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Date: 20010612

Dossier: 98-2524-IT-G

ENTRE :

GRANITE BAY CHARTERS LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie

[1]            Le présent appel est interjeté contre une cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi ") à l'égard de l'année d'imposition 1994. Il soulève une question dont la portée est restreinte. En vertu de l'article 84 de la Loi, l'appelante est réputée avoir reçu un dividende lors du rachat de certaines actions de Greenstone Creek Logging Ltd. (" Greenstone "), dont elle était propriétaire. Par la suite, M. et Mme Cox, qui étaient propriétaires de toutes les actions de l'appelante et de Greenstone, avaient vendu leurs actions de Greenstone à une partie avec laquelle ils n'avaient aucun lien de dépendance. Le ministre du Revenu national a établi à l'égard de l'appelante une cotisation basée sur le fait que le paragraphe 55(2) de la Loi s'applique de manière que le produit du rachat est réputé être un produit de disposition donnant lieu à un gain en capital imposable, plutôt qu'un dividende entre sociétés exonéré d'impôt. L'appelante soutient que l'opération est soustraite à l'application du paragraphe 55(2) en raison de l'alinéa 55(3)a) de la Loi, puisque le rachat, par Greenstone, de ses actions ne faisait pas partie d'une série d'opérations ou d'événements dont le résultat a été la vente, par M. et Mme Cox, de leurs actions de Greenstone.

[2]            Les parties ont convenu des faits suivants aux fins du présent appel :

[TRADUCTION]

1.              L'appelante est une société résidant au Canada et a une adresse postale au 1855, chemin Perkins, Campbell River (Colombie-Britannique), V9W 4S2.

2.              Durant toute la période pertinente, toutes les actions émises et en circulation de l'appelante appartenaient à Donald Cox et à Anna Cox.

3.              Greenstone Creek Logging Ltd. (" Greenstone ") est une société canadienne imposable qui, durant toute la période pertinente, dirigeait une entreprise d'exploitation forestière à contrat.

4.              Avant le 8 avril 1994, toutes les actions émises et en circulation de Greenstone appartenaient à Donald Cox et à Anna Cox. [sic]

5.              Durant toute la période pertinente, M. et Mme Cox étaient les seuls administrateurs de Greenstone et de l'appelante.

6.              Durant toute la période pertinente, le comptable de M. et Mme Cox, de Greenstone et de l'appelante était M. William Huxham, comptable agréé.

Renseignements pris par le groupe Hayes

7.              Vers la fin de 1993, M. Donald Hayes a, au nom d'un groupe d'entreprises appelé le groupe Hayes, manifesté un intérêt à l'égard de l'achat de Greenstone. Des représentants du groupe Hayes ont recueilli des renseignements à cet égard.

8.              Le 10 novembre 1993, une des entreprises du groupe Hayes, soit la Pat Carson Bulldozing Limited, a délivré une lettre d'intention à M. et Mme Cox concernant une proposition d'achat des actions de Greenstone.

9.              Le prix d'achat proposé par la Pat Carson Bulldozing Limited a été jugé tout à fait insuffisant par M. et Mme Cox, qui ont rejeté la lettre d'intention, et la proposition a pris fin.

L'offre " Dougan "

10.                  En novembre 1993 ou à peu près, M. Cox a reçu de M. Greg Dougan, propriétaire de Dougan Logging Ltd., une expression d'intérêt non sollicitée concernant l'achat des actions de Greenstone.

11.            Vers la fin de novembre et le début de décembre 1993, des renseignements financiers relatifs à Greenstone ont été fournis à Dougan Logging Ltd. Par une lettre en date du 10 décembre 1993, des représentants de Dougan Logging Ltd. ont informé M. Huxham que Dougan Logging Ltd. souhaitait acheter les actions de Greenstone.

12.            Le 14 décembre 1993, Dougan Logging Ltd. a fait une offre d'achat des actions de Greenstone, laquelle offre a été acceptée par M. et Mme Cox. Un dépôt de garantie de 50 000 $ a été fait au titre de l'offre.

