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Date: 20000824

Dossiers : 98-711-IT-I

ENTRE :

RAYNALD TREMBLAY

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel portant sur les années d'imposition 1993, 1994 et 1995. La question en litige consiste à déterminer si les avantages imposables additionnels, au montant de 9 358 $ pour chacune des années d'imposition 1993, 1994 et 1995, ajoutés aux revenus de l'appelant pour ces années-là, ont été correctement calculés.

[2]            Du consentement des parties, le présent jugement est rendu à partir de toutes les pièces produites, de la transcription de tous les témoignages et de la plaidoirie des procureurs.

Les faits

[3]            Au cours des années en litige, l'appelant était propriétaire de la totalité des actions de la compagnie " 2643-5446 " qui exploitait une salle de quilles. À ce moment, la salle de quilles était située au numéro 1472 du boulevard Wallberg à quelques immeubles de l'endroit où il résidait avec sa famille, soit au 1284 du même boulevard. La compagnie louait alors les lieux occupés par le salon de quilles.

[4]            À compter d'août 1994, il a créé une autre compagnie soit " 9004-9693 Québec Inc. " où les actions étaient réparties à raison de 75 pour-cent pour l'appelant et 25 pour-cent pour son épouse Hélène Gaudreault, située cette fois au numéro 341 boulevard Vézina, à Dolbeau. La compagnie a construit l'immeuble abritant la salle de quilles et les activités inhérentes, soit un restaurant, un bar, une boutique du quilleur et un service de traiteur.

[5]            À cet endroit, la compagnie opérait le salon de quilles sous la raison sociale de " Salon de Quilles Dolbeau Enr. ". La salle de quilles était alors située à une distance d'environ 2.7 kilomètres de la résidence familiale. Regroupant 14 allées de quilles et ayant à son emploi 15 employés durant la saison forte, le Salon de Quilles Dolbeau Enr. pouvait accommoder jusqu'à 210 personnes.

[6]            Les activités allaient de la pratique des sports en général aux compétitions entre les diverses ligues ; il y avait également des tournois et des fêtes multiples ainsi que des rencontres de groupes d'employés de bureau, d'usine, de famille, etc. Le salon de quilles était en opération à compter de la fin du mois d'août jusqu'à la mi-mai de chaque année.

[7]            Au cours des années en litige, la compagnie avait mis à la disposition de l'appelant un véhicule de marque Dodge Grand Caravan 4 x 4 1992 (" Dodge Caravan ".

[8]            Le litige a trait à l'utilisation de ce véhicule à titre d'avantage imposable. L'intimée soutient que l'utilisation du véhicule en question constituait un avantage imposable pour l'appelant. De son côté, l'appelant soutient qu'il utilisait ce véhicule à des fins personnelles dans une proportion inférieure à 10 pour-cent du kilométrage enregistré et que de ce fait, il n'en tirait aucun avantage personnel sur le plan fiscal.

[9]            La preuve a porté essentiellement sur l'emploi du temps de l'appelant. Il a décrit son travail comme étant une activité l'accaparant totalement sept jours par semaine et cela, à raison de plus de 12 heures par jour. Pour ce qui était de la période d'inactivité de la mi-mai à la mi-août, l'appelant a soutenu qu'il licenciait ses employés mais consacrait sa totale disponibilité à la remise en état et à certaines réparations et améliorations de son salon de quilles, mais aussi à la préparation de la nouvelle saison à venir.

[10]          Parallèlement à ses occupations reliées à l'exploitation de l'entreprise, l'appelant a longuement témoigné sur son implication tant au sein de l'Association des salons de quilles du Saguenay-Lac St-Jean et l'Association des salons de quilles du Québec (" ASQ "), ainsi qu'à la Fédération des associations de salons de quilles du Québec, où il a agi à titre de président durant trois ans pour l'ASQ et à titre de directeur technique.

[11]          Dans le cadre de ces deux associations, l'appelant avait à se déplacer périodiquement et devait effectuer un kilométrage important et significatif pour lequel il ne touchait aucune indemnité, le tout ayant été défini et décrit comme étant du bénévolat par l'intimée.

[12]          D'ailleurs sur cette question de bénévolat, les parties ont soumis des vues opposées. Pour l'intimée, il s'agissait là d'une activité essentiellement personnelle n'ayant rien à voir avec l'exploitation du commerce propriétaire du véhicule moteur au centre du litige. Pour l'appelant, il s'agissait d'activités reliées à l'exploitation du salon de quilles.

