommages-intérêts accordés à une personne dans une instance pour pertes ou dommages résultant directement ou indirectement de l'usage ou de la conduite d'une automobile font l'objet des réductions suivantes :

a) tous les paiements que la personne a reçus ou qui étaient ou sont offerts pour des indemnités d'assurance sans égard à la responsabilité et la valeur actuelle des indemnités d'assurance sans égard à la responsabilité auxquelles elle a droit;

b) tous les paiements que la personne a reçus aux termes d'un régime médical, chirurgical, dentaire, d'hospitalisation, de réadaptation fonctionnelle ou de soins à long terme ou aux termes de la loi et la valeur actuelle des paiements auxquels elle a droit;

c) tous les paiements que la personne a reçus ou qui étaient ou sont offerts pour une perte de revenu aux termes des lois de tout ressort ou aux termes d'un régime de prestations pour le maintien du revenu et la valeur actuelle des paiements auxquels elle a droit;

d) tous les paiements que la personne a reçus aux termes d'un régime de congés de maladie dont bénéficie la personne en raison de sa profession ou de son emploi.

[Je souligne.]

[6]            L'appelant déclare que toutes les prestations reçues jusqu'au 10 avril 1997 ont été déduites du montant accordé et que puisque la valeur actuelle des prestations futures ne pouvait pas être déterminée, on a convenu qu'elles seraient cédées à la défenderesse, Millie Baird. L'appelant affirme que, à l'exception des erreurs commises par la London Life, toutes les prestations de remplacement du revenu ont été versées à Millie Baird aux soins de ses avocats, Smith Lyons. Il déclare qu'en raison d'une erreur commise par la London Life, il a continué de recevoir des paiements de cette dernière du mois de mai 1997 au mois d'avril 1998. L'appelant toutefois ne conteste pas ces montants puisque la London Life a retenu l'impôt à la source.

[7]            À partir du 17 juin 1998, la London Life a versé des paiements à Millie Baird, aux soins de Smith Lyons, mais n'a pas retenu l'impôt. Le seul montant que l'appelant a inclus dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1998 est celui de 4 750 $ pour la période allant du mois de janvier au mois de mai, montant sur lequel l'impôt a été retenu.

[8]            Pour l'année d'imposition 1998, la London Life a fait parvenir un feuillet T4-A à l'appelant pour un montant de 19 000 $ qui, selon l'appelant, était ainsi composé :

a)              paiements reçus par l'appelant du mois de janvier au mois de mai 1998 totalisant 4 750 $;

b)             paiements non reçus par l'appelant du mois de juin au mois de décembre 1998 s'élevant à 6 650 $;

c)              le montant de 7 600 $ qui représente les paiements du mois d'octobre 1997 au mois de mai 1998 duquel l'appelant a déjà reçu le montant de 4 750 $ déjà incus en a) ci-dessus.

[9]            Le ministre déclare que l'appelant avait le droit de recevoir le montant de 19 000 $ au cours de l'année d'imposition de 1998, mais au paragraphe 8 de la réponse, il reconnaît qu'un montant de 4 750 $ a été inclus deux fois. Par conséquent, il semblerait que le montant en litige soit de 14 250 $.

[10]          Le ministre est d'avis que l'appelant a reçu les montants et qu'une réception implicite a eu lieu au cours de l'année d'imposition 1998.

Question en litige

[11]          Il s'agit de savoir si le montant de 14 250 $ devait être inclus dans le revenu de l'appelant pour l'année d'imposition 1998.

[12]          Dans l'appel en l'instance, la nature des paiements ne constituait pas un sujet litigieux. Les deux parties conviennent que les montants en cause constituent des " prestations d'assurance-salaire " ou des " prestations de remplacement du revenu ". L'appelant ne conteste pas non plus le fait que ces paiements devraient normalement être inclus dans le revenu en vertu de l'alinéa 6(1)f) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi ") qui prévoit ce qui suit :

6(1)f) Prestations [versées par un régime privé] d'assurance contre la maladie, etc. — le total des sommes qu'il a reçues au cours de l'année, à titre d'indemnité payable périodiquement pour la perte totale ou partielle du revenu afférent à une charge ou à un emploi, en vertu de l'un des régimes suivants dans le cadre duquel son employeur a contribué :

(i) un régime d'assurance contre la maladie ou les accidents,

(ii) un régime d'assurance invalidité,

(iii) un régime d'assurance de sécurité du revenu;

le total ne peut toutefois dépasser l'excédent éventuel du total visé au sous-alinéa (iv) sur le total visé au sous-alinéa (v) :

(iv) le total des sommes qu'il a ainsi reçues avant la fin de l'année et :

(A) lorsqu'une de ces sommes a été, en vertu du présent alinéa, incluse dans le calcul de son revenu pour une année d'imposition antérieure se terminant après 1971, après cette année,

(B) sinon, après 1971,

(v) le total des cotisations versées par le contribuable dans le cadre du régime avant la fin de l'année et :

(A) lorsqu'il y a eu une année d'imposition antérieure, visée à la division (iv)(A), après cette année,

(B) sinon, après 1967; [Je souligne.]