13.            Des discussions ultérieures avec Dougan Logging Ltd. ont révélé que cette dernière n'avait pas les ressources financières pour conclure l'achat, et les discussions ont pris fin. Le dépôt initial a été rendu le 28 janvier 1994.

La réorganisation

14.            Par une lettre en date du 10 décembre 1993, M. Huxham a, au nom de M. Cox, informé l'avocat de Greenstone, M. Brian Stamp, qu'une réorganisation de Greenstone devait être effectuée.

15.            Une des étapes de la réorganisation décrite dans la lettre de M. Huxham (onglet E) était le rachat de certaines actions de Greenstone détenues par l'appelante. Cette dernière a reçu certains actifs de Greenstone comme produit en espèces du rachat de ces actions. Concernant ce rachat des actions de Greenstone, le résultat visé était que l'appelante soit, en vertu du paragraphe 84(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi "), réputée avoir reçu un dividende de 756 525 $ (le " Dividende "), soit la différence entre le produit en espèces du rachat des actions et le capital versé relatif aux actions rachetées.

16.            En outre, le résultat visé était que le Dividende soit reçu par l'appelante en franchise d'impôt, en tant que dividende entre sociétés déductible en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi.

17.            M. Huxham était au courant des répercussions possibles du paragraphe 55(2) de la Loi, en vertu duquel un dividende entre sociétés est, dans certaines circonstances, considéré comme un produit de disposition d'actions donnant lieu à un gain en capital.

18.            M. Huxham avait conclu que le paragraphe 55(2) de la Loi ne s'appliquerait pas à la partie du Dividende payée à l'appelante sur le " revenu gagné ou réalisé par [Greenstone] après 1971 " (soit le " revenu sauf " de Greenstone). M. Huxham avait conclu que, le revenu sauf total de Greenstone étant supérieur au Dividende, le paragraphe 55(2) ne s'appliquerait pas de manière qu'une partie du Dividende soit considérée comme un produit de disposition des actions de Greenstone.

19.            L'importance de la somme d'argent qui était en jeu dans la réorganisation préoccupait M. Cox suffisamment pour qu'il demande à M. Huxham d'obtenir l'opinion de quelqu'un d'autre sur l'efficacité fiscale de l'opération.

20.            M. Huxham a consulté un fiscaliste, Me William Ruskin, du cabinet d'avocats Clark, Wilson Barristers & Solicitors, pour obtenir confirmation de sa propre opinion. Dans une lettre en date du 21 décembre 1993, Me Ruskin confirmait à M. Huxham que, le montant du Dividende étant inférieur au montant total du revenu sauf de Greenstone, le paragraphe 55(2) de la Loi ne s'appliquerait pas de manière que le Dividende soit considéré comme un produit de disposition des actions de Greenstone.

21.            M. Huxham a donné des instructions révisées à M. Stamp par voie de lettre en date du 23 décembre 1993. Cette révision se rapportait seulement à la juste valeur marchande des actions de Greenstone. M. Huxham avait conclu que la juste valeur marchande déterminée par l'offre sans lien de dépendance de Dougan Logging Ltd. était plus exacte que sa propre estimation antérieure.

22.            Se fondant sur les instructions du 10 décembre 1993 (onglet E) modifiées par la lettre du 23 décembre 1993 (onglet G), M. Stamp a établi les documents de la société nécessaires pour effectuer la réorganisation.

23.            Tous les documents ont été rédigés par M. Stamp avant le 31 décembre 1993 conformément aux instructions données par M. Huxham avec effet à partir des 30 et 31 décembre 1993.

24.            Certains documents — y compris des résolutions spéciales de l'appelante et de Greenstone déposées auprès du directeur du registre des entreprises de la Colombie-Britannique le 15 décembre 1993 et le 17 décembre 1993 respectivement — ont été signés en décembre 1993. D'autres documents n'ont en fait été signés que le 11 janvier 1994, lorsque M. et Mme Cox sont revenus de vacances.

La vente " Olsen "

25.            Une lettre d'intention du groupe Olsen proposant l'achat des actions de Greenstone a été délivrée aux actionnaires de Greenstone le 10 février 1994.

