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Date: 20000824

Dossier: 97-128-IT-G

ENTRE :

SYLVIE TREMBLAY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel d'une cotisation portant le numéro 08750, émise le 31 août 1995. Le ministre du Revenu national (le " Ministre ") a établi la cotisation au montant de 33 936,77 $ en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi "), le tout conséquemment à un transfert de fonds par la compagnie " Denis Côté Entrepreneur Peintre Inc. " à l'appelante, entre le 5 juillet 1988 et le 6 septembre 1990.

[2]            L'intimée soutient que les transferts de fonds au montant de 37 310,93 $ ont été faits sans aucune contrepartie par l'appelante.

[3]            En date du 31 août 1995, la dette fiscale de la compagnie " Denis Côté Entrepreneur Peintre Inc. " à l'endroit du Ministre était de 33 936,77 $, le tout incluant impôt, intérêts et pénalités.

[4]            Pour établir la cotisation, le Ministre a tenu pour acquis les faits suivants :

a)              l'appelante, au cours des années d'imposition 1988, 1989 et 1990, était l'épouse de monsieur Denis Côté;

b)             monsieur Denis Côté, au cours des années d'imposition 1988, 1989 et 1990, était l'unique actionnaire de la société " Denis Côté Entrepreneur Peintre Inc. ";

c)              entre le 5 juillet 1988 et le 6 septembre 1990, " Denis Côté Entrepreneur Peintre Inc. " a transféré de l'argent provenant de revenus non déclarés par celle-ci dans le compte de banque personnel de l'appelante portant le numéro 2478 de la Caisse populaire St-Marc de Bagotville, le tout pour un montant total de 37 310,93 $;

d)             ce transfert de fonds au montant de 37 310,93 $ a été fait sans aucune contrepartie par l'appelante;

e)              en date du 3 septembre 1992, le Ministre du Revenu national a fixé, par avis de nouvelle cotisation, le montant d'impôt, pénalités et intérêts dont " Denis Côté Entrepreneur Peintre Inc. " lui était redevable pour chacune de ses années d'imposition se terminant le 31 mai 1988, 31 mai 1989 et le 30 novembre 1989, de la manière suivante :

Année                                     Impôt                       Pénalités                                 Intérêts Total

d'imposition

____________________________________________________________

31 mai 1988                             1 277 $    1 780,00 $                                1 966,63 $                5 023,63 $

31 mai 1989                             6 023 $    2 611,34 $                                4 097,40 $                12 731,74 $

30 nov.1989                            4 263 $    2 026,00 $                                2 322,56 $                8 611,56 $

TOTAL                   11 563 $                 6 417,34 $                              8 386,59 $              26 366,93 $

f)              en date du 31 août 1995, la dette fiscale dont était redevable " Denis Côté Entrepreneur Peintre Inc. " au Ministre du Revenu national totalisait la somme de 33 936,77 $, en impôt pénalités et intérêts.

[5]            La question en litige consiste à décider si l'appelante est redevable d'un montant de 33 936,77 $ en vertu de l'article 160 de la Loi.

160. Transfert de biens entre personnes ayant un lien de dépendance.

                (1)            Lorsqu'une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon à l'une des personnes suivantes :

a)             son conjoint ou une personne devenue depuis son conjoint;

b)             une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

c)              une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

les règles suivantes s'appliquent :

d)             le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d'une partie de l'impôt de l'auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d'imposition égale à l'excédent de l'impôt pour l'année sur ce que cet impôt aurait été sans l'application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l'article 74 de la Loi de l'impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts révisés du Canada de 1952, à l'égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l'égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

e)              le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d'un montant égal au moins élevé des montants suivants :

                (i)             l'excédent éventuel de la juste valeur marchante des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

                (ii)            le total des montants dont chacun représente un montant que l'auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l'année d'imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d'une année d'imposition antérieure ou pour une de ces années;

                aucune disposition du présent paragraphe n'est toutefois réputée limiter la responsabilité de l'auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

[6]            L'appelante et son conjoint ont témoigné au soutien de l'appel. La preuve a révélé que l'appelante avait une formation en secrétariat et des connaissances selon elle, limitées en matière d'administration; elle a mentionné avoir fait des études pour devenir agente immobilière.

[7]            Conjointe de monsieur Denis Côté, elle a fait l'acquisition en 1977 de la résidence familiale, à titre de propriétaire unique; contrairement à son époux, elle bénéficiait de revenus stables et réguliers.

