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Date: 20010207

Dossier: 2000-2231-IT-I

ENTRE :

ANNA C. WHALEN,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

La juge Campbell

[1]            L'appelante interjette appel d'une cotisation établie à son égard pour l'année d'imposition 1998. Dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition en question, elle a déduit 5 542 $ à titre de frais de garde d'un enfant. Le ministre du Revenu national a refusé la déduction pour le motif que Dan Welsh, le conjoint de fait avec qui l'appelante résidait, était la personne assumant les frais d'entretien au sens du paragraphe 63(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi "), et que le revenu de M. Welsh en 1998 était réputé égal à zéro conformément à l'alinéa 3 f) de la Loi. Par conséquent, le revenu de l'appelante était supérieur à celui de son conjoint de fait. Dan Welsh n'était visé par aucune des dispositions énumérées au paragraphe 63(2), lequel aurait pu autrement permettre à l'appelante de demander la déduction en question même si son revenu était supérieur à celui de son conjoint de fait.

[2]            Il s'agit ici de déterminer si l'appelante a le droit de déduire le montant de 5 542 $ payé à titre de frais de garde d'enfants en se fondant sur l'article 63 de la Loi alors que son revenu gagné était supérieur à celui de son conjoint de fait et qu'aucune des dispositions du paragraphe 63(2) ne s'appliquait à ce dernier.

[3]            L'appelante et Dan Welsh sont les parents d'un enfant né en 1997. Ils résidaient ensemble au cours de la période pertinente. Le revenu net de l'appelante en 1998 dépassait celui de M. Welsh qui, travailleur autonome dans une entreprise récemment créée, était incapable d'en tirer un revenu. L'appelante était l'unique soutien financier de la famille. Même si les frais de garde ont été payés à même son revenu, on lui a refusé la déduction.

[4]            L'article 63 de la Loi accorde un allègement aux contribuables qui paient des frais de garde d'enfants pour travailler, exploiter une entreprise ou exercer des activités de formation. Le paragraphe 63(1) permet la déduction des frais de garde payés par un contribuable dans l'année relativement à un enfant admissible ou la déduction par un conjoint assumant les frais d'entretien d'un enfant admissible. La définition de " personne assumant les frais d'entretien " qui est pertinente en l'espèce est énoncée au paragraphe 63(3). M. Welsh est clairement la " personne assumant les frais d'entretien " dans la présente affaire. Cela étant, l'appelante devrait pouvoir déduire les frais de garde si la personne assumant les frais d'entretien était visée par le paragraphe 63(2) de la Loi. Or, M. Welsh n'est visé par aucune des dispositions du paragraphe en question. Cela signifie que l'appelante ne peut demander la déduction et, donc, que, dans la présente affaire, ni l'un ni l'autre parent ne peut se prévaloir de la déduction. L'article 63 ne donnant aucune définition du terme " revenu ", c'est l'alinéa 3 f) de la Loi qui s'applique. Aux fins de cette disposition, le revenu total négatif pour l'année est réputé égal à zéro. Dans la jurisprudence, ce montant a été considéré comme un revenu positif égal à zéro. Aux termes de l'alinéa 3 f), le revenu total négatif déclaré par M. Welsh est réputé égal à zéro, ce qui, selon la jurisprudence, est un revenu positif. Cela signifie que le revenu de M. Welsh est inférieur à celui de la contribuable, l'appelante. C'est la personne assumant les frais d'entretien dont le revenu est le moins élevé qui a droit à la déduction en question dans le calcul de son revenu. Du fait du paragraphe 63(2), c'est M. Welsh, la personne assumant les frais d'entretien, qui a droit à la déduction, mais, dans son cas, elle n'est d'aucune utilité.

[5]            L'appelante a invoqué les affaires La Reine c. McLaren, [1991] 1 C.F. 468 (90 DTC 6566) et Fiset c. M.R.N., C.C.I., no 86-1374(IT), 26 janvier 1988 (88 DTC 1226). Dans ces affaires, tranchées en 1990 et 1988 respectivement, on a conclu que le terme " revenu " s'entendait d'un montant positif et non d'un revenu nul ou inexistant. Pour remédier à ces décisions, le législateur a ajouté l'alinéa f) à l'article 3 de la Loi. Ainsi, la personne ayant un revenu inférieur à celui de son conjoint, qu'il soit égal à zéro ou négatif, après application des dispositions de l'article 3, est réputée avoir un revenu égal à zéro pour l'année en question. Et, évidemment, aux termes du paragraphe 63(2), le revenu positif de l'autre conjoint est alors clairement supérieur à celui du conjoint dont le revenu est réputé égal à zéro.