26.            Après une période au cours de laquelle un contrôle préalable a été effectué, un protocole d'entente en date du 21 février 1994 a été signé par T. Olsen, K. Olsen, D. Cox et A. Cox.

27.            En vertu d'une convention d'achat d'actions établie le 8 avril 1994, toutes les actions émises et en circulation de Greenstone ont été vendues par M. et Mme Cox à la 392896 B.C. Ltd. Les actionnaires de la 392896 B.C. Ltd. étaient, directement ou indirectement, Thomas G. Olsen et I. Keith Olsen, qui n'avaient aucun lien de dépendance avec M. et Mme Cox, Greenstone et l'appelante.

Les nouvelles cotisations

28.            Se fondant sur l'opinion de M. Huxham et de Me Ruskin, l'appelante a, dans la déclaration d'impôt sur le revenu des sociétés T2 qu'elle a produite pour 1994, indiqué que le Dividende était un dividende entre sociétés qui devait être inclus dans le revenu en vertu des paragraphes 82(1) et 84(3) de la Loi et qui était toutefois déductible en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi.

29.            Par un avis de nouvelle cotisation en date du 27 juillet 1998, le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante en ajoutant 323 245 $ au revenu de cette dernière. Ce montant a été calculé comme suit :

                Dividende réputé                                                                  756 525 $

                Moins : revenu sauf proportionnel attribuable aux

                actions de Greenstone transférées à l'appelante             325 532 $

                Produit de disposition réputé selon le par. 55(2)             430 993 $

                Gain en capital imposable (75 %)                                        323 245 $

30.            L'appelante reconnaît aux fins du présent litige que le revenu sauf de Greenstone est attribuable proportionnellement à chaque action de Greenstone. Ainsi, sur le Dividende, seulement 325 532 $ sont attribuables au revenu sauf relativement aux actions de Greenstone acquises par l'appelante et rachetées par Greenstone.

En outre, M. Cox et M. Donald Hayes ont témoigné pour l'appelante et les deux avocats ont consigné en preuve des extraits des interrogatoires préalables.

[3]            Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes :

55(2)        Lorsqu'une société résidant au Canada a reçu, après le 21 avril 1980, un dividende imposable à l'égard duquel elle a droit à une déduction en vertu du paragraphe 112(1) ou 138(6), comme partie d'une opération ou d'un événement ou d'une série d'opérations ou d'événements (sauf comme partie d'une série d'opérations ou d'événements qui ont commencé avant le 22 avril 1980) dont l'un des objets (ou, dans le cas d'un dividende visé au paragraphe 84(3), dont l'un des résultats) a été de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée lors d'une disposition d'une action du capital-actions à la juste valeur marchande, immédiatement avant le dividende et qu'il serait raisonnable de considérer comme étant attribuable à autre chose qu'un revenu gagné ou réalisé par une société après 1971 et avant l'opération ou l'événement ou le début de la série d'opérations ou d'événements visés à l'alinéa 3a), malgré tout autre article de la présente loi, le montant du dividende (à l'exclusion de la partie de celui-ci qui est assujettie à l'impôt en vertu de la partie IV qui n'est pas remboursé en raison du paiement d'un dividende à une société lorsqu'un tel paiement fait partie de la série d'opérations ou d'événements)

a)                   est réputé ne pas être un dividende reçu par la société;

b)                   lorsqu'une société a disposé de l'action, est réputé être le produit de disposition de l'action, sauf dans la mesure où il est inclus par ailleurs dans le calcul de ce produit;

                c)             lorsqu'une société n'a pas disposé de l'action, est réputé être un gain de la société pour l'année au cours de laquelle le dividende a été reçu de la disposition d'une immobilisation.

55(3)        Le paragraphe (2) ne s'applique pas à un dividende reçu par une société :

a)                   sauf si ce dividende faisait partie d'une opération ou d'un événement ou d'une série d'opérations ou d'événements dont le résultat a été, selon le cas :

                                (i) une disposition de biens en faveur d'une personne avec qui cette société n'avait aucun lien de dépendance,

                                (ii) une augmentation sensible de la participation dans une société d'une personne avec qui la société qui a reçu le dividende n'avait aucun lien de dépendance;

                                [...]

