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Date: 20010912

Dossier: 2000-5112-IT-APP

ENTRE :

MARIA DI MODICA,

requérante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsde l'ordonnance

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'une demande de prorogation de délai pour signifier un avis d'opposition à une cotisation en vertu de l'article 166.2 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi ").

[2]            La question en litige est de savoir si la négligence de l'avocat peut être un motif juste et équitable de faire droit à la demande en vertu de l'article 166.2(5)b) de la Loi.

[3]            Les faits suivants sont admis : la cotisation est en date du 16 mars 2000; le délai prescrit par le paragraphe 165(1) de la Loi se terminait le 14 juin 2000; le 5 juillet 2000, la requérante a envoyé au ministre du Revenu national (le " Ministre ") un avis d'opposition; le 17 juillet 2000, le Ministre avisait la requérante que l'avis d'opposition était irrecevable car déposé après le délai prescrit; le 27 novembre 2000, la requérante a adressé au Ministre une demande de prorogation du délai pour signifier son opposition; le 28 novembre 2000, le Ministre a signifié à la requérante son refus d'accorder une prorogation de délai en vertu du paragraphe 166.1(7) de la Loi; le 20 décembre 2000, la requérante a déposé auprès de cette Cour une demande de prorogation de délai pour signifier son opposition.

[4]            La demande de prorogation se rapporte aux documents y joints, dont la demande de prorogation de délai faite au Ministre. Cette dernière en date du 23 novembre 2000, reçue le 27 novembre, se lit comme suit :

...

Relativement au dossier cité en rubrique et pour faire suite à la vôtre du 17 juillet 2000 retrouvée dans nos dossiers le 21 novembre 2000, la présente est pour vous informer de ce qui suit.

En effet, la présente est pour vous demander une prolongation de délai afin de produire un avis d'opposition, et ce, pour les motifs suivants.

En effet, la personne qui s'occupait du dossier, soit, monsieur Carmelo Nicolo, lorsqu'il a reçu votre missive du 17 juillet 2000, a tout simplement classé la lettre dans le dossier, et ce, sans demander d'instruction à l'avocat responsable au dossier, soit, Me Vincent Chiara.

À cet effet, le dossier fut mis en rappel au 20 novembre 2000, c'est alors que ladite lettre du 17 juillet 2000 fut retrouvée, malheureusement, les délais du 4 août 2000 étant expirés.

Conséquemment, la demande de prolongation de délai de produire un avis d'opposition dans le dossier cité en rubrique ne fut pas faite et ce, à cause de l'erreur des avocats de madame Di Modica.

À cet effet, notre cliente ne devrait pas subir de préjudice suite à l'erreur de ses avocats et devrait être entendue à l'égard de son avis d'opposition.

...

[5]            La requérante a témoigné. Elle a relaté qu'aussitôt qu'elle avait reçu sa cotisation, elle aurait appelé Me Vincent Chiara, se serait rendue à son bureau pour lui apporter les documents et lui aurait demandé de contester la cotisation. Il lui aurait répondu qu'il s'en occuperait. Elle soutient qu'elle aurait téléphoné plusieurs fois à son avocat. Par la suite, elle a reçu d'autres lettres du gouvernement, dont l'une a été déposée comme pièce I-1. Elle est en date du 15 juin 2000 et a comme objet des arriérés d'une cotisation faite en vertu de l'article 160(1) de la Loi. La lettre commence en faisant état qu'il s'agissait du dernier avis à être envoyé.

[6]            L'avocat de la requérante fait valoir que cette dernière a agi avec diligence et qu'elle ne devrait pas être punie pour les lacunes du bureau d'avocats qu'elle avait mandaté. Dans ses observations écrites, il fait valoir que l'erreur d'un avocat peut constituer une impossibilité d'agir. Il se réfère à cet égard à la jurisprudence sous les articles 481.11 et 482 du Code de procédure civile du Québec, qui se retrouve dans l'ouvrage : " Alter Ego, Code de procédure civile du Québec, Complément jurisprudence et doctrine ", par Hubert Reid et Julien Reid, 1999, 15e édition, Wilson et Lafleur.

