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Date: 20010316

Dossier: 2000-3754-IT-I

ENTRE :

PETER D. FIELD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1]            L'appelant interjette appel à l'encontre d'une cotisation fiscale établie pour son année d'imposition 1996, en vertu de laquelle le ministre du Revenu national (le " ministre ") a inclus dans son revenu le montant de 10 815 $ au motif que ce montant représentait une prestation reçue dans le cadre d'un régime enregistré d'épargne-retraite, comme l'indique un relevé T4RSP émis par Fonds Mutuels CI Inc.

[2]            L'appelant a indiqué dans son témoignage qu'il résidait à Vancouver, en Colombie-Britannique, et a reconnu qu'au cours de l'année d'imposition 1996 il avait retiré certains montants de plusieurs régimes enregistrés d'épargne-retraite (REER), comme l'établit le sous-paragraphe 9b) de la réponse à l'avis d'appel, mais il déclare qu'il n'a pas retiré le montant de 10 815 $ de Fonds Mutuels CI, comme le prétend le ministre. Il a déclaré les autres montants qu'il a retirés des REER désignés, VenGrowth Investment Fund Inc., Everest Mutual Funds de Canada Trust et Global Strategy Financial Inc., lorsqu'il a produit sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1996. Pour ce qui est des fonds en litige figurant dans la nouvelle cotisation établie par le ministre, l'appelant a déclaré que son ex-épouse avait rempli les formulaires nécessaires afin de faciliter le rachat du REER de Fonds Mutuels CI, mais qu'il avait été enregistré à son nom et qu'il ne s'agissait pas d'un REER au profit du conjoint. M. Field a déclaré qu'il avait demandé à Fonds Mutuels CI de lui fournir une copie du formulaire de rachat (pièce A-1) et que, lorsqu'il en avait reçu une en juillet 2000, il avait remarqué qu'elle était datée du 12 avril 1996. Le formulaire avait été rempli à la main par son épouse, mais l'appelant a déclaré qu'elle n'avait aucun pouvoir d'effectuer un retrait de ce REER et qu'il n'y avait pas d'entente entre eux lui permettant d'entreprendre une telle action. Sur le formulaire, aucune disposition ne prévoyait de directive quant au produit du REER, et on a autorisé son envoi à une adresse déterminée dans le document qui correspond selon l'appelant à celle de la maison des parents de son épouse à Mississauga, en Ontario. L'appelant et son épouse vivaient à Brampton, en Ontario, mais se sont séparés le 27 mars 1996. Lorsqu'il a quitté le foyer conjugal, il a omis d'emporter ses documents personnels. Son épouse possédait et exploitait Hewmac Investment Services Inc., le nom figurant sur le papier à en-tête du formulaire de rachat (pièce A-1), et elle était autorisée à faire souscrire de l'assurance-vie et des fonds communs de placement dans la province d'Ontario. Comme elle exerce cette activité depuis cinq années, l'appelant a déclaré que son épouse connaissait bien les procédures requises pour retirer des sommes d'un REER. En mai 1996, l'appelant a communiqué avec Fonds Mutuel CI et a demandé d'obtenir une copie des chèques (pièce A-2) se rapportant au retrait du REER. Il a remarqué qu'il y avait trois chèques, tous payables à son nom, s'élevant à 9 201,97 $ et qui ont tous été déposés dans le compte conjoint que son épouse et lui-même possédaient chez Canada Trust, South Common Mall, à Mississauga. Il a obtenu une copie d'un relevé bancaire pour ce compte en particulier (pièce A-3) et a découvert qu'un dépôt de 9 201,97 $ avait été effectué dans le compte le 18 avril 1996, mais que deux montants distincts, 4 201,97 $ et 5 000 $, représentant le montant total des retraits du REER, avaient été transférés le même jour vers un autre compte ouvert par son épouse. Il n'a jamais reçu de T4RSP de Fonds Mutuels CI et il suppose que ce dernier a été envoyé à l'adresse des parents de son épouse, à Mississauga. M. Field a déclaré qu'il avait communiqué avec des représentants de Revenu Canada au sujet des événements qu'il avait débrouillés et les avait informés que son épouse n'avait pas le pouvoir d'effectuer des retraits du REER. L'appelant a déclaré ne pas avoir signé les documents requis et considère que les signatures sont une contrefaçon effectuée par son épouse. Le 23 juillet 1996, une ordonnance (pièce A-4) a été rendue par la Cour de l'Ontario (Division générale), homologuant un accord de séparation qui avait été conclu par l'appelant et son épouse, dans lequel une disposition prévoyait le partage de certains biens matrimoniaux. Il a déclaré qu'au cours d'une conversation avec son épouse, cette dernière avait admis avoir encaissé le REER de Fonds Mutuels CI.