248(10)    Pour l'application de la présente loi, la mention d'une série d'opérations ou d'événements vaut mention des opérations et événements liés terminés en vue de réaliser la série.

[4]            Dans l'argumentation écrite déposée à l'audience, l'avocat de l'appelante a formulé comme suit la question en litige :

[TRADUCTION]

L'appelante reconnaît que, si le dividende qu'elle est réputée avoir reçu en vertu du paragraphe 84(3) de la Loi sur le rachat des actions de Greenstone fait " partie d'une opération ou d'un événement ou d'une série d'opérations ou d'événements " qui inclut la disposition des actions de Greenstone par M. et Mme Cox en faveur de la 392896 B.C. Ltd., le paragraphe 55(2) de la Loi s'applique, et l'appel échoue.

L'avocat de l'appelante énonce succinctement sa position au paragraphe 12 de son argumentation écrite :

[TRADUCTION]

L'argument de l'appelante est simple. La réorganisation du 31 décembre 1993 donnant lieu au dividende réputé ne peut faire partie d'une série d'opérations ou d'événements dont le résultat a été la vente des actions de Greenstone à la 392896 B.C. Ltd., car il est impossible que M. et Mme Cox aient pu envisager cette vente d'actions particulière. Ils ne cherchaient pas activement à vendre la société, ils n'avaient aucune certitude quant au fait qu'il y aurait une vente et ils ne connaissaient pas l'existence de l'acheteur, ni le prix d'achat ou quoi que ce soit de concret concernant une vente potentielle. Tout ce que M. et Mme Cox savaient était que, si un acheteur potentiel se manifestait effectivement, ils seraient disposés à discuter d'une vente avec lui. L'opération ne présentait pas le degré d'interdépendance requis par la jurisprudence pertinente pour être assimilée à une série d'opérations.

[5]            Dans l'affaire 454538 Ontario Limited et 454539 Ontario Limited c. M.R.N., C.C.I., no 89-51(IT), 5 avril 1992[1], le juge Sarchuk devait examiner le sens de l'expression " série d'opérations ou d'événements " qui figure au paragraphe 55(2) de la Loi. L'appelante, qui cherchait à ce que l'on considère qu'elle entrait dans le cadre de la disposition de ce paragraphe afin de bénéficier des droits acquis qu'il confère, en matière de droits acquis, soutenait que les désaccords et l'hostilité entre trois actionnaires au cours de la période se situant entre 1975 et 1979 faisaient partie d'une série d'événements ayant mené à une réorganisation et à la vente de l'entreprise en 1980. Le juge Sarchuk a fait remarquer l'absence d'un lien entre les événements des années 1970 et la réorganisation et la vente d'actions qui ont suivi et il a statué qu'il ne s'agissait pas d'une série d'opérations ou d'événements ayant commencé avant avril 1980. En parvenant à cette conclusion, il a dit[2] :

Les éléments de preuve présentés à l'appui de la thèse de l'appelante ne permettent pas d'établir un lien raisonnable entre l'opération contestée et les événements ou opérations qui ont eu lieu avant le 22 avril 1980. MM. Mazzocca n'avaient aucune intention sérieuse de se départir de leur participation dans la Tri-M avant la fin de l'été ou le début de l'automne de 1980. D'après le témoignage de Romantino, il est clair que ce dernier et son frère tenaient à conserver leur participation dans la compagnie, intention qui a été confirmée par M. D'Angela, en fonction de sa compréhension de ce que Romantino et Mauro tentaient d'obtenir de M. Brunner. Voici comment M. D'Angela a décrit les instructions qui lui ont été données en septembre 1980 :

[TRADUCTION]                                                                                                                                                  

" Je crois que la première était de voir si -- MM. Mazzocca ne voulaient pas vraiment vendre leur participation. Ils auraient préféré trouver quelqu'un qui aurait tout simplement pris la participation de M. Manley et éliminer le problème, l'animosité et le manque de confiance qui existaient. Ils voulaient tout simplement changer d'associé. "

