Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20020706

Dossiers: 2000-4195-EI, 2000-4199-CPP,

2001-323-EI, 2001-324-CPP,

2001-1035-EI, 2001-1036-CPP

ENTRE :

Jacqueline Castonguay,

Le ministère des Services familiaux et

communautaires et George Mazerolle,

et Bernadette Ferron

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Angers, C.C.I.

[1]      Il s'agit de six appels entendus sur preuve commune à Fredericton (Nouveau-Brunswick). Les appelants ont interjeté appel de décisions du ministre du Revenu national (le « Ministre » ) qui a statué, dans le premier dossier, que Nadia Landry occupait un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ) et un emploi ouvrant droit à pension au sens du Régime de pensions du Canada (le « Régime » ) avec l'appelante Jacqueline Castonguay durant la période allant du 4 janvier 1999 au 14 juin 1999. Le ministère des Services familiaux et communautaires du Nouveau-Brunswick (le « Ministère » ), pour sa part, a interjeté appel de la décision du Ministre statuant
que le Ministère est réputé l'employeur en vertu du paragraphe 10(1) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations (le « Règlement » ) et du paragraphe 8.1(1) du Règlement sur le régime de pensions du Canada (le « RRPC » ).

[2]      Dans le deuxième dossier, le Ministre a statué que Germaine Chiasson occupait un emploi assurable au sens de la Loi et un emploi ouvrant droit à pension au sens du Régime avec l'appelant George Mazerolle durant la période allant du 11 juillet 1999 au 17 novembre 1999. Le Ministère, pour sa part, a interjeté appel de la décision statuant qu'il est réputé l'employeur au sens des règlements précités.

[3]      Dans le troisième dossier, le Ministre a statué que Francine Doiron occupait un emploi assurable au sens de la Loi et un emploi ouvrant droit à pension au sens du Régime avec l'appelante Bernadette Ferron durant la période allant du 1er juillet 1999 au 31 décembre 1999. Le Ministère, pour sa part, a demandé que l'intitulé de ce troisième dossier soit modifié pour inclure le Ministère à titre d'appelant et l'intimé s'est opposé à cette demande.

[4]      Il incombe aux appelants d'établir, selon la prépondérance de la preuve, que la décision du Ministre est mal fondée en fait et en droit. Les hypothèses de faits suivantes sont celles sur lesquelles le Ministre s'est basé pour conclure que les emplois en question étaient assurables et ouvraient droit à pension dans chacun des dossiers.

Dans les dossiers « Bernadette Ferron » - 2001-1035(EI) et 2001-1036(CPP), les hypothèses de faits sont les suivantes :

a)     pour lui permettre de demeurer à domicile, l'appelante a besoin de soins constants, personnels et ménagers;

b)    le Ministère des services familiaux et communautaires ( « MSFC » ) fournissait de l'aide financière à l'appelante sous forme de subventions, pour permettre l'emploi d'un aide en soins personnels;

c)     les tâches de la travailleuse consistaient à aider l'appelante dans ses activités et soins journaliers, tel que préparer les repas, se laver et s'habiller, ainsi que de faire l'entretien de sa résidence, tel que faire le ménage, laver la vaisselle, changer les lits, faire le lavage et le repassage;

d)    la travailleuse n'était pas une infirmière accréditée et n'avait pas l'entraînement pour donner des soins médicaux;

e)     la travailleuse travaillait 6 jours par semaine de 9h00 à 22h00, du lundi au samedi;

f)     la travailleuse recevait 35,00$ par jour;

g)     MSFC émettait un chèque à l'appelante;

h)     la travailleuse était sous la direction et le contrôle de l'appelante directement;

i)      l'appelante contrôlait les heures de la travailleuse;

j)     l'appelante contrôlait les tâches de la travailleuse;

k)    la travailleuse n'avait pas de dépenses associées à son travail;

l)      la travailleuse était engagée personnellement pour s'occuper de l'appelante;

m)    la travailleuse ne menait pas une entreprise offrant des soins personnels à divers clients;

n)     il y avait un contrat de louage de services entre la travailleuse et le payeur;

