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       Date: 20010320

Dossier: 2000-3619-EI

ENTRE :

JUDY A. STEEVES,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifsdu jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]            Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre d'une décision du ministre du Revenu national selon laquelle l'appelante n'exerçait pas un emploi assurable chez Steeves' Ranch Ltd. Toutes les actions de Steeves' Ranch Ltd. (la " payeuse ") étaient la propriété de la belle-mère de l'appelante, Elizabeth Steeves. Roger Steeves, l'époux de l'appelante, en était le président.

[2]            L'appelante avait évidemment un lien de dépendance avec la payeuse, et ces dernières étaient liées. Par conséquent, son emploi était un emploi exclu aux fins de l'article 5 de la Loi sur l'assurance-emploi, à moins que le ministre du Revenu national ne soit convaincu :

qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[3]            La Cour d'appel fédérale a déclaré à plusieurs reprises que les mots " si le ministre [...] est convaincu [...] " accordent à ce dernier une forme de pouvoir administratif discrétionnaire et qu'un processus en deux étapes est nécessaire dans les appels interjetés à l'encontre d'une telle décision.

[4]            La première étape consiste à décider si le pouvoir discrétionnaire a été correctement exercé. Dans l'affirmative, la cour n'a pas le droit de substituer son jugement à celui du ministre.

[5]            Il faut poser des questions comme les suivantes à cette première étape : le ministre a-t-il tenu compte de tous les faits pertinents?; A-t-il fondé sa décision sur des faits qu'il n'aurait pas dû prendre en considération?; S'est-il servi d'un principe de droit erroné?; A-t-il observé les principes de justice naturelle comme celui du audi alteram partem?; le pouvoir discrétionnaire a-t-il été exercé de façon arbitraire?; A-t-il fondé sa décision sur des faits qui sont erronés?

[6]            Dans des affaires de ce genre, généralement, l'appelant ou le demandeur prend connaissance pour la première fois du fondement de la décision du ministre à la lecture de la réponse à l'avis d'appel où l'intimé fait valoir des " hypothèses " de la même manière qu'il le ferait dans un appel ordinaire en matière d'impôt sur le revenu. Il ne s'agit pas du tout d'un appel ordinaire en matière d'impôt sur le revenu. Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre de ce que la Cour d'appel fédérale qualifie de pouvoir administratif discrétionnaire qui soulève nombre de considérations d'ordre juridique.

[7]            Dans ces affaires, la personne qui aurait exercé le pouvoir discrétionnaire est rarement appelée à témoigner. Nous ne connaissons pas le nom ou le titre de la personne et ne pouvons d'aucune manière savoir si elle avait le pouvoir d'agir ainsi.

[8]            Aussi peu satisfaisante que puisse être la situation, je dois examiner l'affaire telle qu'elle m'est présentée.

[9]            Le paragraphe 8 de la réponse présente les faits sur lesquels le ministre aurait exercé son pouvoir discrétionnaire. Il est ainsi rédigé :

                                [TRADUCTION]

8.              Lorsqu'il a pris sa décision, l'intimé s'est fondé sur les faits suivants :

a)              la payeuse a été constituée en personne morale dans la province du Nouveau-Brunswick le 23 avril 1986;

b)             pendant toute la période pertinente, Elizabeth Steeves, la belle-mère de l'appelante, était l'unique actionnaire de la payeuse;

c)              Elizabeth Steeves est décédée en mars 1999;

d)             pendant toute la période pertinente, Roger Steeves, le fils d'Elizabeth Steeves et l'époux de l'appelante, était le président et l'unique administrateur de la payeuse et d'une société affiliée, Canadian Syrup Inc.;

e)              Roger Steeves était responsable de l'exploitation quotidienne et prenait toutes les décisions d'entreprise pour la payeuse et Canadian Syrup Inc.;

f)              la payeuse et Canadian Syrup Inc. poursuivaient leurs opérations pendant toute l'année sans variation saisonnière;

g)             les revenus de la payeuse provenaient d'un contrat de distribution postale conclu avec Postes Canada et de la location d'une partie de ses 400 acres de terre à Canadian Syrup Inc. et à une société non liée, Hilltop Hog Ltd.;

h)             l'appelante a été embauchée par la payeuse au poste de chef de bureau;

i)               les fonctions que l'appelante remplissait pour la payeuse comprenaient la livraison du courrier en vertu du contrat conclu avec Postes Canada, la perception des loyers et le traitement des plaintes de Canadian Syrup Inc. et de Hilltop Hog Ltd., l'entretien des immeubles et du terrain, ce qui signifiait l'embauche d'entrepreneurs ou d'employés d'entretien, la tonte du gazon et l'enlèvement de la neige;

j)               les fonctions que l'appelante remplissait pour Canadian Syrup Inc. comprenaient la lessive, le nettoyage du bureau, le fait de répondre au téléphone, les relations avec les clients et les fournisseurs, l'entrée des factures dans l'ordinateur de la payeuse, les comptes créditeurs et les comptes débiteurs et le travail général de bureau;

k)              des 64 semaines civiles comprises dans la période en litige, l'appelante a été inscrite sur la feuille de paye de la payeuse pendant 21 semaines à 120 $ par semaine, pendant 4 semaines à 360 $ par semaine, et pendant 39 semaines à 480 $ par semaine;

l)               l'appelante a en grande partie rempli les mêmes fonctions pendant chacune des 64 semaines civiles comprises dans la période en litige;

m)             l'appelante recevait des prestations d'assurance-emploi pendant les 21 semaines au cours desquelles la payeuse lui versait 120 $;