                                                                                                                                                                               

Selon l'avocat de l'appelante, les commentaires de M. Robertson, et donc la position du Ministère, se fondaient sur l'hypothèse selon laquelle, lorsque des opérations visant à réduire les gains en capital sont envisagées, les opérations ou événements qui se produisent à l'étape préliminaire font partie de la série d'opérations ou d'événements. Il a fait valoir que l'appelante rencontrait ce critère. Je ne suis pas d'accord. L'opération envisagée au paragraphe 55(2) est la disposition d'une action du capital-actions à la juste valeur marchande par suite de laquelle la corporation reçoit un dividende imposable à l'égard duquel elle a droit à une déduction en vertu du paragraphe 112(1) ou 138(6) de la Loi. Il est difficile, voire impossible, de trouver un seul élément de preuve qui pourrait nous porter à croire que MM. Mazzocca ou leurs corporations envisageaient une telle opération avant le 22 avril 1980. Le désir généralisé de se débarrasser d'un problème ne constitue pas un motif suffisant pour nous permettre de sauter à la conclusion souhaitée.

                L'expression "série d'opérations ou de transactions" doit être prise dans son sens grammatical et ordinaire, à la lumière du contexte dans lequel elle s'inscrit, du régime et de l'objet de la Loi et de l'intention du Parlement. Compte tenu de cette restriction, il semble raisonnable de conclure que, pour que des événements fassent partie d'une série, ils doivent se succéder dans le temps et doivent en quelque sorte être liés ensemble, de façon logique ou raisonnable. En outre, l'appelante et la 539 devaient elles-mêmes avoir l'intention de lier les opérations constituant la série pour atteindre le résultat souhaité, soit la disposition des actions de la Tri-M en faveur de la 461 dans les circonstances et selon les modalités décrites précédemment. Cette conception est conforme à la définition des termes "série", "opération" et "événement" que l'on retrouve dans les dictionnaires.

Ce passage a, depuis, été cité et approuvé par le juge Cullen dans l'affaire C.P.L. Holdings Ltd. v. Canada[3] et par le juge Archambault dans l'affaire Les Industries S.L.M. Inc. c. M.R.N.[4].

[6]            Dans l'affaire Les Industries S.L.M., le juge Archambault a examiné des définitions figurant dans des dictionnaires français et anglais, ainsi que dans la doctrine, quant au sens de l'expression " série d'opérations ou d'événements " (soit en anglais " series of transactions or events "). Il s'est également penché sur l'objet de la loi et a dit[5] :

[...] Ce paragraphe est une disposition anti-évitement visant à empêcher une réduction artificielle ou indue du gain en capital qu'un contribuable aurait réalisé s'il avait fait une simple vente de ses actions à leur juste valeur marchande. [...]

                Compte tenu de ces objectifs du paragraphe 55(2), quelle portée doit-on donner à l'expression "série d'opérations" et quand débute cette série d'opérations? À mon avis, l'expression série d'opérations doit avoir un sens qui est suffisamment large pour permettre aux autorités fiscales d'empêcher la réduction artificielle ou indue, mais qui est en même temps aussi limité que possible de manière à ne pas pénaliser inutilement un contribuable. [...]

[7]            L'avocat de l'appelante insistait beaucoup sur le jugement rendu par notre cour dans l'affaire Meager Creek Holdings Limited c. La Reine[6]. Dans cette cause-là, la Couronne arguait qu'un dividende déclaré en février 1990 et une vente d'actions ayant eu lieu en décembre suivant représentaient une série d'opérations ou d'événements aux fins du paragraphe 55(2) de la Loi. En rejetant cet argument, le juge O'Connor a dit[7] :