Dans les dossiers « Le Ministère des services familiaux et communautaires et Georges Mazerolle » - 2001-323(EI) et 2001 324(CPP), les hypothèses de faits sont les suivantes :

a)     le payeur demeurait chez Mireille Gagnon de façon permanente;

b)    pour lui permettre de demeurer à domicile, le payeur a besoin de soins constants à cause de son âge avancé;

c)     MSFC fournissait de l'aide financière au payeur sous forme de subventions, pour permettre l'emploi d'un aide en soins personnels;

d)    les tâches de la travailleuse consistaient à aider le payeur dans ses activités et soins journaliers, tel que préparer les repas, se laver et s'habiller;

e)     la travailleuse n'était pas une infirmière accréditée et n'avait pas l'entraînement pour donner des soins médicaux;

f)     la travailleuse travaillait 7 jours par semaine pour un total hebdomadaire de 80 à 90 heures;

g)     la travailleuse recevait 5,50$ l'heure;

h)     le payeur n'était pas totalement subventionné par MSFC : pour la période en litige, MSFC a rémunéré la travailleuse un total de 3 091,10$ et le payeur l'a rémunérée un total de 192,40$;

i)      MSFC donnait sa part de la rémunération directement à la travailleuse, sans l'entremise du payeur;

j)     la travailleuse était sous la direction et le contrôle du payeur directement ou de Mireille Gagnon pour le payeur;

k)    le payeur et Mireille Gagnon contrôlaient les heures de la travailleuse;

l)      le payeur et Mireille Gagnon contrôlaient les tâches de la travailleuse;

m)    le payeur et Mireille Gagnon contrôlaient le taux horaires de la travailleuse;

n)     la travailleuse n'avait pas de dépenses associées à son travail;

o)    la travailleuse était engagée personnellement pour s'occuper du payeur;

p)    la travailleuse ne menait pas une entreprise offrant des soins personnels à divers clients;

q)    il y avait un contrat de louage de services entre la travailleuse et le payeur;

r)     MSFC était réputé être l'employeur en ce qui a trait à la rémunération qu'il payait directement à la travailleuse.

Dans les dossiers « The Department of Family and Community Services and Jacqueline Castonguay - 2000-4195(EI) et 2000-4199(CPP), les hypothèses de faits sont les suivantes :

a)     DFCS provided financial assistance to Jacqueline Castonguay to enable her to hire help for the care of her handicapped son;

b)    the Worker's duties consisted of doing general house cleaning and helping with the general care of Jacqueline Castonguay's son;

c)     the Worker did not have the training to administer medication or any of the special care required by Jacqueline Castonguay's son;

d)    the Worker worked every second week, alternating with another worker;

e)     the Worker worked Monday to Sunday inclusive, for a total of 48.5 hours for the week;

f)     Jacqueline Castonguay offered the Worker $7.00 per hour, totalling $339.50 per pay period;

g)     DFCS controlled the total amount of assistance Jacqueline Castonguay would receive;

h)     Jacquelinge Castonguay controlled the Worker's duties;

i)      Jacquelinge Castonguay controlled the hourly rate of pay given to the Worker;

j)     Jacqueline Castonguay controlled the number of hours worked by the Worker;

k)    the Worker was required to provide the services personally;

l)      Jacqueline Castonguay had first call on the Worker's time;

m)    the Worker was not required to incur expenses in the performance of her duties;

n)     the Worker accepted the work as a response to a job offer made by Jacqueline Castonguay;

o)    the Worker was not in the business of offering personal care to clients;

p)    there was a contract of service between Jacqueline Castonguay and the Worker;

q)    Jaccqueline Castonguay did not pay the Worker herself;

r)     the Worker was paid directly by DFCS according to the hours submitted by the Worker and confirmed by Jacqueline Castonguay;

s)     DFCS is the deemed employer.

[5]      Les appelants ont fait témoigner monsieur André Lépine, le directeur provincial des Services aux handicapés et personnes âgées pour le ministère de la Santé et des Services communautaires du Nouveau-Brunswick. La pièce A-1 nous donne non seulement l'organigramme de ce ministère, mais également une description du programme de soutien aux personnes atteintes d'une perte d'autonomie dans leurs activités quotidiennes au moyen de l'aide à domicile. Une fois les besoins de ces personnes évalués, le Ministère tente d'y répondre par le truchement des services multidisciplinaires mis en place à cette fin. Le Ministère donne de tels soins à environ 9 000 personnes dans la province. La gestion de ces soins est faite par une centaine de travailleurs sociaux qui gèrent chacun environ 150 dossiers.


[6]      Le financement de ce programme, selon monsieur Lépine, provient des allocations budgétaires consenties à son ministère par le gouvernement du Nouveau-Brunswick. Les montants consacrés à ces programmes sont indiqués aux pièces A-3, A-4 et A-5.