[8]            Peintre de formation, son conjoint Denis Côté a exercé son métier à compter de 1976, comme entrepreneur, par le biais d'une société. Ensuite, il a oeuvré comme peintre pour le compte et bénéfice d'une compagnie qu'il a créée sous la raison sociale " Denis Côté Entrepreneur Peintre Inc. "; il en était d'ailleurs le seul actionnaire et administrateur.

[9]            L'appelante assumait le travail clérical requis par l'exploitation de la compagnie. Elle collaborait à la préparation des estimés, préparait certains comptes-rendus et les payes. Elle faisait également des dépôts et l'administration sommaire. Le principal du travail de comptabilité était confié à des professionnels.

[10]          De façon générale, elle recevait, au moyen d'un chèque, une rémunération hebdomadaire. Elle a indiqué qu'à certaines occasions, elle n'avait pas été rétribuée pour ses services, la capacité de payer de la compagnie ne le permettant pas. L'appelante a affirmé avoir généralement reçu de la compagnie une rémunération annuelle de plus ou moins 12 000 $. Parallèlement, l'appelante travaillait à la pige pour l'entreprise " Service de secrétariat de Chicoutimi ".

[11]          La compagnie " Denis Côté Entrepreneur Peintre Inc. " était dirigée et contrôlée entièrement par Denis Côté et avait ses bureaux à la résidence familiale. Elle occupait également le garage résidentiel à titre d'entrepôt. Il n'y avait aucun bail ou entente relativement au paiement d'un quelconque loyer pour l'utilisation du garage.

[12]          L'appelante a indiqué n'avoir jamais rien reçu à titre de loyer. Sur cette question de loyer, l'intimée a mis en preuve un seul chèque au montant de 350 $ sur lequel apparaissait la mention " loyer ". La compagnie payait à un tiers 100 $ par mois pour occuper un autre entrepôt ailleurs dans la municipalité.

[13]          De façon générale, l'appelante n'était ni impliquée, ni associée à la prise des décisions et aux orientations de la compagnie. Toutes les décisions étaient assumées par son conjoint.

[14]          L'appelante a affirmé avoir été mise à contribution à deux reprises pour participer à l'assainissement des finances de la compagnie. À cette fin, elle a indiqué avoir fait deux emprunts importants pour aider ou améliorer la santé financière de la compagnie. La preuve a révélé que l'appelante avait effectivement contracté deux emprunts garantis par hypothèque, affectant la résidence dont elle était seule propriétaire.

[15]          Dans un premier temps, elle a obtenu un premier prêt au montant de 52 200 $, le 26 janvier 1987, pièce A-4. Le produit du prêt fut réparti comme suit (pièce A-5) :

                -                Remboursement d'un prêt consenti

                                lors de l'acquisition de la résidence                                                   12 549,61 $

                -                Frais notariés et divers reliés à l'obtention      

                                du prêt de 52 200 $                                                                                                2 500,00 $

                -                Montant rendu disponible à la suite du prêt                                    37 150,39 $

                                                                                                                Total                                        52 200,00 $

[16]          Selon le témoignage de l'appelante, le montant de 37 150,39 $ a bénéficié à la compagnie; il aurait servi à payer la marge de crédit et constituer un fonds de roulement. Dans son avis d'appel, l'appelante soutenait avoir remboursé la marge de crédit au montant de 20 489,39 $.

[17]          La preuve documentaire a cependant démontré une toute autre utilisation de l'argent provenant du premier prêt. En effet, le montant a plutôt été investi dans la compagnie sous forme d'actions émises au nom de son conjoint. Lesdites actions ont, par la suite, fait l'objet d'un rachat par la compagnie.

[18]          Le deuxième prêt (pièce A-8), en date du 18 mars 1992, au montant de 52 275 $ aurait, quant à lui, servi à rembourser le solde dû sur le prêt de janvier 1987 et un montant de 8 108,79 $ d'argent neuf a été injecté dans la compagnie en ce qu'il a été appliqué sur la marge de crédit de l'entreprise. La preuve documentaire n'a cependant pas confirmé l'interprétation de l'appelante à cet égard.

[19]          Globalement, l'appelante a soutenu que le fruit des deux emprunts avait essentiellement servi à assainir les finances de la compagnie. Bien qu'il s'agissait de montants substantiels, l'appelante n'a jamais demandé ni obtenu de la compagnie ou de son conjoint quelques documents ou attestations confirmant les avances ou les prêts consentis; aucune modalité de remboursement n'était prévue. La preuve n'a jamais démontré que la compagnie était en dette envers l'appelante.

