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Date: 20010327

Dossier: 2000-4221-IT-I

ENTRE :

WEISZ, ROCCHI & SCHOLES,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]            En l'espèce, le cabinet d'avocats Weisz, Rocchi & Scholes conteste une cotisation par laquelle le ministre du Revenu national a imposé une pénalité de 745,29 $ en vertu du paragraphe 227(9) de la Loi de l'impôt sur le revenu pour un versement prétendument tardif de retenues à la source de 7 952,90 $.

[2]            Le paragraphe 227(9) de la Loi est ainsi rédigé :

Sous réserve du paragraphe (9.5), toute personne qui ne remet pas ou ne paye pas au cours d'une année civile, de la manière et dans le délai prévus à la présente loi ou à son règlement, un montant déduit ou retenu conformément à la présente loi ou à son règlement ou un montant d'impôt qu'elle doit payer conformément à l'article 116 ou à une disposition réglementaire prise en application du paragraphe 215(4) est passible d'une pénalité :

a)             soit de 10 % sur ce montant;

b)             soit de 20 % du montant qui aurait dû être remis ou payé au cours de l'année si, au moment du défaut, une pénalité en application du présent paragraphe était payable par la personne et si le défaut a été commis sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde.

[3]            Cette obligation de déduire et de retenir d'un traitement, d'un salaire ou d'une rémunération les sommes prévues et de les remettre au receveur général au moment fixé par règlement figure au paragraphe 153(1) de la Loi et à l'article 108 du Règlement. L'appelant n'est pas une personne visée au regard de l'article 153 et n'avait donc pas à verser les sommes à une institution financière.

[4]            Il n'est pas nécessaire de reproduire l'article 153 de la Loi ni l'article 108 du Règlement. Il suffit de dire que la date d'échéance, pour le versement de novembre 1999, était le 15 décembre 1999.

[5]            Le paragraphe 248(7) est ainsi rédigé :

                Pour l'application de la présente loi :

a)             tout envoi en première classe ou l'équivalent, sauf une somme remise ou payée qui est visée à l'alinéa b), est réputé reçu par le destinataire le jour de sa mise à la poste;

b)             la somme déduite ou retenue, ou payable par une société, qui est remise ou payée conformément à la présente loi ou à son règlement est réputée remise ou payée le jour de sa réception par le receveur général.

[6]            Le versement des retenues à la source qui nous concerne en l'espèce est visé par l'alinéa b) de cette disposition.

[7]            Il est admis que le versement a été posté à l'ADRC le 8 décembre 1999, dans l'enveloppe à fenêtre, accompagné du talon de versement préadressé fourni par l'ARDC. L'adresse était la suivante :

                                Revenu Canada

                                875, chemin Heron

                                Ottawa, ON K1A 1B1

[8]            L'appelant procède de cette façon depuis 20 ans et c'est la première fois qu'une pénalité lui est imposée.

[9]            L'intimée soutient que le paiement n'a pas été reçu avant le 20 décembre 1999, soit cinq jours après la date prescrite en vertu de l'article 108 du Règlement.

[10]          La seule preuve qui m'a été présentée est le cachet de dépôt apposé au verso du chèque, qui indique que le chèque a été déposé dans le compte bancaire du gouvernement le 21 décembre 1999.

[11]          L'intimée a fait valoir que le ministre avait formulé une hypothèse de fait selon laquelle

                                [TRADUCTION]

l'appelant a remis les retenues à la source de novembre 1999 en retard, soit le 21 décembre 1999.

Cette date a été corrigée au procès pour être remplacée par le 20 décembre.

[12]          En réalité, le paiement a été envoyé le 8 décembre 1999. Je suppose que le libellé de l'alinéa 248(7)b) constitue le fondement de l'allégation.

