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Date: 20020109

Dossier: 1999-533-IT-G

ENTRE :

VICTOR ELIAS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]      Le présent appel est interjeté à l'encontre d'une cotisation de 735 735,50 $ établie en vertu de l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu. La cotisation était fondée sur le fait que l'appelant était responsable, à titre d'administrateur, des retenues à la source non remises que, prétend-on, A.J. Perron Gold Corporation ( « Gold Corp. » ) aurait dû remettre au receveur général.

[2]      L'appelant est d'avis qu'il n'est pas responsable des retenues à la source pour deux raisons :

1.        L'employeur et le payeur de la rémunération n'était pas Gold Corp. mais plutôt une filiale, G.S.R. Mining Corporation ( « GSR » ) et, par conséquent, Gold Corp. n'était pas tenue d'effectuer ces versements.

2.        De toute façon, l'appelant a fait preuve de la diligence raisonnable nécessaire pour se libérer de la responsabilité comme l'exige le paragraphe 227.1(3).

[3]      Le fait est que l'appelant est avocat, bien qu'il n'ait pas exercé depuis un certain nombre d'années. Avant d'abandonner l'exercice du droit pour se lancer dans d'autres activités commerciales, il se spécialisait dans le droit des sociétés et des valeurs mobilières.

[4]      Les faits de base suivants de l'avis d'appel sont admis ou ont été établis par la preuve.

          [TRADUCTION]

1           Victor Elias, (ci-après « M. Elias » ), était membre du conseil d'administration de Deak Ressources Ltd. (maintenant A.J. Perron Gold Corp. après un changement de nom approuvé par les actionnaires le 10 août 1994) du 21 avril 1994 jusqu'à sa démission le 31 octobre 1996.

2           A.J. Perron Gold Corp. était une société ouverte inscrite à la bourse de Toronto comptant une équipe de direction expérimentée, dont un secrétaire-trésorier à temps plein et un contrôleur, ainsi que d'autres membres du personnel financier au sein de ses filiales.

3           M. Elias n'a jamais détenu d'actions ou d'options dans A.J. Perron Gold Corp. ni dans aucune autre société liée, mais agissait à titre d'administrateur externe.

4           A.J. Perron Gold Corp. était une société de portefeuille comptant plusieurs filiales, dont GSR Acquisition Corporation, filiale en propriété exclusive, qui à son tour possédait 77 % de GSR Mining Corporation, qui à son tour possédait 99 % de Kerr Jex Corporation. De plus, A.J. Perron Gold Corp. participait à une entreprise commune dans laquelle A.J. Perron Gold Corp. et GSR Mining Corporation détenaient une participation de 50 %.

5           GSR Mining Corporation est une société constituée en vertu d'une loi fédérale canadienne et était l'exécutant des activités d'exploitation aurifère d'A.J. Perron Gold Corp. à Larder Lake et à Virginiatown, dans la province de l'Ontario.

6           GSR Mining Corporation employait des travailleurs syndiqués en vertu d'une convention collective avec les Métallurgistes unis d'Amérique, section locale 9283.

7           GSR Mining Corporation tenait des comptes appropriés pour ses employés auprès de Revenu Canada, de la Commission des accidents du travail de l'Ontario, de la Direction de l'impôt-santé des employeurs du ministère des Finances de l'Ontario et de la Division du travail, Enquête sur l'emploi, la rémunération et les heures de Statistique Canada.

[5]      L'appelant n'a jamais été administrateur de GSR. Cette société exploitait la mine d'or Kerr dans le nord de l'Ontario. Gold Corp., à part le personnel de direction clé, ne comptait aucun employé.