[7]      Madame Lisa Doucette, qui est directrice des Ressources humaines au Ministère, est venue confirmer que le nombre d'employés affectés à ce ministère, était celui qui est indiqué aux pièces A-3 et A-5. Elle a également confirmé que Nadia Landry, Francine Dorion et Germaine Chiasson ne sont pas des employées du Ministère et ne sont donc aucunement sous sa direction. Les employés du Ministère sont régis par la Loi sur la fonction publique du Nouveau-Brunswick et ils doivent se soumettre à un concours avant d'être embauchés. Elle n'est pas familière avec le mode de rémunération des travailleuses.

[8]      Dans le premier dossier, madame Joanne Poirier, une travailleuse sociale du Ministère, a témoigné que le fils de l'appelante, monsieur Steve Castonguay, a été un de ses clients au cours de la période allant de février 1997 jusqu'à novembre 1999. Ce dernier a été victime d'un accident automobile et, en raison des séquelles neurologiques permanentes qu'il a subies, il est devenu admissible au programme de soins à domicile. Sa mère, l'appelante, Jacqueline Castonguay, a été désignée pour s'occuper de son fils et trouver des gens pouvant lui dispenser des soins. Elle informa madame Poirier qu'elle avait trouvé madame Nadia Landry pour s'occuper de Steve.

[9]      Selon madame Poirier, Nadia Landry a commencé à dispenser des soins à Steve Castonguay le 4 janvier 1999. Elle a rencontré Nadia Landry pour lui expliquer quels étaient les soins à dispenser à Steve Castonguay, à savoir le nourrir, le vêtir et lui donner son bain entre autres. C'est madame Poirier qui a évalué les besoins de Steve Castonguay, après avoir étudié son dossier. Elle a expliqué à l'appelante, madame Jacqueline Castonguay, comment établir la facturation et l'a informée qu'elle devait la présenter au Ministère. Madame Landry devait travailler 48.5 heures par semaine et était payée 7 $ l'heure. Lors de leur rencontre, madame Poirier a informé madame Landry que le Ministère n'était pas l'employeur.

[10]     En contre-interrogatoire, elle a admis ne pas être au courant des discussions qui ont eu lieu entre madame Landry et madame Castonguay. Leur rencontre initiale a duré près d'une heure et ce fut la seule. Elle ne recevait par la suite que les factures pour les heures travaillées par madame Landry, qui s'établissaient à sept heures par jour six jours par semaine et à six heures et demie le dimanche. Si madame Landry avait demandé plus que 7 $ l'heure, l'appelante, madame Castonguay, aurait été obligée de payer la différence. Madame Poirier a témoigné que les parents de Steve Castonguay ont fait l'achat d'équipement et ont modifié leur voiture pour permettre à Steve de monter à bord. Il est arrivé, à l'occasion, que l'appelante se soit occupée de son fils seule pendant une journée.

[11]     Madame Poirier a également résumé les critères d'admissibilité au programme qui visent essentiellement les activités de la vie quotidienne, telles que le bain, la toilette et les repas. La subvention à recevoir est déterminée par le revenu du bénéficiaire et, dans le cas de Steve, le Ministère payait en totalité ces soins. Elle a terminé son témoignage en disant qu'il n'a jamais été question de rémunérer madame Landry pour ses heures supplémentaires de travail et que, si celle-ci avait des préoccupations, elle devait en faire part à madame Castonguay.

[12]     Monsieur Jean-Claude Robichaud a témoigné pour les appelants dans le dossier de la succession de monsieur George Mazerolle. Il est travailleur social et est intervenu dans ce dossier lorsqu'il a fait l'évaluation des besoins de monsieur Mazerolle pour les fins du programme de soins à domicile. Ce dernier avait à l'époque 92 ans et 6 mois et était en perte d'autonomie. Il a donc recommandé que des soins lui soient donnés à raison de 4 heures par jour afin de combler ceux déjà donnés par une dame Robichaud qui demeurait avec monsieur Mazerolle. La personne retenue était madame Germaine Chiasson. Il reconnaît n'avoir rencontré madame Chiasson qu'une seule fois à son bureau.

[13]     En 1999, la nièce de monsieur Mazerolle, madame Mireille Gagnon, a offert de garder monsieur Mazerolle chez elle. Madame Chiasson a toutefois continué de procurer des soins à monsieur Mazerolle. Ce dernier a toutefois toujours insisté pour que sa nièce s'occupe de tous ses soins, y compris son plan alimentaire. Cette information a été communiquée à madame Chiasson.