[13]          À cet égard, je crois qu'il s'agissait bel et bien d'une activité reliée et connexe au salon de quilles dont le seul et unique but était la consolidation et le développement du sport des quilles et de ses à-côtés. N'eut été du fait qu'il tirait sa subsistance économique de cette activité, je doute que l'appelant aurait manifesté autant d'intérêt et surtout autant d'engagement. Dans les circonstances et pour ces raisons, je crois qu'il n'y a pas lieu d'exclure le kilométrage effectué pour les déplacements dans le cadre de cette participation reliée aux différentes associations.

[14]          L'appelant a soutenu que le véhicule Dodge Caravan servait pratiquement exclusivement aux opérations et pour la bonne marche de l'entreprise. Il a décrit et énuméré les différentes utilisations, dont notamment les commissions, le transport des joueurs, la participation aux compétitions, les nombreuses représentations auprès d'éventuels et potentiels clients, le renouvellement des inventaires requis pour l'exploitation, la participation à de multiples réunions, etc. En résumé, l'appelant a soutenu que le véhicule Dodge Caravan, utilisé à 95 pour-cent par lui-même servait exclusivement aux activités de la compagnie à l'exception du kilométrage parcouru entre la place d'affaires de la compagnie et sa résidence, soit environ 2.7 kilomètres et d'un voyage ou deux dans la région de Charlevoix.

[15]          L'appelant a fait témoigner monsieur Gabriel Dubé, en sa qualité de comptable et conseiller de l'entreprise. Le Tribunal a été très peu impressionné par le témoignage de monsieur Gabriel Dubé qui s'est décrit comme expert-comptable et consultant. Se décrivant comme personne-ressource régulièrement consultée, monsieur Dubé a témoigné comme s'il s'agissait de son propre dossier, se permettant même des commentaires et observations découlant plus de son intuition que des faits dont il était personnellement et directement informé.

[16]          En sa qualité d'expert, il aurait dû savoir que le fardeau de la preuve incombe au contribuable et que de ce fait, il est primordial de bien conseiller ses clients. Or, non seulement il n'a pas conseillé à l'appelant de tenir un registre faisant état de l'utilisation du véhicule dans le cadre de l'entreprise, il a plutôt tenté de discréditer la pertinence d'un tel registre en ajoutant qu'aucun de ses clients ne tenait un tel carnet.

[17]          L'appelant a aussi fait entendre monsieur Poulin Tremblay, qui connaissait l'appelant depuis une dizaine d'années. Il a décrit l'appelant comme étant très impliqué dans le monde des quilles. Lui-même associé au domaine des quilles depuis plus de 35 ans et en qualité de propriétaire de plusieurs salons de quilles, il a décrit les nombreuses contraintes et exigences reliées à la fonction d'exploitant d'un salon de quilles.

[18]          Il a confirmé que l'appelant ne recevait strictement rien pour les nombreux déplacements effectués dans le cadre des diverses réunions des différentes associations. Il a aussi expliqué et décrit les nombreuses préoccupations et exigences requises pour l'exploitation, la consolidation et le développement des salons de quilles.

[19]          Le témoignage de monsieur Tremblay a certes permis de mieux comprendre et mieux constater les exigences et contraintes associées à l'exploitation d'un salon de quilles, mais n'a pas apporté de contribution significative quant à l'usage personnel que l'appelant a pu faire ou ne pas faire du véhicule mis à sa disposition par la compagnie.

[20]          La preuve a établi que le véhicule avait effectué entre 25,000 et 30,000 kilomètres par année. Lorsque le salon de quilles était situé sur le boulevard Wallberg à quelques immeubles de sa résidence, l'appelant a soutenu qu'il se rendait souvent à son entreprise à pied d'où il y a lieu de s'interroger si le véhicule était aussi essentiel pour les besoins quotidiens de l'entreprise. Pour ce qui est de la deuxième période, la distance à parcourir entre l'entreprise et la résidence était d'environ 2.6 à 2.7 kilomètres.

[21]          La preuve a aussi révélé que l'appelant avait pu utiliser son véhicule à quelques reprises pour se rendre dans Charlevoix, jusqu'à la vente de sa propriété qui y était située en janvier 1995.

[22]          Outre ces réalités bien établies, la preuve a aussi révélé que l'entreprise était inactive annuellement de la mi-mai à la fin août, soit plus ou moins trois mois.

[23]          Au cours de ces périodes estivales, bien que l'appelant ait indiqué qu'il en profitait pour faire certaines réparations, certains travaux de peinture et certaines améliorations tout en préparant la nouvelle saison, la preuve a été peu étoffée quant à l'utilisation quotidienne du véhicule pour ces périodes si ce n'est que l'appelant devait participer à plusieurs réunions.

