Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20010214

Dossier: 2000-3660-IT-APP

ENTRE :

BRIAN HEAP,

requérant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsde l'ordonnance

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'une demande d'ordonnance visant la prorogation du délai à l'intérieur duquel un appel peut être interjeté conformément à l'article 167 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi ").

[2]            La question en litige est celle de savoir si une demande faite par courrier ordinaire le dernier jour du délai prescrit d'une année prévu par l'alinéa 167(5)a) de la Loi est accomplie à l'intérieur de ce délai.

[3]            La partie pertinente du paragraphe 169(1) est ainsi rédigée :

169(1)      Lorsqu'un contribuable a signifié un avis d'opposition à une cotisation, prévu à l'article 165, il peut interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt pour faire annuler ou modifier la cotisation :

a)             après que le ministre a ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation;

[...]

toutefois, nul appel prévu au présent article ne peut être interjeté après l'expiration des 90 jours qui suivent la date où avis a été expédié par la poste au contribuable, en vertu de l'article 165, portant que le ministre a ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation.

[4]            Les paragraphes 167(1), 167(3) et l'alinéa 167(5)a) de la Loi sont ainsi rédigés :

167(1)      Le contribuable qui n'a pas interjeté appel en application de l'article 169 dans le délai imparti peut présenter à la Cour canadienne de l'impôt une demande de prorogation du délai pour interjeter appel. La Cour peut faire droit à la demande et imposer les conditions qu'elle estime justes.

167(3)      La demande, accompagnée de trois exemplaires de l'avis d'appel, est déposée en trois exemplaires au greffe de la Cour canadienne de l'impôt ou est envoyée en trois exemplaires au greffe de la Cour par courrier recommandé.

167(5)      Il n'est fait droit à la demande que si les conditions suivantes sont réunies :

a) la demande a été présentée dans l'année suivant l'expiration du délai imparti en vertu de l'article 169 pour interjeter appel;

[...]

[5]            Les parties ont convenu que le 21 août 2000 était le dernier jour de la période d'une année prévue par l'alinéa 167(5)a) de la Loi. Une demande de prorogation de délai afin de produire un appel a été envoyée à cette cour par l'avocate du requérant par courrier ordinaire le dernier jour du délai, soit le 21 août 2000. Elle a été reçue par la Cour le 24 août 2000.

[6]            Un affidavit de la secrétaire de l'avocate indique qu'en raison d'un malentendu de sa part la lettre a été envoyée par courrier ordinaire. Les paragraphes 2 à 5 de l'affidavit sont ainsi rédigés :

[TRADUCTION]

2.              J'ai reçu des instructions écrites de la part de Orly Kahane-Rapport, le 21 août 2000 me demandant d'" envoyer la demande de prorogation de délai accompagnée de l'avis d'appel par "Reg. Mail" au greffier de la Cour canadienne de l'impôt ".

3.              Le lundi 21 août 2000, j'ai envoyé la demande de prorogation du délai accompagnée de l'avis d'appel par courrier ordinaire (en anglais "regular mail") au greffier de la Cour canadienne de l'impôt.

                Une copie d'une lettre datée du 21 août 2000 cotée pièce A est annexée à la présente.

4.              Le 27 novembre 2000, j'ai appris que l'envoi aurait dû avoir été fait par courrier recommandé (en anglais "registered mail") conformément aux procédures de la Cour canadienne de l'impôt.

5.              Il s'agissait d'une erreur de ma part puisque j'ai confondu dans les instructions écrites de Me Orly Kahane-Rapport " Reg. Mail " avec le courrier ordinaire ("regular mail") alors qu'elle souhaitait que je procède à l'envoi par courrier recommandé ("registered mail").

[7]            L'avocate du requérant a produit sous la cote A-1 un recueil de documents divisés en cinq onglets. L'objet de ces documents est de démontrer que, jusqu'au 10 août 2000, le requérant et le représentant du ministre ont échangé de la correspondance au sujet de l'application des dispositions d'équité de la Loi et, par conséquent, il n'y a pas eu absence de diligence de la part du requérant.

[8]            L'avocate du requérant a mentionné la décision que cette cour a rendue dans l'affaire Skirt Togs Industries Ltd. v. M.N.R., [1982] C.T.C. 2156 et, plus particulièrement, les extraits de la page 2163 :

[TRADUCTION]

[...] Toutefois, la décision de la Cour suprême dans l'affaire Bowen doit être suivie :

[...] en vertu du principe qu'une partie ne peut être privée de son droit, en raison d'une erreur de ses procureurs, lorsqu'il est possible de remédier aux conséquences de cette erreur sans causer de préjudice à la partie adverse, [...]

[9]            L'avocate du requérant a soutenu avec vigueur qu'aucun préjudice n'avait été causé à l'intimée et que le requérant ne devrait pas être privé de ses droits puisqu'il y avait des motifs raisonnables d'appel.