[6]            L'alinéa 3 f) est clair — la personne assumant les frais, dont le revenu est nul, est celle qui doit demander la déduction. Je conviens avec l'appelante qu'il en résulte une injustice, mais les dispositions de la Loi sont claires, et la jurisprudence l'est tout autant. Malheureusement, l'appelante est liée par le libellé incontournable de la loi. Le résultat est non seulement inéquitable, il est aussi déraisonnable. En raison de sa situation, l'appelante n'a pas droit à l'avantage prévu à l'article 63 même si l'unité familiale compte deux parents qui travaillent.

[7]            Au cours de l'instance, l'appelante a invoqué pour la première fois l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Elle a allégué que l'alinéa 3 f) et le paragraphe 63(2) de la Loi contrevenaient à l'article 15 de la Charte. Elle n'avait fait aucune mention de cette question dans son avis d'appel et, évidemment, elle ne s'est pas conformée aux conditions relatives à l'avis énoncées à l'article 57 des Règles de la Cour fédérale. L'avocat de l'intimée a soutenu que la Cour n'avait pas compétence pour entendre une question relative à la Charte au motif que cette question ne lui avait pas été correctement soumise, l'appelante ne s'étant pas conformée aux conditions relatives à l'avis prévues à l'article 57. L'avocat n'a pas invoqué à l'appui de son opposition le fait que cette question n'avait pas été soulevée dans l'avis d'appel.

[8]            Lorsqu'une question constitutionnelle est soulevée et que les conditions énoncées à l'article 57 n'ont pas été respectées, la Cour canadienne de l'impôt a pour pratique d'entendre les arguments. Si la Cour conclut que les arguments en question sont fondés, l'audition de la question sera ajournée afin que l'appelante satisfasse aux conditions énoncées à l'article 57. L'affaire Langlois c. R., C.A.F., no A-780-95, 27 mai 1999 (1999 CarswellNat 1695), une décision de la Cour d'appel fédérale, confirme la validité de cette pratique. J'ai écarté les objections de l'intimée et permis à l'appelante de soulever à l'audition la question relative à la Charte. L'avocat de l'intimée a obtenu l'autorisation de répondre à l'argument relatif à la Charte dans des observations écrites.

[9]            Après avoir analysé les arguments invoqués par l'appelante à l'audition ainsi que ses observations écrites et celles de l'intimée, je dois conclure que l'argument constitutionnel de l'appelante doit être rejeté. Curieusement, l'avocat de l'intimée n'a pas abordé l'argument de l'appelante fondé sur la Charte dans ses observations écrites. Il a plutôt cité l'article 57 et répété que je n'avais pas la compétence pour connaître d'une telle question constitutionnelle alors qu'il n'avait pas été satisfait aux dispositions de l'article 57. Il a invoqué les affaires R. c. Fisher, C.A.F., no A-276-94, 25 mars 1996 ([1996] 2 C.T.C. 103) et Nelson c. R., C.A.F., no A-457-99, 3 octobre 2000 (2000 CarswellNat 2038). Je me contenterai de dire qu'il y a deux courants de pensée à la Cour fédérale et que je préfère, comme démarche fondée sur le bon sens, l'affaire Langlois. À mon avis, la décision de la Cour fédérale dans l'affaire Nelson est clairement erronée et ne peut que retarder davantage l'audition des causes des appelants. L'argument de l'avocat selon lequel la Cour canadienne de l'impôt n'est pas compétente pour entendre la question constitutionnelle témoigne d'une ignorance remarquable du sens du terme " compétence ". La décision rendue dans l'affaire Nelson fait abstraction du sens ordinaire du libellé du paragraphe 57(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Ce paragraphe dit uniquement que les lois ou leurs textes d'application ne peuvent être déclarés invalides, inapplicables ou sans effet à moins que l'avis prescrit n'ait été signifié. Il n'empêche pas la Cour canadienne de l'impôt d'entendre l'argument. Lorsque j'ai autorisé l'avocat de l'intimée à déposer des observations sur l'argument de l'appelante fondé sur la Charte, je m'attendais à autre chose que la simple réitération de l'argument déjà invoqué sur les conditions relatives à l'avis énoncées à l'article 57. Cependant, l'omission de l'avocat de me faire part de l'existence de l'autre pratique, qui a été confirmée dans l'affaire Langlois, me préoccupe bien davantage. Il est tout à fait incorrect pour un avocat, à titre d'officier de justice, de s'abstenir de signaler à la Cour les décisions pertinentes qui n'appuient pas sa thèse.

