Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20000824

Dossier : 1999-2438-IT-I

ENTRE :

CATHERINE OUELLETTE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

ET

Dossier : 1999-2439-IT-I

PIERRE PONTBRIAND,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Il s'agit de deux appels entendus simultanément au moyen d'une preuve commune.

[2]            Les appels ont trait à l'imposition d'une pénalité imposée pour l'année d'imposition 1996.

[3]            L'appelant a indiqué qu'il avait mandat de sa conjointe pour s'occuper annuellement de son rapport d'impôt; l'appelante a d'ailleurs confirmé lors de son témoignage qu'elle s'en remettait toujours à son conjoint pour la préparation de ses déclarations de revenus.

[4]            L'article 163(2) de la Loi de l'impôt sur le Revenu (la " Loi ") portant sur l'imposition de pénalités se lit comme suit :

(2) Faux énoncés ou omissions — *Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé " déclaration " au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d'imposition pour l'application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants :

a) l'excédent éventuel du montant visé au sous-alinéa (i) sur le montant visé au sous-alinéa (ii) :

(i) l'excédent éventuel de l'impôt qui serait payable par cette personne pour l'année en vertu de la présente loi sur le montant qui serait réputé par le paragraphe 120(2) payé au titre de cet impôt pour l'année, s'il était ajouté au revenu imposable déclaré par cette personne dans la déclaration pour l'année la partie de son revenu déclaré en moins pour l'année qu'il est raisonnable d'attribuer au faux énoncé ou à l'omission et si son impôt payable pour l'année était calculé en soustrayant des déductions de l'impôt payable par ailleurs par cette personne pour l'année, la partie de ces déductions qu'il est raisonnable d'attribuer au faux énoncé ou à l'omission,

(ii) l'excédent éventuel de l'impôt qui aurait été payable par cette personne pour l'année en vertu de la présente loi sur le montant qui aurait été réputé par le paragraphe 120(2) payé au titre de cet impôt pour l'année, si l'impôt payable pour l'année avait fait l'objet d'une cotisation établie d'après les renseignements indiqués dans la déclaration pour l'année;

...

[5]            La preuve a établi que la Gendarmerie royale du Canada (" G.R.C. ") avait initié une enquête policière concernant de possibles anomalies ou irrégularités dans le traitement de certains dossiers où le bureau de " Ratelle et Associés Redressement Financier " (" Ratelle ") était impliqué.

[6]            Au départ, l'enquête visait essentiellement certaines pratiques et liens de Ratelle avec un bureau de syndic.

[7]            Dans le cadre de cette enquête, il fut constaté que certains contribuables avaient possiblement profité d'avantages fiscaux dont les fondements étaient fictifs. À partir de ce constat, l'enquête est devenue conjointe avec Revenu Canada.

[8]            Très rapidement, les enquêteurs de la G.R.C. et de Revenu Canada ont découvert qu'il y avait quelques centaines de dossiers contenant de fausses et mensongères informations; ils ont, en effet, identifié plusieurs raisons sociales fictives dont les noms figuraient aux déclarations de revenus de plusieurs contribuables.

[9]            Conséquemment, ils ont décidé de rencontrer tous les individus ayant bénéficié de pertes fiscales émanant d'entreprises présumées fictives dans le but de faire la lumière sur l'ensemble du dossier.

[10]          Ratelle se définissait comme des redresseurs financiers; agressif sur le plan de la publicité, Ratelle ciblait des groupes de travailleurs oeuvrant généralement pour la même entreprise et ayant des revenus élevés. La sollicitation se faisait au moyen de lettres circulaires, d'envois par télécopieur et encore plus efficace, de bouche à oreille.

[11]          Dans les faits, Ratelle préparait les déclarations de revenus des clients à la recherche d'un remboursement d'impôt et opposait aux revenus de ces derniers soit une perte d'entreprise, soit une perte au titre de placement d'entreprise.

[12]          Les clients de Ratelle n'obtenaient aucune pièce justificative valable démontrant le bien-fondé de la perte réclamée. Dans certains cas, un acompte était payé, dont une partie correspondait aux honoraires pour la préparation du rapport d'impôt.

