Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20000824

Dossier: 1999-3668-IT-I

ENTRE :

MARIELLE LAMARRE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            L'appel a trait à l'imposition d'une pénalité imposée pour l'année d'imposition 1996.

[2]            L'article 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi ") portant sur l'imposition de pénalités se lit comme suit :

(2) Faux énoncés ou omissions — *Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé " déclaration " au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d'imposition pour l'application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants :

a) l'excédent éventuel du montant visé au sous-alinéa (i) sur le montant visé au sous-alinéa (ii) :

(i) l'excédent éventuel de l'impôt qui serait payable par cette personne pour l'année en vertu de la présente loi sur le montant qui serait réputé par le paragraphe 120(2) payé au titre de cet impôt pour l'année, s'il était ajouté au revenu imposable déclaré par cette personne dans la déclaration pour l'année la partie de son revenu déclaré en moins pour l'année qu'il est raisonnable d'attribuer au faux énoncé ou à l'omission et si son impôt payable pour l'année était calculé en soustrayant des déductions de l'impôt payable par ailleurs par cette personne pour l'année, la partie de ces déductions qu'il est raisonnable d'attribuer au faux énoncé ou à l'omission,

(ii) l'excédent éventuel de l'impôt qui aurait été payable par cette personne pour l'année en vertu de la présente loi sur le montant qui aurait été réputé par le paragraphe 120(2) payé au titre de cet impôt pour l'année, si l'impôt payable pour l'année avait fait l'objet d'une cotisation établie d'après les renseignements indiqués dans la déclaration pour l'année;

[3]            La preuve a établi que la Gendarmerie royale du Canada (" G.R.C. ") avait initié une enquête policière concernant de possibles anomalies ou irrégularités dans le traitement de certains dossiers où le bureau de " Ratelle et Associés Redressement financier " (" Ratelle ") avait été impliqué.

[4]            Au départ, l'enquête visait essentiellement certaines pratiques et liens de Ratelle avec un bureau de syndic.

[5]            Dans le cadre de cette enquête, il fut constaté que certains contribuables avaient possiblement profité d'avantages fiscaux dont les fondements étaient fictifs. À partir de ce constat, l'enquête est devenue conjointe avec Revenu Canada.

[6]            Très rapidement, les enquêteurs de la G.R.C. et de Revenu Canada ont découvert qu'il y avait quelques centaines de dossiers contenant de fausses et mensongères informations; ils ont, en effet, identifié plusieurs raisons sociales fictives dont les noms figuraient aux déclarations de revenus de plusieurs personnes.

[7]            Conséquemment, ils ont décidé de rencontrer tous les individus concernés ou associés aux entreprises présumées fictives dans le but de faire la lumière sur l'ensemble de ces dossiers.

[8]            Ratelle se définissait comme des redresseurs financiers. Agressif sur le plan de la publicité, Ratelle ciblait des groupes de travailleurs oeuvrant généralement pour la même entreprise et ayant des revenus élevés. La sollicitation se faisait au moyen de lettres circulaires, d'envois par télécopieur et encore plus efficace, de bouche à oreille.

[9]            Diverses tactiques étaient utilisées; il semble que Ratelle soutenait que tout contribuable avait le droit à une exemption d'impôt totale une fois durant sa vie. À d'autres, ce qui semblait plus accrocheur, il se présentait comme expert en redressement financier; à ce titre, il soutenait avoir de nombreux clients et entreprises en difficultés qui ne pouvaient pas se prévaloir de pertes légitimes, lesquelles pouvaient être transférées à l'avantage des cessionnaires moyennant un pourcentage en fonction des bénéfices obtenus.

[10]          Dans les faits, Ratelle préparait les déclarations de revenus de clients à la recherche d'un remboursement d'impôt et opposait aux revenus de ces derniers soit une perte d'entreprise, soit une perte au titre de placement d'entreprise. Dans les deux cas, il s'agissait de pertes fictives.

[11]          Les clients de Ratelle n'obtenaient aucun document ou preuve de nature à démontrer le bien-fondé de la perte réclamée. Généralement, Ratelle exigeait le montant de ses honoraires pour la préparation du rapport d'impôt. Dans un deuxième temps, les bénéficiaires de la perte fictive payaient à Ratelle un pourcentage établi en fonction du retour d'impôt obtenu.

[12]          En l'espèce, l'appelante a réclamé une perte brute au titre d'un placement d'entreprise au montant de 25 659 $ soit un montant déductible de 19 244,25 $. Il s'agit là d'un montant substantiel opposable à ses revenus de 38 203,13 $.