[10]          L'appelante soutient qu'en l'empêchant de déduire les frais de garde de son enfant qu'elle a payés, l'alinéa 3 f) et l'article 63 créent à son égard un désavantage qui équivaut à une violation des droits qui lui sont garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte. Elle fait valoir que ces dispositions créent une situation où elle-même, qui était le soutien de la famille, et son conjoint de fait, qui s'efforçait de réussir dans une entreprise qui ne générait aucun revenu, ont été traités de manière injuste. Parce que la déduction leur a été refusée, soutient-elle, ils n'ont pas été traités de la même façon qu'une unité familiale où les deux parents exercent de façon productive un emploi rentable. Je suis d'avis que la différence de traitement résultant de l'application de l'alinéa 3 f) de la Loi n'est pas fondé sur l'un des motifs énumérés à l'article 15 de la Charte ni sur des motifs analogues à ceux-ci. L'alinéa 3 f) ne crée aucune distinction fondée sur des caractéristiques personnelles et il ne porte pas atteinte à la dignité personnelle de l'appelante ou à son estime de soi. Il ne met pas en cause non plus le paragraphe 15(1), dont l'objet est de remédier à certains problèmes de société comme les préjugés, les stéréotypes et les désavantages historiques. Cette disposition de la Loi est conçue pour conférer aux parents qui travaillent un avantage relativement au paiement de frais de garde d'enfants. Le fait que certains membres du groupe en retirent plus d'avantages que d'autres n'entraîne pas en soi une violation de l'article 15 de la Charte. C'est le juge Bowman qui a le mieux résumé la question dans l'affaire Hover c. M.R.N., C.C.I., no 90-2976(IT), 16 décembre 1992, à la page 5 (93 DTC 98, à la page 100), où il a dit :

[...] Un monde sépare les personnes qui reçoivent un traitement inéquitable en application de la loi du fait de caractéristiques personnelles qui échappent à leur volonté, comme la race, la couleur, le sexe, l'âge, la nationalité ou les déficiences mentales ou physiques, et celles qui choisissent volontairement une forme d'activité économique assortie d'un ensemble d'avantages et de désavantages sur le plan fiscal. Ce dernier groupe de personnes ne forme pas, à mon avis, une minorité discrète et isolée. [...] Ces personnes ne peuvent invoquer la Charte [...]

Bien que l'application de l'alinéa 3 f) ait un effet déplorable sur le plan financier lorsqu'un parent gagne un revenu et que l'entreprise de l'autre parent ne rapporte rien, on ne peut obtenir une mesure de redressement en se fondant sur le paragraphe 15(1). C'est vers le législateur qu'il faut se tourner pour obtenir réparation. Je ne suis pas convaincu que l'alinéa 3 f) et l'article 63 de la Loi violent les droits à l'égalité qui sont garantis à l'appelante par l'article 15 de la Charte.

[11]          C'est à regret que je dois rejeter l'appel.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de février 2001.

" Diane Campbell "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 12e jour d'octobre 2001.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-2231(IT)I

ENTRE :

ANNA C. WHALEN,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 12 décembre 2000 à Fredericton (Nouveau-Brunswick), par

l'honorable juge Diane Campbell

Comparutions

Pour l'appelante :                       L'appelante elle-même

Avocat de l'intimée :                   Me Ifeanyichukwu Nwachukwu

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1998 est rejeté selon les motifs du jugement ci-joints.


Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de février 2001.

" Diane Campbell "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour d'octobre 2001.

Mario Lagacé, réviseur


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