[29] Je reconnais la crédibilité des personnes qui ont témoigné pour l'appelante. Elles ont toutes, sauf M. Proctor, été soumises à de rigoureux contre-interrogatoires et, certes, certaines incohérences ont été révélées, mais ces incohérences n'étaient pas à mon avis cruciales. Les témoins Burridge, Pickering et Harris ont été constants dans leur position selon laquelle c'est le budget qui a suscité la déclaration des dividendes et non la possibilité d'une vente et la réduction de gain en capital consécutive. Le fait que 26 autres compagnies qui étaient dans des situations semblables à celles de la Meager, de la Tyee, de la Pemberton et de la CRB ont été avisées par M. Burridge, immédiatement avant le budget, de déclarer des dividendes, est une forte indication que l'objet sous-jacent à la déclaration de dividendes était d'éviter un impôt de distribution pouvant être prévu dans le budget et non d'obtenir une réduction de gain en capital sur une disposition d'actions.

[30] De plus, je ne suis pas d'accord pour dire qu'il y a eu une série d'opérations ou d'événements. Les dividendes ont été déclarés en février 1990, mais les discussions en matière de vente n'ont commencé qu'en août 1990, et la vente d'un tiers des actions de la Tyee et de la Pemberton a eu lieu le 31 décembre 1990. De l'aveu général, M. Pickering a, en octobre 1989, offert de vendre ses actions à M. Turner. Toutefois, c'était lié aux problèmes de santé de M. Pickering et cela n'indique pas qu'on envisageait de vendre l'entreprise totalement ou en partie à un acheteur éventuel. En outre, selon moi, la version française des paragraphes en question ne change rien à ces conclusions.

[31] De plus, je ne saurais accepter l'argument de l'intimée selon lequel toute vente ultérieure possible peut suffire pour que le paragraphe 55(2) entre en jeu. Il faut qu'il y ait une série d'opérations ou d'événements. Accepter l'argument de l'intimée pourrait ouvrir la voie à une application de ce paragraphe dans presque tous les cas où des dividendes intersociétés sont déclarés.

L'affaire Meager Creek n'était pas une cause dans laquelle la question du dividende se posait en vertu du paragraphe 84(3), de sorte que l'objet de la série d'opérations ou d'événements, s'il existait une telle série, était crucial relativement au résultat. La conclusion du juge O'Connor, dans le passage que j'ai cité précédemment, était que la preuve dont il était saisi établissait que l'objet sous-jacent à la déclaration du dividende était d'éviter l'assujettissement à l'impôt que pourrait prévoir une disposition pouvant être incluse dans un budget à venir et non de réduire un gain en capital possible sur une disposition future d'actions. Comme il était parvenu à cette conclusion, il s'ensuivait qu'aucun lien ne devait être constaté entre le dividende et la disposition effectuée environ 10 mois plus tard. En fait, une vente n'avait été envisagée qu'en août, soit environ six mois après la déclaration du dividende.

[8]            Cette jurisprudence établit que, pour que des événements ou opérations forment une série, il faut qu'il y ait un certain lien entre eux. La décision doit se fonder en grande partie sur les faits de chaque cause, mais il est pertinent d'examiner la proximité dans le temps, ainsi que l'objet et le résultat. Comme la présente espèce concerne un dividende réputé selon le paragraphe 84(3), il n'est toutefois pas nécessaire que l'objet inclue la minimalisation d'un gain en capital, si tel est le résultat du dividende. Je conviens avec le juge Archambault que, bien que l'on doive veiller à ne pas interpréter de façon trop large la mesure législative, il importe aussi de l'interpréter de manière à en permettre la réalisation de l'objectif anti-évitement.

[9]            M. Cox a témoigné qu'à l'été 1993 Greenstone, après environ 20 ans dans le domaine de l'exploitation forestière, connaissait une période difficile. Les paiements de matériel causaient des problèmes de trésorerie. L'entreprise de Greenstone consistait à couper du bois pour MacMillan Bloedel sur des terres appartenant à cette dernière, avec laquelle il devenait de plus en plus difficile de traiter. Cet été-là, M. Cox s'occupait de refinancer l'entreprise de Greenstone. M. William Huxham avait mis à jour les rapports financiers de la compagnie et, relativement à cela, le matériel de la compagnie avait été évalué par M. John Lloyd, soit un marchand local de matériel forestier.