[3]            En contre-interrogatoire, l'appelant a indiqué qu'il savait que le montant total du retrait du REER était de 10 815 $. Ce REER avait deux ans, et il a répété qu'il n'avait jamais reçu d'avis de Fonds Mutuel CI quant à son rachat. Au cours des négociations entourant le règlement et la production de l'ordonnance (pièce A-4), il a déclaré que son avocat l'avait informé qu'il n'était pas pratique d'intenter un recours civil contre son épouse et il a accepté ce conseil. Son épouse a de temps à autre agi en son nom en sa qualité de courtière agréée, mais il ne lui a jamais remis de formulaires vierges de rachat qu'il avait signés pour qu'elle puisse les utiliser plus tard. Il a établi ces points dans son avis d'appel (pièce A-5) et y a déclaré, comme fait sur lequel il entendait se fonder, que l'ordre de rachat pour le retrait du REER n'était pas rempli de sa main et que la signature n'était pas la sienne. À son avis, cette différence est évidente lorsqu'on la compare à sa vraie signature, qui figure sur ledit avis d'appel.

[4]            L'appelant a soutenu qu'il avait été victime de fraude puisqu'il n'avait ni autorisé de retrait du REER ni reçu de prestations quelconques de ces fonds. Il avait choisi de ne pas intenter de recours civil contre son épouse, mais avait fourni à Revenu Canada une preuve claire au sujet de la question, et une cotisation aurait pu être établie à l'égard de son épouse afin d'inclure le montant du REER dans son revenu pour l'année d'imposition 1996, puisqu'il était évident qu'elle avait reçu ces sommes.

[5]            L'avocate de l'intimée a soutenu que l'appelant était toujours responsable de payer l'impôt sur le revenu à l'égard du montant total retiré dudit REER et que ce montant avait été correctement inclus dans son revenu en vertu des dispositions de l'alinéa 56(1)h) et des paragraphes 146(8), 146.01(1) et 146(16) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi ").

[6]            La partie pertinente de la définition de " prestation " du paragraphe 146(1) de la Loi est la suivante :

" prestation " Est comprise dans une prestation toute somme reçue dans le cadre d'un régime d'épargne-retraite, à l'exception :

[7]            Le paragraphe 146(8) de la loi est ainsi rédigé :

" Prestations imposables " - Est inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition le total des montants qu'il a reçus au cours de l'année à titre de prestations dans le cadre de régimes enregistrés d'épargne-retraite, à l'exception des retraits exclus au sens des paragraphes 146.01(1) ou 146.02(1), et des montants qui sont inclus, en application de l'alinéa (12)b), dans le calcul de son revenu.

[8]            La question portant sur la catégorie de retraits exclus ou découlant d'un partage du REER, à titre de bien, en raison de l'échec du mariage n'est pas contestée, et la seule question en litige est celle de savoir si, compte tenu de la manière dont le REER a été racheté, le montant réalisé doit être inclus dans le revenu de l'appelant pour l'année d'imposition 1996 en vertu de l'alinéa 56(1)h) de la Loi, qui est ainsi rédigé :

56(1) Sans préjudice de la portée générale de l'article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition :

[...]

h) toutes sommes relatives à un régime enregistré d'épargne-retraite ou à un fonds enregistré de revenu de retraite et qui doivent, en vertu de l'article 146, être incluses dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année...

[9]            Dans l'affaire St-Hilaire c. R., C.C.I., no 94-1791(IT)I, 7 août 1996 ([1997] 3 C.T.C. 2711), l'honorable juge Garon, tel était alors son titre, de la Cour canadienne de l'impôt, a examiné le cas d'un contribuable qui était devenu handicapé à la suite d'une blessure à la tête et dont la mère avait agi à titre de gardienne pendant 15 années, jusqu'au moment de son décès, en 1989, à la suite duquel un nouveau gardien avait été nommé. En 1984, la mère du contribuable, en sa qualité de gardienne, avait investi une partie du produit d'une police d'assurance-vie dans un REER et des montants supplémentaires avaient par la suite été ajoutés. Toutefois, le curateur public avait informé le nouveau gardien que le REER ne constituait pas un investissement autorisé et ledit gardien avait retiré les dépôts du REER en 1992, ce qui avait entraîné la réception d'un montant, que le ministre avait inclus dans le revenu du contribuable pour cette année-là. Le nouveau gardien avait interjeté appel au motif que l'investissement avait été effectué par erreur par l'ancienne gardienne et qu'il n'avait entraîné aucun avantage pour le contribuable. Aux pages 7 à 9 (C.T.C. : aux pages 2718 à 2720) de ce jugement, le juge Garon a déclaré ce qui suit :