[14]     La facture pour le travail de madame Chiasson était remise au Ministère après avoir été vérifiée par madame Gagnon. Monsieur Mazerolle contribuait 92 $ par mois au paiement des soins et le Ministère acquittait la différence. Madame Chiasson n'était pas la seule personne à fournir des soins à monsieur Mazerolle. Elle travaillait quarante-quatre heures par semaine et, à l'occasion, faisait des heures supplémentaires sans demander de rémunération supplémentaire. Quoique l'embauche de madame Chiasson ait été faite par madame Gagnon, cette dernière avait été mandatée verbalement par monsieur Mazerolle pour agir en son nom.

[15]     Une des factures envoyées au Ministère a été produite en preuve sous la cote I-1. Elle identifie la contribution payée par le Ministère comme étant 1 987 $ et celle de monsieur Mazerolle 96,21 $ pour des heures approuvées, soit de 12 heures par jour à 5,50 $ l'heure pour un mois. C'est une partie de cet argent qui a servi à payer madame Chiasson pour son travail.

[16]     Madame Carolle Larocque Ferron, travailleuse sociale, a témoigné dans le dossier de l'appelante Bernadette Ferron. Il n'y a pas de lien de parenté entre elle et l'appelante. Elle a témoigné que l'appelante est atteinte de l'ataxie de Friedreich et que cela la rend admissible à recevoir des soins à domicile offerts dans le cadre du programme. Madame Ferron circule en fauteuil roulant. Elle est souffrante, nerveuse et éprouve de la difficulté à s'exprimer. Madame Francine Doiron lui a prodigué des soins durant la période allant de juin 1999 à décembre 1999. Il s'agissait de soins personnels, incluant le ménage, la préparation des repas, le bain, la toilette et l'aide à se déplacer. Madame Doiron travaillait six jours par semaine, du lundi au samedi, de neuf à dix heures par jour. Le Ministère contribuait la somme de 35 $ par jour, soit 910 $ par mois et payait cette contribution directement à madame Bernadette Ferron. À son tour, madame Bernadette Ferron payait directement madame Doiron à chaque semaine.

[17]     En contre-interrogatoire, madame Larocque Ferron a expliqué que l'appelante gérait elle-même ses soins et réussissait à communiquer avec l'aide d'un intermédiaire. Madame Larocque Ferron a témoigné que l'appelante s'est occupée de retenir les services de madame Doiron et elle a confirmé que le Ministère envoie sa contribution directement à l'appelante. Cette façon de faire est acceptable lorsqu'un climat de confiance existe entre le Ministère et le client (soit l'appelante). Elle a terminé son témoignage en indiquant que l'appelante avait à sa disposition en matière d'équipement spécialisé un fauteuil roulant et un lève-personne, lequel lève-personne a été acheté par le Ministère.

[18]     Madame Paulette Boudreau Clark a témoigné dans le dossier de l'appelant George Mazerolle. Ce témoin est à l'emploi du Ministère depuis vingt ans et s'occupe des services financiers. Elle a témoigné que, dans le dossier de l'appelant George Mazerolle, madame Georgette Chiasson travaillait parfois plus de quarante-quatre heures par semaine et ne recevait pas de rémunération supplémentaire dans ces cas-là. Cette dernière recevait 5,50 $ l'heure. La facturation était signée par elle et monsieur George Mazerolle avant d'être soumise au Ministère en vue du paiement.

[19]     De son côté, l'intimé a fait témoigner Joanne Robichaud, agente aux appels. Dans le dossier de l'appelante Jacqueline Castonguay, elle a rencontré Nadia Landry ainsi que madame Lily Fraser, une employée du Ministère. Madame Robichaud a été informée des conditions de travail de madame Landry, de sa rémunération et des modalités de paiement. Elle n'a pas rencontré l'appelante, madame Jacqueline Castonguay. Sur la base de cette information, madame Robichaud a déclaré avoir conclu que l'appelante avait le droit d'embaucher et de congédier Nadia Landry et qu'elle déterminait ses heures de travail. Madame Landry n'avait aucune chance de profits ou risques de pertes et ne fournissait aucun outil. Elle a conclu que madame Landry n'était pas en affaire à son compte et que son travail faisait partie intégrante de celui de l'appelante Jacqueline Castonguay. Il s'agissait donc d'un contrat de louage de services. Étant donné que son salaire lui était payé directement par le Ministère, ce dernier devenait, selon le témoin, l'employeur réputé en vertu du Règlement.