[13]          L'appelant conteste l'impôt prélevé sur les paiements parce que ces derniers n'ont pas été reçus comme le prescrit l'alinéa 6(1)f) de la Loi. Le terme " reçu " n'est pas défini dans la Loi.

[14]          Dans l'affaire Blais c. M.R.N., 90 DTC 1494 (C.C.I.), qui traitait de l'inclusion de la pension alimentaire en vertu de l'alinéa 56(1)b), le juge Garon, tel était alors son titre, a examiné le sens du terme " reçu " à la page 1496 :

En effet, l'alinéa 56(1)b) décrète l'inclusion dans le revenu du contribuable de " toute somme reçue dans l'année par le contribuable ". De fait, le terme " reçue " comporte l'idée d'être mis en possession de quelque chose. Que la somme soit " payée " ou " reçue ", ces deux termes comportent l'idée d'une opération physique comportant un transfert de fonds.

Il n'est pas sans intérêt de faire remarquer que ni dans l'alinéa 60b) ni dans l'alinéa 56(1)b) le législateur n'a créé de fiction juridique pour étendre la portée des concepts véhiculés par les mots " payée " et " reçue ". Le législateur dans l'alinéa 60b) ne dit pas par exemple, " toute somme payée ou réputée payée ". De même dans l'alinéa 56(1)b) on ne tente pas d'élargir le sens de la notion " reçue " en lui assimilant des opérations qui s'en apparentent. Le législateur a pourtant recours dans bien d'autres dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu à cette technique de rédaction législative. Il l'a fait notamment dans le cas même des pensions alimentaires aux articles 56.1 et 60.1 où il est édicté que certaines sommes sous réserve de certaines conditions, sont réputées avoir été payées au contribuable et reçues par lui pour l'application de certains alinéas des articles 56 et 60. [Je souligne.]

[15]          Bien que l'affaire Blais traite de la pension alimentaire, le libellé est comparable à l'alinéa 6(1)f) puisqu'il fait référence aux " sommes [...] reçues [...] à titre d'indemnité payable périodiquement ". De même, aucune fiction juridique selon laquelle les montants seraient réputés avoir été reçus n'a été créée en l'espèce.

[16]          Peut-on affirmer, dans le présent appel, que l'appelant a tiré un avantage de prestations d'assurance-salaire après le prononcé du jugement de la Cour de l'Ontario daté du 10 avril 1997?

[17]          Le paragraphe 5 du jugement ordonne clairement le paiement de ces prestations à la défenderesse, Millie Baird, et le paragraphe 6 précise que tous les droits dont Marvin Kant est titulaire à l'égard du paiement des montants sont cédés à la défenderesse, Millie Baird.

[18]          À compter du 10 avril 1997, tous les droits ont été cédés, et l'appelant n'avait clairement plus le droit de " recevoir " ces montants ni de continuer d'en tirer des avantages.

[19]          La cession n'était pas volontaire et découlait de l'application de l'article 267 de la Loi sur les assurances. Le droit de la responsabilité civile délictuelle vise principalement à remettre la victime dans sa situation antérieure à l'accident. L'article 267 de la Loi sur les assurances cherche à empêcher la double indemnisation provenant de sources incidentes en réduisant les dommages-intérêts accordés à la suite d'un accident d'automobile de certains montants particuliers provenant d'autres sources. La juge McLachlin, dissidente en partie dans l'arrêt Cunningham c. Wheeler, [1994] 1 R.C.S. 359, a résumé avec justesse aux pages 368 et 369 les principes applicables :

Le principe fondamental est que le demandeur dans une action pour négligence a le droit de recevoir des dommages-intérêts qui le mettront dans la situation où il se serait trouvé n'eût été l'accident, pour autant que cela puisse se faire pécuniairement. Cet objectif a été exprimé dans les anciennes décisions par la maxime restitutio in integrum. [...] Le mot d'ordre est réparation, c'est-à-dire ce qui est nécessaire pour remettre le demandeur dans sa situation antérieure à l'accident. La double indemnisation n'est pas permise.

[20]          Il semble très bien accepté quant à l'interprétation de l'article 267 de la Loi sur les assurances et de ses prédécesseurs que, dans les circonstances où la valeur actuelle des prestations futures ne peut être déterminée, la cession de ces prestations futures constitue la méthode qui donne effet le plus précisément à la règle interdisant la double indemnisation : voir les affaires Sharp v. Hall (1997), 34 O.R. (3d) 24 et Nutikka et al. v. Rental Services Inc. et al. (1996), 31 O.R. (3d) 271. Il s'agit de ce qu'on appelle communément une [TRADUCTION] " ordonnance et une cession en vertu de l'affaire Cox v. Carter " (1976), 13 O.R. (2d) 717.