Bien que je sympathise avec la situation de l'appelant, elle se doit de décider en fonction de la Loi. Celle-ci doit être appliquée de façon uniforme pour l'ensemble des contribuables canadiens, peu importe le niveau de connaissances du contribuable ou de celui ou celle qui le représente. Ce n'est pas non plus parce qu'un contribuable fait un placement qui ne s'avère pas aussi avantageux que prévu que la Loi doit être interprétée de façon plus large.

Tout d'abord, il n'est pas certain que tous les fonds utilisés pour acquérir les biens formant le REER faisaient partie de sommes qui avaient déjà été incluses dans le revenu. En effet, la provenance des fonds utilisés pour acquérir la police d'assurance-vie et les autres biens assujettis à ce REER n'a pas été établie. Par exemple, il est possible que la rente viagère versée à titre d'indemnité n'ait pas été l'objet d'une inclusion dans le revenu vu les dispositions de l'alinéa 81(1)q) de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoyant la non-inclusion dans le revenu d'un contribuable de certaines indemnités provinciales et du sous-alinéa 6501h)(ii) du Règlement de l'impôt sur le revenu qui désigne, dans le cas de l'Ontario, les indemnités qui y sont visées. Ces dispositions ne s'appliquent cependant qu'aux sommes reçues à compter du 1er janvier 1978.

Quoi qu'il en soit, je partage le point de vue de l'intimée que l'intention évidente du législateur est établie aux paragraphes 146(8) et 146(8.2). Selon le paragraphe 146(8), une somme retirée d'un REER doit en règle générale être incluse dans le revenu et ce n'est que dans la situation précise prévue au paragraphe 146(8.2) que le contribuable pourra réclamer une déduction. Les conséquences de la règle générale d'imposition formulée au paragraphe 146(8) de la Loi s'expliquent du moins en partie dans le cas actuel par le fait que les revenus provenant du REER en question n'ont pas été imposés durant toutes ces années (sauf pour l'année 1991) parce qu'il s'agissait précisément d'un REER. Par exemple, s'il n'était pas question d'un REER, la partie " intérêts " des revenus des biens en question aurait dû être incluse dans le revenu de l'appelant selon l'alinéa 12(1)c) et le paragraphe 12(4) de la Loi ou les dispositions antérieures qui étaient applicables à différentes époques pour chacune des années d'existence de ce fonds. L'appelant a donc bénéficié du report d'impôt à l'égard de ces intérêts pendant un grand nombre d'années. On doit se rappeler que l'accumulation des sommes à titre de revenu d'un REER sans qu'il ait nécessité d'inclusion de ces sommes dans le revenu aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu constitue l'un des deux bénéfices découlant de l'existence d'un REER, l'autre bénéfice étant la déduction dans le calcul du revenu des sommes versées à titre de primes à un REER. Il ne serait pas équitable à l'égard des autres contribuables si ces intérêts n'étaient inclus dans le revenu qu'au moment où le retrait des fonds du REER était effectué.

Par ailleurs, dans la jurisprudence on fait une étude de l'application du paragraphe 4(4) relativement à des contributions faites à des REER pour lesquelles aucune déduction n'était réclamée et qui sont par la suite retirées du régime. Je me reporte principalement à l'arrêt Carroll v. M.N.R.[1], où le juge Cardin fait une analyse des décisions antérieures pour conclure de la façon suivante :

                                                [TRADUCTION]

                                                Pour ces motifs, je dois conclure que le législateur avait certainement l'intention de soumettre à l'impôt toutes les sommes reçues ou retirées d'un fonds de retraite ou de pension, y compris un régime enregistré d'épargne-retraite, que les primes versées dans le régime ou le fonds aient déjà été déduites du revenu de l'appelant ou non. La modification de l'alinéa 146(1)b) faite en 1978, par laquelle les mots " à l'exclusion d'une prime " ont été supprimés, éclaire et confirme, à mon sens, le fait que le principe général établi par le juge Walsh dans Herman s'applique également au revenu reçu d'un R.E.E.R.

