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Date: 20011128

Dossier: 2001-3029-IT-I

ENTRE :

JEFFERY DAVID ROBY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]      Il s'agit d'appels interjetés contre des cotisations, établies pour les années d'imposition 1997, 1998 et 1999 de l'appelant, par lesquelles le ministre a refusé à celui-ci certains crédits et la déduction de certaines dépenses, crédits et déductions dont l'obtention tient à la situation matrimoniale de l'appelant. Les crédits et dépenses en question sont les suivants:

1.        le crédit équivalent pour personne entièrement à charge (alinéa 118(1)b));

2.        les prestations fiscales pour enfants (article 122.6);

3.        le crédit pour la TPS (article 122.5);

4.        les frais de garde d'enfants (paragraphe 63(2)).

[2]      Pour avoir le droit de demander ces crédits ou de déduire ces dépenses, l'appelant doit vivre séparé de sa conjointe pour cause d'échec de son mariage ou d'une union semblable. Cet élément est commun aux quatre dispositions mentionnées au paragraphe précédent, quoique, sur le plan des détails d'application, il y ait de légères différences quant au calcul de la période de 90 jours. Ces détails n'ont cependant aucune incidence sur la décision que je suis appelé à rendre en l'espèce parce que j'en suis venu à la conclusion qu'à aucun moment au cours des trois années en cause l'appelant n'avait vécu séparé de sa conjointe pour cause d'échec de son mariage ou, en fait, pour toute autre raison.

[3]      L'appelant et son épouse, Genyne Roby, se sont mariés le 28 juillet 1990. L'appelant est policier et son épouse, enseignante. Ils ont eu trois enfants, Natalie et Annalise, des jumelles, nées le 3 février 1995, et Byron, né le 28 septembre 1993.

[4]      Ils se sont installés à Moosonee (Ontario) en 1995 et y ont vécu jusqu'en avril ou mai 1998, lorsqu'ils ont déménagé à London (Ontario). À Moosonee, ils habitaient dans une maison appartenant à l'État. À London, ils habitaient dans une maison qu'ils avaient achetée eux-mêmes, le titre de propriété ayant toutefois été enregistré au nom de l'appelant.

[5]      En 1995 ou 1996, après la naissance des jumelles, ils ont commencé à avoir des problèmes de ménage. Les causes de ces problèmes n'ont pas réellement de pertinence relativement à la décision qui doit être rendue en l'espèce. Il est préférable de laisser aux psychologues et aux conseillers familiaux le soin de déterminer si les difficultés du couple tenaient au stress venant du fait que l'appelant travaillait comme policier dans une localité éloignée du nord de l'Ontario, à des divergences entre les époux sur la façon de remplir le rôle de parent, à leur incapacité de communiquer entre eux, aux tensions pouvant exister entre deux personnes au caractère très dominateur, ou à une combinaison de ces facteurs et d'autres encore. Quelles qu'en aient été les causes, tout indique qu'il y avait fondamentalement incompatibilité entre les époux et que le mariage était au bord de l'éclatement.

[6]      L'appelant a témoigné que, pendant la période où le couple habitait à Moosonee, il partageait une chambre avec Byron et son épouse en partageait une autre avec les jumelles. Quand ils vivaient à London, a-t-il dit, il dormait au sous-sol. Mme Roby a admis qu'il en était parfois ainsi, mais elle a précisé que l'appelant dormait aussi avec elle. Pendant les années en cause, a-t-elle affirmé, elle n'a jamais cessé de chercher des moyens de sauver son mariage. L'appelant a déclaré qu'il avait continué de vivre avec son épouse et d'habiter dans la maison parce qu'il voulait être avec les enfants. Je fais observer en passant que les deux époux m'ont semblé être des parents aimants et responsables qui se dépensent sans compter pour leurs enfants.

[7]      Dans l'affaire Kelner c. La Reine, C.C.I., no 94-868 (IT)I, 29 septembre 1995 ([1996] 1 C.T.C. 2687), j'ai passé en revue la jurisprudence qui existe dans ce domaine et j'ai conclu qu'il était possible que des époux vivent « séparés » tout en demeurant sous le même toit. Cette proposition est inattaquable sur le plan du droit, mais, sur le plan des faits, il est toujours nécessaire de produire une preuve convaincante. Dans les affaires Rangwala c. La Reine, C.C.I., no 2000-993 (IT)I, 19 septembre 2000 ([2000] 4 C.T.C. 2430), et Raghavan c. La Reine, C.C.I., no 2000-2088 (IT)I, 26 avril 2001 ([2001] 3 C.T.C. 2218), la juge Campbell en est arrivée à la même conclusion.