[7]            Les susdits articles du Code de procédure civile du Québec se lisent comme suit :

481.11    L'inscription pour enquête et audition doit avoir été faite au plus tard 180 jours après la signification de la déclaration et de l'avis. À défaut d'inscription à l'intérieur de ce délai, le demandeur est réputé s'être désisté de sa demande. Ce délai est de rigueur, il ne peut être prolongé que si la partie démontre qu'elle était dans l'impossibilité d'agir.

Le greffier doit refuser de recevoir et de porter au dossier toute inscription faite hors délai.

482          La partie condamnée par défaut de comparaître ou de plaider peut, si elle a été empêchée de produire sa défense, par surprise, par fraude ou par quelque autre cause jugée suffisante, demander que le jugement soit rétracté, et la poursuite rejetée.

[8]            L'avocat de la requérante termine ainsi ses observations écrites :

En conclusion, nous soulignons que madame Di Modica a agi avec diligence, que l'erreur et/ou négligence de son avocat [ne] peut faire perdre les droits de la requérante.

[9]            L'avocat de l'intimé dans ses observations écrites se réfère à la décision de cette Cour dans Garry R. Harris c. M.R.N., 85 DTC 302 et à celle de la Commission de révision de l'impôt dans Antonio Arnone c. M.N.R., [1979] C.T.C. 2006 où le président Cardin dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Toutefois, les comptables agréés du cabinet sont des professionnels. Ils sont des personnes responsables qui se font payer en contrepartie de leurs services et ils devraient également accomplir toutes les tâches qui leur sont conférées. Je ne crois pas à la validité des motifs donnés dans la lettre déposée à l'appui de leur demande. Je les lirai aux fins du jugement :

Je joins des avis d'opposition au nom du contribuable mentionné ci-dessus pour les années d'imposition 1975 et 1976. J'aimerais demander une prolongation du délai de dépôt de ces avis selon les motifs suivants :

1. Le contribuable a communiqué avec moi à l'intérieur du délai prescrit.

2. J'ai communiqué avec le répartiteur responsable, mais il a été impossible de nous rencontrer.

J'arrête ici pour dire que cela ne suffit pas. Le dépôt d'un avis d'opposition est une procédure juridique formelle et il ne peut être remplacé par un appel téléphonique ou une rencontre.

3. Le dossier n'a pas été bien rangé dans mon bureau et, dans la bousculade du temps des Fêtes et de la période de grande activité qui a suivi, je l'ai complètement oublié.

4. Le contribuable avait l'impression que je m'occupais de l'affaire et il ne m'a appelé que lorsque la section du recouvrement a récemment commencé à exercer de la pression sur lui.

Il n'existe aucune raison pour faire droit à la demande formulée dans la lettre de M. Sproule. Rien de ce qu'il a dit ce matin, y compris ce qui concernait son récent mariage, ne peut être considéré comme influant de quelque façon que ce soit sur le dépôt de sa demande et je crois que ce serait rendre un mauvais service aux professionnels de leur donner l'idée qu'il suffit d'informer la Commission d'une erreur commise dans leur cabinet pour que la Cour fasse automatiquement droit à leur demande. Je pense qu'il s'agirait là d'une mauvaise politique. Ce n'est certainement pas la politique suivie par mes collègues de la Commission ni par ceux de la Cour fédérale.

Conclusion

[10]          Le paragraphe 166.2(5) de la Loi se lit comme suit :

Il n'est fait droit à la demande que si les conditions suivantes sont réunies :

a)             la demande a été présentée en application du paragraphe 166.1(1) dans l'année suivant l'expiration du délai par ailleurs imparti pour signifier un avis d'opposition ou présenter une requête;

b)             le contribuable démontre ce qui suit :

(i)             dans le délai par ailleurs imparti pour signifier l'avis ou présenter la requête, il n'a pu ni agir ni charger quelqu'un d'agir en son nom, ou il avait véritablement l'intention de faire opposition à la cotisation ou de présenter la requête,

(ii)            compte tenu des raisons indiquées dans la demande et des circonstances de l'espèce, il est juste et équitable de faire droit à la demande,

(iii)           la demande a été présentée dès que les circonstances le permettaient.