Analyse

[24]          L'appelant a soutenu qu'il avait utilisé le véhicule de la compagnie à des fins personnelles dans une proportion inférieure à 10 pour-cent. En égard au kilométrage annuellement parcouru, 10 pour-cent équivalait entre 2,500 et 3,000 kilomètres par année, soit entre 50 et 60 kilomètres par semaine ce qui est très peu, compte tenu que la place d'affaires de la compagnie était située dans une région du Québec où les distances entre les communautés sont relativement élevées.

[25]          Partant du fait que la seule utilisation personnelle du véhicule de la compagnie était le kilométrage parcouru entre sa résidence et la place d'affaires de la compagnie, soit 2.7 kilomètres, l'appelant a conclu à une utilisation personnelle de l'ordre de 6.69 pour-cent à 7.78 pour-cent.

[26]          Il s'agit là d'une hypothèse qui suppose que le véhicule a été utilisé à des fins personnelles exclusivement pour ce trajet. Cette appréciation ne tient compte d'aucune autre utilisation personnelle, dont les possibles voyages dans Charlevoix que l'appelant n'a pas été en mesure de chiffrer de façon précise.

[27]          À partir de cette réalité, la tenue d'un registre aurait été un outil fort utile, d'autant plus que l'appelant aurait dû savoir qu'il devait renverser une présomption à l'effet qu'il avait été avantagé personnellement par l'usage du véhicule de la compagnie.

[28]          La preuve soumise par l'appelant a été essentiellement circonstancielle. Il a établi qu'il s'agissait d'une entreprise très exigeante à laquelle il devait se consacrer entièrement déduisant de ce constat qu'il n'avait aucune disponibilité pour utiliser le véhicule concerné à des fins personnelles.

[29]          L'intimée a appuyé et étoffé ses prétentions en se référant à la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi ") et aux décisions jurisprudentielles pertinentes. De son côté, l'appelant a essentiellement rétorqué que chaque dossier était un cas d'espèce et qu'il s'agissait là d'un dossier unique dont la preuve avait démontré des faits et éléments particuliers qui commandaient la confirmation du bien-fondé de ses prétentions.

[30]          Je ne crois pas qu'il soit possible d'ignorer la jurisprudence d'autant plus que les faits ne sont pas aussi particuliers et différents que l'a prétendu l'appelant. Le jugement de la Cour d'appel dans l'affaire Adams c. Canada [1998] A.C.F. no 397, (Q.L.) est hautement pertinent. Il y a lieu d'en reproduire certains extraits où l'honorable juge Robertson s'exprimait comme suit :

...

6.              Le paiement incitatif à la location de 1 200 000 $ n'était pas inclus dans le revenu des contribuables en l'espèce à titre de revenu de la société, que ce soit aux fins comptables ou fiscales. Il est manifeste qu'ils y voyaient un avantage non imposable au titre du capital. Par suite, aucun d'eux n'a inclus dans son revenu déclaré les 66 666 $ reçus. Il s'agissait là d'une présomption commune avant l'adoption de l'alinéa 12(1)x) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Par contre, en calculant le revenu tiré de l'immeuble pour les années d'imposition 1985 à 1988, chacun des médecins a déduit sa part respective du paiement incitatif versé par le simple fiduciaire à la société, à titre de dépense locative différée, amortie sur dix ans. En somme, chacun de ces contribuables revendiquait une déduction au titre du paiement incitatif à la location, mais aucun d'eux n'incluait dans son revenu le montant reçu à l'égard de l'une quelconque des années d'imposition en question.

...

[31]          L'interprétation que l'appelant fait de la Loi est très simple. D'abord, il refuse d'admettre que la compagnie avait mis à la disposition de l'appelant le véhicule de marque Dodge Caravan en soutenant que le véhicule en question n'était utilisé que pour les fins commerciales de la compagnie. Ensuite, il soutient que si la compagnie avait mis le véhicule à sa disposition, il l'a utilisé dans une proportion inférieure à 10 pour-cent, ce qui a pour effet, toujours selon ses prétentions, d'annuler le bénéfice personnel que cela pouvait représenter.

[32]          Les dispositions de la Loi ne peuvent pas être interprétées aussi simplement, d'autant plus que la jurisprudence rejette pareille interprétation et fournit toutes les indications quant au cheminement à suivre en cette matière.

[33]          Tout d'abord, il m'apparaît important d'établir si l'appelant a bénéficié ou non d'un avantage de la compagnie " 9004-9693 Québec Inc. ". À cet égard, il n'y a aucun doute possible, puisque l'appelant a reconnu que le véhicule Dodge Caravan était à sa disposition et cela dans une proportion qu'il a lui-même chiffré à 95 pour-cent.