[10]          Outre qu'il vendait du matériel forestier, M. Lloyd s'occupait de courtage auprès d'entreprises d'exploitation forestière. M. Cox a témoigné qu'il n'avait pas fait de M. Lloyd son représentant pour la vente de Greenstone. Toutefois, ils avaient bel et bien discuté de la vente de la compagnie au cours de l'été 1993 et M. Lloyd avait présenté le groupe Hayes à M. Cox à cette époque. La négociation avec le groupe Hayes s'était rompue en novembre 1993, puis, au cours du même mois, Greg Dougan avait commencé à négocier avec M. Cox et un marché avait été conclu le 14 décembre ou un jour ou deux après. Une convention de vente a lié les parties de la mi-décembre 1993 jusqu'à la fin de janvier 1994. Toutefois, le 28 janvier, M. et Mme Cox ont exercé leur droit de rendre le dépôt et de résilier le contrat, Dougan Logging étant incapable de financer l'achat.

[11]          M. Cox a témoigné que M. Huxham l'avait avisé en 1992 ou au début de 1993 que Greenstone devrait se départir des actifs non forestiers et il a témoigné qu'il avait temporisé avant de donner des instructions à cet effet. Cette temporisation avait cessé à la fin de novembre ou au début de décembre, pendant que les négociations avec M. Dougan se déroulaient et seulement quelques jours avant qu'un contrat soit signé. M. Cox savait que des raisons d'ordre fiscal sous-tendaient l'opinion donnée par M. Huxham. À la mi-décembre, ils avaient sollicité l'opinion d'un fiscaliste. Les documents donnant effet à la réorganisation ont été établis et signés entre le 10 décembre 1993 et le 11 janvier 1994. Il ne fait aucun doute qu'une vente des actions de Greenstone était envisagée par M. et Mme Cox à cette époque. En fait, cela devait être au premier plan dans leur esprit.

[12]          Peu après que, en janvier, le marché conclu avec M. Dougan eut échoué, M. Lloyd avait contacté M. Cox pour lui faire part de l'intérêt de Thomas et de Keith Olsen, qui ont en fait été les acheteurs, par l'intermédiaire d'une société. Les Olsen avaient rendu visite à M. Cox trois ou quatre jours après que le dépôt de M. Dougan fut rendu à ce dernier et ils avaient livré une lettre d'intention le 10 février, soit moins d'un mois après la signature du dernier des documents relatifs à la réorganisation.

[13]          Bien que M. Cox ait nié avoir passé un contrat avec M. Lloyd pour que ce dernier trouve un acheteur pour Greenstone, il a admis que Greenstone avait versé à M. Lloyd environ 35 000 $, soit un montant que lui et M. Lloyd avaient négocié. Il est révélateur que M. Lloyd n'ait pas témoigné. Je conclus que M. et Mme Cox avaient décidé de vendre Greenstone au cours de l'été 1993, si ce n'est avant cette période, et que M. Lloyd le savait et s'occupait pour eux, officieusement du moins, de trouver un acheteur. Une vente de Greenstone a indubitablement été à l'esprit de M. et Mme Cox de juillet 1993 jusqu'à avril 1994, c'est-à-dire jusqu'à la vente effective.

[14]          Les opérations effectives donnant lieu au dividende réputé selon le paragraphe 84(3) ont été une vente d'actions de Greenstone, par M. et Mme Cox à Granite Bay, et le rachat de ces actions, par Greenstone, contre le transfert de ses actifs non forestiers à Granite Bay. Les conventions relatives à la vente des actions et les résolutions de société sont toutes datées du 31 décembre 1993; il se peut qu'elles n'aient été signées que le 11 janvier 1994. Quoi qu'il en soit, il existait à cette époque une entente entre M. et Mme Cox et Dougan Logging quant à la vente de toutes les actions en circulation de Greenstone. Le dividende avait préparé Greenstone pour la vente en supprimant de Greenstone les actifs non forestiers. Il ne peut faire de doute que, si la vente à Dougan avait été menée à terme, cela aurait été l'aboutissement d'une série d'événements au sens du paragraphe 55(2). Si Dougan Logging avait cédé à un autre acheteur les droits qu'elle avait en vertu de la convention de décembre 1993 et que la vente avait été menée à terme, cela aurait entré dans le cadre du paragraphe 55(2). À mon avis, un changement quant à l'identité de l'acheteur — dans un cas où l'intention de vendre est restée intacte tout le temps et où le hiatus est aussi bref qu'en l'espèce — ne peut séparer le rachat d'actions de la vente subséquente des actions de M. et Mme Cox.