[20]     Dans le dossier de l'appelant George Mazerolle, elle a rencontré Georgette Chiasson, la travailleuse, Lily Fraser et Edith Thériault du Ministère et la nièce de l'appelant, madame Mireille Gagnon. Madame Georgette Chiasson, qui prodiguait les soins à monsieur Mazerolle, travaillait de 80 à 90 heures par semaine à un taux horaire établi par le Ministère et son chèque de paye lui était remis par le Ministère et à son nom seulement. Le Ministère et l'appelant lui payaient son salaire dans les proportions que l'on connaît. Selon madame Robichaud, Mireille Gagnon avait le pouvoir d'embaucher et de congédier madame Chiasson. Il n'y avait pour madame Chiasson aucune possibilité de tirer un profit ou aucun risque de subir une perte. Les outils étaient fournis par madame Gagnon. Madame Chiasson faisait partie intégrante des besoins de l'appelant. L'emploi avait donc été exercé aux termes d'un contrat de louage de services.

[21]     Dans le dossier de l'appelante Bernadette Ferron, Madame Robichaud a rencontré la travailleuse, Francine Doiron, et la travailleuse sociale du Ministère qui s'occupait de ce dossier. Madame Doiron a prodigué des soins à l'appelante à partir du 1er juillet 1999. Elle travaillait de 9 h à 18 h chaque jour et son taux était de 35 $ par jour. Pour le paiement des services, la travailleuse et l'appelante signaient un formulaire qui était alors acheminé au Ministère. Par la suite, le Ministère faisait parvenir un chèque à l'appelante qui l'endossait et le remettait à madame Doiron.

[22]     Madame Robichaud a conclu que les instructions visant l'accomplissement des tâches de Francine Doiron venaient du Ministère, que Francine Doiron était payée par l'appelante Bernadette Ferron, que madame Doiron n'avait aucun risque de pertes ou chance de profits et qu'elle n'était pas en affaire à son compte dans le domaine des soins à domicile. L'emploi avait donc été exercé aux termes d'un contrat de louage de services.

[23]     En contre-interrogatoire, madame Robichaud a confirmé que les critères utilisés sont ceux établis par la jurisprudence, soit le contrôle, la propriété des outils, les chances de profits et les risques de pertes et l'intégration. Le contrôle est principalement établi par les conditions de travail, le registre de paye, l'horaire et la supervision. Dans le cas de l'appelante Jacqueline Castonguay, la travailleuse Nadia Landry travaillait de 8 h 30 à 15 h 30 par jour. Selon madame Robichaud, c'était une des conditions que l'appelante avait exigée mais elle reconnaît que cela n'était pas un indice dans cette instance. En l'espèce, la travailleuse Nadia Landry travaillait chez l'appelante une semaine et chez une autre personne la semaine suivante. Madame Robichaud reconnaît ne pas avoir vérifié auprès de Nadia Landry si elle avait choisi cette formule. Madame Robichaud ne s'est pas informée non plus au sujet de la question de savoir si Nadia Landry travaillait 48 heures par semaine alors que la Loi sur les normes d'emploi du Nouveau-Brunswick prévoit que la semaine de travail se limite à 44 heures. Pour madame Robichaud, cela n'était pas pertinent pour faire son analyse dans le cas en espèce. Elle a ajouté avoir fait d'autres analyses visant du travail à domicile, tel que la garde d'enfants, et que chaque cas est déterminé en fonction des faits.

[24]     Les critères utilisés par madame Robichaud ont été revus en contre-interrogatoire. Elle a reconnu que le fait que l'appelante ait approché la travailleuse Nadia Landry n'est pas à lui seul un critère suffisant pour lui permettre de conclure qu'il s'agit d'un contrat de louage de services. Selon son témoignage, le critère de la chance de profits ou du risque de pertes ne s'appliquait pas ici car la travailleuse n'avait aucunes dépenses. Il n'y a aucun outil en l'espèce qui puisse permettre de conclure à l'existence d'un contrat de louage de services. Cependant, l'intégration, due au fait que l'appelante avait besoin de ses services, faisait en sorte que les services étaient intégrés aux besoins de l'appelante, surtout si les services devaient être offerts pendant une longue période. Elle a mis fin à son témoignage en affirmant que le travail était dicté par l'appelante et qu'elle imposait des heures de travail. Elle ne peut toutefois expliquer pourquoi on alternait d'une semaine à l'autre avec une autre travailleuse. Le Ministère était l'employeur réputé parce qu'il fournissait les fonds nécessaires.