[10]          L'avocate a également mentionné l'affaire D. Kramer et al v. M.N.R., [1984] C.T.C. 2784, où la Commission de révision de l'impôt a conclu que la demande avait en effet été envoyée au cours de l'année, même si elle avait été perdue et qu'elle n'avait pas été reçue par le greffier de la Commission. L'avocate du requérant a fait référence à l'extrait suivant de la page 2787 :

[TRADUCTION]

Dans ces circonstances, qui sont inhabituelles, je conclus que M. Brudner, au nom de la famille Kramer, a fait en toute bonne foi des demandes de prorogation du délai afin de produire des avis d'opposition le 7 ou le 8 octobre 1982 et a entrepris les démarches nécessaires afin d'envoyer les demandes à la Commission de révision de l'impôt au sens de l'alinéa 167(5)a) de la Loi. À mon avis, une interprétation stricte du libellé de l'alinéa 167(5)a), dans les circonstances, retirerait le pouvoir discrétionnaire que le législateur souhaitait accorder à cette cour au paragraphe 167(1).

[11]          L'avocate du requérant souligne la dernière phrase et soutient que la Cour devrait interpréter le délai prévu par l'alinéa 167(5)a) de la Loi d'une manière libérale compte tenu de son pouvoir discrétionnaire concernant le paragraphe 167(1) de la Loi.

[12]          En suivant le même raisonnement, l'avocate du requérant a mentionné l'affaire Hazan v. The Queen, [1998] 2 C.T.C. 2665 où on a reconnu que le contribuable n'avait pas eu connaissance des deuxièmes avis de cotisation et que le délai de production de l'avis n'avait pas commencé avant que le contribuable ait eu connaissance des nouvelles cotisations.

[13]          L'avocat de l'intimée n'a pas soulevé de questions autres que celle selon laquelle le requérant se trouvait hors délai et qu'aucun pouvoir discrétionnaire ne permettait de le proroger. Il a fait référence aux décisions rendues par cette cour dans les affaires Porodo c. La Reine, C.C.I., no APP-10668(IT), 18 juillet 1990 ([1990] T.C.J. No. 613) et Minuteman Press of Canada Co. c. La Reine, C.C.I., no 85-1056(IT), 23 avril 1987 ([1987] T.C.J. No. 1160). Dans ces deux affaires, les requérants ont mentionné la décision D. Kramer (précitée). Il a tiré de l'affaire Porodo (précitée) l'extrait suivant :

Dans l'affaire Kramer, la Cour a accepté le témoignage sous serment du comptable et certains documents corroborant ce témoignage aux fins d'établir que les contribuables avaient respecté paragraphe167(3) le 8 octobre 1982. En l'espèce, M. Porodo a témoigné pour indiquer qu'il n'avait pas respecté l'article 165, mais qu'il avait plutôt envoyé ses avis d'opposition à Winnipeg par courrier ordinaire. Dans les circonstances, je conclus que l'affaire Kramer ne s'applique pas.

[14]          L'avocat de l'intimée a fait référence à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721 et plus particulièrement à l'extrait suivant de la page 737 :

Employé dans son sens grammatical ordinaire, le terme anglais "shall" ["doit"] est, par présomption, impératif [...] à cette Cour de conclure que le Parlement, lorsqu'il a employé le terme "shall" dans la version anglaise de l'art. 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba et de l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, voulait que ces articles soient interprétés comme étant impératifs, en ce sens qu'ils doivent être respectés, à moins que cette interprétation du terme "shall" ne soit absolument incompatible avec le contexte dans lequel il a été employé et ne rende les articles irrationnels ou vides de sens. Voir, par exemple, Re Public Finance Corp. and Edwards Garage Ltd. (1957), 22 W.W.R. 312, à la p. 317 (C.S. Alb).

Conclusion

[15]          La preuve révèle que le requérant n'a pas observé le paragraphe 167(3) de la Loi. En ce faisant, il n'a pas respecté l'alinéa 167(5)a) de la Loi qui établit un délai définitif à l'intérieur duquel une demande de prorogation du délai précisé au paragraphe 169(1) de la Loi peut être faite. L'objet de l'alinéa 167(5)a) et du paragraphe 167(3) est impératif. La question est de savoir si l'intimée a subi un préjudice ou non n'est pas pertinente. La demande aurait dû être reçue par le greffe de la Cour ou du moins elle aurait dû être envoyée par courrier recommandé à l'intérieur d'une année comme le prévoit l'alinéa 167(5)a) de la Loi. La Cour ne possède pas le pouvoir discrétionnaire de proroger ce délai. Le seul pouvoir qu'elle possède est celui de proroger la période de 90 jours prévue par le paragraphe 169(1) de la Loi.

[16]          Il n'est statué dans aucune des décisions mentionnées par l'avocate du requérant que, si un contribuable n'avait pas respecté le délai prescrit d'une année, la Cour avait le pouvoir discrétionnaire de le proroger.

[17]          La demande est rejetée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de février 2001.

" Louise Lamarre Proulx "

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-3660(IT)APP

ENTRE :

BRIAN HEAP,

requérant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Demande entendue le 4 décembre 2000 à Toronto (Ontario), par

l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions

Avocate du requérant :                         Me Orly Kahane-Rapport

Avocat de l'intimée :                            Me Steven Leckie

ORDONNANCE

          Considérant que la demande ayant été présentée en vue d'obtenir une ordonnance prorogeant le délai imparti pour interjeter appel à l'encontre de la cotisation établie en vertu du paragraphe 227(10) de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont l'avis porte le numéro 00363 et est daté du 8 janvier 1998, peut être présentée;

          La demande est rejetée conformément aux motifs de l'ordonnance ci-jointe.


Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de février 2001.

" Louise Lamarre Proulx "

J.C.C.I.


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.