Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20000207

Dossier: 1999-101-IT-I

ENTRE :

AUDREY SEVERSON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Avocat de l'appelante :                       Me Ronald Balacko

Avocat de l'intimée :                            Me Jeffrey Pniowsky

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Motifs du jugement

(prononcés oralement à l'audience le 22 novembre 1999

à Regina (Saskatchewan))

Le juge Margeson, C.C.I.

[1]            La question la plus épineuse que la Cour ait à trancher dans cette affaire est de savoir si, en 1995, l'appelante avait une attente raisonnable de profit à l'égard de l'entreprise Amway dans laquelle elle s'était lancée. Pour ce qui est de l'année 1996, il apparaît tout à fait évident à la Cour et il aurait dû apparaître évident à l'appelante en 1996 que les mesures que l'appelante avait prises entre 1994 et 1995 — quelles qu'elles soient — ne marchaient pas. L'appelante ne pouvait raisonnablement s'attendre à réaliser un profit en 1996. Elle ne peut déduire les pertes subies en 1996, sauf celles qui ont déjà été admises par le ministre.

[2]            Comme je l'ai mentionné, la question la plus difficile que la Cour ait à trancher se rapporte à l'année 1995.

[3]            L'avocat de l'appelante a de façon générale admis que, pour que l'appelante ait gain de cause ici et puisse faire valoir qu'elle avait une attente raisonnable de profit en 1995, tout dépend du plan d'action ou du changement d'orientation que, dit-il, l'appelante avait adopté entre 1994 et 1995. En 1993, le revenu brut de l'appelante a été très élevé, soit 82 440 $. Le revenu brut de l'appelante est passé de 14 712 $ en 1992 à 82 440 $ en 1993. Cela représente une grosse augmentation de volume. On pourrait raisonnablement s'attendre que, lorsque le volume augmente, le profit va également augmenter. Cela n'est pas arrivé en l'espèce. En 1993, l'appelante a subi une perte de 27 361 $ et, en 1994, elle a subi une perte de 19 294 $, soit presque la moitié de son revenu brut. Et tel est le problème dans le cas présent.

[4]            Il semble que, indépendamment de l'augmentation totale du revenu brut, les dépenses ont continuellement augmenté tout au long de la période allant de 1991 à 1996. On doit conclure que le véritable problème qui existait était l'incapacité à réduire les dépenses. Pour redresser cette entreprise, il fallait que l'appelante prenne des mesures correctives.

[5]            La seule mesure corrective que l'appelante semble avoir prise tenait au fait que l'appelante s'était entretenue avec son supérieur hiérarchique, qui lui avait dit qu'elle devrait diminuer ses dépenses. Il était impossible que l'appelante puisse un jour s'attendre à réaliser un profit sans réduire ses dépenses. L'appelante entendait diminuer ses dépenses en accroissant son importance verticale et en réduisant son importance horizontale.

[6]            Voici maintenant une explication de la Cour quant à savoir ce que l'appelante voulait dire par là. L'importance horizontale de l'appelante représentait le nombre de représentants que l'appelante avait dans les différents secteurs où elle oeuvrait. L'importance verticale représentait la quantité de travail qu'accomplissaient les autres représentants auxquels l'appelante faisait appel dans ces différents secteurs, c'est-à-dire la quantité de ventes qu'ils généraient sur le plan vertical.

[7]            L'appelante a dit qu'elle allait diminuer ses dépenses en accroissant son importance verticale et en réduisant son importance horizontale, car c'était l'importance horizontale qui donnait lieu à toutes les dépenses. L'appelante avait dû acheter de nouvelles vidéocassettes pour les autres personnes et, chaque fois qu'elle faisait appel aux services de quelqu'un, il y avait des dépenses supplémentaires. C'est ce qui explique le montant élevé des dépenses pour 1993, année durant laquelle l'appelante accroissait son importance horizontale.

[8]            Pour que la Cour conclue que les efforts de l'appelante étaient suffisants pour créer un changement qui permette d'avoir une attente raisonnable de profit, il faut que la Cour sache ce que l'appelante a fait. Il y avait très peu d'éléments de preuve à cet égard, outre ce qui a été mentionné précédemment. Il n'y avait absolument aucun élément de preuve quant à savoir comment l'appelante avait réduit ses dépenses au cours des années 1993, 1994 et 1995 ou quant à savoir de quoi se composaient ses dépenses. On n'a présenté à la Cour aucun élément de preuve lui permettant d'arriver à une conclusion satisfaisante quant au fait que les mesures que l'appelante prenait entre 1994 et 1995 pour réduire ses dépenses marchaient effectivement.