[13]          L'invocation d'une telle hypothèse ne suffit pas, à mon avis, à justifier l'imposition de la pénalité. Je fais cette affirmation pour plusieurs raisons. D'abord, rien dans la preuve ne m'indique la date de réception. Le timbre-dateur n'a pas été apposé sur le chèque et le formulaire de versement pour indiquer le moment de leur réception. Mme Fletcher, une employée de l'ADRC du bureau de district de Hamilton, a indiqué dans son témoignage que la pratique, au bureau de Hamilton, était d'apposer le timbre-dateur sur les documents au moment de leur réception. J'accepte ce qu'elle affirme au sujet de la pratique à Hamilton, mais cela ne m'indique rien quant à la pratique suivie à Ottawa.

[14]          Ensuite, il revient à l'intimée de justifier la pénalité. Depuis l'affaire Johnston v. Canada, [1948] R.C.S. 486, il est d'usage de réfuter les " présomptions " sur lesquelles le ministre fonde sa cotisation d'impôt. Le juge Rand appuie son observation bien connue sur une prémisse qui remonte bien avant l'affaire Johnston, soit à l'affaire Anderson Logging Co. v. British Columbia, [1925] R.C.S. 45. Dans cette affaire, il incombait au contribuable de contester une cotisation parce qu'il était censé mieux connaître les faits que le ministre.

[15]          Si c'est ce qui justifie que le fardeau repose sur le contribuable dans les appels en matière d'impôt sur le revenu lorsque le montant d'impôt est en litige, il ne s'agit pas d'une justification lorsque le ministre impose une pénalité.

[16]          Le fait pour un gouvernement d'avoir le droit d'imposer une pénalité et de se croiser les bras en disant à quelqu'un : " Démontrez-nous pourquoi vous ne devriez pas avoir de pénalité " serait contraire aux préceptes juridiques les plus fondamentaux et à l'équité procédurale normale. Il s'agit d'un point de vue particulièrement injustifiable lorsque les faits en fonction desquels la pénalité est imposée, en l'espèce la réception prétendument tardive d'un versement, relèvent du ministre. S'il appartient au contribuable de prouver la réception en temps opportun, comment peut-il y parvenir?

[17]          La Loi contient un large éventail de dispositions en matière de preuve, dont le paragraphe 248(7) n'est qu'un exemple, qui favorisent injustement la Couronne. Par exemple, dans l'affaire La Reine c. Schafer, C.A.F., no A-414-98, 20 septembre 2000 (2000 DTC 6542), la Cour d'appel fédérale a conclu que le délai dont bénéficiait une contribuable pour s'opposer à une cotisation commençait à courir lorsque l'avis de cotisation était envoyé, même si la contribuable n'avait pas reçu l'avis et n'était pas au courant de son existence. Je ne vois aucune raison de rendre plus lourd un régime de preuve qui l'est déjà.

[18]          En l'espèce, la Couronne n'a tout simplement pas prouvé que le versement a été reçu en retard.

[19]          Dans l'affaire 897366 Ontario Ltd. c. R., C.C.I., no 98-2438(GST)I, 2 mars 2000 ([2000] G.S.T.C. 13), j'ai conclu que, dans les affaires portant sur la TPS, il revenait à la Couronne d'établir les éléments justifiant la pénalité, même si, contrairement à la Loi de l'impôt sur le revenu, le fardeau ne reposait pas expressément sur la Couronne. Aux pages 5, 6 et 7 (G.S.T.C. : aux pages 13-5 et 13-6), j'ai déclaré ceci :