[20]          Selon l'appelante, il s'agissait là de montants avancés pour et à l'avantage de la compagnie. Dans les faits, les fonds obtenus à la suite des emprunts étaient remis à son conjoint qui décidait, selon son bon vouloir, comment les utiliser.

[21]          La preuve a aussi établi que la compagnie était dirigée, gérée exclusivement par son conjoint. Lorsque la collaboration de l'appelante était requise, elle recevait des instructions précises de ce dernier. Il a été aussi démontré que l'appelante ne prenait aucune initiative dans la direction des affaires de la compagnie.

[22]          La preuve a révélé que certains revenus étaient occultés de la comptabilité courante, lesquels étaient déposés au compte de l'appelante.

[23]          À l'occasion, sur les instructions de son conjoint, l'appelante déposait dans son compte certains chèques de la compagnie; il lui arrivait de retirer des montants au comptoir selon les indications de son époux. L'argent comptant ainsi obtenu servait à payer certains travailleurs ou entrepreneurs au noir.

[24]          La preuve n'a jamais fait mention que l'appelante avait réclamé à la compagnie le remboursement de quelque montant suite aux deux prêts. Elle n'a jamais fait part d'inquiétudes quant au paiement de ses créances. Jamais, elle n'a mentionné avoir eu des discussions, échanges, ententes avec son conjoint relativement aux montants avancés à la suite des deux emprunts, devenus selon elle, deux prêts à la compagnie. Elle n'a jamais fait de suivi quant à ces prêts.

[25]          Bien que le compte bancaire folio 2478 utilisé par la compagnie pour la comptabilité parallèle ait été décrit et défini comme étant un compte conjoint, il n'y a eu aucune preuve documentaire à cet effet. L'appelante a soutenu qu'il s'agissait d'un compte dont elle avait la responsabilité, ajoutant cependant qu'il avait été conjoint à certaines périodes qui ne furent pas identifiées ou définies. Elle a aussi indiqué avoir autorisé son conjoint, par le biais d'une procuration, à utiliser le compte en question lors de d'autres périodes. Si les droits et obligations relatifs à ce compte ont été modifiés, il eût été important d'en faire la preuve et surtout d'en définir les périodes.

[26]          L'appelante connaissait la provenance des fonds déposés dans son compte. Elle a admis, à quelques reprises, avoir exécuté à la lettre les instructions de son conjoint en déposant des chèques et en faisant des retraits. Elle a indiqué que ces retraits servaient généralement à payer au noir les services d'un certain nombre de travailleurs ou entrepreneurs à l'emploi de " Denis Côté entrepreneur peintre Inc. ".

[27]          Les prétentions de l'appelante peuvent se résumer comme suit : elle a contracté deux emprunts garantis par hypothèque sur sa résidence, et le fruit de ces deux emprunts a profité, bénéficié et avantagé, soit son conjoint, soit la compagnie de ce dernier, concluant qu'elle s'est appauvrie aux bénéfices de l'un ou l'autre pour une somme globale dépassant 40 000 $. Bien plus, elle a soutenu que l'identification précise de son débiteur était sans importance et ne diluait en rien la réalité et qualité de sa créance.

[28]          Poursuivant son raisonnement, elle a soutenu que l'appauvrissement découlant de ses deux emprunts avait créé une véritable créance exigible de la compagnie et/ou son conjoint, étant donné qu'ils en avaient profités. Elle a fait valoir que les transferts totalisant plus de 40 000 $, ne sont pas assujettis aux dispositions de l'article 160 de la Loi, en ce qu'il s'agissait là, essentiellement de sommes qui lui étaient dues et exigibles, concluant n'avoir reçu aucun bénéfice des suites des transferts puisqu'il s'agissait, selon elle, de simples remboursements.

[29]          L'appelante a également soutenu que le compte étant conjoint, il ne pouvait être conclu que les montants lui ont profité totalement.

[30]          À cet égard, je ne crois pas que la prépondérance de la preuve permette de conclure qu'il s'agissait d'un compte conjoint. En effet, le témoignage de l'appelante ne soutient ni n'appuie une telle thèse.