[8]      On ne fait certainement pas erreur en prenant comme point de départ la décision rendue par le juge Holland dans l'affaire Cooper v. Cooper (1972), 10 R.F.L. 184 (H.C. de l'Ont.), où il a déclaré à la page 187 :

                   [TRADUCTION]

Peut-on dire que les parties en cause en l'espèce vivent séparées? Nul doute que des époux qui vivent sous le même toit peuvent aussi vivre séparés l'un de l'autre dans les faits. Le problème a souvent été examiné dans le cadre de litiges fondés sur le sous-alinéa 4(1)e)(i) de la Loi sur le divorce, et, généralement parlant, les juges en sont arrivés à la conclusion que les parties vivaient séparées lorsque les circonstances suivantes étaient présentes :

(i)          Les conjoints occupent des chambres à coucher distinctes.

(ii)         Les conjoints n'ont pas de relations sexuelles.

(iii)        Il y a peu de communication entre les conjoints, pour ne pas dire aucune.

(iv)        La femme n'effectue pas de travaux ménagers pour le mari.

(v)         Les conjoints prennent leur repas séparément.

(vi)        Les conjoints n'ont pas d'activités sociales communes.

Voir les affaires Rushton v. Rushton (1968), 1 R.F.L. 215, 66 W.W.R. 764, 2 D.L.R. (3d) 25 (C.-B.); Smith v. Smith (1970), 2 R.F.L. 214, 74 W.W.R. 462 (C.-B.); Mayberry v. Mayberry, [1971] 2 O.R. 378, 2 R.F.L. 395, 18 D.L.R. (3d) 45 (C.A.).

[9]      La juge Campbell et moi-même avons tous deux considéré que ces critères constituent un guide utile, quoiqu'ils ne soient nullement exhaustifs et qu'aucun d'eux ne soit déterminant. Je suis enclin à souscrire aux observations formulées par le juge Wilson dans l'affaire Macmillan-Dekker v. Dekker, 4 août 2000, dossier 99-FA-8392, et citées par la juge Campbell dans l'affaire Rangwala, à la page 7 (C.T.C: aux pages 2435 et 2436) :

[TRADUCTION]

Se basant sur une synthèse de la jurisprudence, la Cour a établi une liste faisant état de sept facteurs à utiliser pour déterminer si une union conjugale existe ou existait. Ces questions d'organisation permettent au juge présidant un procès de voir la relation globalement pour déterminer si les parties vivaient ensemble comme conjoints. Le fait de tenir compte de ces sept facteurs permettra d'éviter que l'accent soit mis à tort sur un facteur à l'exclusion d'autres facteurs et de faire en sorte que tous les facteurs pertinents soient pris en considération.

[...]

Je conclus qu'il n'y a pas un seul et unique modèle statique d'union conjugale ou de mariage. Il y a plutôt un groupe de facteurs reflétant la diversité des unions conjugales et mariages qui existent dans la société canadienne moderne. Chaque cas doit être examiné selon les faits objectifs qui lui sont propres.

[10]     Tenant donc compte du fait qu'aucun facteur ne doit l'emporter sur les autres et que c'est la relation globale qui est en dernière analyse l'élément déterminant, peut-on dire que les époux en l'espèce vivaient séparés pour cause d'échec de leur mariage?

1.        Occupaient-ils des chambres à coucher distinctes? Je conclus qu'ils avaient des chambres distinctes la plupart du temps, mais je ne suis pas convaincu qu'ils faisaient tout le temps chambre à part.

2.        Ils ont continué d'avoir des relations sexuelles, quoique la preuve soit contradictoire en ce qui concerne leur fréquence. L'appelant a admis en avoir eu quatre au cours des années 1998 à 2000. Mme Roby a dit qu'ils en avaient eu de façon « régulière » pendant la période en cause. Je doute qu'il soit utile d'essayer de déterminer laquelle de ces versions contradictoires il convient de retenir. M. Roby a soutenu qu'il arrive souvent à des couples séparés ou divorcés d'avoir des relations sexuelles ensemble après leur séparation ou leur divorce. J'admets que ça peut être vrai, quoique je ne dispose d'aucune preuve indépendante à ce sujet. Cependant, leur cas est différent de celui des couples qui sont véritablement séparés ou divorcés, et qui vivent chacun dans sa propre habitation aux termes d'un accord ou d'une ordonnance valides de séparation ou d'un jugement de divorce. Le fait qu'ils aient des relations sexuelles de temps à autre ne compromettra probablement pas leur statut de conjoints séparés. Mais quand les époux vivent sous le même toit et que l'un d'eux soutient, comme c'est le cas en l'espèce, qu'ils vivent séparés en raison de l'échec de leur mariage, une telle activité sexuelle soulève des doutes sur la séparation des époux et sur l'échec du mariage. La conduite la plus prudente dans ces circonstances serait l'abstinence totale, du moins entre les époux.