[34]          L'alinéa 6(1)a) se lit comme suit :

6               Éléments à inclure à titre de revenu tiré d'une charge ou d'un emploi

                (1) Sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, ceux des éléments suivants qui sont applicables :

a)             Valeur des avantages — la valeur de la pension, du logement et autres avantages quelconques qu'il a reçus ou dont il a joui au cours de l'année au titre, dans l'occupation ou en vertu d'une charge ou d'un emploi, à l'exception des avantages suivants :

(i)             ceux qui résultent des cotisations de son employeur à un régime de pension agréé, un régime d'assurance collective contre la maladie ou les accidents, un régime privé d'assurance-maladie, un régime de prestations supplémentaires de chômage, un régime de participation différée aux bénéfices ou une police collective d'assurance temporaire sur la vie,

(ii)            ceux qui découlent d'une convention de retraite, d'un régime de prestations aux employés ou d'une fiducie d'employés,

(iii)           ceux qui étaient des avantages relatifs à l'usage d'une automobile,

(iv)           ceux qui découlent de la prestation de services d'aide concernant :

(A)           soit la santé physique ou mentale du contribuable ou d'un particulier qui lui est lié, à l'exclusion d'un avantage imputable à une dépense à laquelle l'alinéa 18(1)l) s'applique,

(B)            soit le réemploi ou la retraite du contribuable;

(v)            ceux qui sont prévus par une entente d'échelonnement du traitement, sauf dans la mesure où l'avantage est visé au présent alinéa par l'effet du paragraphe (11);

[35]          Pour comprendre la portée de cet article, il est essentiel de comprendre la signification du mot " avantage ". Plutôt que de disserter sur le sens et l'étendue de cette notion, je préfère m'en remettre à l'analyse de l'honorable juge Pierre Archambault de cette Cour, qui a traité d'une façon très explicite de la notion d'avantage, dans l'affaire Luc Dionne et la Reine, [1996] A.C.I. 1691 ; il m'apparaît opportun de reproduire certains extraits où l'honorable juge Archambault s'exprimait ainsi :

[12]          Pour le ministre puisse inclure l'indemnité de transport de 3 181,34 $ dans le revenu de M. Dionne en vertu de l'alinéa 6(1)a) de la Loi, elle doit représenter la " valeur " d'un " avantage " que M. Dionne " a reçu " ou " dont il a joui " au cours de l'année 1993 " en vertu d'un contrat de travail ".

...

[17]          Analysons d'abord le sens usuel du mot " avantages ". Ce mot m'apparaît comme le plus important de cet alinéa. Le Nouveau Petit Robert le définit ainsi :

II - 1 - (1196) Ce qui est utile, profitable (opposé à inconvénient). - 2. bien; bénéfice, intérêt, profit. Cette solution offre, présente de grands, de précieux avantages. Retirer un avantage appréciable de qqch. Ces projets sont également intéressants, chacun a ses avantages. Accorder, offrir, procurer, garantir de notables avantages à qqn. Avantage pécuniaire. - gain, rémunération, rétribution. Avantages en nature*. Abandonner un avantage réel pour un profit illusoire (cf. Lâcher la proie pour l'ombre*). - intérêt. Le nouveau " aurait demandé des avantages exorbitants, une participation aux bénéfices " (Duhamel). [...] CONTR. Désavantage, détriment, dommage, handicap, inconvénient, préjudice.

Le mot " profitable " vient de " profit " qui signifie, selon le même dictionnaire, " [l'] augmentation des biens que l'on possède ou amélioration de situation qui résulte d'une activité. - avantage, bénéfice. Profit matériel; intellectuel, moral. - enrichissement ". Comme l'alinéa 6(1)a) vise à étendre la notion de revenu d'emploi que l'on retrouve au paragraphe 5(1) de la Loi, il est manifeste que l'alinéa 6(1)a) ne vise pas les avantages moraux ou intellectuels mais uniquement les avantages matériels, c'est-à-dire ceux " constitué[s] par des biens tangibles (spécialt. de l'argent), ou lié[s] à leur possession " (Nouveau Petit Robert) (Voir aussi les décisions Savage et Blanchard, précitées). " Situation " signifie notamment " 2- (XVIIe) (Abstrait) Ensemble des circonstances dans lesquelles une personne se trouve - circonstance, condition, état; place, position ".