[31]          À plusieurs reprises, l'appelante a mentionné qu'elle contrôlait le compte dans lequel étaient faits les dépôts provenant des activités commerciales de la compagnie. En d'autres termes, l'appelante était seule maître de ce compte. Cela ressort particulièrement de son témoignage où elle a fait la description de ses comptes bancaires. D'autre part, elle a indiqué que le compte, à différentes périodes, lui était exclusif et cela à l'insu de son conjoint. Elle a aussi mentionné avoir accordé une procuration à son conjoint pour lui donner accès à son compte, contredisant ainsi le fait que le compte était conjoint puisque le détenteur d'un tel compte n'a pas besoin d'une procuration du codétenteur pour y avoir accès. De plus, elle a indiqué que toutes les transactions relatives aux dépôts provenant de la compagnie étaient fidèlement exécutées, selon les directives de son conjoint.

[32]          Le Tribunal n'a pas compris pourquoi les documents constitutifs de ce compte n'ont pas été produits. Il eût été facile de faire témoigner un représentant de l'institution financière pour connaître le cheminement et l'historique et les différentes caractéristiques de ce compte pour les périodes en litige. Sur la question du compte conjoint, il m'apparaît utile de me référer aux propos de l'honorable Juge en chef de cette Cour, qui, dans l'affaire Liliane Obadia c. La Reine, 98 DTC 1578, :

[27]          Tout d'abord, il a été établi clairement par la jurisprudence que l'existence d'un compte conjoint n'a pas pour conséquence de constituer les cosignataires du compte comme propriétaires indivis des sommes figurant au compte. Il faut plutôt rechercher l'entente originaire intervenue lors de l'ouverture du compte.

[33]          Au paragraphe suivant, l'honorable juge Garon se référait lui-même à un jugement rendu par l'honorable juge Phelan de la Cour supérieure du Québec dans l'affaire Desrosiers c. Héritiers de feu Albert Laroche et une autre [1977] C.S. 25 à la page 26 qui affirmait :

Pour déterminer les droits des déposants entre eux, il faut rechercher la convention originaire, l'entente intervenue lors de l'ouverture de ce compte-joint. Ont-ils eu l'intention de faire de la somme d'argent ainsi déposée une propriété indivise ? L'un a-t-il eu l'intention de constituer l'autre déposant son argent ou son mandataire, à titre onéreux ou à titre gratuit ? A-t-il voulu consentir une donation ? Il faut, dans chaque cas, rechercher l'intention des parties, appliquer les principes généraux du droit civil concernant soit le mandat, soit la donation, soit la stipulation pour autrui.

[34]          Plus loin au paragraphe 29 de son jugement le juge Garon ajoutait :

De ce qui précède, il s'ensuit que dans le cas actuel les argents déposés au compte conjoint provenant du compte personnel de l'appelante sont la propriété de l'appelante étant donné qu'aucune entente n'a été mise en preuve faisant foi d'un arrangement spécial entre l'appelante et M. Obadia quant à la propriété de ces fonds au moment de l'ouverture de ce compte conjoint et postérieurement.

[35]          Finalement, le conjoint de l'appelante a fait cession de ses biens. Si le compte avait été conjoint, il est probable que cette cession de biens aurait eu des effets directs sur le compte. À cet égard, la preuve a été totalement silencieuse.

[36]          Compte tenu de la prépondérance de la preuve, le Tribunal ne peut pas conclure qu'il s'agissait d'un compte conjoint.

[37]          L'appelante n'avait peut-être pas les compétences ou les connaissances relatives aux nuances et règles découlant de l'exploitation d'une entreprise par le biais d'un statut corporatif. Cela peut-il justifier une absence à peu près totale de cohérence et transparence au niveau de ses propres affaires ?

[38]          La prépondérance de la preuve est à l'effet que les avances de fonds de l'appelante ont profité à la compagnie, et cela, parce que son conjoint en a décidé ainsi; ce dernier avait pleine et totale latitude quant à l'utilisation des fonds générés par les deux prêts de l'appelante mais aussi sur les dépôts de la compagnie. Jamais la compagnie n'a attesté, par le biais de résolutions, reconnaissance de dettes ou autrement, de l'existence d'une quelconque créance détenue par l'appelante.

[39]          Admettre les prétentions de l'appelante quant à l'utilisation des fonds avancés aurait pour effet de contredire les écrits valablement faits que sont les états financiers de la compagnie pour les années 1988, 1989 et 1990. En effet, la compagnie n'a jamais admis, reconnu ou consigné qu'elle était débitrice de l'appelante.

