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Date: 20010327

Dossier: 2000-2702-IT-I

ENTRE :

KERRY DONALD GRANT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Mogan

[1]            L'appelant et son épouse se sont séparés en septembre 1995 quand l'appelant a quitté le foyer conjugal. Ils ont vécu séparés pendant toute la période pertinente, soit depuis septembre 1995. La question en litige est celle de savoir si l'appelant a le droit de déduire, dans le calcul de son revenu, certains montants qu'il a versés à son épouse en 1997 pour subvenir à ses besoins et à ceux de leurs deux plus jeunes enfants. L'appelant a choisi la procédure informelle. La seule année d'imposition en litige est 1997.

[2]            L'appelant et son épouse (" Kathleen ") se sont mariés en 1973. Trois enfants sont issus du mariage : Ashley, une fille née en octobre 1978, Kyle, un fils né en décembre 1982, et Lauren, une fille née en décembre 1985. Lorsque l'appelant et Kathleen se sont séparés, en septembre 1995, Ashley avait déjà quitté le foyer familial. Immédiatement après la séparation, l'appelant a commencé à verser 1 000 $ par mois à Kathleen pour subvenir à ses besoins et à ceux de Kyle et de Lauren. Ces paiements de 1 000 $ par mois ont donc commencé en septembre 1995 pour se poursuivre jusqu'en février 1998, époque à laquelle ils ont été modifiés.

[3]            Peu de temps après la séparation, l'appelant et Kathleen ont chacun retenu les services d'un avocat. L'appelant a engagé Allan Rowsell et Kathleen, Patricia Lucas. Sur les conseils de leur avocat respectif, l'appelant et Kathleen ont finalement signé un accord de séparation en mars 1998, déposé sous la cote A-3.

[4]            L'avocate de l'intimée a soutenu que l'appel devrait être rejeté parce que (i) l'appelant n'avait pas prouvé avoir effectué les paiements en 1997 et que, (ii) même s'il les avait effectués, ils n'avaient pas été versés aux termes d'un accord écrit. L'avocate a affirmé que l'appelant n'avait pas produit de chèques oblitérés ou d'autres preuves documentaires du paiement et qu'il n'avait pas appelé Kathleen à témoigner pour confirmer qu'elle avait reçu les montants. Le montant total en litige s'élève à 12 000 $, soit un paiement de 1 000 $ pour chaque mois de 1997. L'appelant a affirmé sous serment avoir payé 1 000 $ par mois au moyen d'un chèque. Il a déclaré qu'il n'avait pas produit les chèques oblitérés parce que sa banque lui demandait des frais de 260 $ pour récupérer les chèques en question et il croyait que ces frais étaient trop élevés. Il a déclaré que son relevé bancaire indiquerait le paiement de 1 000 $ par mois, mais il ne l'a pas apporté (carnet de banque ou relevé mensuel) à la Cour.

[5]            Je suis convaincu que l'appelant a effectué les paiements de 1 000 $ par mois tout au long de l'année 1997. Je me fonde sur la preuve suivante. Premièrement, l'appelant était un témoin très crédible. Il était sûr des faits qu'il a présentés. Il avait l'attitude d'une personne qui dit la vérité. En outre, les explications qu'il a fournies pour ne pas avoir obtenu les chèques oblitérés en question (les frais demandés par la banque étaient trop élevés) étaient raisonnables. Deuxièmement, une lettre (pièce A-1), datée du 19 avril 1996, de l'avocate de Kathleen à celui de l'appelant se termine par la phrase suivante :

                [TRADUCTION]

[...] Nous avons accepté d'attendre que votre client fournisse, à son gré, tous les renseignements financiers nécessaires en raison de son engagement à maintenir l'obligation alimentaire à 1 000 $ par mois, nous exigeons donc qu'il respecte sans délai son engagement.

Les mots importants, dans la phrase ci-dessus, sont " [...] son engagement à maintenir l'obligation alimentaire à 1 000 $ par mois ". Le mot " maintenir " sous-entend qu'il existait une entente en vertu de laquelle l'appelant payait 1 000 $ par mois. Troisièmement, une lettre (pièce A-2), datée du 21 mai 1996, de l'avocate de Kathleen à celui de l'appelant se termine par le paragraphe suivant :

                [TRADUCTION]

                Ma cliente souhaite également obtenir une augmentation de la pension alimentaire pour enfants, surtout parce que l'accord qui prévoit un versement de 1 000 $ par mois a été conclu à une époque où seuls deux des trois enfants résidaient à la maison, la troisième y étant revenue peu de temps après.