[13]          L'appelant a expliqué les circonstances qui l'avaient amené à se rendre au bureau de Ratelle. Lui et son épouse étaient à la recherche d'un moyen, d'une façon de réduire le montant des impôts qu'ils devaient assumer. L'appelant a donc manifesté un vif intérêt devant la proposition de Ratelle.

[14]          Lorsque le bureau de Ratelle l'a appelé pour qu'ils viennent signer à leur bureau les déclarations de revenus qu'il avait complétées, l'appelant a indiqué qu'il avait refusé et demandé qu'on les lui remette pour que lui et sa conjointe puissent en prendre connaissance.

[15]          Après avoir vérifié l'importance des retours d'impôt réclamés, il a retourné les deux rapports d'impôts signés au bureau de Ratelle. Soutenant avoir peu ou pas de connaissance en matière fiscale, l'appelant a affirmé qu'il croyait que lui et son épouse avaient droit aux remboursements réclamés croyant avoir acheté des bons au porteur.

[16]          Pour cette année d'imposition 1996, l'appelant a déclaré des revenus bruts de 55 896,83 $ et l'appelante des revenus bruts de 14 095,56 $. L'appelant a déclaré à la case 228 de sa déclaration une perte brute au titre d'un placement d'entreprise de 33 900 $ et une perte déductible à la case 217 de 25 425 $. Quant à l'appelante, elle a déclaré aux mêmes cases une perte brute de 21 900 $ et une perte nette de 16 425 $. Le montant des pertes réclamées était considérable compte tenu de leurs revenus.

[17]          Il a expliqué penser que le tout était légal et légitime sans plus se questionner. Il a aussi indiqué que lui et sa compagne n'avaient rien déboursé pour l'acquisition de ce qu'ils croyaient être des bons au porteur, ajoutant que le montant à payer l'était en fonction de l'importance des remboursements obtenus.

[18]          Lorsque les enquêteurs ont voulu le rencontrer pour discuter de son dossier, il a indiqué que la période s'y prêtait très mal. Il a ainsi fait référence à un surplus de travail, à la maladie de sa conjointe, au fait que l'un de ses enfants était malade et requérait beaucoup de soins et d'attention. Finalement, à plusieurs reprises, il a indiqué que la tragédie du verglas avait chambardé toute sa disponibilité.

[19]          Tous les faits relatés par les appelants rendent évidemment le dossier sympathique; mais je ne vois pas en quoi et comment cela a pu excuser, justifier ou effacer les effets des fausses et mensongères informations indiquées aux rapports d'impôt des appelants. Peu importe ce que Ratelle a pu dire pour vendre sa salade, il n'en demeure pas moins que les renseignements fournis étaient objectivement faux; en outre il ne s'agissait aucunement de peccadilles mais d'énoncés importants ayant des effets très significatifs sur leur fardeau fiscal.

[20]          Quant à la nature des pertes, il n'était aucunement nécessaire d'avoir des connaissances en matière fiscale pour comprendre le sens et la portée de la rubrique " Perte au titre d'un placement d'entreprise ".

[21]          L'appelant a soutenu que sa conjointe et lui croyaient avoir acheté des bons au porteur. De telles prétentions sont tout à fait invraisemblables, d'autant plus que les appelants n'avaient rien à débourser si ce n'est un pourcentage calculé en fonction des retours d'impôt. Dans les faits, ils n'ont jamais subi de réelles pertes mais se sont plutôt enrichis jusqu'à ce que le fisc ne découvre la manoeuvre. En d'autres termes, les appelants ne pouvaient pas perdre, ils ne pouvaient que s'enrichir. Comment peut-on croire que des personnes raisonnables puissent avoir pensé que cela était possible à la condition de se dire qu'ils n'avaient rien à perdre ?

[22]          Le Tribunal a constaté que les appelants étaient des personnes raisonnables avec un excellent degré d'éducation, capables de discernement. Je crois que l'appelant a volontairement et délibérément renoncé à son sens critique; en d'autres mots, devant la possibilité d'un gain facile, il a préféré fermer les yeux en se disant qu'il pourrait toujours excuser les faux énoncés par son ignorance et le fait qu'il avait mandaté des personnes qui s'affichaient expertes en la matière.