[18]          Le mot " avantages " est donc capable de deux sens : celui qui reconnaît un avantage lorsqu'il y a augmentation des biens (donc du patrimoine) et l'autre, lorsqu'il y a amélioration de la situation économique d'une personne sans qu'il n'y ait nécessairement augmentation de biens. Une telle " amélioration " peut se produire non seulement lorsque l'employeur ne fournit à l'employé que la jouissance d'un bien mais aussi lorsqu'il paie à un tiers une dépense engagée à l'égard d'un bien ou d'un service pour le bénéfice de l'employé.

[19]          Examinons si ces deux sens s'accordent bien avec le libellé de l'alinéa 6(1)a). À sa lecture, on constate qu'il existe plusieurs motifs pour conclure que ces deux sens y sont reconnus. D'abord, il y a l'utilisation de l'expression " quelconques " ("of any kind whatever" dans la version anglaise) accolée au mot " avantages " qui laisse clairement entendre que cet alinéa vise tous les avantages quelle que soit la forme qu'ils prennent, qu'ils augmentent ou pas le patrimoine de l'employé.

[20]          Même si le moindre doute pouvait subsister quant à cette étendue, il se dissipe lorsque l'on constate que l'alinéa vise explicitement, comme avantages, la pension et le logement fournis à l'employé. Ces deux avantages n'augmentent pas le patrimoine de l'employé. Ils ne font que lui sauver une dépense qui, si elle avait été engagée par l'employé, aurait diminué son patrimoine. Personne ne contestera qu'un employé tire nettement un avantage économique lorsqu'un employeur lui fournit un logement gratuit.

[21]          Il y a aussi l'utilisation des verbes " recevoir " et " jouir " qui distingue le cas de l'employé qui a " reçu " des avantages qui augmentent son patrimoine, par exemple la propriété d'une voiture pour son usage personnel, et celui de l'employé qui a simplement " joui " des avantages qui, sans augmenter son patrimoine, " améliorent sa situation ", par exemple celui découlant de l'usage d'une voiture à des fins personnelles, dans la mesure où il se rapporte aux frais de fonctionnement. Ce dernier avantage est explicitement visé par le sous-alinéa 6(1)a)(iii) de la Loi avant 1993.

[36]          Ainsi la question n'est pas de savoir si le bénéficiaire d'un avantage en a réellement profité et dans quelle mesure. Il suffit qu'il en ait eu la possibilité, le droit de se servir ou d'utiliser l'avantage. Le seul fait de pouvoir utiliser, à des fins personnelles, un véhicule propriété de son employeur est en soi un avantage. En l'espèce, l'appelant pouvait ou aurait pu utiliser le véhicule à des fins plus larges et étendues que celles qu'il a décrites. D'ailleurs, n'a-t-il pas reconnu que le véhicule Dodge Caravan aurait été plus fiable et sécuritaire pour ses déplacements personnels dans Charlevoix si la température n'avait pas été clémente.

[37]          Il avait à sa disposition un véhicule plus spacieux, plus sécuritaire sans aucune contrainte quant à la fréquence d'utilisation. Cette seule réalité était suffisante pour conclure qu'il y avait bel et bien avantage.

[38]          Le fait de ne jamais l'utiliser ou de l'utiliser de façon très marginale n'annulait aucunement l'avantage. Le seul fait d'avoir le droit de l'utiliser est en soi un avantage en vertu de la Loi.

[39]          Les frais pour droit d'usage d'une automobile sont prévus à l'alinéa 6(1)e) qui se lit comme suit :

e)              Frais pour droit d'usage d'une automobile — lorsque son employeur ou une personne liée à son employeur a mis au cours de l'année une automobile à sa disposition (ou à la disposition d'une personne qui lui est liée), l'excédent éventuel de la somme visée au sous-alinéa (i) sur le total visé au sous-alinéa (ii) :

(i)             la somme qui représente les frais raisonnables pour droit d'usage de l'automobile pendant le nombre de jours de l'année où elle était ainsi à sa disposition,

(ii)            le total des sommes dont chacune représente une somme (autre qu'une dépense liée au fonctionnement de l'automobile) payée au cours de l'année à l'employeur ou à la personne liée à l'employeur par le contribuable ou par la personne qui lui est liée pour l'usage de l'automobile;

[40]          Finalement, les frais raisonnables pour droit d'usage d'une automobile sont prévus au paragraphe 6(2) de la Loi, qui se lit comme suit :

(2)            Frais raisonnables pour droit d'usage d'une automobile — Pour l'application de l'alinéa (1)e), la somme qui représente les frais raisonnables pour droit d'usage d'une automobile pendant le nombre total de jours d'une année d'imposition durant lesquels l'employeur d'un contribuable ou une personne liée à l'employeur a mis l'automobile à la disposition du contribuable ou d'une personne qui lui est liée est réputée égale au montant calculé selon la formule suivante :