[13]          La perte fictive réclamée a généré un retour d'impôt fédéral de 3 877,74 $. Il s'agit là de montants considérables qui auraient alerté toute personne raisonnable, d'autant plus que la perte n'était ni soutenue ni appuyée d'une pièce justificative. Comment imaginer qu'une personne modérément avisée ait pu croire en la légitimité d'un pareil scénario. La seule explication plausible a sans doute été que l'appelante a conclu n'avoir rien à perdre et qu'advenant un problème, elle n'aurait qu'à en imputer le blâme et la responsabilité à Ratelle.

[14]          De fait, il peut exister des abris fiscaux, des dépenses admissibles, des exemptions, des pertes, etc. qui ont pour effet de réduire le fardeau fiscal d'un contribuable en autant cependant qu'il s'agisse de faits, de chiffres, d'opérations véritables et non pas inventés de toutes pièces, auxquels cas, il s'agit essentiellement de fraude.

[15]          L'appelante a soutenu avoir toujours été de bonne foi; elle a affirmé croire que Ratelle était une entreprise responsable et fiable. Elle a ajouté que selon ses connaissances et expérience, il existait de nombreux abris fiscaux permettant de réduire sensiblement son fardeau fiscal.

[16]          L'appelante a admis avoir été à la recherche d'un abri fiscal, donnant à titre d'exemples diverses expériences qu'elle avait vécues dans le domaine immobilier.

[17]          Le fait d'avoir recours à un expert ou à quelqu'un qui se présente comme tel, n'excuse en rien le seul véritable responsable d'une déclaration qui le ou la concerne.

[18]          L'appelante a signé une déclaration de revenus qui contenait des renseignements faux et mensongers, elle ne peut pas prétendre que cela a été fait à son insu. Elle avait l'obligation de s'assurer que toutes les informations et renseignements contenus dans sa déclaration étaient véridiques. D'ailleurs, elle a signé formellement sa déclaration pour l'année en cause.

[19]          Connaissant la décision Desrochers c. Canada, [1999] A.C.I. no 879 de l'honorable juge Dussault de cette Cour où la firme Ratelle était aussi impliquée, l'appelante a soutenu que son dossier était différent en ce que sa bonne foi ne pouvait être mise en doute. D'autre part, elle a indiqué que les faits de son dossier étaient différents et particuliers et non comparables à ceux de l'affaire Desrochers.

[20]          Il m'apparaît important de reproduire un extrait de ce jugement où l'honorable juge Dussault s'exprimait comme suit :

...

Je vous ai lu l'article 163(2), vous voyez que ... la faute lourde ou le fait d'agir sciemment c'est lorsqu'on fait une déclaration, c'est à ce moment-là qu'il est pertinent d'analyser les choses.

Évidemment, les facteurs subséquents peuvent être des indices qu'il y avait ou non bonne foi. Il a été depuis longtemps établi en jurisprudence que le traitement accordé par Revenu Canada à d'autres contribuables n'est pas pertinent pour décider d'un dossier. Et c'est exactement le cas, ici, la preuve qui a été faite était dans votre dossier et la loi m'oblige à m'en tenir à cette preuve.

En terminant je veux simplement faire remarquer que rencontrer l'enquêteur uniquement après que toute l'affaire est déjà dans les journaux et alors que vous aviez été averti à deux reprises au préalable qu'il s'agissait d'un cas de fraude, ce n'est pas tout à fait ce qu'on appelle une divulgation volontaire susceptible de démontrer votre bonne foi. Encore là, lorsque vous avez été mis au courant de l'enquête vous avez préféré vous tourner vers ceux qui étaient visés plutôt que vers quelqu'un d'indépendant.

...

[21]          Effectivement, chaque dossier est un cas d'espèce et surtout lorsqu'il est question de pénalité et d'appréciation de bonne foi.

[22]          La preuve a abondamment fait état des faits et circonstances ultérieurs à la production de la déclaration. Lors de l'enquête menée conjointement par Revenu Canada et la G.R.C., plusieurs tentatives ont été initiées pour rencontrer les personnes concernées par les renseignements possiblement mensongers. Certains auraient rapidement collaboré, d'autres moins et certains pas du tout.

[23]          L'appelante a fourni toute une série d'explications pour justifier son comportement lors de l'enquête. Le Tribunal n'accorde pas beaucoup d'importance à cette phase du dossier puisqu'il s'agissait de faits postérieurs à la signature de sa déclaration.

[24]          La jurisprudence a indiqué à quelques reprises que les faits postérieurs à la production d'une déclaration avaient une importance secondaire en ce qu'ils pouvaient essentiellement contribuer à mieux comprendre les faits et éléments disponibles au moment de la signature de la déclaration.

[25]          En l'espèce, l'appelante, convaincue du bien-fondé de ses prétentions au moment de sa déclaration, a choisi de demeurer sur ses positions et s'en remette à Ratelle pour qu'il règle son dossier.