[25]     Dans le dossier de l'appelant George Mazerolle, madame Robichaud a confirmé avoir fait la même analyse. Selon cette analyse, le Ministère était l'employeur réputé parce qu'il fournissait la majeure partie du salaire de madame Chiasson et l'appelant était l'employeur réel parce qu'il payait l'autre partie du salaire. Elle a reconnu ne pas avoir parlé à l'appelant lors de son enquête. Elle a témoigné que la nièce de l'appelant, Mireille Gagnon, a elle-même communiqué avec le Centre de volontaires de sa région pour connaître le nom de personnes qui offrent ce genre d'aide. On lui aurait suggéré de contacter la travailleuse, en l'espèce madame Georgette Chiasson. Cette dernière travaillait antérieurement pour le Centre de volontaires mais, en 1999, offrait ses services sur une base personnelle. Selon madame Robichaud, Mireille Gagnon a négocié avec madame Chiasson pour obtenir ses services. Madame Chiasson travaillait de 80 à 90 heures par semaine à un taux de 5,50 $ l'heure. Madame Robichaud a reconnu que, dans son analyse, elle n'a pas tenu compte des dispositions de la Loi sur les normes d'emploi qui régissent le nombre d'heures maximales qu'un employé peut travailler par semaine. Quant à la propriété des outils, la chance de profit, les risques de pertes et l'intégration, elle a tiré les mêmes conclusions que dans le cas précédent.

[26]     Dans le dossier de l'appelante Bernadette Ferron, madame Robichaud a obtenu son information du Ministère. Elle a aussi communiqué avec Francine Doiron et une dénommée Rosalie, qui ont toutes deux travaillé pour l'appelante. Dans le dossier de l'appelante Bernadette Ferron, cette dernière signait un formulaire avec la travailleuse et l'appelante recevait un chèque du Ministère payable à son nom à la fin du mois. Selon madame Robichaud, il s'agissait d'un contrat de louage de service et l'employeur était l'appelante Bernadette Ferron. Madame Robichaud n'a pas considéré le Ministère comme l'employeur réputé dans ce cas parce que l'appelante recevait le chèque du Ministère directement. Selon madame Robichaud, si les appelants dans les deux cas précédents avaient reçu le chèque directement comme dans ce cas-ci, elle n'aurait pas considéré le Ministère comme employeur réputé.

[27]     La Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N. [1986] 3 C.F. 555 a appliqué un critère composé de quatre parties intégrantes. La Cour suprême du Canada, dans 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc. 274 N.R, 367, a maintenu l'application de ces critères comme servant à déterminer si une personne est considérée un travailleur indépendant ou un employé. Ces arrêts nous rappellent aussi qu'aucun critère unique n'est déterminant et qu'il faut appliquer l'ensemble des critères à la relation qui existe entre les parties soit le contrôle, l'intégration, la chance de profits et les risques de pertes et la propriété des outils. Puisque les quatre éléments ne sont pas nécessairement reliés entre eux, il devient parfois nécessaire de les considérer individuellement tout en regardant l'ensemble de la relation entre les parties.

[28]     Dans les dossiers en l'espèce, la plupart des énoncés de fait ont été prouvés mais je ne pense pas qu'ils appuient nécessairement la décision du Ministre. En reprenant dans leur totalité les critères qu'il faut considérer, ils m'amènent à conclure que la relation entre les parties, dans les trois dossiers, était régis par un contrat d'entreprise et non par un contrat de louage de services. Les trois bénéficiaires de soins ont fait appel aux services du Ministère afin que l'on évalue leurs besoins. Cette évaluation a permis de déterminer s'il leur était possible d'obtenir de l'aide afin de répondre à leurs besoins journaliers. Cette aide varie selon leur degré d'autonomie et elle vise principalement l'entretien ménager, les soins personnels en matière d'hygiène et de santé et l'aide aux activités quotidiennes. Le Ministère détermine également dans le cadre de cette évaluation la capacité du bénéficiaire de payer pour ce genre de services. Dans les dossiers en l'espèce, le Ministère payait pour ces services, soit en totalité, soit en partie, et le bénéficiaire ou la travailleuse était payé directement selon le lien de confiance qui existait. Il est évident que le but de ce programme est de permettre aux bénéficiaires d'obtenir des soins essentiels à leur domicile plutôt que dans un foyer de soins et de bénéficier ainsi d'une qualité de vie supérieure.

