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Date: 20001112

Dossier: 2000-712-EI

ENTRE :

Dr WILLIAM WITHERELL,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Cain, C.C.I.

[1]                 L'appelant porte en appel une décision rendue par l'intimé le 18 janvier 2000, selon laquelle l'emploi de Christine Benjamin (l' « entrepreneuse indépendante » ) auprès de l'appelant, qui exploitait une entreprise sous le nom commercial Peninsula Dental Services, au cours de la période débutant le 5 juillet 1996 et se terminant le 26 janvier 1999 (la « période en cause » ) était un emploi assurable, étant donné que les services de l'entrepreneuse indépendante étaient fournis aux termes d'un contrat de louage de services et qu'il existait dans les faits une relation employeur-employé.

[2]            L'intimé a fondé sa décision sur les hypothèses suivantes :

                [TRADUCTION]

a) l'appelant est dentiste;

b) la travailleuse est hygiéniste dentaire;

c) l'appelant a embauché la travailleuse pour qu'elle soit l'une des trois hygiénistes dentaires travaillant à son cabinet;

d) la travailleuse n'a pas amené de clientèle au cabinet de l'appelant;

e) la travailleuse servait la clientèle de l'appelant avec les autres hygiénistes;

f) la travailleuse ne pouvait choisir l'hygiéniste qui la remplaçait si elle devait rater un rendez-vous;

g) en cas de report de rendez-vous, le cabinet répartissait le travail entre les hygiénistes en service à la date et à l'heure convenant au client;

h) la travailleuse n'avait pas de clientèle en propre au cabinet de l'appelant;

i) la travailleuse ne pouvait travailler en l'absence de l'appelant;

j) l'appelant était propriétaire des instruments utilisés par la travailleuse dans le cadre de ses fonctions;

k) la travailleuse n'engageait pas de dépenses dans l'exercice de ses fonctions;

l) la travailleuse était rémunérée à l'acte, au taux de 50 p. 100 des honoraires nets facturés;

m) les clients ne payaient pas directement la travailleuse en contrepartie de ses services;

n) la travailleuse était placée sous la supervision de l'appelant et du responsable de l'administration du cabinet;

o) la travailleuse n'était pas autorisée à travailler pour qui que ce soit d'autre durant la période où elle était au service de l'appelant;

p) l'entreprise appartenait à l'appelant, non à la travailleuse;

q) la travailleuse ne partageait pas les chances de bénéfice ni les risques de perte de l'entreprise de l'appelant;

r) un contrat de louage de services avait été conclu entre la travailleuse et l'appelant.

[3]                 L'appelant a admis les hypothèses énoncées aux alinéas a) à d) inclusivement, j), l) et m) mais a réfuté toutes les autres hypothèses.

[4]                 L'appelant, qui exploitait un cabinet dentaire, a embauché l'entrepreneuse indépendante comme hygiéniste dentaire le 5 juillet 1996 ou vers cette date. Ils voulaient établir une relation relevant selon eux d'un contrat d'entreprise, et c'est ce qu'ils ont fait. Les deux parties conviennent de ce point. Cette relation a duré jusqu'à la fin de la période en cause.

[5]            Dans la province de Terre-Neuve, l'hygiéniste dentaire est un spécialiste qui, en vertu de la loi, ne peut exercer ses activités qu'en présence d'un dentiste, sauf autorisation contraire.

[6]            Les services de l'hygiéniste dentaire et ceux du dentiste peuvent être complémentaires : le premier nettoie les dents, notamment en enlevant le tartre qui endommage les dents, puis le second examine le patient afin de voir s'il a des caries ou d'autres problèmes dentaires.

[7]                 Toutefois, à Terre-Neuve, les hygiénistes dentaires peuvent exercer leurs activités de façon indépendante des dentistes, et l'entrepreneuse indépendante offre ses services sans qu'un dentiste soit présent, ainsi qu'elle y est actuellement autorisée. Il faut en conclure que les hygiénistes dentaires sont hautement compétents, que leurs services ne font pas nécessairement partie intégrante de la pratique dentaire, et que la présence d'un dentiste n'est pas absolument nécessaire pour préserver la santé et le bien-être des patients.