[26]          Le fait de soutenir, jusqu'à la fin, avoir été de bonne foi ne dilue, n'excuse ou ne bonifie en rien la faute objective, réelle et surtout lourde commise lors de la production de sa déclaration de revenus.

[27]          La déclaration qui a été signée contenait-elle de fausses et mensongères informations ?

[28]          Les informations transmises étaient-elles appuyées et soutenues par des documents véridiques et valables ?

[29]          Y avait-il des faits susceptibles d'alerter ou de rendre suspect le scénario proposé par Ratelle ?

[30]          Y avait-il eu un déboursé réel ou un engagement formel quant au paiement d'une considération définie pour valider la transaction alléguée de laquelle originaient les pertes réclamées ?

[31]          Ratelle proposait un scénario axé sur une seule considération. La réduction du fardeau fiscal selon les goûts et besoins de l'intéressé. La façon d'y arriver était laissée à sa discrétion.

[32]          Selon la preuve, il s'agissait d'acheter une ou des pertes dont les détenteurs ne pouvaient se prévaloir. Acheter un bien, un titre sous-entend l'obligation de payer une contrepartie que les parties négocient, discutent pour finalement s'entendre au moment de la transaction tout en prévoyant des modalités de paiement. Une transaction qui n'est ni réelle ni véritable ne peut pas générer d'effets et encore moins de bénéfices fiscaux.

[33]          En l'espèce, aucun déboursé significatif n'était fait et le paiement de la considération était conditionnelle au remboursement éventuel, tout en étant fonction du montant remboursé. Ainsi les intéressés, dont l'appelante, n'auraient rien remboursé dans l'hypothèse d'un non retour d'impôt.

[34]          Cette seule réalité faisait en sorte qu'il n'y avait pas de perte possible; bien au contraire, sans aucun déboursé ni quelconque risque de perte, il y avait enrichissement.

[35]          Comment est-il possible pour une personne moyennement responsable et raisonnable de penser ou croire sans se questionner qu'un tel scénario puisse être régulier, légitime ou sans reproche ?

[36]          Au lieu de s'interroger et de faire certaines vérifications élémentaires auprès des personnes qualifiées et indépendantes, l'appelante a préféré croire et s'en remettre essentiellement à l'organisation peu scrupuleuse qui était en situation évidente de conflit d'intérêts et tirait avantage de la situation; en effet plus la fraude était importante, plus le retour était important et significatif et cela tant pour Ratelle que pour le contribuable.

[37]          Le fait que Ratelle ait soutenu que le tout était régulier et légal ne suffit certainement pas pour conclure que les intéressés pouvaient être de bonne foi et sans reproche. Cela justifie peut-être un recours en responsabilité contre Ratelle mais n'excuse en rien la fausseté des renseignements fournis à l'intimée lors de la déclaration de revenus.

[38]          Les faits et circonstances précédant la production de la déclaration de revenus sont tels qu'une personne raisonnable, normalement prudente et sérieuse n'aurait pas accepté d'associer son nom à un stratagème aussi boiteux et farfelu.

[39]          L'appât d'un gain facile a fait en sorte que l'appelante a préféré fermer les yeux et prendre un risque en se disant qu'elle n'avait rien à perdre.

[40]          Dans l'hypothèse d'un refus d'accepter les pertes réclamées, l'appelante croyait qu'elle pourrait faire porter le blâme exclusivement sur Ratelle et soutenir qu'il s'agissait d'un expert reconnu à qui elle pouvait et devait faire confiance.

[41]          L'imputabilité des renseignements fournis dans une déclaration de revenus incombe au signataire de la déclaration et non au mandataire qui l'a complétée, peu importe ses compétences ou qualifications.

[42]          L'intimée était pleinement justifiée d'imposer la pénalité; la preuve a largement établi que l'appelante avait fait sciemment un énoncé dans sa déclaration d'impôt de l'année 1996 qui équivalait à une faute lourde.

[43]          Conséquemment l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada ce 24e jour d'août 2000.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        1999-3668(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 Marielle Lamarre c Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :    le 8 juin 2000

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                      le 24 août 2000

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :                  L'appelante elle-même

Avocate pour l'intimée :      Me Suzanne Morin

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelante:

                                Nom :                      

                                Étude :                    

                                                                               

Pour l'intimée :                       Morris Rosenberg

                                                Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa, Canada

1999-3668(IT)I

ENTRE :

MARIELLE LAMARRE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 8 juin 2000, à Montréal (Québec), par

l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Pour l'appelante :                                L'appelante elle-même

Avocate pour l'intimée :                       Me Suzanne Morin

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1996 est rejeté, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour d'août 2000.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.