                                Je suis donc d'avis que le paragraphe 4(4) de la Loi ne s'applique pas dans le cas actuel vu l'intention évidente du législateur d'inclure dans le revenu d'un contribuable les sommes retirées d'un REER.

[10]          Dans l'affaire La succession de feu (W.) Tatarchuk c. M.R.N., C.C.I., no 90-3868(IT)I, 26 février 1993 ([1993] 1 C.T.C. 2440), l'honorable juge Bowman, tel était alors son titre, a entendu l'appel d'un contribuable dont le fils avait contrefait la signature, ce qui avait eu pour résultat que des sommes avaient été prélevées du REER de l'appelant pour être versées dans son compte chèques sans qu'il ne l'ait su ou n'y ait consenti, et le fils s'était alors approprié les sommes et les avait utilisées à son propre profit. Le ministre avait ajouté le montant du REER retiré dans le revenu du contribuable. En tirant la conclusion que le retrait était le résultat d'une fraude, le juge Bowman a déclaré ce qui suit à la page 2443 de son jugement :

... En tirant cette conclusion, j'applique une norme de preuve civile qui est compatible avec la gravité des allégations faites en l'espèce. La preuve fondée sur la prépondérance des probabilités comporte des degrés de probabilité qui dépendent de la nature de l'objet de la preuve. Si la fraude est invoquée, comme en l'espèce, le tribunal doit, même en appliquant une norme de preuve civile, examiner la preuve très attentivement et rechercher un degré de probabilité plus élevé que celui auquel on pourrait s'attendre si l'on tentait d'établir des allégations moins graves.

[11]          Selon le ministre, dans l'affaire Tatarchuk Estate, ci-dessus, il y avait eu un retrait d'agrément qui était un phénomène d'assujettissement à l'impôt, qu'il y ait réception ou non. Le deuxième motif de la cotisation se fondait sur le paragraphe 146(8) de la Loi. La situation de fait, dans cette affaire, concernait le décès du détenteur du REER, survenu après le retrait non autorisé des sommes. Toutefois, l'examen portant sur le retrait d'agrément prétendu et l'effet du retrait non autorisé est pertinent en l'espèce. Les parties de la décision du juge Bowman qui s'appliquent sont les suivantes :

Il ressort du paragraphe 146(2) -- et le Bulletin d'interprétation est compatible avec cette conclusion -- que le simple fait d'écrire la lettre demandant le " retrait d'agrément " -- peu importe que la lettre soit une falsification ou non -- ne constitue pas en soi un " retrait d'agrément ", c'est-à-dire une révision, une modification ou une substitution d'un nouveau régime qui se traduit par un régime révisé, modifié ou substitué non admissible aux fins de l'enregistrement. Le ministère estime que l'une des situations donnant lieu à l'imposition du rentier en application du paragraphe 146(12) est le versement avant l'échéance du régime de toute prestation en provenance ou en vertu du régime. Si le montant intégral du régime est versé à un rentier avant la date d'échéance, il n'est pas nécessaire de considérer le versement comme donnant lieu à un " retrait d'agrément " qui entraîne l'imposition. Celle-ci prend naissance dès que la somme est touchée en vertu du paragraphe 146(8). Selon l'interprétation du ministère, le versement au rentier d'une partie seulement des biens du régime aurait pour effet, aux termes du paragraphe 146(12), d'inclure dans le revenu du rentier l'intégralité des biens du régime, sauf si ce régime prévoyait un tel paiement, conformément à l'alinéa 146(2)b).

Il s'ensuit que si le régime n'avait pas, selon le ministre, fait l'objet d'un " retrait d'agrément " par suite de la demande non-autorisée et frauduleuse en date du 2 avril 1986 et du retrait des fonds, ceux-ci seraient encore dans le régime ER 10508. Ces fonds auraient, de toute manière, fait l'objet d'une imposition au moment du décès de la personne en cause en vertu du paragraphe 146(8.8).

Il est utile, en analysant la question, d'énoncer ce que je conçois être les arguments à l'appui des deux points de vue contradictoires. Ils ne sont pas forcément exprimés de la manière précise dont les avocats les ont exposés.