[6]      Il ressort clairement des éléments de preuve et en particulier de la section 24 du volume 1 du Recueil conjoint de documents (pièce AR-1) ainsi que du témoignage de vive voix de M. David Ansara, contrôleur de GSR, que Gold Corp. transférait, toutes les deux semaines, suffisamment de fonds de ses comptes bancaires au compte bancaire numéro 512286 de GSR à la Société Canada Trust pour payer le salaire et les traitements du personnel et des travailleurs horaires. GSR émettait des chèques tirés sur son compte bancaire à l'ordre de ses employés et leur fournissait un relevé T4. À la fin de chaque année, GSR préparait un T4 sommaire et le soumettait à Revenu Canada. Le numéro de compte de GSR à Revenu Canada était AXC 56920 3.

[7]      Les déductions pour l'impôt sur le revenu fédéral et provincial, le Régime de pensions du Canada, l'assurance-chômage et l'assurance-emploi étaient faites et remises à Revenu Canada sous le numéro de compte susmentionné par GSR ou en son nom.

[8]      Tous les versements nécessaires ont été effectués pour 1995 (à l'exception d'un manque s'élevant à la modique somme de 200 $). En 1996, un déficit d'encaisse a été constaté et les deux frères Perron, Alex et John (qui dirigeaient Gold Corp et, indirectement, GSR dont ils étaient administrateurs) ont demandé à M. Ansara d'effectuer les paiements nécessaires pour le salaire et les traitements des employés, mais de ne pas remettre les retenues à la source à Revenu Canada. Le raisonnement - et il s'agit d'un refrain que l'on connaît bien dans les cas de responsabilité des administrateurs - était que, si les employés et les autres créanciers n'étaient pas payés, l'entreprise coulerait et les quelque 160 employés perdraient leur emploi. On croyait que, si l'entreprise était maintenue à flot, la situation se redresserait et qu'on pourrait s'acquitter des responsabilités envers Revenu Canada. C'était une décision commerciale que, aux fins de la présente affaire, je n'ai pas à condamner ou à appuyer. Je l'énonce simplement comme un fait. Cette décision a été prise par les administrateurs de GSR.

[9]      Revenu Canada a établi une cotisation pour les montants non remis de GSR à l'aide du numéro de compte AXC 56920 3. Des cotisations ont été établies à l'égard de GSR jusqu'au 28 juin 1996. Puis, à compter du 24 juillet 1996, Revenu Canada a commencé à établir une cotisation pour Gold Corp. en utilisant le même numéro de compte (GSR), soit AXC 56920 3. Ces cotisations se sont poursuivies jusqu'au 6 septembre 1996, date à laquelle Revenu Canada a commencé à utiliser un autre numéro de compte, soit 89684 3430 RP. En plus de ces cotisations, Revenu Canada a commencé à établir des cotisations à l'égard de Gold Corp. le 30 avril 1996 à l'aide du nouveau numéro de compte. Ces cotisations se sont poursuivies jusqu'au 18 février 1997.

[10]     Le 27 février 1998, Revenu Canada a établi une cotisation de 735 735,50 $ à l'égard de l'appelant en vertu de l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu. L'avis de cotisation contient l'explication suivante :

L'IMPÔT À PAYER EN VERTU DE L'ARTICLE 227.1 DE LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU, DE L'ARTICLE 38 DE LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU DE L'ONTARIO, DE L'ARTICLE 21.1 DU RÉGIME DE PENSIONS DU CANADA, DE L'ARTICLE 54 DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-CHÔMAGE ETDU PARAGRAPHE 83(1) DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI EST DE 735 735,50 $ POUR LES DÉDUCTIONS NON REMISES, LES INTÉRÊTS ET LES PÉNALITÉS PAYABLES PAR A J PERRON GOLD CORPORATION RELATIVEMENT AUX AVIS DE COTISATION DATÉS DU 30 AVRIL 1996, DU 17 JUIN 1996, DU 24 JUIN 1996, DU 27 JUIN 1996, DU 23 JUILLET 1996, DU 25 JUILLET 1996, DU 7 AOÛT 1996, DU 13 AOÛT 1996, DU 20 AOÛT 1996, DU 27 AOÛT 1996, DU 5 SEPTEMBRE 1996 ET DU 18 FÉVRIER 1997.