[40]          Cette dernière a admis que des montants totalisant environ 40 000 $, propriété de la compagnie, avaient été déposés dans son compte. Elle a aussi reconnu qu'il était à sa connaissance personnelle que le compte servait à une comptabilité parallèle de la compagnie dont le but était de soustraire certains revenus de la comptabilité de la compagnie et payer au noir certains travailleurs ou fournisseurs de services.

[41]          Une compagnie est une entité juridique distincte avec des droits et obligations qui ne peuvent pas être confondus avec les droits et obligations de ceux qui la dirigent ou en détiennent les actions créatives du statut corporatif.

[42]          Certes, l'appelante a fait des avances mais à qui ont-elles vraiment bénéficié et comment ces avances ont-elles cheminé ? L'appelante soutient qu'elles ont été injectées dans la compagnie.

[43]          Si les avances ont profité à la compagnie, cela a résulté de la décision de son conjoint qui a choisi d'en disposer ainsi; il aurait pu faire autrement.

[44]          L'argument voulant que l'appelante se soit appauvrie au profit de la compagnie m'apparaît tout à fait inapproprié. Elle a possiblement avancé des argents à l'un ou l'autre mais certainement pas à l'un ou l'autre indistinctement. Admettre ce raisonnement aurait pour effet de nier catégoriquement la réalité du statut corporatif. Le raisonnement de l'appelante émane sans doute du fait que son conjoint a fait cession de ses biens avec toutes les conséquences directes sur son patrimoine.

[45]          Un contribuable ne peut pas décider arbitrairement, selon les circonstances, de qualifier certaines transactions en fonction de ses propres intérêts. La création d'une compagnie confère un certain nombre d'avantages sur le plan fiscal, mais exige en contrepartie le respect de certaines obligations dont la plus élémentaire est sans doute la reconnaissance de la personnalité juridique distincte.

[46]          La compagnie, dont la totalité des actions était la propriété du conjoint de l'appelante, avait une personnalité juridique distincte. Il s'agit là d'une réalité juridique élémentaire qui discrédite totalement l'appréciation de l'appelante exprimée comme suit par son procureur :

                Et je pense que ce n'est pas le but et c'est ce que nous vous soumettons, de l'article 160 de la Loi sur les impôts et que ce n'est pas non plus équitable qu'un contribuable qui est créancier ou qui est créancier d'une entreprise ou d'un autre individu qui s'appelle Denis Côté, d'un certain montant, soit obligé au surplus, sans avoir été remboursé, de payer un autre créancier de ces contribuables là qui lui non plus n'a pas été payé. En fait, 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu cherche à ... ou permet à Revenu Canada ou aux autorités fiscales d'aller chercher dans le patrimoine de quelqu'un qui a bénéficié d'avantages sans contrepartie de la part d'un contribuable qui doit de l'impôt, d'aller chercher ces montants-là qui ont été mis à l'abri du paiement des impôts en raison d'un lien de dépendance.

                Ce n'est pas le cas ici, votre Seigneurie. Madame Tremblay a peut-être profité de certains montants de la part de monsieur Côté ou de l'entreprise mais madame Tremblay avait déjà des montants de créances et des droits vis-à-vis soit de monsieur Côté ou soit l'entreprise jusqu'à concurrence de quarante-cinq mille dollars (45 000 $).

                Alors, dans l'article 160 lorsque l'on mentionne que le bénéficiaire est responsable du paiement en vertu de la présente loi d'un montant égal à l'excédent ...

...

                Effectivement, votre Seigneurie, madame Tremblay en 87 pense prêter de l'argent à la compagnie. Effectivement, selon les états financiers, ça n'a pas été comptabilisé comme ça, à son insu. Il y a eu une émission d'actions en faveur de monsieur Côté. Est-ce que le fait que l'argent ... la compagnie a émis des actions à monsieur Côté et que monsieur Côté devient, un, par le fait même, le débiteur de madame Tremblay pour le même argent, est-ce que ça change l'argumentation que je vous fais sous l'article 160 ? Je ne pense pas, votre Seigneurie, parce que l'entreprise est une entreprise dont il y a un seul actionnaire, un seul administrateur et tant l'entreprise que l'actionnaire doivent de l'argent à l'impôt. Alors, ce que ce soit l'un ou l'autre qui a bénéficié du prêt de madame Tremblay, le fait demeure que pris de façon globale, de façon générale, madame Tremblay a vu son patrimoine diminuer de quarante-cinq mille (45 000 $) qui a été prêté à l'entreprise ou à monsieur Côté mais a été injecté dans les opérations de l'entreprise.