[29]     Une fois les besoins du bénéficiaire identifiés, il faut obtenir les services de gens qui sont habilités à répondre à ces besoins. Certains bénéficiaires ont besoin de plus de soins que d'autres et le nombre d'heures nécessaires pour fournir ces soins peut varier. Il est évident que le Ministère et le bénéficiaire des soins déterminent le nombre d'heures nécessaire pour répondre aux besoins des bénéficiaires mais, dans les dossiers qui nous intéressent, c'est la travailleuse qui décidait combien d'heures elle allait travailler. Dans le premier dossier, la travailleuse donnait 48.5 heures de son temps par semaine sans exiger qu'une rémunération lui soit payée pour du temps supplémentaire et elle travaillait sept jours par semaine. Dans le deuxième dossier, la travailleuse effectuait plus de quatre-vingt heures de travail par semaine et travaillait sept jours par semaine. Le bénéficiaire avait besoin de soins douze heures par jour et le nombre d'heures données par la travailleuse ne lui était pas imposé. Dans le troisième dossier, le Ministère payait à la bénéficiaire 35 $ par jour pour six jours par semaine relativement aux soins dont elle avait besoin.

[30]     Une fois qu'ils avaient expliqué aux travailleuses la nature des soins requis par le bénéficiaire, le bénéficiaire et le Ministère exerçaient très peu de contrôle sur les travailleuses dans l'exécution de leur travail. Elles connaissaient les tâches à accomplir et choisissaient d'y mettre plus de temps que les normes d'emploi le prescrivent. Certaines signaient avec le bénéficiaire une formule de remboursement qui était une sorte de facturation. Certaines alternaient de semaine en semaine et étaient libres d'offrir leurs services à d'autres. Les bénéficiaires n'avaient donc pas un droit exclusif aux services de la travailleuse sauf si, par choix, celle-ci décidait d'effectuer des heures additionnelles.

[31]     Les chances de profit et les risques de perte de même que la propriété des outils ne sont pas des facteurs importants dans ces instances. Il s'agit ici de soins personnels de base ne nécessitant aucun outillage particulier pour l'accomplissement de ces tâches. L'équipement qui a été mentionné servait au bien-être des bénéficiaires et non pas comme outil de travail des travailleuses.

[32]     Le degré d'intégration est un critère plus facilement applicable dans le contexte d'une entreprise commerciale que dans celui de soins personnels à domicile. On ne peut pas conclure que la travailleuse était intégrée à l'entreprise des bénéficiaires puisqu'il s'agit de services qui permettent aux bénéficiaires d'atteindre un certain degré d'autonomie. Ce service est donc de nature accessoire et n'est pas intégré aux besoins du bénéficiaire. Cela nous amène à conclure à l'existence d'un contrat d'entreprise plutôt que d'un contrat de louage de services.

[33]     L'avocate de l'intimé a demandé à cette cour de tirer une inférence négative du fait que les appelants n'ont pas fait témoigner les travailleuses et les bénéficiaires ou leurs représentants. Elle invoque la règle adoptée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Lévesque c. Comeau [1970] R.C.S. 1010 selon laquelle l'omission d'une partie ou d'un témoin de produire une preuve que la partie ou le témoin était en mesure de produire et qui aurait peut-être permis d'élucider les faits fonde la Cour à déduire que la preuve de la partie ou du témoin en question aurait été défavorable à la partie à laquelle l'omission a été attribuée.

[34]     Dans les trois appels en l'espèce, l'agente aux appels a contacté les travailleuses et a obtenu de ces dernières suffisamment de faits lui permettant de tirer des conclusions et de faire ses recommandations au Ministre. Je ne crois pas que les travailleuses et les bénéficiaires ou leur représentant n'ont pas témoigné parce qu'ils voulaient cacher un élément de preuve qui leur était défavorable. Je crois plutôt que leur témoignage n'aurait pas jeté plus de lumière sur la relation contractuelle entre les parties. Le fonctionnement de ce programme d'aide, les services rendus et l'information recueillie par l'agente aux appels a été fourni par des témoins qui étaient tous très crédibles. Tout comme le juge Bowman (maintenant juge en chef adjoint) l'a fait dans Alemu v. The Queen 99 DTC 714, je refuse de tirer une telle inférence.

[35]     L'avocat des appelants a soulevé la question de la validité des règlements pris en vertu de la Loi et du Régime et plus particulièrement des dispositions prescrivant qu'une personne est réputée être l'employeur. Étant donné que j'ai décidé que la relation entre les parties était régie par un contrat d'entreprise, il n'est pas nécessaire que j'aborde cette question.