[11]          L'avocat de la requérante s'est référé à la jurisprudence sous l'article 481.11 du Code de procédure civile. Je cite le premier commentaire, à la page 536 de l'ouvrage Alter Ego ci-dessus mentionné :

481.11/1 Le délai de l'article 481.11 C.P. peut être prolongé si la partie démontre qu'elle était dans l'impossibilité d'agir. L'erreur ou la négligence de l'avocat de la partie demanderesse peut, dans certains cas, être assimilée à cette impossibilité d'agir car, selon l'enseignement de la Cour suprême du Canada, une partie ne doit pas être privée de son droit par l'erreur de ses procureurs lorsqu'il est possible de remédier aux conséquences de cette erreur sans injustice à l'égard de la partie adverse. Dans l'évaluation de cette impossibilité d'agir, on doit tenir compte, certes, du dommage causé à la partie qui l'invoque, mais on doit également prendre en considération le préjudice imposé à la partie adverse, la valeur apparente du recours exercé et la distinction qui sépare l'erreur de l'avocat de sa négligence ou de l'erreur inexcusable.

[12]          L'enseignement de la Cour suprême du Canada dont on il est mention au passage ci-dessus est tiré des décisions Cité de Pont-Viau c. Gauthier Manufacturing Ltd., [1978] 2 R.C.S. 516 et Bowen c. Ville de Montréal, [1979] 1 R.C.S. 511. Si on lit les faits de ces affaires, on se rend compte que les circonstances de l'erreur de l'avocat n'étaient d'aucune façon reliées à la négligence ou au laxisme de l'avocat.

[13]          Dans la première affaire, l'inscription en appel avait été faite dans les délais, mais signifiée à des procureurs autres que ceux de la partie intimée. Cette erreur était due à une inscription fautive du protonotaire. Les faits à l'origine sont ainsi relatés par le juge Pratte aux pages 518 et 519 :

Dans les trente jours du jugement de la Cour supérieure, soit le 9 mars 1976, l'appelante a déposé au greffe de la Cour supérieure une inscription en appel à l'encontre de chacun des deux jugements qui avaient été rendus contre elle le 12 février; ces deux inscriptions avaient antérieurement (le 4 mars) été signifiées à Mes O'Brien, Home, Hall, Nolan, Saunders et Associés, qui étaient les avocats de l'Union Canadienne Compagnie d'Assurance, mais ne représentaient pas l'intimée. L'inscription en appel n'a donc été signifiée ni à l'intimée elle-même ni à ses procureurs, ainsi que le requiert l'art. 495 C.p.c.

Cette omission s'explique par le fait que le protonotaire, répétant une erreur commise à la dernière page du jugement de la Cour supérieure, a dans l'avis donné en vertu du deuxième alinéa de l'art. 473 C.p.c., erronément désigné Mes O'Brien, Home, Hall, Nolan, Saunders et Associés, comme les procureurs de l'intimée.

Après l'expiration du délai d'appel, soit le 26 mars 1976, l'intimée faisait signifier à l'appelante [page519] une requête pour rejet d'appel présentable devant la Cour d'appel le 20 avril 1976; dans cette requête, l'intimée faisait valoir que l'appel formé par l'appelante était irrégulier et nul parce que l'inscription n'avait été signifiée ni à l'intimée elle-même ni à ses procureurs.