[11]     Bien entendu, l'appelant est libre de contester les cotisations de Gold Corp., à la lumière de l'affaire Gaucher c. R., C.A.F., no A-275-00, 16 novembre 2000 ([2001] 1 C.T.C. 125), et c'est ce qu'il a fait.

[12]     Les cotisations établies à l'égard de Gold Corp. et la cotisation qui en découle à l'égard de l'appelant sont fondées sur l'hypothèse que Gold Corp. versait les traitements, le salaire ou la rémunération, au sens de l'article 153 de la Loi de l'impôt sur le revenu, des employés de GSR. Cette hypothèse est fausse. Gold Corp. avançait les fonds à GSR, qui payait les employés de GSR. Aucun principe d'interprétation ne permet ou n'exige que j'attribue le sens des termes du paragraphe 153(1)

Toute personne qui verse au cours d'une année d'imposition l'un des montants suivants :

(a)         un traitement, un salaire ou autre rémunération,

[...]

à une personne qui avance des fonds au véritable payeur. Il est clair que la personne qui versait les traitements, le salaire ou la rémunération des employés de GSR était GSR et non Gold Corp., même si GSR recevait les fonds de Gold Corp.

[13]     On a fait ressortir le fait que Gold Corp. effectuait directement les versements à Revenu Canada. Je ne crois pas que cela fasse de Gold Corp. celle qui paie les traitements, le salaire ou la rémunération. Elle ne faisait que s'acquitter, au nom de GSR, de l'obligation de GSR envers Revenu Canada. GSR était une société en exploitation viable. Ce n'était pas un imposteur, ni un mandataire de Gold Corp., pas plus que Gold Corp. n'était un mandataire de GSR. Il s'agissait de deux personnes morales distinctes ayant une existence légale distincte.

[14]     Je conclus donc que Gold Corp n'a jamais été tenue de faire de versements à Revenu Canada en vertu du paragraphe 153(1). Par conséquent, les paragraphes 227(9), (9.1), (9.2), (9.4) et (10.1) mentionnés par l'avocat de l'intimée ne s'appliquent pas à Gold Corp.

[15]     Il s'ensuit donc que les cotisations de Gold Corp. sont erronées et doivent donc être abandonnées dans la mesure où elles forment la base de la cotisation de l'appelant. La cotisation de l'appelant doit par conséquent être abandonnée également. En ce qui concerne Gold Corp et le ministre du Revenu national, les cotisations de Gold Corp. pourraient bien être exécutoires si Gold Corp ne s'y oppose pas. Je ne tire aucune conclusion sur ce point. Gold Corp. n'est pas partie à la présente action. Il n'y a eu aucun manquement de la part de Gold Corp. au sens du paragraphe 227.1(1). Donc, la responsabilité de l'appelant en vertu de ce paragraphe n'est pas fondée.

[16]     Cette conclusion suffit à statuer sur l'appel. Cependant, j'aborderai brièvement l'argument subsidiaire de l'appelant. Même si j'ai tort en concluant que Gold Corp. n'était pas celle qui payait les traitements, le salaire et la rémunération et donc n'était pas responsable d'effectuer les versements à Revenu Canada, je crois que l'appelant a amplement satisfait à l'exigence de diligence raisonnable. Il était administrateur externe. Il n'était pas tenu d'enquêter sur la situation financière d'une filiale active dont il n'était pas administrateur - du moins pas aux fins de l'article 227.1, quelles qu'aient été ses fonctions en tant que membre du comité de vérification.

[17]     On compte un certain nombre de décisions de la Cour d'appel fédérale sur la responsabilité des administrateurs. Celles-ci ont appliqué un critère invariablement moins strict ou rigoureux que celui qui a été appliqué par certains des juges de cette cour. Je suis d'accord avec cette approche. Ces affaires sont Soper c. Canada, (C.A.), [1998] 1 C.F. 124 ([1997] 3 C.T.C. 242); Smith c. R., C.A.F., no A-604-96, 15 janvier 2001 ([2001] 2 C.T.C.192); Canada (Procureur général) c. McKinnon (C.A.), [2001] 2 C.F. 203 ([2000] G.S.T.C. 91); Canada c. Corsano (C.A.), [1999] 3 C.F. 173 ([1999] 2 C.T.C. 395); et Cameron c. R., C.A.F., no A-763-99, 19 juin 2001 ([2001] 3 C.T.C. 200).