[8]            L'intimé ne prétend pas qu'il soit impossible qu'un dentiste et un hygiéniste dentaire concluent un contrat d'entreprise. Il fait valoir que, peu importe l'intention qu'avaient les parties au départ, l'entrepreneuse indépendante est devenue l'employée de l'appelant, et que cet emploi était assurable pour l'application de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ).

[9]                 L'entrepreneuse indépendante a été incitée à travailler au cabinet de l'appelant par certains engagements et déclarations de ce dernier, que l'on pourrait résumer ainsi :

                -                 la clientèle était suffisante pour que son revenu s'élève à environ 70 000 $;

                -                 le cabinet mettrait à sa disposition les instruments et le matériel nécessaires à l'exécution de son travail;

                -                 sa clientèle se composerait des patients qui n'étaient pas servis par les deux autres hygiénistes dentaires travaillant au cabinet à ce moment-là, et cette clientèle serait exclusivement la sienne;

                -                 les autres hygiénistes dentaires étaient heureux qu'elle se joigne au personnel;

                -                 elle disposerait de l'équipement technique requis pour la gestion et le contrôle de sa clientèle;

                -                 un contrat écrit confirmant ces déclarations serait rédigé et lui serait soumis pour approbation.

[10]          En contrepartie, elle recevrait 50 p. 100 des honoraires nets facturés pour ses services, le reste allant au cabinet pour payer le coût rattaché à la clientèle de départ qui lui était fournie, aux instruments et à l'équipement de gestion, ainsi qu'aux locaux. De plus, elle s'est engagée à élargir sa clientèle en prenant la parole lors d'assemblées publiques et en faisant la promotion du cabinet de façon générale.

[11]          La relation entre l'appelant et l'entrepreneuse indépendante n'a pas été harmonieuse. Bien que la preuve présente des contradictions, il ressort que certains des engagements de l'appelant envers l'entrepreneuse indépendante n'ont pas été tenus, et que certaines des déclarations ne se sont pas avérées.

[12]          Une partie de la clientèle de l'entrepreneuse indépendante était constituée de clients que les autres hygiénistes ne servaient pas, mais le reste se composait de patients faisant partie de la clientèle de ces derniers, qui étaient mécontents de voir leur revenu amputé de la sorte. En outre, certains de ses clients étaient transférés à d'autres hygiénistes sans qu'elle en soit informée au préalable ou qu'elle donne son approbation [se reporter aux hypothèses énoncées aux alinéas e), f), g) et h)].

[13]          La première année, la clientèle de l'entrepreneuse indépendante ne lui a rapporté que la moitié du salaire de 70 000 $ évoqué au départ. Son revenu a par la suite atteint 75 000 $, lorsque le nombre d'hygiénistes a été ramené à deux, lors de la dernière année de la période en cause.

[14]          On ne lui a pas fourni au départ l'ordinateur promis pour la gestion et le contrôle de sa clientèle, et elle a dû s'en remettre au personnel de la réception et faire constamment l'aller et retour entre son local et la réception pour superviser sa clientèle, ce qui était source de bien des désagréments pour elle. Par contre, l'entrepreneuse indépendante n'avait pas une grande connaissance de l'utilisation d'un ordinateur, et rien n'indique qu'elle ait pris des dispositions pour combler cette lacune. La fourniture d'un ordinateur dès le départ ne lui aurait pas été d'un grand secours à ce moment-là.

[15]          Un contrat écrit ne lui a été soumis que vers la fin de la période en cause.

[16]                 L'entrepreneuse indépendante n'était pas supervisée par l'appelant ni par le responsable de l'administration du cabinet, comme le donne à entendre l'hypothèse énoncée à l'alinéa n), mais le fait qu'ils ne se soient pas conformés aux conditions dont était assortie son embauche a grandement limité sa capacité de travailler et de gagner un revenu raisonnable durant une bonne partie de la période en cause.