                                                                                                (Je souligne.)

                Est-ce qu'en bout de ligne c'est l'entreprise qui en a bénéficié ou si c'est monsieur Côté ? Je pense que pour madame Tremblay et pour la philosophie de l'article 160, c'est la même chose. Madame Tremblay ne peut pas être tenue de payer les impôts en vertu de l'article 160 soit de monsieur Côté ou soit de l'entreprise " Denis Côté Entrepreneur peintre Inc. " en ayant diminué son patrimoine personnel d'une somme de quarante-cinq mille dollars (45 000 $).

[47]          Je crois pertinent de citer l'honorable juge Pigeon de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Jack Appleby v.M.R.N., [1975] 2 S.C.R. 805, à la page 813, qui déclarait :

                Il a toujours été reconnu, depuis l'arrêt Salomon v. Salomon & Co., que même si les actions d'une compagnie à responsabilité limitée sont en fait la propriété d'une seule personne qui dirige aussi la compagnie, l'entreprise demeure cependant une entité distincte, une personne juridique ayant ses propres droits et obligations. La Loi de l'impôt sur le revenu implique sans équivoque que cette règle n'est pas moins valable en matière d'impôt.

[48]          Le conjoint de l'appelante ne pouvait ignorer l'existence de la compagnie dont il détenait seul la totalité des actions. Une compagnie a été créée pour bénéficier des avantages. La création de cette personnalité juridique distincte exigeait de l'intéressé qu'il soit cohérent dans l'administration de cette entité, indépendante de ses affaires personnelles. Ni l'appelante, ni son conjoint ne pouvait faire comme si la compagnie n'avait pas existé. Sur cette importante question, l'honorable juge Wilson de la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Kosmopoulos v. Constitution Insurance Co., [1987] 1 R.C.S. 2, déclarait à la page 10 ce qui suit :

                En règle générale, une société est une entité juridique distincte de ses actionnaires: Salomon v. Salomon & Co., [1897] A.C. 22 (H.L.) Aucune règle uniforme n'a été appliquée à la question de savoir dans quelles circonstances un tribunal peut déroger à ce principe en " faisant abstraction de la personnalité morale " et en considérant la société comme un simple " mandataire " ou " instrument " de son actionnaire majoritaire ou de sa société mère. En mettant les choses au mieux, tout ce qu'on peut dire est que le principe des " entités distinctes " n'est pas appliqué lorsqu'il entraînerait un résultat [TRADUCTION] " trop nettement en conflit avec la justice, la commodité ou les intérêts du fisc " : L.C.B. Gower, Modern Company Law (4th ed. 1979), à la p. 112.

...

                Il y a un argument convaincant selon lequel [TRADUCTION] " quiconque choisit de profiter des avantages qu'offre la constitution en société doit aussi en supporter les inconvénients, de sorte que, si jamais on doit faire abstraction de la personnalité morale, ce ne doit être que dans l'intérêt de tiers à qui, sans cela, ce choix porterait préjudice ": Gower, précité, à la p. 138.

Citant ces propos dans l'affaire Lachapelle (supra), le juge Brulé de notre Cour y ajoute le commentaire suivant du professeur Bruce Welling dans son ouvrage Corporate Law in Canada — The Governing Principles 1984) à la page 140 :

Il arrive encore souvent au Canada de voir des juges parler, en remarque incidente, de " lever le voile corporatif " malgré les avertissements que leur lancent les plus hautes instances et qui leur disent que cela n'est pas permis. Il est possible que cette terminologie soit désormais désuète avec toutes les lois du genre de la loi sur les S.C.C. qui ont été récemment adoptées par la plupart des provinces canadiennes. Nous nous trouvons maintenant dans une situation où la plupart des lois sur les sociétés commerciales énoncent expressément que les sociétés ont les mêmes droits que les personnes physiques et qui énoncent également que l'émission d'un certificat de constitution en société constitue une preuve concluante de l'existence de la société. Il semble donc parfaitement possible de soutenir en se fondant sur cet argument législatif, ainsi que sur l'affaire Salomon, qu'il n'est pas possible aux juges d'ignorer l'existence distincte d'une société en invoquant quelque vague notion de justice et d'équité.