[18]     Dans l'affaire Cameron c. R., le juge d'appel Linden a déclaré aux pages 2 et 3 :

À notre humble avis, le juge de la Cour de l'impôt n'a pas correctement appliqué la jurisprudence de notre Cour et plus particulièrement les arrêts Soper, [1998] 1 C.F. 124, Smith, [2001] A.C.F. 448, Worrell, [2000] A.C.F. 1730, et Corsano, [1999] 3 C.F. 173. En premier lieu, il semble qu'il a soumis l'appelant à une norme de diligence plus stricte que celle qui est exigée par la loi et par la jurisprudence. Il a affirmé que l'appelant « avait l'obligation de prévenir le détournement de fonds [que Sa Majesté a qualifié de « défaut » dans son mémoire] dans les circonstances » . Ce n'est pas ce que la loi prévoit. Son obligation était uniquement de faire preuve de la diligence nécessaire pour prévenir un détournement de fonds (ou un défaut). Ainsi que le juge Sharlow l'a expliqué dans l'arrêt Smith, précité :

[TRADUCTION] La seule obligation d'un administrateur est celle d'agir raisonnablement dans les circonstances. Le fait que ses efforts n'ont pas donné de résultats ne vient pas démontrer qu'il n'a pas agi de façon raisonnable.

Le juge Sharlow a conclu que la norme applicable est celle du caractère raisonnable et non « la perfection » .

Le juge de la Cour de l'impôt a également statué que l'appelant n'avait pas pris « de mesure concrète pour élaborer ou mettre en place des moyens de contrôle des remises ou pour exercer des contrôles de façon continue » . Il a déclaré que, même si l'appelant avait « fait des efforts pour protéger les sommes dues en arriéré à Revenu Canada » , ces mesures avaient été « sans conséquence » . Sur ce point aussi il s'est trompé parce que, bien que les administrateurs soient tenus de prendre des mesures concrètes, il suffit que ces mesures soient raisonnables et concrètes. Il n'est pas nécessaire qu'elles soient à toute épreuve.

Nous sommes d'avis que, compte tenu de ces principes et vu les faits qui sont pour l'essentiel non contestés, l'appelant a respecté l'obligation légale que le paragraphe 227.1(3) lui imposait, c'est-à-dire la norme à la fois objective et subjective d'agir comme une personne raisonnablement prudente l'aurait fait dans les circonstances de l'espèce.

[19]     Les états financiers ne contenaient aucune information qui aurait permis à l'appelant de croire que les retenues à la source n'étaient pas remises en 1996. De plus, il n'aurait rien pu faire pour empêcher ce manquement. Ce sont les deux frères Perron qui, pour reprendre l'expression de M. Ansara, menaient la barque. L'appelant n'aurait pas pu empêcher ce manquement même s'il avait été au courant de la situation.


[20]     L'appel est admis avec dépens et la cotisation est annulée.

Signé à Toronto, Canada, ce 9e jour de janvier 2002.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour d'août 2002.

                   

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-533(IT)G

ENTRE :

VICTOR ELIAS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu les 12 et 13 décembre 2001 à Vancouver (Colombie-Britannique), par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Pour l'appelant :                         l'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                 Me Judith Sheppard

JUGEMENT

          L'appel relativement à la cotisation établie en vertu de l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont l'avis est daté du 27 février 1998 et qui porte le numéro 12780, est admis avec dépens et la cotisation est annulée.


Signé à Toronto, Canada, ce 9e jour de janvier 2002.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour d'août 2002.

                   

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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