13             La pénalité de 12 585,98 $ est imposée en vertu de l'article 285. Il faut pour cela qu'une omission ou un faux énoncé dans une déclaration ait été fait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde. Il incombe à la Couronne d'établir ces éléments, ce qu'elle a complètement omis de faire. Le paragraphe 163(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu place expressément le fardeau de preuve sur la Couronne lorsque des appels sont interjetés à l'encontre des pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2). Aucune disposition de la Loi sur la taxe d'accise ne correspond au paragraphe 163(3) pour ce qui est des pénalités imposées en vertu de l'article 285, même si le libellé de l'article 285 est pratiquement identique à celui du paragraphe 163(2). Cela produirait un résultat remarquable si le fardeau de preuve incombait à la Couronne dans un cas et aux contribuables dans l'autre. Dans l'affaire A. Pashovitz v. M.N.R., [1961] C.T.C. 288, 61 DTC 1167, le juge Thurlow a conclu que dans le cadre d'un appel interjeté en vertu de l'ancien article 51A - qui imposait une pénalité pour une personne qui, volontairement, éludait ou tentait d'éluder l'impôt payable - le fardeau de preuve incombait au contribuable parce que la pénalité était " civile ". Une telle conclusion est surprenante, même selon les normes en vigueur en 1961. La conclusion du juge Thurlow s'appuie uniquement sur les observations du juge Rand et du juge Kellock dans l'affaire Johnston v. M.N.R., [1948] R.C.S. 486. Cette affaire constitue, bien entendu, l'arrêt de principe en ce qui a trait au fardeau de preuve à l'égard des appels interjetés à l'encontre de cotisations d'impôt. Elle est silencieuse en ce qui a trait au fardeau de preuve lorsque des pénalités sont imposées. Le juge Thurlow a fait observer que la procédure relative aux pénalités est de nature civile, mais il ne pouvait [TRADUCTION] " voir aucun motif raisonnable pour établir une distinction quant au fardeau de preuve [...] " [entre les appels interjetés à l'encontre des cotisations d'impôt et ceux interjetés à l'encontre de la cotisation relative à des pénalités]. Bien, je peux voir beaucoup de raisons pour établir une telle distinction. Si quelqu'un m'accuse non seulement de l'acte répréhensible, voire même criminel, que constitue l'évasion fiscale, mais cherche également à me punir pour cet acte, je m'attendrais à ce que mon accusateur fournisse la preuve de l'allégation, peu importe le nombre d'épithètes atténuants, comme " civil " ou " administratif ", qui peuvent être utilisés pour réduire les conséquences. La sanction pour un comportement malhonnête ou téméraire demeure une sanction. Il en va de même pour une pénalité imposée dans le but de punir la conduite décrite à l'article 285 de la Loi sur la taxe d'accise. Il semble évident que, lorsqu'un gouvernement impose une pénalité à un sujet pour avoir eu un comportement dans lequel l'intention coupable ou la témérité constitue un élément nécessaire, il incombe à ce gouvernement de justifier ses actions.

14             Mon opinion, selon laquelle, lorsqu'un appel est interjeté à l'encontre d'une pénalité imposée en vertu de l'article 285, il incombe au ministre d'établir les éléments justifiant la pénalité, est appuyée par une décision du juge Rip dans l'affaire Alex Excavating Inc. c. Canada, C.C.I., no 94-2279(GST)I, 19 septembre 1995, aux pages 19 et 20 ([1995] G.S.T.C. 57, à la page 57-13) :

La question de savoir si la Couronne avait la charge d'établir les faits justifiant l'imposition de la pénalité prévue à l'article 285 n'a pas été soulevée au procès. L'avocat de l'intimée a appelé Mme Dickson pour la présentation d'éléments de preuve établissant les faits qui justifient la pénalité. Il a eu raison de le faire.

La Loi sur la taxe d'accise et la Loi de l'impôt sur le revenu ont toutes deux été adoptées dans le but de percevoir des fonds pour l'État canadien. Ce ne sont pas à strictement parler des lois différentes en pareille matière parce que les impôts sont différents. Cependant, l'article 285 de la Loi et le paragraphe 163(2) de la LIR portent sur le même sujet, soit l'imposition d'une pénalité à une personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde dans l'exercice d'une obligation législative, fait un faux énoncé dans une déclaration à partir de laquelle un impôt est calculé. Les termes de l'article 285 de la Loi et du paragraphe 163(2) de la LIR sont semblables et visent le même méfait. Je ne peux imaginer que, dans cette situation, le Parlement entendait que le ministre ait la charge d'établir les faits qui justifient une pénalité imposée par la Loi de l'impôt sur le revenu et que ce soit le contribuable qui ait la charge d'établir les faits qui justifient l'annulation de la pénalité prévue dans la Loi sur la taxe d'accise. Il est implicite à l'article 285 que la charge d'établir les faits qui justifient la pénalité imposée en vertu de cet article incombe au ministre.