[23]          Malgré les nombreuses tentatives des enquêteurs visant à obtenir une déclaration, il n'y a jamais eu de rencontre pour les motifs multiples dont il a été fait mention précédemment.

[24]          Tous les faits ultérieurs à la déclaration ont, quant à moi, une importance très secondaire, puisque les circonstances justifiant une pénalité doivent s'apprécier lors de la signature. L'évaluation des faits postérieurs ne vise qu'à mieux comprendre.

[25]          En l'espèce, la preuve n'a pas démontré que les faits postérieurs à la production des déclarations de revenus des appelants effaçaient ou même expliquaient les faux énoncés consignés aux déclarations. Les appelants ont reconnu que des informations et renseignements indiqués à leur déclaration de revenus étaient faux et mensongers. Ils ont admis avoir signé leur déclaration, attestant que le tout était véridique.

[26]          Le simple fait de signer une déclaration contenant de faux énoncés constitue en soi une faute grave ou tout au moins une négligence grossière, imputable au signataire d'une telle déclaration.

[27]          Eu égard au degré d'ignorance, d'incompétence ou de naïveté, cela justifie peut-être un recours en responsabilité contre Ratelle, les initiateurs de la fausse et mensongère déclaration mais il ne s'agit certainement pas d'une excuse valable opposable au ministre du Revenu national (le " Ministre ").

[28]          Face au Ministre, la négligence était à ce point grossière qu'elle doit être définie comme une complicité et les appelants ne peuvent pas être considérés innocentes victimes comme ils ont tenté de le démontrer.

[29]          En l'espèce, les appelants étaient des personnes fortement scolarisées, ayant manifestement des connaissances et l'expérience qui aurait dû les alerter ou tout au moins les rendre suspects au point de consulter de véritables experts indépendants de Ratelle. Eu égard à leurs revenus, le montant des pertes réclamées était substantiel ce qui en soi constituait un élément additionnel devant susciter chez les appelants un réflexe de vérifier auprès d'un expert indépendant. Selon les appelants, Ratelle est seul responsable et aucune responsabilité ne peut leur être imputable. Or, Ratelle a-t-il indiqué les faux et mensongers renseignements à leur insu ? La preuve à cette égard a établi d'une manière non équivoque que la réponse est non.

[30]          En matière de pénalité plusieurs décisions ont été rendues par ce Tribunal.

Il y a lieu de reproduire des extraits qui m'apparaissent, dans les circonstances, très pertinents et où l'honorable juge Couture, Juge en chef de cette Cour, dans Morin c. M.R.N. [1987] A.C.I. No 1109, s'exprimait comme suit :

                                ...

L'appelant allègue à tort qu'à titre de contribuable il a rempli son obligation en matière d'impôt en signant des déclarations préparées par un comptable sans pour autant s'assurer lui-même de l'exactitude desdites déclarations et sans vérifier les montants des revenus qui y sont inscrits. À mon avis, il s'agit d'une autre grossière négligence et d'une faute lourde puisque selon son propre témoignage l'appelant lisait attentivement et comprenait la portée de toutes clauses des divers contrats d'affaires qu'il signait, mais lorsqu'il s'agissait de déclarations d'impôt il a admis qu'il les signait sans même lire leur contenu sans le prétexte qu'il ne comprenait absolument rien en comptabilité. Le fait est que l'appelant était en mesure de juger si ses déclarations d'impôt reflétaient véritablement les revenus de son entreprise -- ce qu'il a négligé de faire.

...

et l'honorable Juge en Chef Couture dans une autre affaire soit Girard c. M.R.N., [1988] A.C.I. No 723

                                ...

Pour se dégager de sa responsabilité devant la loi lorsqu'un appelant a omis de déclarer un revenu, il ne suffit pas pour lui d'attribuer cette omission à des circonstances apparemment hors de son contrôle et d'essayer de placer le blâme sur des tiers. Lorsqu'il signe sa déclaration d'impôt pour une année d'imposition il a signé également le certificat suivant :

                Je certifie par les présentes que les renseignements donnés dans cette déclaration et dans tous les documents ci-joints sont vrais, exacts et complets sous tous les rapports et révèlent la totalité de mes revenus de toutes provenances."