3.        Les communications entre les époux, quoique limitées, dépassaient nettement ce à quoi on s'attendrait normalement dans le cas de personnes séparées. Ils discutaient des enfants et d'autres sujets se rapportant à leur vie domestique commune. Ils ont échangé des cadeaux de Noël dispendieux en 1999. L'appelant a offert des boucles d'oreilles en diamant à son épouse, qui lui a offert un manteau de cuir. Mme Roby a donné 2 500 $ à l'appelant en 1998 ou en 1999 pour qu'il puisse partir en vacances en Angleterre. Des époux qui sont séparés ou qui ne vivent plus ensemble ne font pas ce genre de choses.

4.        Les époux partageaient entre eux les travaux domestiques. Mme Roby pelletait la neige et tondait la pelouse. Ils faisaient tous deux l'épicerie et cuisinaient aussi tous les deux. Ils se partageaient la responsabilité de leurs enfants.

5.        Ils ne prenaient pas souvent leurs repas ensemble, en partie parce que l'appelant travaillait par poste. Ils prenaient tous deux leurs repas à la cuisine.

6.        Leurs activités sociales communes étaient limitées, mais elles n'étaient pas inexistantes. Ils ont rendu visite ensemble à des amis habitant à Toronto. Ils ont souligné ensemble des occasions spéciales, comme la fête de l'Action de grâce, les anniversaires et Noël.

[11]     J'ajouterais aussi que leurs affaires financières étaient étroitement liées. M. Roby payait la plupart des factures. Il n'y avait pas de séparation des responsabilités financières.

[12]     Ils avaient le même téléphone, quoique ce facteur revête peu d'importance en tant que tel.

[13]     Mme Roby est la bénéficiaire du régime de pension, du REER et de la police d'assurance-vie de l'appelant. Ce facteur, dont il est impossible de faire fi, ne revêt toutefois pas beaucoup d'importance en tant que tel. M. Roby m'a paru être un homme responsable et je ne tirerai pas de conclusion défavorable du fait qu'il souhaite continuer à assurer le bien-être de son épouse et de ses enfants.

[14]     M. Roby s'est appuyé sur un document se voulant un accord de séparation. La Couronne a mis en doute son authenticité et son effet légal. Quelle que soit sa validité, et même si on conclut qu'il produit l'effet voulu, ce document n'est d'aucune utilité à l'appelant. C'est un document très particulier à maints égards. Il n'indique pas que les époux vivront séparés. La clause VI prévoit que : [TRADUCTION] « Les parties conviennent de cohabiter dans la résidence actuelle » . Le document prévoit également que, si l'une des parties en arrive à la conclusion que la cohabitation n'est plus souhaitable, elle peut en aviser l'autre partie au moyen d'une lettre envoyée par courrier recommandé. Étant donné que les époux ont convenu de vivre ensemble, il me semble qu'ils pourraient tout simplement se le dire au petit déjeuner.

[15]     La clause III prévoit que Genyne conservera la garde principale des deux filles et l'appelant, celle de Byron. Les droits de visite sont décrits dans le menu détail. Étant donné qu'ils vivaient tous ensemble, tout cela ne sert pas à grand-chose. Je crois que la perspective de bénéficier d'un avantage fiscal était l'une des motivations principales.

[16]     Tenant compte de l'ensemble des faits, j'en arrive à la conclusion que, essentiellement, cette relation allait mal en 1997, 1998 et 1999, mais je ne crois pas que les époux vivaient séparés ni qu'il y avait eu échec de leur mariage, même si l'union était certainement fragile.

[17]     M. Roby a soutenu qu'il considérait le mariage comme terminé en 1997 et qu'il souhaitait quitter, mais devait rester à cause des enfants, car il craignait que son épouse ne le laisse plus jamais les voir. Cette déclaration, si je l'accepte, ne joue guère en faveur de l'appelant. Elle ne fait rien d'autre que confirmer qu'il n'était pas séparé de son épouse.

[18]     L'intimée a assigné Mme Roby à comparaître, mais c'est M. Roby qui l'a appelée comme témoin. Étant donné que l'appel est régi par la procédure informelle, je lui ai accordé une grande latitude quant à la façon de poser ses questions. En fait, l'interrogatoire principal qu'il a mené a consisté en grande partie en un contre-interrogatoire et en des questions suggestives. Quoi qu'il en soit, je ne crois pas que l'appelant ait soutiré à son épouse la moindre déclaration en sa faveur. Au contraire, presque toutes les réponses de Mme Roby ont appuyé la thèse de la Couronne.

[19]     Les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour d'août 2002.

Erich Klein, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-3029(IT)I

ENTRE :

JEFFERY DAVID ROBY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 20 novembre 2001, à London (Ontario), par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Pour l'appelant :                         L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :                   Me Ifeanyi Nwachukwu

JUGEMENT

          Il est ordonné que les appels de cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1997, 1998 et 1999 soient rejetés.


Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour d'août 2002.

Erich Klein, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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