A/B × [(2 % × (C × D) + 2/3 × (E - F)]

où :

A              représente le moins élevé des éléments suivants :

a)             le nombre de kilomètres parcourus par l'automobile, autrement que dans l'accomplissement des fonctions de la charge ou de l'emploi du contribuable, pendant le nombre de jours ci-dessus;

b)             le montant représenté par l'élément B ; toutefois, le nombre visé à l'alinéa a) est réputé égal au montant représenté par l'élément B, sauf si l'employeur ou la personne liée à celui-ci exige du contribuable qu'il utilise l'automobile dans l'accomplissement des fonctions de sa charge ou de son emploi et si la totalité, ou presque, de la distance parcourue par l'automobile pendant le nombre de jours ci-dessus est parcourue dans l'accomplissement des fonctions de la charge ou de l'emploi;

B              le produit de 1 000 par le quotient de la division, par 30, du nombre de jours ci-dessus, ce quotient étant, s'il est supérieur à un, arrondi, le cas échéant, au nombre entier le plus proche, les résultats ayant cinq au plus en première décimale l'étant à l'entier inférieur;

C              le coût de l'automobile pour l'employeur ou pour la personne qui lui est liée si l'un ou l'autre est propriétaire de l'automobile à un moment de l'année;

D              le quotient de la division, par 30, du nombre de jours où l'employeur ou la personne qui lui est liée est propriétaire de l'automobile, compris dans le nombre total de jours ci-dessus, ce quotient étant, s'il est supérieur à un, arrondi, le cas échéant, au nombre entier le plus proche, les résultats ayant cinq au plus en première décimale l'étant à l'entier inférieur;

E               le total des montants qu'il est raisonnable de considérer comme payables à un bailleur par l'employeur ou par la personne qui lui est liée, pour la location de l'automobile, pendant le nombre de jours où l'automobile est louée à l'employeur ou à la personne qui lui est liée, compris dans le nombre total de jours ci-dessus;

F               la partie du total représenté par l'élément E qu'il est raisonnable de considérer comme payable au bailleur au titre de tout ou partie du coût, pour celui-ci, de l'assurance :

a)             contre la perte de l'automobile ou les dommages à celle-ci;

b)             pour la responsabilité qui peut découler de son utilisation ou de son fonctionnement.

[41]          La formule prévue au paragraphe 6(2) de la Loi est très explicite et prévoit les montants exacts qui doivent être ajoutés aux revenus du bénéficiaire de l'avantage. Il s'agit là d'un exercice où il n'y a aucun espace pour la discrétion ou appréciation subjective. La formule essentiellement mathématique prévoit deux hypothèses incontournables.

[42]          L'alinéa 6(1)e) et le paragraphe 6(2) ne tiennent aucunement compte du fait que le bénéficiaire de l'avantage ait ou non utilisé le véhicule.

[43]          L'honorable juge Robertson de la Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Adams c. Canada, [1998] A.C.F. no. 477, explique très bien les paramètres de ces dispositions. Il y a lieu de reproduire quelques extraits de ce jugement :

[6]            Je conviens avec le Ministre que l'expression " mis à la disposition " ne peut recevoir l'interprétation restreinte ou étroite adoptée par le juge de la Cour de l'impôt. Dans les motifs qui suivent, j'appuie cette conclusion sur quatre raisons. ...

...

[8]            ... Dans ce contexte, il m'apparaît clairement que la formulation large et sans réserve que l'on retrouve dans les deux versions de l'alinéa 6(1)e) renforce l'argument du Ministre selon lequel l'usage non restreint d'une automobile n'est pas une condition préalable à l'application de cette disposition. L'historique législatif de cette disposition appuie également cette interprétation.

...

[10]          ... La modification supprimait toutes les références à une automobile mise à la disposition pour usage personnel. Je tiens pour acquis que cette modification avait pour but de faire échec à l'interprétation établie dans la décision Harman selon laquelle l'usage personnel minimal d'une automobile était suffisant pour éviter l'application de l'alinéa 6(1)e). ...

[11]          ... Dans le cadre de l'analyse contextuelle, j'aborde maintenant le paragraphe 6(2) qui énonce les éléments permettant de calculer les frais pour droit d'usage. À mon avis, cette disposition appuie également la position du ministre.

[12]          ... La première hypothèse est que l'employé a fait un usage personnel de l'automobile au cours de l'année. La deuxième est que cet usage personnel équivaut à 1,000 km pour chaque mois au cours duquel l'automobile était à sa disposition (12,000 km par an). ...