n)             pendant les 28 semaines précédant la période en litige, l'appelante recevait des prestations d'assurance-emploi et la payeuse ne lui versait pas de salaire complet ou partiel;

o)             avant la période en litige, l'appelante a fourni des services à la payeuse sans rémunération;

p)             pendant les 6 semaines suivant la période en litige, l'appelante attendait ou recevait des prestations d'assurance-emploi et la payeuse ne lui versait pas de salaire complet ou partiel;

q)             après la période en litige, l'appelante a fourni des services à la payeuse sans rémunération;

r)              l'appelante n'a pas reçu de salaire complet ou partiel pendant les périodes où la payeuse n'avait pas les sommes nécessaires pour la payer;

s)              c'est la situation financière de la payeuse plutôt que la somme de services fournis par l'appelante qui déterminait si l'appelante serait inscrite sur la feuille de paye et combien elle recevrait;

t)              l'appelante était liée à la payeuse au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

u)             l'appelante avait un lien de dépendance avec la payeuse;

v)             il n'est pas raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités de l'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que l'appelante et la payeuse auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[10]          Le simple exposé de l'affaire est qu'aucun des faits invoqués, individuellement ou de façon cumulative, ne soutient la conclusion qu'aurait tirée le ministre à l'alinéa v). Les activités de la société, Steeves' Ranch Ltd., étaient gérées par l'époux de l'appelante, Roger Steeves. Celui-ci avait créé une sorte de produit de substitution au sirop d'érable et, pour en promouvoir la vente partout dans le monde, il devait s'absenter pendant de longues périodes en Europe et en Extrême-Orient. Il avait besoin de quelqu'un en qui il avait confiance pour faire marcher l'entreprise pendant ses absences, et son épouse, l'appelante, représentait un choix logique.

[11]          En général, l'appelante était inscrite sur la feuille de paye lorsque son époux était absent et lorsqu'il se trouvait à la maison et qu'il n'avait pas besoin d'elle, elle n'y figurait plus. Parfois, elle travaillait lorsqu'on avait besoin d'elle même si son époux était à la maison.

[12]          La Couronne a semblé accorder une certaine importance au fait qu'elle répondait parfois au téléphone même si elle n'était pas inscrite sur la feuille de paye. Je considère que ce fait est négligeable dans l'ensemble. Il ne s'agit certainement pas d'une raison pour exercer le pouvoir discrétionnaire contre l'appelante.

[13]          Ce qui semble avoir posé un problème à l'intimé est que l'appelante était parfois inscrite sur la feuille de paye et parfois elle ne l'était pas, et qu'elle travaillait parfois 40 heures par semaine, parfois 10 heures par semaine et parfois 30 heures par semaine. L'alinéa k) des prétendues hypothèses était correct, les alinéas l), r) et s) ne l'étaient pas, selon la preuve.

[14]          C'est le seul fondement sur lequel on a tenté de confirmer l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Il ne s'agit pas d'un fondement valable. La preuve révèle clairement que l'appelante a travaillé lorsqu'on avait besoin d'elle. Elle travaillait à plein temps lorsque son époux était absent et à l'occasion à temps partiel lorsqu'il était à la maison. Cela paraît représenter une entente commerciale parfaitement normale. Ce qui aurait été anormal aurait été le fait pour l'époux de garder son épouse inscrite sur la feuille de paye même lorsqu'il n'avait pas besoin d'elle.

[15]          Je conclus que le pouvoir discrétionnaire a été exercé en fonction de faits qui étaient erronés ou qui ne justifiaient pas la conclusion à laquelle est parvenue le ministre. En conséquence, l'exercice du pouvoir discrétionnaire doit être annulé.

[16]          J'en viens maintenant à la deuxième partie de l'affaire : de quelle manière cette cour devrait-elle décider de la question de l'article 5 de la Loi sur l'assurance-emploi? Je n'ai aucune hésitation à dire qu'il est raisonnable de conclure, selon les éléments de preuve présentés par M. et de Mme Steeves, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que l'appelante et la payeuse auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[17]          Sa paye (12 $ l'heure) était raisonnable et n'a pas été contestée. Le travail était important, en fait essentiel, pour les sociétés auxquelles elle rendait des services. Elle a travaillé lorsqu'on avait besoin d'elle. La pièce A-1, les exigences du poste de chef de bureau, précisait exactement quelles étaient ses fonctions. Certaines d'entre elles ont changé pendant la période en litige après que la payeuse se fut départie de certains biens. Cela n'est pas anormal dans le contexte de l'entreprise de la payeuse, particulièrement compte tenu des longues absences du président.

[18]          L'appel est accueilli et la décision du ministre selon laquelle l'appelante n'exerçait pas un emploi assurable pendant la période en litige est annulée.

Signé à Hamilton, Canada, ce 20e jour de mars 2001.

" D. G. H. Bowman "

J.C.A.

Traduction certifiée conforme ce 26e jour de septembre 2001.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-3619(EI)

ENTRE :

JUDY A. STEEVES,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 6 mars 2001 à Moncton (Nouveau-Brunswick), par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Représentant de l'appelante :                Roger Steeves

Avocats de l'intimé :                            Me Christa MacKinnon

                                                          Me John Bodurtha

JUGEMENT

          Il est ordonné que l'appel interjeté à l'encontre de la décision du ministre du Revenu national rendue conformément à la Loi sur l'assurance-emploi selon laquelle l'appelante n'exerçait pas un emploi assurable pendant la période en litige soit accueilli et que la décision soit annulée.


Signé à Hamilton, Canada, ce 20e jour de mars 2001.

" D. G. H. Bowman "

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de septembre 2001.

Martine Brunet, réviseure


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