[49]          Le stratagème mis en place par le conjoint de l'appelante et avec sa complicité, à savoir utiliser son compte pour y effectuer des opérations parallèles et déjouer le fisc, aurait certainement dû alerter l'appelante et l'inciter à obtenir un ou des écrits permettant la cohérence et transparence, d'autant plus qu'il s'agissait là de montants substantiels. La preuve n'a jamais établi que la compagnie à l'origine des transferts avait une quelconque dette à l'endroit de l'appelante. La preuve a plutôt établi que le produit de ses emprunts avait bénéficié à son conjoint.

[50]          Le fardeau de la preuve incombait à l'appelante. Elle n'a pas fait la preuve de manière convaincante que la compagnie, contrôlée entièrement par son conjoint, avait bénéficié des emprunts; la preuve a plutôt révélé que le produit des emprunts avait profité à son conjoint qui lui a décidé de l'investir dans la compagnie.

[51]          La prépondérance de la preuve est à l'effet que l'appelante et son conjoint avaient orchestré leurs affaires en bénéficiant de trois patrimoines financiers distincts : soit celui de l'appelante, celui de son conjoint et finalement celui de la compagnie, espérant sans doute tirer certains avantages et bénéfices de la multiplication des patrimoines.

[52]          Une telle planification était tout à fait légitime; par contre, elle supposait que les intéressés conduisent leurs affaires personnelles en conséquence. L'appelante aurait voulu que ce Tribunal ne tienne pas compte de la façon dont les parties avaient décidé d'organiser leurs affaires. La conclusion recherchée par l'appelante sous-entendrait que ce Tribunal s'en remette essentiellement à l'équité pour conclure. La preuve documentaire et la prépondérance de la preuve testimoniale ne permettent pas de conclure ainsi.

[53]          La preuve a démontré que le conjoint de l'appelante a utilisé et utilise la compagnie qu'il a créée pour se soustraire à ses responsabilités. En effet, la preuve a révélé que le produit des deux emprunts lui avait été confié après quoi il en a disposé à sa guise dans la compagnie. Son conjoint ayant fait cession de ses biens, l'appelante soutient que la compagnie est endettée envers elle; en d'autres termes, elle prétend que sa créance est opposable à la compagnie et de ce fait, conclu que les transferts effectués avaient une contrepartie de valeur équivalente ayant pour effet de ne pas être assujetti à l'article 160 de la Loi.

[54]          La preuve n'a jamais établi de liens juridiques directs entre l'appelante et la compagnie contrôlée à 100 pour-cent par son conjoint. Le Tribunal doit tenir compte de ce que l'appelante a réellement fait et non pas de ce qu'elle aurait pu faire ou voulu faire. À cet égard, il n'y a aucun doute que le produit des emprunts a bénéficié à son conjoint et non à la compagnie. Le détenteur de la créance possible était non pas l'appelante mais son conjoint.

[55]          La faillite de son conjoint a eu des conséquences directes et fatales sur sa créance d'où l'importance de l'imputer ou de l'opposer à la compagnie.

[56]          La prépondérance de la preuve tant testimoniale que documentaire ne permet aucunement de faire un tel constat d'où il n'y a aucun doute que les transferts dont l'appelante a bénéficié l'ont été sans contrepartie. En d'autres termes, l'appelante bénéficiaire des transferts en vertu de l'alinéa 160(1) de la Loi s'est enrichie aux dépens du fisc.

[57]          Pour ces motifs, l'appel est rejeté avec dépens en faveur de l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada ce 24e jour d'août 2000.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        97-128(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 Sylvie Tremblay et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Chicoutimi (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :    le 2 septembre 1999

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                      le 24 août 2000

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :                  Me Jean Dauphinais

Pour l'intimée :                       Me Valérie Tardif

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

                                Nom :       Me Jean Dauphinais

                                Étude :     Cain, Lamarre & Wells

Pour l'intimée :                       Morris Rosenberg

                                                Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa, Canada

97-128(IT)G

ENTRE :

SYLVIE TREMBLAY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 2 septembre 1999, à Chicoutimi (Québec), par

l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Avocat de l'appelante :                        Me Jean Dauphinais

Avocate de l'intimée :                          Me Valérie Tardif

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu,dont l'avis est daté du 31 août 1995 et porte le numéro 08750, est rejeté avec dépens en faveur de l'intimée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour d'août 2000.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.


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