On peut dire en faveur de l'appelante que le fondement de l'impôt en vertu du paragraphe 146(12) a été anéanti puisqu'aucun " retrait d'agrément " (c'est-à-dire, une modification, une révision ou une substitution qui aurait rendu le régime inadmissible) n'a eu lieu, et la prétendue demande de retrait d'agrément était sans autorisation, illégale, frauduleuse et a été faite à l'insu du défunt. Dans le même sens, le fondement de l'impôt en vertu du paragraphe 146(8) a été anéanti parce que le défunt n'a jamais reçu les fonds du REER. L'utilisation temporaire du compte de banque du défunt dans le cadre de la manoeuvre frauduleuse n'équivaut pas à toucher des sommes au sens prévu par le paragraphe 8. C'était tout simplement le moyen dont John s'est servi pour commettre le vol. Si le ministre cherche à invoquer le paragraphe 146(8.8) au motif que le " retrait d'agrément " sans autorisation n'a pas eu lieu en droit, et qu'en conséquence les fonds devaient, en date du 17 décembre 1986, être encore dans le régime, cet argument va à l'encontre de ce qui s'est passé réellement et constitue une tentative visant à attribuer aux biens du REER une valeur imaginaire ou fantaisiste fondée sur ce qui serait demeuré dans le REER si les biens n'avaient pas été volés. L'imposition est fondée sur la réalité et non sur ce qui aurait pu se produire.

Je présume que la réponse du ministre à cet argument serait que le REER donne lieu à rien de plus qu'un impôt reporté. M. Tatarchuk a obtenu un report lorsqu'il a déduit les primes qu'il avait versées dans le régime ainsi qu'un autre report quant à l'intérêt gagné en vertu de ce régime. La Loi considère cependant que les sommes en question seront plus tard imposées d'une façon ou d'une autre, soit lorsque le bénéficiaire retirera les sommes d'argent à la date d'échéance du régime ou avant cette date, soit à son décès. M. Tatarchuk devait tôt ou tard être imposé sur ces sommes. Le vol a été commis non pas au moment du prétendu " retrait d'agrément ", mais lors du retrait des sommes du compte chèques du défunt, et cela, en soi, ne peut modifier l'incidence de l'imposition qui a pris naissance au plus tard lorsque les sommes ont été versées dans le compte, même si le défunt l'ignorait. En outre, le fils de William Tatarchuk allait probablement recevoir l'argent, de toute façon, en tout ou en partie, selon l'intention déclarée du défunt. Le fait que John est un faussaire, qui s'est attribué les sommes d'argent avant que le défunt ne le veuille, ne devrait pas être au détriment du fisc, d'autant plus qu'en fin de compte il aurait de toute façon été imposé sur ces sommes. La réalité est que, légalement ou illégalement, les sommes ont été retirées du REER et déposées dans le compte chèques du défunt où elles ont fait l'objet d'un vol. Cette réalité est tout ce qu'il fallait pour déclencher l'impôt. Ou bien l'acte par lequel John prétendait effectuer un " retrait d'agrément " était une nullité, et, dans ce cas, le régime n'a jamais fait l'objet d'un tel retrait, de sorte que les fonds auraient dû se trouver dans le régime au moment du décès de la personne en cause, ou bien son prétendu retrait d'agrément était valable. Dans l'un ou l'autre cas, le défunt devait être imposé sur les fonds en 1986. La succession du défunt ou la fiducie chargée du REER a une cause d'action contre John et la National Trust. C'est à eux que doit s'en prendre l'appelante, et non pas au ministre du Revenu national.

La réponse de l'appelante serait qu'il est inconcevable que l'économie de la Loi exige que la succession paie l'impôt sur des sommes que le défunt n'a jamais reçues et qui ne se trouvaient pas dans le REER quand il est décédé. Cette conclusion est contraire à la réalité et au bon sens. L'impôt ne peut être fondé sur une réclamation sans valeur contre John ou sur une cause d'action incertaine contre la National Trust.

Les deux arguments sont convaincants chacun à sa façon, celui de la Couronne d'un point de vue théorique, celui de la contribuable d'un point de vue pratique. À mon avis, ce qui fait pencher la balance en faveur de la contribuable c'est que, question de bon sens, un contribuable ne devrait pas, en l'absence d'une disposition claire à l'effet contraire, être imposé sur des sommes symboliques qu'elle [sic] n'a pas reçues.

L'article 146 ne contient pas de disposition claire de cette nature et je dois recourir à deux principes généraux énoncés par la Cour suprême du Canada.