[17]          Aucun élément de preuve ne montre qu'il était interdit à l'entrepreneuse indépendante de travailler pour un autre cabinet pendant qu'elle était au service de l'appelant, comme l'indique l'hypothèse énoncée à l'alinéa o). L'entrepreneuse indépendante a témoigné qu'elle était réticente à le faire, sans doute à bon escient. Ce point aurait probablement été l'une des conditions prévues dans un contrat écrit, mais n'en aurait pas fait à lui seul un contrat de louage de services.

[18]          Les conditions d'embauche de l'entrepreneuse indépendante n'ont pas été respectées, mais cela ne suffit pas à transformer la relation d'origine en contrat de louage de services. Chaque violation de ces conditions pouvait faire l'objet de poursuites de la part de l'entrepreneuse indépendante, et c'est à elle qu'il appartenait de le faire si elle avait des doléances.

[19]                 L'entrepreneuse indépendante a adopté une attitude passive dès le début de la relation. Elle aurait dû insister pour que les conditions applicables à la relation de travail soient couchées par écrit, surtout lorsqu'il est devenu manifeste que son arrivée n'avait pas l'heur de plaire aux autres hygiénistes dentaires du cabinet. Elle a admis qu'elle ne possédait pas les connaissances requises pour utiliser un ordinateur, et elle aurait dû suivre aussitôt une formation afin de pouvoir demander à bon droit un ordinateur pour exercer un meilleur contrôle sur sa clientèle.

[20]          En outre, elle aurait dû insister par la suite pour que les autres garanties verbales qui lui avaient été données soient respectées, puis, constatant que tel n'était pas le cas, demander des conseils juridiques. Il ressort clairement de la preuve que l'entrepreneuse indépendante était réticente à défier l'appelant et son compère, le responsable de l'administration du cabinet. Cette réticence a été la source de pertes financières donnant ouverture à des poursuites.

[21]                 L'entrepreneuse indépendante n'était pas tenue de fournir les instruments à l'aide desquels elle fournissait ses services. Toutefois, l'appelant conservait 50 p. 100 des honoraires qu'elle gagnait, pour payer les locaux et l'équipement fourni et, on peut le supposer, pour tirer un certain bénéfice.

[22]                 L'entrepreneuse indépendante était son propre patron. On pouvait lui donner des instructions sur les choses à faire, mais non sur la manière de les faire. Une fois le nombre d'hygiénistes dentaires au cabinet ramené à deux, la plus grande partie de l'obstruction et de l'ingérence exercées par l'appelant et le responsable de l'administration du cabinet a cessé, et l'entrepreneuse indépendante a pu gagner le revenu qu'on lui avait fait miroiter au départ. Sa clientèle était bien établie à ce moment, et c'était sa clientèle propre.

[23]          Il s'agissait de son entreprise, et celle-ci n'était pas un élément essentiel à la prospérité de l'entreprise de l'appelant, n'en représentant qu'un élément accessoire.

[24]          À la lumière de ces éléments constituants et conformément au critère énoncé dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. Le ministre du Revenu national, [1986] 3 C.F. 553, qui consiste à peser tous les facteurs ayant eu une incidence sur la relation, le contrat verbal conclu entre l'appelant et l'entrepreneuse indépendante constituait un contrat d'entreprise et l'est demeuré tout au long de la période en cause, en dépit de l'ingérence de l'appelant.

[25]          L'appel est accueilli et la décision du ministre est annulée.

Signé à Rothesay (Nouveau-Brunswick), ce 12e jour de novembre 2000.

« Murray F. Cain »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 28e jour de mars 2001.

Isabelle Chénard, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-712(EI)

ENTRE :

Dr WILLIAM WITHERELL,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 25 août 2000 à St-John's (Terre-Neuve), par

l'honorable juge suppléant Murray F. Cain

Comparutions

Avocat de l'appelant :              Me Keith Morgan

Avocat de l'intimé :                           Me John O'Callaghan

JUGEMENT

          L'appel est accueilli et la décision du ministre est annulée selon les motifs de jugement ci-joints.

         

Signé à Rothesay (Nouveau-Brunswick), ce 12e jour de novembre 2000.

« Murray F. Cain »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de mars 2001.

Isabelle Chénard, réviseure


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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