[13]          ... A/B x [1% x (C x D)]. ...

[14]          Dans ce contexte, il est manifeste que l'alinéa 6(1)e) comme le paragraphe 6(2) ne se préoccupent absolument pas du fait qu'un employé ait ou non utilisé la voiture de son employeur. L'alinéa 6(1)e) ne fait aucune référence aux fins pour lesquelles l'automobile a été mise à sa disposition et, en particulier, ne fait plus du tout référence à l'usage personnel qu'il en fait. ...

[15]          ... C'est l'usage réel qui a de l'importance, et non pas la question de savoir si un employé peut utiliser sans restriction ou exclusivement l'automobile de son employeur. Il est également important de noter que l'usage réel ne devient pertinent que dans le contexte de l'exception pour usage personnel minimal formulée au paragraphe 6(2).

...

[17]          En résumé, la formulation large utilisée dans les deux versions de l'alinéa 6(1)e), jumelée à son historique législatif, appuie la position du ministre. En toute déférence, l'usage non restreint ou exclusif de l'automobile d'un employeur n'est pas une condition préalable à l'imposition des frais pour droit d'usage. L'usage réel n'est pas non plus requis, que ce soit à des fins personnelles ou à des fins commerciales. Ce qui est exigé, c'est qu'un employeur ait mis une automobile à la disposition d'un employé et, corrélativement, que cet employé ait eu le droit d'utiliser l'automobile. Cette conclusion n'est que logique puisque le paragraphe 6(2) suppose qu'un employé a fait un usage personnel de l'automobile de son employeur, sans chercher à savoir s'il en a réellement fait usage. ... Cela dit, les conséquences rigoureuses qui découlent d'une disposition déterminative sont atténuées par l'exception " pour usage personnel minimal " qui a été greffée au paragraphe 6(2) par suite de la décision de cette Cour dans Harman. C'est à ce moment que l'usage réel et les fins pour lesquelles l'automobile a été mise à la disposition de l'employé deviennent des facteurs pertinents.

[44]          En bref, dès qu'un droit d'usage d'une automobile est accordé, il y a une présomption que 12,000 kilomètres par année ou 1,000 kilomètres par mois ont été parcourus à des fins personnelles.

[45]          Comme il s'agit d'une présomption, celle-ci peut être renversée par une preuve claire et expresse de l'utilisation réelle en termes de kilométrage, d'où le recours à un registre s'avère pratiquement indispensable.

[46]          C'est d'ailleurs ce qui ressort du jugement Lavigueur c. M.R.N., 91 DTC 445, rendu par l'honorable juge Pierre Dussault de cette Cour. Dans cette affaire, l'appelant était actionnaire de la compagnie qui mettait à sa disposition une automobile louée pour les fins de son travail. Son travail consistait à faire quotidiennement la visite des bijouteries Lavigueur situées sur la Rive Sud, à Montréal, sur la Rive Nord et aussi différents fournisseurs. Résidant à Ste-Julie, il retournait chez lui avec le véhicule de la compagnie étant donné qu'il aurait été imprudent, voire dangereux, de le laisser dans le stationnement attenant au siège social à Pointe-aux-Trembles. Quant au kilométrage parcouru à des fins personnelles, l'appelant qui ne tenait aucun registre, avait soutenu l'utiliser d'une manière très minimale, voire exceptionnelle, étant donné qu'il avait l'usage d'un autre véhicule qu'il utilisait pour ses propres besoins. L'analyse du juge Dussault a été la suivante :

...

Ainsi, l'appelant admet avoir eu l'automobile à sa disposition le soir et les fins de semaines mais affirme ne pas s'en être servi à des fins personnelles sinon exceptionnellement. Il affirme d'ailleurs qu'il possédait une autre automobile à cet effet, laquelle, bien que plus modeste et plus âgée, suffisait amplement aux besoins restreints de sortie le soir ou les fins de semaine. L'appelant est cependant peu précis quant au kilométrage total parcouru pour fins d'affaires; il dit qu'il peut s'agir de 40,000 à 60,000 kilomètres par année mais qu'il n'a tenu aucun registre à cet égard.

...