Le juge Abbott dans l'arrêt Oxford Motors Ltd. v. M.N.R., 59 D.T.C. 1119 a déclaré ce qui suit à la page 1122 :

           

[TRADUCTION]

                Lorsqu'ils doivent se prononcer sur le sens du terme " revenu ", les tribunaux sont confrontés à des considérations d'ordre pratique qui n'intéressent pas le pur théoricien qui cherche à élaborer une définition de ce terme [...]

           

Ce principe s'applique que nous abordions ou non la question de savoir si un gain a été réalisé à titre de revenu ou à titre de capital comme l'a fait le juge Abbott dans l'affaire Oxford, ou qu'il s'agisse d'un régime légal complexe comme celui qui nous préoccupe en l'espèce.

Le deuxième principe est celui qui est énoncé dans la décision récente de la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Fries v. The Queen, 90 D.T.C. 6662, où le juge Sopinka a déclaré :

[VERSION FRANÇAISE OFFICIELLE]            

                Nous ne sommes pas convaincus que les paiements sous forme d'allocation de grève constituent en l'espèce un " revenu [...] dont la source " au sens de l'art. 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Dans ces circonstances, ce doute doit profiter aux contribuables.       

Dans le même esprit, le juge Estey a déclaré ce qui suit dans l'arrêt Johns-Manville Canada Inc. v. The Queen, 85 D.T.C. 5373 à la page 5384 :

[VERSION FRANÇAISE OFFICIELLE]           

                Une telle décision est de plus conforme à un autre concept fondamental de droit fiscal portant que, si la loi fiscale n'est pas explicite, l'incertitude raisonnable ou l'ambiguïté des faits découlant du manque de clarté de la loi doit jouer en faveur du contribuable.         

Le bénéfice du doute doit également favoriser le contribuable en l'espèce.

Le bon sens en soi est un facteur plutôt fragile et subjectif pour servir de fondement à une décision en matière fiscale, mais il constitue néanmoins le critère auquel toutes ces décisions doivent se mesurer. Le fondement technique de ma décision est le suivant :

a)              il n'y a pas eu de " retrait d'agrément " (quoi que cette expression puisse comprendre) au régime ER 10508 aux fins de l'application du paragraphe 146(12), puisqu'un étranger ne peut effectuer un tel retrait à l'insu et sans l'autorisation d'un rentier;

               

b)             les fonds n'ont pas été touchés par le défunt au sens du paragraphe 146(8), puisque son compte chèques n'était rien d'autre qu'un moyen utilisé par son fils à l'appui de sa manoeuvre frauduleuse;            

c)              la valeur des fonds ou des biens du régime ER 10508 immédiatement avant le décès de la personne en cause équivalait à zéro, si bien que le paragraphe 146(8.8) ne s'applique pas.             

En conséquence, on n'a démontré aucun fondement qui permettrait d'imposer en vertu de l'article 146 les sommes que John s'est attribué [sic]. Il va de soi qu'il devrait être inclus, dans le revenu du défunt pour l'année 1986, la somme de 12 345 $ retenue et versée par la National Trust, de même que la somme de 205 $ demeurée dans le compte chèques après que 28 600 $ des 28 805 $ qui s'y trouvaient eurent été retirés.

L'appel est, par conséquent, accueilli avec dépens, s'il y a lieu, et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour qu'il procède à un nouvel examen et à une nouvelle cotisation, conformément aux motifs susmentionnés, afin de supprimer du revenu du défunt pour l'année 1986 la somme de 28 600 $. L'appelante n'a pas droit aux honoraires d'avocats, puisque William J. Tatarchuk a comparu pour son compte à titre d'exécuteur testamentaire.

[12]          Le témoignage de l'appelant concernant l'absence d'autorisation de la part de son ex-épouse de racheter le REER de Fonds Mutuel CI est clair et n'a pas été contesté par le ministre. Lorsqu'il a produit son avis d'appel, l'appelant a établi sa position de la manière suivante aux paragraphes 4 et 5 :

                                [TRADUCTION]

Le relevé T4RSP a été envoyé dans des conditions frauduleuses. Je possède des preuves documentaires attestant que je n'ai pas demandé que le REER soit encaissé, que je n'ai pas reçu les chèques et que je n'ai jamais reçu de produits du REER.

Entre autres choses, j'ai une copie de l'ordre de rachat de Fonds Mutuels CI, que je n'ai pas rempli et dont la signature n'est pas la mienne. L'adresse donnée pour l'envoi du chèque n'était pas la mienne et je n'ai jamais vécu à cet endroit.