Cette forme qui est statutaire m'apparaît très claire et nécessite aucune explication. Signée par un contribuable elle crée une présomption en faveur de l'exactitude de la déclaration basée sur le fait que le contribuable était conscient et satisfait de son contenu lors de sa signature. Il en est de même pour toutes les annexes qui doivent être complétées et produites sans exception avec la déclaration si les circonstances l'exigent.

Je ne maintiens pas par ailleurs que le fait pour un contribuable d'avoir signé un tel certificat le rend automatiquement passible de la pénalité prévue au paragraphe 163(2) advenant qu'il ait commis une infraction quelconque dans cette déclaration. Je reconnais qu'il y a toute une gamme de circonstances qui peuvent faire que sa responsabilité devant ce paragraphe soit entièrement dégagée. Mais pour réussir à convaincre la Cour que l'infraction qu'il a pu commettre l'a été en raison de circonstances indépendantes de son contrôle, et dégager ainsi sa responsabilité, il doit démontrer qu'il a apporté une attention et une diligence raisonnable dans les circonstances à la préparation et à la production de sa déclaration.

                                ...

[31]          Il m'apparaît important de reproduire un extrait du jugement Desrochers c. Canada, [1999] A.C.I. no 879 où l'honorable juge Dussault s'exprimait comme suit :

...

Je vous ai lu l'article 163(2), vous voyez que ... la faute lourde ou le fait d'agir sciemment c'est lorsqu'on fait une déclaration, c'est à ce moment-là qu'il est pertinent d'analyser les choses.

Évidemment, les facteurs subséquents peuvent être des indices qu'il y avait ou non bonne foi. Il a été depuis longtemps établi en jurisprudence que le traitement accordé par Revenu Canada à d'autres contribuables n'est pas pertinent pour décider d'un dossier. Et c'est exactement le cas, ici, la preuve qui a été faite était dans votre dossier et la loi m'oblige à m'en tenir à cette preuve.

En terminant je veux simplement faire remarquer que rencontrer l'enquêteur uniquement après que toute l'affaire est déjà dans les journaux et alors que vous aviez été averti à deux reprises au préalable qu'il s'agissait d'un cas de fraude, ce n'est pas tout à fait ce qu'on appelle une divulgation volontaire susceptible de démontrer votre bonne foi. Encore là, lorsque vous avez été mis au courant de l'enquête vous avez préféré vous tourner vers ceux qui étaient visés plutôt que vers quelqu'un d'indépendant.

[32]          Eu égard à la preuve, l'intimée était pleinement justifiée d'imposer la pénalité d'où l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada ce 24e jour d'août 2000.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.

Nos DU DOSSIER DE LA COUR :       1999-2438(IT)I et 1999-2439(IT)I

INTITULÉS DES CAUSES :                                Catherine Ouellette c. Sa Majesté la Reine

                                                                                                Pierre Pontbriand c Sa Majesté la Reine

                                                                                               

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 7 juin 2000

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                                      le 24 août 2000

COMPARUTIONS :

Avocat pour les appelants :                                Me Martin Fortier

Avocate pour l'intimée :                      Me Suzanne Morin

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                                Nom :                       Me Martin Fortier

                                Étude :                     De Chantal, D'Amour, Fortier

                                Ville :                       Longueuil (Québec)

Pour l'intimée :                                       Morris Rosenberg

                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                Ottawa, Canada

1999-2439(IT)I

ENTRE :

PIERRE PONTBRIAND,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 7 juin 2000, à Montréal (Québec),

sur preuve commune avec l'appel de Catherine Ouellette, 1999-2438(IT)I

par l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Avocat pour l'appelant :                      Me Martin Fortier

Avocate pour l'intimée :                       Me Suzanne Morin

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1996 est rejeté, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour d'août 2000.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.


1999-2438(IT)I

ENTRE :

CATHERINE OUELLETTE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 7 juin 2000, à Montréal (Québec),

sur preuve commune avec l'appel de Pierre Pontbriand, 1999-2439(IT)I

par l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Avocat pour l'appelant :                      Me Martin Fortier

Avocate pour l'intimée :                       Me Suzanne Morin

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1996 est rejeté, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour d'août 2000.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.