[9]            Pour que l'appelante ait gain de cause ici, il faut suffisamment de preuves que les modifications apportées par l'appelante étaient suffisantes pour donner lieu à un changement et que l'appelante pouvait passer d'une entreprise sans attente raisonnable de profit en 1994 à une entreprise avec attente raisonnable de profit en 1995.

[10]          En ce qui a trait à la période de démarrage, le ministre a assurément admis une période de démarrage suffisante, qui se situe entre 1991 et 1995.

[11]          La Cour a examiné les jugements cités, et certains de ces jugements sont utiles. Comme on le faisait remarquer, on ne peut prendre en compte les faits de causes relatives à des entreprises n'ayant absolument aucun rapport avec les faits en l'espèce. Comme l'indiquent aussi ces jugements, il faut déterminer si les dépenses sont excessives comparativement aux ventes générées et si les dépenses avaient un caractère personnel.

[12]          Dans certaines des affaires citées, la Cour était convaincue que des changements importants avaient été apportés quant à la manière dont l'entreprise était dirigée. En l'espèce, les ventes brutes de l'appelante avaient bel et bien augmenté considérablement entre 1992 et 1993, passant de 14 712 $ à 82 240 $. En 1994, elles ont baissé, se situant à 48 310 $. En 1995, elles sont restées à peu près les mêmes. Il n'y a pas eu une augmentation continuelle des ventes. Après être tombée malade, l'appelante trouvait qu'elle ne pouvait faire des affaires autant qu'avant. Elle a réduit l'importance horizontale de son marché pour diminuer les dépenses. Toutefois, contrairement à ce qu'il en était dans l'une des affaires citées, l'appelante en l'espèce n'a pas apporté une modification radicale comme changer l'emplacement de son entreprise.

[13]          La Cour ne peut s'empêcher de trouver frappant qu'une partie du problème de l'appelante, soit le fait que les dépenses étaient si élevées comparativement au revenu brut, était attribuable à l'emplacement de l'entreprise. L'appelante a elle-même admis qu'elle était dans une petite localité. Dans un cas, ses frais téléphoniques ont été aussi élevés que son profit brut pour un an. Elle devait parcourir de longues distances et il était clair que, lorsqu'il lui fallait effectuer des déplacements pour accroître l'envergure de son entreprise, les dépenses étaient plutôt élevées à cause de l'emplacement de son entreprise, soit une petite localité.

[14]          L'appelante a elle-même admis qu'il est plus coûteux de faire des affaires en étant dans une petite localité. L'appelante n'a pas changé d'emplacement, alors qu'elle aurait dû se rendre compte qu'il lui était difficile de réaliser un profit à partir de l'endroit où était située cette entreprise. De plus, et ce facteur est important, dans l'une des affaires citées, l'entreprise avait été abandonnée lorsque la partie appelante avait fini par se rendre compte que, concrètement, des profits n'étaient pas réalisables. Toutefois, l'appelante a maintenu son entreprise.

[15]          La Cour est convaincue que, en 1995, l'appelante aurait dû se rendre compte que, concrètement, des profits n'étaient pas réalisables.

[16]          Dans l'une des affaires citées, le juge O'Connor disait qu'il ne serait pas déraisonnable de considérer qu'une nouvelle période de démarrage aurait dû être prise en compte lorsque la partie appelante avait transféré l'entreprise à Saskatoon. Ce n'est évidemment pas un facteur que la Cour doit prendre en compte en l'espèce, car l'appelante n'a pas changé l'emplacement de son entreprise.

[17]          L'avocat de l'appelante disait en bref que, en tenant compte comme il se doit de l'arrêt Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480 (77 DTC 5213), et des autres jugements qui ont été cités, il y avait une attente raisonnable de profit pendant les années en question, car l'appelante s'était rendu compte qu'il lui fallait apporter certaines modifications pour réaliser un profit. À cet égard, l'appelante devait consulter son supérieur hiérarchique. Elle l'a fait. Son supérieur hiérarchique lui a dit qu'elle devait réduire ses dépenses. Elle était d'accord; elle entendait diminuer ses dépenses en réduisant son importance horizontale et en accroissant son importance verticale. Si elle n'était pas tombée malade, elle aurait été capable de le faire. Telle est en bref la thèse qui a été avancée.

[18]          L'avocat de l'intimée dit de son côté que l'appelante n'a pris aucune mesure importante pour modifier l'orientation de l'entreprise, contrairement à ce qu'il en était dans les causes citées. Dans l'une des affaires citées, l'entreprise n'avait existé que pendant une courte période. Aucune période de démarrage raisonnable n'avait été prise en considération. En l'espèce, on a pris en considération une période de démarrage allant de 1991 à 1996. C'était une période de démarrage raisonnable.