(notes en bas de page omises)

15             Je souscris entièrement et respectueusement aux observations du juge Rip.

16             Cette position est renforcée par la déclaration du juge d'appel Robertson dans l'affaire Canada c. Consolidated Cdn. Contractors Inc., [1999] 1 C.F. 209 (C.A.F.), aux pages 238 et 239 ([1998] G.S.T.C. 91, à la page 91-16) où il affirme :

[50]          À mon avis, l'argument du ministre est réellement double. En premier lieu, il fait valoir que les dispositions susmentionnées traduisent la volonté du législateur d'imposer la responsabilité absolue avec la disposition pénale de l'article 280. Il s'agit là d'une inférence raisonnable dont le ministre peut se servir pour s'acquitter de la charge qui lui incombe de réfuter la présomption de responsabilité stricte; voir Nassau Walnut Investiments, supra, à la page 299. Elle n'est cependant pas déterminante. La raison en est que les articles 285, 323 et 327 se situent sur un autre plan en ce qu'ils font au ministre obligation de prouver que les agissements de l'inscrit tombent sous le coup de ces dispositions. Par contre, la reconnaissance de l'existence implicite du moyen de défense de la diligence raisonnable à l'égard de l'article 280 fait passer à l'inscrit la charge de prouver qu'il a fait raisonnablement diligence pour verser le montant correct de TPS. Il ne résulte pas nécessairement de l'article 323 que du moment qu'une loi prévoit expressément un moyen de défense dans un cas, il n'en est pas question dans les autres cas; voir Nassau Walnut, supra.

(je souligne)

[20]          En l'espèce, nous ne devons pas statuer sur une conduite répréhensible, mais bien sur l'imposition d'une sanction. Néanmoins, le principe reste le même. Si l'État cherche à sanctionner quelqu'un, il devrait justifier son geste.

[21]          Je n'ai pas à me prononcer sur le point selon lequel, dans les affaires de versement tardif, il est possible d'avoir recours à la défense de diligence raisonnable, comme dans l'affaire Pillar Oilfield Projects Ltd. c. La Reine, C.C.I., no 93-614(GST)I, 19 novembre 1993 ([1993] G.S.T.C. 49) et comme l'a confirmé la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Consolidated Cdn. Contractors c. Le procureur général du Canada, [1999] 1 C.F. 209 ([1998] G.S.T.C. 91).

[22]          La question de savoir si ce moyen de défense peut être invoqué dans les affaires de versement tardif ne sera pas examinée aujourd'hui. Si j'avais eu à l'examiner, j'aurais certainement admis la diligence raisonnable. En l'espèce, toutefois, il me suffit de fonder ma décision sur l'omission de la Couronne d'établir la réception en retard.

[23]          L'appel est admis avec dépens et l'imposition de la pénalité est annulée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de mars 2001.

" D. G. H. Bowman "

J.C.A.

Traduction certifiée conforme ce 18e jour de septembre 2001.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-4221(IT)I

ENTRE :

WEISZ, ROCCHI & SCHOLES,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 20 mars 2001 à Hamilton (Ontario), par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Avocats de l'appelant :               Me Thomas J. Weisz

                                                Me Veronica Cocco

Avocate de l'intimée :                 Me Lesley King

JUGEMENT

          Il est ordonné que l'appel interjeté à l'encontre de l'imposition de pénalités en vertu du paragraphe 227(9) de la Loi de l'impôt sur le revenu soit admis avec dépens et que l'imposition des pénalités soit annulée.


Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de mars 2001.

" D. G. H. Bowman "

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de septembre 2001.

Martine Brunet, réviseure


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