[14]          Dans la deuxième affaire, l'erreur dont il est question est une erreur de droit qui avait à son origine la complexité des questions à traiter et qui n'avait rien à voir non plus avec le laxisme ou la négligence des avocats. Je cite le résumé du jugement à la page 512 :

L'appelant ne peut réussir sur le moyen que la demande est fondée sur l'enrichissement sans cause et qu'une telle demande n'est pas assujettie à la courte prescription. S'il y a eu enrichissement de la municipalité intimée cet enrichissement n'est pas sans cause, il est le résultat de l'expropriation et de la revente. Si l'expropriation est entachée d'illégalité, l'appelant aurait peut-être pu, si ce n'était de la prescription, obtenir des dommages au lieu de l'annulation de l'expropriation, mais la prescription est un obstacle insurmontable à toute demande de ce genre. Les seules conclusions sur lesquelles l'appelant pouvait espérer réussir étaient donc celles qu'il avait ajoutées par amendement, mais dont il ne parle pas dans son mémoire, c'est-à-dire la demande de nullité de l'expropriation à laquelle seule la prescription de trente ans s'applique. Toutefois, même si l'action directe en nullité était recevable, la Cour ne peut se prononcer sur ces conclusions dans l'état actuel du dossier. On ne peut en effet porter atteinte aux droits de l'acquéreur sans le mettre en cause, ce qu'on paraît avoir oublié de faire. Par contre, en vertu du principe qu'une partie ne peut être privée de son droit par l'erreur de ses procureurs, lorsqu'il est possible de remédier aux conséquences de cette erreur sans préjudice à la partie adverse, il y a lieu de permettre à l'appelant de faire les procédures nécessaires pour faire adjuger sur ses conclusions en nullité de l'expropriation sur lesquelles les cours d'instance inférieure ne se sont pas prononcées.

[15]          Il faut noter en premier lieu que la lettre du 23 novembre 2000, dont le texte est reproduit au paragraphe [4] de ces motifs, et qui serait censée donner les raisons pour lesquelles la personne n'a pas pu agir dans le délai imparti par le paragraphe 165(1) de la Loi, est muette à ce sujet. Ceci est contraire à ce qui est exigé par l'alinéa 166.2(5)b)(i) de la Loi. En deuxième lieu, il y a admission dans les notes de l'avocat qu'il y a eu négligence de la part des avocats et aucun des avocats en cause n'est venu témoigner pour expliquer sa conduite ainsi que les événements de cette affaire. Cette absence de témoignage a aussi comme résultat qu'il n'y a pas de confirmation des affirmations de la requérante que cette dernière voulait en appeler de la cotisation dans les 90 jours qui ont suivi la cotisation.

[16]          Je suis d'avis que l'erreur de l'avocat peut être un motif juste et équitable d'accorder une prolongation du délai si l'avocat a par ailleurs exercé la diligence normale d'un avocat. Je ne crois pas que l'état du droit soit tel que la négligence ou le laxisme de l'avocat puissent être des motifs justes et équitables au sens de l'alinéa 166.2(5)b)(ii) de la Loi pour accorder la prolongation demandée.

[17]          La demande est rejetée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de septembre 2001.

" Louise Lamarre Proulx "

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :                        2000-5112(IT)APP

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                 Maria Di Modica et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    Le 2 mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :               L'hon. juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :                                      Le 12 septembre 2001

COMPARUTIONS :

Avocat de la requérante :                                    Me Michel Décoste

Avocat de l'intimée :                                            Me Claude Lamoureux

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour la requérante :

                                Nom :                       Me Michel Décoste

                                Étude :                     Chiara & Associés

                                                                                Montréal (Québec)

Pour l'intimé(e) :                                    Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

2000-5112(IT)APP

ENTRE :

MARIA DI MODICA,

requérante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Demande entendue le 2 mai 2001 à Montréal (Québec) et

dernière plaidoirie écrite produite à Ottawa (Ontario) le 8 juin 2000

l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions

Avocat de la requérante :                               Me Michel Décoste

Avocat de l'intimée :                                     Me Claude Lamoureux

ORDONNANCE

      Vu la demande faite en vue d'obtenir une ordonnance prolongeant le délai dans lequel l'avis d'opposition à l'égard de la cotisation portant le numéro 24413 et datée du 15 mars 2000, établie en vertu Loi de l'impôt sur le revenu peut être signifié;

      La demande est rejetée selon les motifs de l'ordonnance ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de septembre 2001.

" Louise Lamarre Proulx "

J.C.C.I.

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