[6]            Cette dernière déclaration de l'avocate de l'épouse ne mentionne pas seulement un " accord qui prévoit un versement de 1 000 $ par mois ", mais confirme également le témoignage oral de l'appelant selon lequel le montant de 1 000 $ était basé sur le fait que seuls les deux plus jeunes enfants résidaient à la maison. Selon le témoignage de l'appelant, l'enfant la plus âgée, Ashley, n'est jamais retournée vivre de façon permanente avec Kathleen dans le foyer familial; et on ne lui a jamais demandé d'augmenter le paiement mensuel de 1 000 $ avant février et mars 1998, quand l'accord de séparation (pièce A-3) a été signé. Je considère comme établi le fait que l'appelant et son épouse ont vécu séparés tout au long de l'année 1997 et que l'appelant a versé à cette dernière 1 000 $ par mois pendant toute l'année 1997 pour subvenir à ses besoins et à ceux des deux plus jeunes enfants (Kyle et Lauren).

[7]            L'intimée impose à l'appelant un défi plus important en ce qui concerne la question de savoir si les montants mensuels payés à son épouse en 1997 ont été versés " aux termes [...] d'un accord écrit ". Les mesures législatives permettant la déduction des allocations d'entretien au cours de l'année d'imposition 1997 sont très différentes de celles de 1996 et des années antérieures en raison d'un changement de politique gouvernementale survenu à la suite de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Thibaudeau ([1995] 2 R.C.S. 627 (95 DTC 5273)). Les mesures législatives pertinentes sont les suivantes :

60             Peuvent être déduites dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition les sommes suivantes qui sont appropriées :

b)             le total des montants représentant chacun le résultat du calcul suivant :

    A - (B + C)

où :

A représente le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a payée après 1996 et avant la fin de l'année à une personne donnée dont il vivait séparé au moment du paiement [...].

Note :       Les montants B et C ne sont pas pertinents pour le présent appel.

60.1(4) Les définitions figurant au paragraphe 56.1(4) s'appliquent au présent article et à l'article 60.

56.1(4)     Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article et à l'article 56.

" pension alimentaire " Montant payable ou à recevoir à titre d'allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas :

a)             le bénéficiaire est l'époux ou le conjoint de fait ou l'ex-époux ou l'ancien conjoint de fait du payeur et vit séparé de celui-ci pour cause d'échec de leur mariage ou union de fait et le montant est à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent ou d'un accord écrit;

b)             le payeur est le père naturel ou la mère naturelle d'un enfant du bénéficiaire et le montant est à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d'une province.

[8]            L'appelant soutient que tous les paiements qu'il a effectués en 1997 constituaient une " pension alimentaire " versée " aux termes [...] d'un accord écrit ", qui a été conclu avant 1997. Compte tenu des définitions données aux expressions " pension alimentaire pour enfants " et " date d'exécution " au paragraphe 56.1(4), la règle fondamentale de l'alinéa 60b) est très différente en ce qui concerne les montants payés aux termes d'un accord conclu ou d'une ordonnance rendue après avril 1997 ou avant mai 1997, mais modifié après avril 1997. Je ne m'intéresse pas à la définition de " pension alimentaire pour enfants " en l'espèce parce que (i) l'accord écrit présumé de l'appelant a été conclu avant 1997 et que (ii) cet accord n'a pas été modifié avant mars 1998, quand un accord de séparation (pièce A-3) a été signé.

[9]            En ce qui concerne l'alinéa 60b) et son équivalent au paragraphe 56(1), beaucoup de litiges ont traité de ce que constitue un " accord écrit ". Dans la présente affaire, avant mars 1998, l'appelant et Kathleen n'ont pas signé de document portant le titre d'" accord de séparation " ou un titre semblable. Par conséquent, si l'appelant doit avoir gain de cause, un accord écrit doit être déduit à partir d'autres documents. Je ne déduirais pas l'existence d'un accord écrit des chèques mensuels (chacun de 1 000 $) que l'appelant a émis à l'ordre de Kathleen en 1997 et que cette dernière a encaissés. Le fait que Kathleen ait accepté et encaissé ces chèques ne signifie pas, en soi, que l'appelant et Kathleen avaient convenu qu'un montant de 1 000 $ par mois constituait une pension alimentaire juste. Kathleen peut avoir encaissé les chèques parce qu'il était pratique pour elle de recevoir une pension alimentaire pour elle-même et les deux plus jeunes enfants, mais elle n'a peut-être pas admis qu'il s'agissait d'un montant adéquat et elle peut avoir constamment demandé que le montant soit plus élevé. Elle n'a pas témoigné, toutefois, et rien dans la preuve n'indique qu'elle contestait le montant mensuel.