[15]          L'avocat de l'appelante insistait beaucoup sur le passage précité de la décision du juge O'Connor dans l'affaire Meager Creek et notamment sur le fait que le juge O'Connor avait rejeté la proposition selon laquelle " [...] toute vente ultérieure possible peut suffire pour que le paragraphe 55(2) entre en jeu "[8]. Il ressort toutefois clairement de la dernière partie de ce passage que le juge O'Connor se préoccupait seulement de ne pas interpréter le paragraphe 55(2) d'une manière si vaste qu'il englobe des ventes futures non encore envisagées. En cela, le juge O'Connor se faisait l'écho de la préoccupation exprimée antérieurement par le juge Sarchuk dans l'affaire 454538 Ontario Ltd. et par le juge Archambault dans l'affaire Les Industries S.L.M. Inc. Cependant, les faits de la présente espèce sont aux antipodes; conclure qu'aucun lien n'existait entre la réorganisation de la société et le rachat des actions de Greenstone en décembre ou janvier et la vente des actions de M. et Mme Cox en février serait faire fi de l'objectif anti-évitement manifeste du paragraphe 55(2), ainsi que du libellé du paragraphe 248(10).

[16]          L'avocat a en outre argué que les décisions rendues par la Chambre des lords[9] dans les affaires d'opérations en série étayent la notion selon laquelle les opérations ne doivent pas être assimilées à une série à moins que l'identité de l'acheteur final ait été connue tout le temps. La doctrine des opérations en série a été élaborée en Angleterre comme remède de common law à des manoeuvres d'évasion fiscale qui étaient élaborées dans un vide législatif. Il n'est pas étonnant que la Chambre des lords ait limité la doctrine aux situations dans lesquelles les opérations étaient réglées d'avance. Je ne pense pas que le raisonnement de la Chambre des lords à cet égard doive s'appliquer de manière à limiter excessivement l'efficacité d'une mesure législative anti-évitement particulière.

[17]          L'appel est rejeté. L'intimée a droit aux dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de juin 2001.

" E. A. Bowie "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 31e jour d'août 2001.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

98-2524(IT)G

ENTRE :

GRANITE BAY CHARTERS LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu les 4 et 5 juillet 2000 à Vancouver (Colombie-Britannique), par

l'honorable juge E. A. Bowie

Comparutions

Avocat de l'appelante :               Me Douglas H. Mathew

Avocat de l'intimée :                   Me Robert Carvalho

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation d'impôt établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1994 est rejeté avec frais.


Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de juin 2001.

" E. A. Bowie "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour d'août 2001.

Mario Lagacé, réviseur




[1]               93 DTC 427.

[2]               Ibid., par. 24 à 26.

[3]               95 DTC 5253 (C.F. 1re inst.).

[4]               C.C.I., no 87-523(IT)O, 12 juin 1995 ([1996] 2 C.T.C. 2572).

[5]               Ibid., aux par. 48 et 50.

[6]               C.C.I., no 96-2817(IT)G, 24 août 1998 (98 DTC 2073).

[7]               Par. 29 à 31.

[8]               Affaire Meager Creek Holdings Ltd. c. La Reine, précitée, au par. 31.

[9]               Craven v. White, Commissioners of Inland Revenue v. Bowater Property Developments Ltd., Baylis v. Gregory, [988] 62 T.C. 151 (Chambre des lords); W.T. Ramsay v. Inland Revenue Commissioners, [1982] A.C. 300; Inland Revenue Commissioners v. Burmah Oil Co. Ltd., 54 T.C. 200; Furniss v. Dawson, [1984] A.C. 274.

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