[13]          Le ministre, dans sa réponse à l'avis d'appel, n'a pas contesté ces déclarations, mais ne s'est que fondé sur les hypothèses de fait établies au paragraphe 9 de ladite réponse, dans laquelle les détails du retrait du REER de Fonds Mutuels CI ont été énoncés, y compris une hypothèse selon laquelle l'appelant avait reçu une prestation de 10 815 $, qu'il n'avait pas déclarée au moment de la production de sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1996. La différence entre ce montant et celui de 9 201,97 $ réellement remboursé par Fonds Mutuels CI est probablement due à une retenue d'impôt, par Fonds Mutuels CI, d'un montant équivalent à 15 p. 100 du montant racheté.

[14]          Je suis d'accord pour dire qu'il faut être prudent lorsque l'on formule une hypothèse de fait portant sur la malhonnêteté ou la fraude, même dans le contexte civil, particulièrement lorsque la partie qui aurait posé le geste n'a pas participé à la procédure devant la Cour. Toutefois, il m'est suffisant, pour les besoins du présent appel et aux fins de déterminer les faits, de conclure que les actions entreprises par l'ex-épouse de l'appelant en vue de racheter le REER de Fonds Mutuels CI n'étaient pas autorisées et que la signature figurant sur le formulaire requis (pièce A-1) n'était pas celle de l'appelant. À mon avis, cela est évident lorsqu'on la compare à sa signature réelle, qui apparaît sur l'avis d'appel (pièce A-5). Il n'est pas nécessaire d'être un graphologue pour reconnaître la tentative maladroite de copier la signature quelque peu particulière de l'appelant, qui semble être composée de ses initiales et qui rappelle une forme ressemblant à un logo ou à un symbole. Aucun élément de preuve n'a démontré que l'appelant ait été négligent en permettant une telle action par son épouse à la suite de leur séparation et le fait qu'elle ait été sa courtière en placements, conformément à son permis et à ses qualifications spéciales, n'est pas plus important que si l'appelant avait été victime de fraude de la part d'un employé d'une institution financière qui aurait géré son portefeuille de REER. L'ordonnance de la Cour faisant partie de la pièce A-5, au paragraphe 13, fait mention de certains fonds communs de placement qui étaient la propriété de l'appelant, francs et quittes de toute réclamation de son épouse. Au paragraphe 14, on mentionne l'annexe A, non déposée en preuve, qui contenait une liste de certains fonds communs de placement déclarés être la propriété de l'épouse francs et quittes de l'appelant. Selon le témoignage de l'appelant, ce dernier a lu la copie manuscrite de l'annexe A, et le REER de Fonds Mutuels CI n'était pas mentionné dans l'entente ou dans une ordonnance ultérieure. Il a également déclaré qu'en acceptant l'avis de son avocat, dans le contexte du règlement d'ensemble de leurs problèmes conjugaux, il avait choisi de ne pas poursuivre celle qui était sur le point de devenir son ex-épouse devant une cour civile, même si elle avait admis avoir encaissé le REER et qu'il en avait obtenu la preuve documentaire en vue de démontrer qu'elle l'avait fait sans son autorisation.

[15]          L'avocate de l'intimée a fait remarquer que, lorsqu'il avait placé l'argent dans le REER, l'appelant avait obtenu la possibilité de déduire les montants de son revenu imposable. Cela est possible, mais, lorsqu'un contribuable est victime d'un détournement de fonds commis par une personne qui est autorisée à gérer ses investissements, la loi ne peut sanctionner le fait que la victime, en même temps, doive payer le montant d'impôt sur le revenu applicable au retrait non autorisé, puis doive poursuivre en justice le contrevenant, qu'il s'agisse d'une société de cautionnement, d'un administrateur de faillite ou d'un employeur, le cas échéant, ou attendre qu'une mesure de redressement soit accordée par le gouvernement fédéral ou provincial, plusieurs années plus tard, à la suite d'une longue enquête, qui peut être publique. Il est plus judicieux pour le ministre, à mon avis, d'inclure le montant des sommes frauduleusement acquises dans le revenu de la partie contrevenante, particulièrement lorsque la preuve nécessaire est déposée et qu'elle établit en détail le bien-fondé d'une telle imposition. En outre, le ministre pourrait établir une cotisation à l'égard du contribuable, si et lorsque les sommes indûment appropriées ont été recouvrées, au motif que le montant initialement réalisé grâce au retrait involontaire du régime n'a pas perdu sa qualification l'exonérant de l'impôt et qu'il pourrait encore être considéré comme un montant demeurant dans le REER, et, en conséquence, le contribuable devrait inclure le montant recouvré dans son revenu. Cette solution pourrait ne pas résister à une contestation du contribuable, mais elle aurait une meilleure chance de survie que la proposition actuellement avancée au nom du ministre à titre de fondement de la cotisation en l'espèce.