[10]          En réalité, la preuve indique plutôt le contraire. La pièce A-1, une lettre datée du 19 avril 1996 envoyée par l'avocate de Kathleen à celui de l'appelant, parle de " [l']engagement [de l'appelant] à maintenir l'obligation alimentaire à 1 000 $ par mois ". En outre, la pièce A-2, une lettre datée du 21 mai 1996 de l'avocate de Kathleen à celui de l'appelant, se termine par le paragraphe suivant :

                [TRADUCTION]

                Ma cliente souhaite également obtenir une augmentation de la pension alimentaire pour enfants, surtout parce que l'accord qui prévoit un versement de 1 000 $ par mois a été conclu à une époque où seuls deux des trois enfants résidaient à la maison, la troisième y étant revenue peu de temps après.

L'avocate de Kathleen fait clairement mention de " l'accord " et le confirme pour ce qui est d'un montant mensuel. Selon le témoignage de l'appelant, l'enfant la plus âgée, Ashley (une fille née le 28 octobre 1978), avait quitté le foyer familial avant que lui-même et Kathleen ne se séparent, en septembre 1995, et Ashley n'était pas depuis retournée vivre de façon permanente avec sa mère. Ashley n'avait que 16 ans en septembre 1995 (elle a eu 17 ans le mois suivant).

[11]          Dans l'affaire Nelson c. La Reine, C.C.I., no 91-2116(IT)G, 27 novembre 1993 (94 DTC 1003), le contribuable s'était séparé de son épouse, qui avait retenu les services d'une avocate. Cette dernière a écrit une lettre au contribuable, en mai 1987, établissant les modalités d'un projet d'accord de séparation. Le contribuable s'est plus tard présenté au bureau de l'avocate de son épouse et a écrit au bas de la lettre : [TRADUCTION] " J'accepte les dispositions exposées dans cette lettre, Ray Nelson. " Le juge Rowe a conclu que l'acceptation par le contribuable de la lettre de l'avocate constituait un accord écrit.

[12]          En l'espèce, bien que l'avocat de l'appelant n'ait pas précisément indiqué son acceptation sur la pièce A-1 ou A-2, l'avocate de Kathleen a mentionné " l'accord " dans la pièce A-2. En d'autres termes, une partie ayant un intérêt opposé dans le litige matrimonial (c.-à-d. l'avocate de Kathleen) a reconnu par écrit qu'il existait, entre l'appelant et Kathleen, un " accord qui prévoit un versement de 1 000 $ par mois ". Après cette lettre du 21 mai 1996 (pièce A-2), Kathleen ne pouvait pas nier qu'il y avait un accord entre elle et l'appelant en ce qui concerne les paiements mensuels de 1 000 $. Il s'agit du montant précis que l'appelant a payé à chaque mois de 1997.

[13]          La lettre importante (pièce A-2) a été écrite le 21 mai 1996, bien avant l'année d'imposition 1997. Le paiement de 1 000 $ par mois mentionné dans cette lettre a été effectué chaque mois tout au long de l'année 1997 et n'a pas été modifié avant mars 1998, quand l'accord officiel de séparation (pièce A-3) a été signé, modifiant la pension alimentaire pour enfants à partir du 1er février 1998. Dans les circonstances de l'espèce, je conclus que les paiements de 1 000 $ par mois effectués par l'appelant tout au long de 1997 ont été versés " aux termes [...] d'un accord écrit " se composant des chèques (chacun de 1 000 $) émis à l'ordre de Kathleen chaque mois, de septembre 1995 jusqu'à la fin de 1997, et de la lettre (pièce A-2) de l'avocate de Kathleen, datée du 21 mai 1996, confirmant l'" accord ". L'appel est admis.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de mars 2001.

" M. A. Mogan "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 27e jour de septembre 2001.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-2702(IT)I

ENTRE :

KERRY DONALD GRANT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 26 février 2001 à Toronto (Ontario) par

l'honorable juge M. A. Mogan

Comparutions

Pour l'appelant :                                   L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                           Me Lesley King

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation fiscale établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1997 est admis, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que :

1.                  l'appelant a effectué des paiements mensuels, en 1997, d'un montant global de 12 000 $ à son épouse, dont il est séparé;

2.                  les paiements ont été effectués aux termes d'un accord écrit conformément à la définition de " pension alimentaire " figurant au paragraphe 56.1(4) de la Loi.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de mars 2001.

" M. A. Mogan "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de septembre 2001.

Martine Brunet, réviseure


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