[19]          L'appelante n'a pas pris de mesures extraordinaires pour modifier l'orientation de cette entreprise. La seule mesure que l'appelante ait prise ou qu'elle ait déclaré avoir prise n'était pas suffisante, et le fait que l'appelante était d'avis que cette mesure conduirait probablement à un changement des circonstances et à un changement des marges bénéficiaires n'était qu'une opinion. Il n'y avait aucun élément de preuve à l'appui de la position selon laquelle tel aurait été le résultat. Ce n'était que pure conjecture de la part de l'appelante que de penser que c'était suffisant pour redresser l'entreprise. Il n'y avait aucune preuve objective qu'il y aurait un redressement.

[20]          Le facteur le plus important en l'espèce est que l'appelante n'a pas déménagé de l'endroit où il était évident qu'elle n'allait pas faire d'argent. L'appelante n'avait pas fait d'argent à cet endroit. Exploiter l'entreprise à partir de cet endroit était trop coûteux, et l'appelante n'a pas pris la mesure extraordinaire qui aurait consisté à déménager. Voilà une mesure qui aurait pu lui permettre de redresser la situation.

[21]          À cause de l'étroitesse du marché où l'appelante était située, les dépenses n'ont pas diminué. Bien que cette entreprise ait été axée sur le volume, les dépenses n'ont pas diminué avec l'augmentation de volume. Cela indiquait clairement que cette augmentation de volume n'allait pas à elle seule permettre de redresser la situation. Il fallait quelque chose d'autre. L'avocat de l'intimée disait que ce qu'il fallait, c'était que l'appelante change l'emplacement de son entreprise.

[22]          Il disait en outre que, lorsque la Cour prend en considération le critère d'attente raisonnable de profit, elle doit tenir compte du fait que certains facteurs personnels ont été examinés dans l'arrêt Tonn c. La Reine, [1996] 2 C. F. 73 (96 DTC 6001), par exemple l'emplacement de l'entreprise. L'appelante voulait être là parce qu'elle vivait là. Son mari avait une ferme. Elle n'allait pas abandonner la ferme pour déménager. Il y avait un élément de jouissance personnelle relativement à l'entreprise. La maison de l'appelante était située à cet endroit. L'appelante avait certains avantages psychologiques du fait de la satisfaction qu'elle tirait de la conduite de ce type d'entreprise.

[23]          Il n'y avait pas d'attente raisonnable de profit, même quand on considère la modification que l'appelante a apportée.

[24]          La Cour est convaincue que l'appelante a bel et bien pris une mesure entre 1994 et 1995 pour modifier l'orientation de son entreprise, mais elle n'est pas convaincue que cette mesure était suffisante, et ce, pour deux raisons, dont une tient au fait que la Cour est persuadée qu'il fallait faire quelque chose de radical pour réduire le coût ou les frais afférents à ces ventes comparativement aux ventes totales. Le fait que l'appelante a contacté son supérieur hiérarchique et cherché à réduire l'importance horizontale de son entreprise était insuffisant dans les circonstances. La Cour n'est pas convaincue qu'il en a été ainsi parce que l'appelante est tombée malade. Elle n'est pas convaincue que l'appelante aurait redressé la situation si elle n'était pas tombée malade.

[25]          Si l'on avait présenté à la Cour des éléments de preuve quant à savoir comment se répartissaient les dépenses avant que l'appelante tombe malade et avant qu'elle apporte cette modification, bien que mineure, puis des éléments de preuve quant à savoir quelles avaient été les dépenses et de quels types de dépenses il s'agissait en 1995 comparativement à 1994, la décision aurait peut-être été différente. Si la Cour avait pu conclure que le changement d'orientation permettait de réduire les dépenses comparativement aux ventes brutes, le résultat aurait pu être différent. La Cour aurait peut-être été obligée de conclure que le changement d'orientation que l'appelante avait fait était suffisant et que, en 1995, on pouvait raisonnablement dire que l'appelante avait une attente raisonnable de profit. Toutefois, aucune preuve à cet effet n'a été présentée. La Cour conclut de la preuve qui a été présentée que ce n'était que pure conjecture de la part de l'appelante et peut-être aussi de la part de son supérieur hiérarchique que de penser que la modification apportée aurait pu changer la situation si radicalement qu'il y aurait eu une attente raisonnable de profit en 1995.

[26]          Malheureusement, sur la foi de la preuve qui lui a été présentée, la Cour n'est pas convaincue que l'appelante se soit acquittée de la charge qui lui incombait de démontrer qu'il y avait une attente raisonnable de profit en 1995.

[27]          La Cour doit rejeter l'appel et confirmer la cotisation du ministre.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de février 2000.

" T. E. Margeson "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 19e jour de septembre 2001.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

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