[16]          Je ne peux voir comment l'appelant, dans le sens simple et ordinaire, a " reçu " des montants " à titre de prestations dans le cadre " d'un REER au sens du libellé utilisé au paragraphe 146(8) de la Loi. Il n'a pas reçu d'argent du retrait du REER et il n'a pas reçu de prestations. Le compte conjoint auparavant détenu par l'appelant et son épouse a été utilisé comme moyen de faire passer les sommes détournées dans un nouveau compte au seul nom de l'épouse et cette procédure n'a pas profité à l'appelant.

[17]          Il est vrai que l'appelant a auparavant obtenu un certain allègement fiscal au moment de déposer des sommes dans ledit REER. La question de savoir si l'allègement fiscal que le contribuable obtiendra en participant à un REER et en se soustrayant ainsi à un taux marginal d'imposition est, au bout du compte, plus important que le montant attribuable à un retrait est discutable lorsque l'on considère par exemple que les taux marginaux d'imposition fédéral et provinciaux reportés en 1984 étaient considérablement inférieurs au taux applicable à un retrait des sommes originales, ainsi que de l'intérêt gagné, au cours de l'année d'imposition 1999. Je ne pense pas que la situation de fait vécue par l'appelant soit suffisamment courante pour justifier un débat parlementaire sur une modification de la loi afin d'exiger que l'impôt soit payé sur tout retrait effectué d'un REER d'un contribuable sans égard pour la manière dont cela se produit. De même, je doute qu'il y ait une vague de conspirations par laquelle des personnes vont dorénavant comploter afin d'organiser des prétendus retraits de REER non autorisés - alors qu'en fait ils seront fait avec le consentement du détenteur - de façon à ce que les parties coupables s'enrichissent de la différence des taux marginaux d'imposition ou même profitent d'un avantage inattendu si la personne responsable du retrait réel, comme en l'espèce, peut éviter de voir le montant inclus dans son revenu. On peut imaginer le défi auquel serait confrontée une agence de publicité dont les services seraient retenus par un cabinet faisant affaires à titre de courtier en placements qualifié vendant des REER et tentant de vendre un produit, durant la période précédant immédiatement le délai de production de la déclaration de revenus, qui devrait révéler aux investisseurs potentiels qu'ils risquent de payer de l'impôt sur le revenu sur tout retrait futur non autorisé et/ou frauduleux effectué par le représentant, l'employé ou le gestionnaire du régime de pension en question. Toutefois, la cotisation du ministre s'appuyait de toute évidence sur la loi qui permettait une telle interprétation. Je ne peux souscrire à cette opinion, et on ne m'a pas fourni de jurisprudence soutenant une entorse aussi radicale aux règles ordinaires qui s'appliquent au processus de détermination de la signification du libellé de la disposition législative. Les faits en l'espèce ne sont pas fondés sur une prétendue gestion négligente quelconque d'un compte ou sur un malentendu découlant d'une mauvaise communication avec un courtier au sujet d'un retrait de sommes d'un régime enregistré d'épargne-retraite. Le présent appel concerne un geste non autorisé posé par une personne se trouvant auparavant dans une position de confiance en tant que courtière en valeurs mobilières autorisée, dont la conduite incorrecte lui a permis de tirer un avantage et, en conséquence, a porté préjudice à l'appelant.

[18]          L'appel est accueilli, avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le montant de 10 815 $, auparavant inclus dans le revenu à titre de prestation reçue dans le cadre du REER de Fonds Mutuels CI, doit être supprimé.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 16e jour de mars 2001.

" D. W. Rowe "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 3e jour d'octobre 2001.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-3754(IT)I

ENTRE :

PETER D. FIELD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 26 janvier 2001 à Vancouver (Colombie-Britannique) par

l'honorable juge suppléant D. W. Rowe

Comparutions

Pour l'appelant :                         L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                 Me Johanna Russell

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1996 est admis, avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, conformément aux motifs du jugement ci-joints.


Signé à Sidney (Colombie Britannique), ce 16e jour de mars 2001.

" D. W. Rowe "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour d'octobre 2001.

Mario Lagacé, réviseur




     [1]             84 DTC 1614.

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