[36]     L'avocat des appelants a demandé à cette cour de modifier l'intitulé de la troisième instance, soit celle de Bernadette Ferron, afin d'y inclure le nom du Ministère. Il est évident à la lecture de l'avis d'appel que le Ministère a interjeté les deux appels au nom de Bernadette Ferron et non au nom du Ministère. Si le Ministère voulait interjeter appel, il fallait le faire à l'intérieur des délais prescrits. Le débat sur la question de savoir si le Ministère a le droit d'interjeter appel en tant que partie concernée par la décision serait de mise si la Cour était saisie d'un appel interjeté par le Ministère. Notre cour serait en mesure, à ce moment-là, de trancher cette question selon les pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 104.1 de la Loi et je cite :

La Cour canadienne de l'impôt et le ministre ont le pouvoir de décider toute question de fait ou de droit qu'il est nécessaire de décider pour rendre une décision au titre de l'article 91 ou 103 ou pour reconsidérer une évaluation qui doit l'être au titre de l'article 92, ainsi que de décider si une personne est ou peut être concernée par la décision ou l'évaluation.

                                                          [Je souligne.]

[37]     Pour ces motifs, je conclus que la relation contractuelle qui existait entre les parties pendant les périodes en litige est une relation régie par un contrat d'entreprise. Les appels sont accueillis et les décisions du Ministre à l'effet que les travailleuses occupaient un emploi assurable et ouvrant droit à pension sont annulées.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de juillet 2002.

« François Angers »

J.C.C.I.


Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :           2000-4195(EI); 2000-4199(CPP);

2001-323(EI); 2001-324(CPP);

                                                                   2001-1035(EI); 2001-1036(CPP).

INTITULÉS DES CAUSES :                        JACQUELINE CASTONGUAY;

LE MINISTÈRE DES SERVICES FAMILIAUX ET COMMUNAUTAIRES ET GEORGE MAZEROLLE;

                                                                   et BERNADETTE FERRON.

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Fredericton (Nouveau-Brunswick)

DATE DE L'AUDIENCE :                            17 janvier 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                  L'honorable juge François Angers

DATE DU JUGEMENT :                              6 juillet 2002

COMPARUTIONS :

Pour les appelants :                              Me Cedric L. Haines, Q.C.

                                                          Me Michèle Hébert

Pour l'intimé :                                      Me Dominique Gallant

                                                          Me Christa MacKennon

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour les appelants :

                   Nom :          

                   Étude :                  

Pour l'intimé :                                      Morris Rosenberg

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

2001-1035(EI)

2001-1036(CPP)

ENTRE :

BERNADETTE FERRON,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Jacqueline Castonguay (2000-4195(EI)), (2000-4199(CPP)) et Le ministère des Services familiaux et communautaires et George Mazerolle (2001-323(EI)), (2001-324(CPP))

le 17 janvier 2002 à Fredericton (Nouveau-Brunswick) par

l'honorable juge François Angers

Comparutions

Avocats de l'appelante :                                 Me Cedric L. Haines, Q.C.

                                                                   Me Michèle Hébert

Avocates de l'intimé :                                    Me Dominique Gallant

                                                                   Me Christa MacKennon

JUGEMENT

          L'appel est admis et la décision rendue par le Ministre est annulée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de juillet 2002.

« François Angers »

J.C.C.I.


2000-4195(EI)

2000-4199(CPP)

ENTRE :

JACQUELINE CASTONGUAY,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Le ministère des Services familiaux et communautaires et George Mazerolle (2001-323(EI)), (2001-324(CPP)) et Bernadette Ferron (2001-1035(EI)), (2001-1036(CPP))

le 17 janvier 2002 à Fredericton (Nouveau-Brunswick) par

l'honorable juge François Angers

Comparutions

Avocats de l'appelante :                                 Me Cedric L. Haines, Q.C.

                                                                   Me Michèle Hébert

Avocates de l'intimé :                                    Me Dominique Gallant

                                                                   Me Christa MacKennon

JUGEMENT

          L'appel est admis et la décision rendue par le Ministre est annulée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de juillet 2002.

« François Angers »

J.C.C.I.


2001-323(EI)

2001-324(CPP)

ENTRE :

LE MINISTÈRE DES SERVICES FAMILIAUX

ET COMMUNAUTAIRES ET GEORGE MAZEROLLE,

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Jacqueline Castonguay (2000-4195(EI)), (2000-4199(CPP))

et Bernadette Ferron (2001-1035(EI)), (2001-1036(CPP))

le 17 janvier 2002 à Fredericton (Nouveau-Brunswick) par

l'honorable juge François Angers

Comparutions

Avocats de l'appelante :                                 Me Cedric L. Haines, Q.C.

                                                                   Me Michèle Hébert

Avocates de l'intimé :                                    Me Dominique Gallant

                                                                   Me Christa MacKennon

JUGEMENT

          L'appel est admis et la décision rendue par le Ministre est annulée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de juillet 2002.

« François Angers »

J.C.C.I.


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.