De façon à contrôler l'avantage résultant de l'utilisation pour fins personnelles d'une automobile appartenant à un employeur ou que celui-ci a louée, le législateur a donc cru opportun d'établir une présomption qu'il y a utilisation pour fins personnelles pour 1,000 kilomètres par mois ou 12,000 kilomètres par année aussitôt qu'un employeur met une automobile à la disposition d'un employé. Cette présomption peut être réfutée par l'employé et la Loi lui fait l'obligation de le faire de façon précise, " selon le formulaire prescrit " lorsque l'utilisation pour fins personnelles est moindre. Dans un tel cas, l'application de la formule arithmétique du paragraphe 6(2) a pour effet de réduire proportionnellement le montant à inclure dans le revenu de l'employé. Si un employé ne se conforme pas à cette obligation que lui impose la Loi, comment peut-il prétendre par la suite que le ministère du Revenu national n'est pas fondé d'inclure dans son revenu la somme prévue au paragraphe 6(2) de la Loi et résultant de l'application de la présomption qui y est établie?

[47]          En l'espèce, l'appelant a reconnu que ses seuls déplacements, de sa résidence à la place d'affaires de la compagnie, représentaient environ sept pour-cent de la totalité du kilométrage parcouru par le véhicule, laissant une marge de plus ou moins trois pour-cent. Il a soutenu par le biais d'une preuve essentiellement circonstancielle, que son emploi du temps et les exigences de l'entreprise ne lui permettaient tout simplement pas de faire plus de kilomètres à des fins personnelles que ceux requis pour se rendre à sa résidence.

[48]          En termes mathématiques, l'appelant a soutenu qu'il effectuait plus ou moins 2,000 kilomètres par année à des fins personnelles et qu'il n'a pu faire plus de 3,000 kilomètres, compte tenu de ses activités professionnelles.

[49]          Le fardeau de la preuve incombait à l'appelant et non à l'intimée. Il ne suffisait pas d'affirmer et répéter qu'il avait essentiellement utilisé le véhicule mis à sa disposition par la compagnie pour ses allées et retours à sa résidence et conclure que le total des kilomètres que cela représentait était inférieur à dix pour-cent. D'ailleurs, la preuve a établi que les calculs de l'appelant n'étaient pas aussi absolus qu'il l'a soutenu. A-t-il utilisé le véhicule pour se rendre dans Charlevoix ? La réponse a été peut-être une fois, ça dépendait de la température.

[50]          Résidant dans une région où les routes sont souvent enneigées ou glacées, il est plus que probable que le véhicule Dodge Caravan était régulièrement utilisé pour les besoins de la famille durant les saisons hivernales.

[51]          Il est facile d'imaginer une multitude de situations où il était logique, approprié, raisonnable d'utiliser le véhicule Dodge Caravan plutôt que les autres véhicules de la famille. Il n'appartenait pas à l'intimée de faire cette démonstration.

[52]          Bien que décrit comme étant non réaliste, voire même archaïque selon le comptable de l'appelant, il n'en demeure pas moins que le registre constitue sans aucun doute le meilleur outil pour établir d'une manière claire, nette et expresse, le kilométrage réellement parcouru à des fins personnelles.

[53]          Certes, il n'y a pas d'obligation rigoureuse de tenir un tel registre, sauf que celui qui décide de ne pas en avoir un, doit composer avec un réel problème pour faire la preuve de son utilisation précise. Une preuve circonstancielle n'est certainement pas la façon idéale de renverser la présomption opposable au bénéficiaire des droits d'usage d'une automobile par leur employeur.

[54]          La qualité de la preuve soumise par l'appelant et surtout l'absence d'assises vraisemblables font en sorte qu'il ne s'est pas conformé à l'obligation que la Loi lui exigeait à l'égard des années 1993, 1994, et 1995 s'il désirait ne pas être imposé sur la somme provenant du calcul prévu à la Loi ou s'il voulait être imposé sur un montant inférieur.

[55]          Pour ces motifs l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada ce 24e jour d'août 2000.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        98-711(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 Raynald Tremblay c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Chicoutimi (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 14 septembre 1998

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                                      le 24 août 2000

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :                          Me Régis Gaudreault

Avocate de l'intimée :                          Me Pascale O'Bomsawin

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                                Nom :                       Me Régis Gaudreault

               

                                Étude :                     Me Régis Gaudreault, avocat

                                                                                Jonquière (Québec)

Pour l'intimée :                                       Morris Rosenberg

                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                Ottawa, Canada

98-711(IT)I

ENTRE :

RAYNALD TREMBLAY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 14 septembre 1998, à Chicoutimi (Québec), par

l'honorable juge Guy Tremblay

Comparutions

Avocat de l'appelant :                                   Me Régis Gaudreault

Avocate de l'intimée :                                    Me Pascale O'Bomsawin

JUGEMENT

          L'appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1993, 1994 et 1995 est rejeté, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour d'août 2000.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.


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