[21]          En sachant qu'il existe en droit de la responsabilité civile délictuelle une règle qui vise à empêcher la double indemnisation et donc qu'un demandeur obtienne ainsi un avantage inattendu, on peut facilement conclure que l'appelant devait faire un choix. Il devait choisir entre les " prestations d'assurance-salaire " et les dommages-intérêts accordés, mais il ne pouvait pas avoir les deux. Comme la Cour de l'Ontario ne pouvait pas déterminer la valeur actuelle des " prestations d'assurance-salaire " futures afin de les déduire du montant des dommages-intérêts accordés, elle a dû céder tous les droits à ces prestations à la défenderesse.

[22]          Selon l'avocat du ministre, l'affaire Chapman c. R., C.C.I., no 96-2204(IT)G, 30 janvier 1998 (98 DTC 1443) représente l'autorité pour affirmer que les montants devraient être inclus dans le revenu de l'appelant en l'espèce. Dans cette affaire, l'appelante a été blessée dans un accident d'automobile et elle a reçu des prestations de la compagnie d'assurance-invalidité de son employeur et de sa compagnie d'assurance-automobile. Son assurance-automobile couvrait 80 p. 100 du revenu hebdomadaire brut et était réduit des montants reçus de la compagnie d'assurance-invalidité. La compagnie d'assurance-invalidité a cessé le paiement, et l'appelante a cédé ses droits d'action à la compagnie d'assurance-automobile qui a obtenu un montant de la compagnie d'assurance-invalidité. Le ministre a inclus ce montant dans le revenu de l'appelante. Le juge Mogan a rejeté l'appel de la contribuable et a conclu à la réception implicite du montant. Les facteurs à retenir qui se distinguent de ceux de l'espèce, toutefois, sont que le juge a statué que la compagnie d'assurance-automobile avait agi à titre de représentant de l'appelante et que l'assureur avait recouvré des prestations d'invalidité en son nom. En outre, l'appelante avait cédé de plein gré ses droits d'action à la compagnie d'assurance-automobile.

[23]          Dans l'appel en l'instance, tous les droits ont été cédés en vertu du droit et d'une ordonnance de la Cour.

[24]          Le ministre déclare ensuite que les montants ont été reçus de façon implicite en 1998. La réception implicite signifie que même si on ne reçoit pas directement quelque chose, on peut en tirer des avantages du fait qu'il est remis à un tiers ou à quelqu'un d'autre. Le juge Couture, tel était alors son titre, a donné une bonne définition de la " réception implicite " dans l'affaire Markman c. M.R.N., C.C.I., no 87-2192(IT), 3 avril 1989, à la page 4 (89 DTC 253, à la page 255).

Lorsqu'il est question d'un paiement effectué en espèces ou en nature, le principe ne s'applique que lorsqu'un paiement a été fait par un payeur à une partie qui n'est pas le bénéficiaire, mais au profit du bénéficiaire ou pour exécuter une obligation contractée par lui. Comme le sous-entend l'expression " réception implicite ", un paiement doit avoir été effectué et il faut que quelqu'un ait reçu ce paiement avant que l'on puisse invoquer le principe.

[25]          En l'espèce, l'appelant n'a tiré aucun avantage des montants cédés à la défenderesse, Millie Baird. Après le prononcé du jugement de la Cour de l'Ontario, non seulement l'appelant n'a pu recevoir ces montants, mais il n'en a pas non plus tiré avantage. L'appelant avait droit aux dommages-intérêts accordés malgré l'existence des " prestations d'assurance-salaire " qu'il recevait. Par conséquent, je conclus que l'appelant n'a pas " reçu " et ne pouvait pas " recevoir " les montants comme le prévoit l'alinéa 6(1)f) de la Loi. Au lieu de ces montants, l'appelant a reçu les dommages-intérêts accordés qui ne sont pas imposables (Cirella c. La Reine, [1978] 2 C.F. 195 (77 DTC 5442) (C.F. 1re inst.), confirmée par Cunningham c. Wheeler, précité). L'inclusion dans le revenu imposable d'un montant qui sert à réduire les dommages-intérêts alloués équivaut à imposer des dommages-intérêts qui, comme on l'a mentionné, ne sont pas imposables.

[26]          Par conséquent, l'appel est admis.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour d'avril 2001.

" T. O'Connor "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 15e jour de novembre 2001.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-1643(IT)I

ENTRE :

MARVIN KANT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 23 février 2001 à Sudbury (Ontario), par

l'honorable juge Terrence O'Connor

Comparutions

Avocat de l'appelant :                          Me Lorenzo Girones

Avocat de l'intimée :                            Me Pascal Tétrault

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1998 est admis, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour d'avril 2001.

" T. O'Connor "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de novembre 2001.

Martine Brunet, réviseure


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