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Date: 20010131

Dossier: 2000-3276-IT-I

ENTRE :

LEO DUCHESNE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]      Les appels sont interjetés à l'encontre de cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997. Un appel connexe interjeté en vertu de la Loi sur la taxe d'accise a été accueilli sur consentement.

[2]      Les cotisations ont été établies grâce à la méthode de la valeur nette. J'ai eu la possibilité d'examiner la méthode de la valeur nette utilisée pour déterminer le revenu dans l'affaire Bigayan c. Canada, C.C.I., no 97-2699(IT)G, le 10 novembre 1999 ([2000] 1 C.T.C. 2229, 2000 DTC 1619). Il pourrait s'avérer utile de répéter ce qui avait été déclaré en l'espèce.

[2]         La méthode de la valeur nette est, comme on le faisait observer dans l'affaire Ramey v. The Queen, 93 D.T.C. 791, une solution de dernier recours que l'on emploie lorsque tout le reste a échoué. On l'utilise souvent lorsqu'un contribuable a omis de produire des déclarations de revenus ou n'a pas conservé de documents. C'est un instrument imprécis, exact à l'intérieur d'un registre dont le champ est indéterminé. Elle repose sur le postulat selon lequel, si l'on soustrait la valeur nette d'un contribuable en début d'année à sa valeur nette en fin d'année, si l'on ajoute les dépenses du contribuable durant l'année et si l'on soustrait les encaissements non imposables et les plus-values d'actifs existants, alors le résultat net, après déduction de toute somme déclarée par le contribuable, doit être attribuable au revenu non déclaré gagné durant l'année, sauf si le contribuable peut apporter une preuve contraire. C'est au mieux une méthode insatisfaisante, qui est arbitraire et inexacte, mais quelquefois c'est le seul moyen d'arriver à un chiffre qui se rapproche du revenu d'un contribuable.

[3]         Le meilleur moyen de contester une cotisation fondée sur la valeur nette est de produire la preuve de ce qu'est véritablement le revenu du contribuable. Un moyen moins satisfaisant, mais néanmoins acceptable, est décrit par le juge Cameron dans l'affaire Chernenkoff v. Minister of National Revenue, 49 D.T.C. 680, à la page 683 :

            [TRADUCTION]        

           

En l'absence de documents, l'autre moyen offert à l'appelant consistait à prouver que, même après une application en règle de la formule de la valeur nette, les cotisations étaient erronées.    

[4]         Ce moyen de contester une cotisation fondée sur la valeur nette est reconnu, mais, même après que l'on a procédé aux rajustements, on reste avec le sentiment trouble que la vérité n'a pas été pleinement découverte. Il est peu probable que l'on rende parfait en le modifiant un instrument qui, par nature, est imparfait. L'appelant a choisi d'utiliser le deuxième moyen.

[3]      Au cours des années en litige, M. Duchesne exploitait une entreprise de réparation d'automobiles, de remorquage et de vente de pièces d'automobile et de pneus, entreprise dont la raison sociale était Duchesne Tire and Auto Parts.

[4]      Il avait l'habitude de confier à son aide-comptable, M. R. C. Wood, l'ensemble des factures détaillant ses ventes et ses achats et ce dernier préparait les déclarations des pertes et profits de l'entreprise.

[5]      Les formulaires T-1 de déclaration de revenus de l'appelant pour les années 1995 et 1997 ont été fournis comme preuves par l'intimée. M. Duchesne n'a pas apporté ses copies lors de l'audience et, par conséquent, la déclaration de revenus pour 1996 n'a pas été déposée. De toute évidence, l'intimée était dans l'incapacité de la trouver.

[6]      La déclaration de 1995 indique que les ventes brutes de l'entreprise s'élevaient à 328 075 $ et que le coût des ventes s'élevait à 226 025 $ pour une marge brute de profit de 103 002,37 $. En 1995, les dépenses de fonctionnement s'élevaient à 109 796 $ et l'entreprise essuyait une perte de 6 793 $. En 1997, les ventes brutes de l'entreprise s'élevaient à 508 120 $ et les pertes à 22 672 $. Je ne possède pas le chiffre des ventes brutes pour 1996, cependant, l'entreprise accusait des pertes s'élevant à 7 964 $.

[7]      Le 23 novembre 1998, le ministre a établi de nouvelles cotisations pour l'appelant concernant les années 1995, 1996 et 1997. Il a ajouté pour ces années les sommes respectives de 25 017 $, 25 894 $ et 32 199 $. Cela s'est soldé par un revenu révisé s'élevant à 19 309 $, 17 930 $ et 9 594 $ pour ces années respectives. Après avoir reçu un avis d'opposition, il a établi, le 24 janvier 2000, de nouvelles cotisations et modifié les dits chiffres.    

[8]      Les montants ajoutés étaient les suivants : 23 729 $, 18 416 $ et 35 936 $. Par conséquent, le revenu final tel qu'il a été examiné s'élevait à 18 021 $, 10 453 $ et 13 332 $ pour ces années respectives. Les annexes à la réponse à l'avis d'appel présentaient les détails du calcul de ces chiffres.

[9]      Mme Schlaepfer, la vérificatrice de l'ADRC, a témoigné du fait que la première étape de la vérification de la valeur nette consistait en une comparaison du bilan de l'appelant au début et à la fin de l'année. Cette comparaison laissait voir une diminution chaque année s'élevant respectivement à 1 265 $, 3 055 $ et 4 400 $. Elle a ensuite ajouté ce qui représentait ce qu'elle supposait être les dépenses personnelles de l'appelant pour chaque année, dépenses s'élevant à 25 000 $ sur la base de la moyenne nationale déterminée par Statistique Canada. Dans l'affaire Bigayan, j'ai exprimé des doutes concernant la fiabilité de l'utilisation des chiffres de Statistique Canada pour le calcul de la valeur nette et je continue à douter de leur fiabilité. Néanmoins, ce sont souvent les seuls chiffres dont nous disposons. En l'espèce cependant, le point est discutable car, à l'étape de l'opposition, l'ADRC a utilisé les retraits réels pour déterminer les frais de subsistance de l'appelant et de sa conjointe. À la pièce A-1 sont énumérés les retraits effectués par l'appelant pour les années 1995 et 1996. Nous ne disposons pas de chiffres similaires pour l'année 1997.

[10]     Pour l'année 1995, les retraits s'élevaient à 21 341 $ et, pour 1996, ils étaient de 17 733 $. L'utilisation des retraits réels est reflétée dans l'établissement des nouvelles cotisations effectuées le 24 janvier 2000 dans lequel les prétendues dépenses personnelles ont été réduites à 21 000 $, 17 000 $ et 21 000 $ respectivement pour les trois années en litige.

[11]     Plusieurs remarques s'imposent.

(a)       M. Duchesne a déclaré que ses dépenses personnelles pour frais de subsistance n'excédaient pas 15 000 $ par an. Bien que j'accepte le fait que lui-même et sa conjointe aient eu un train de vie frugal, je ne pense pas que ce genre d'estimation d'ordre général puisse avoir beaucoup de poids.

(b)      Les retraits n'ont pas été déduits lors du calcul du revenu.

(c)      M. Duchesne a déclaré qu'il ramenait souvent sa dépanneuse à la maison et qu'il travaillait fréquemment à partir de son domicile. Par conséquent, certains des coûts afférents à son domicile devraient être considérés comme des dépenses d'entreprise. Les preuves ne me permettent pas d'arriver à une conclusion en la matière.

(d)      Tant les dépenses d'entreprise que les dépenses personnelles étaient effectuées à partir du compte d'entreprise. Cela a pour effet de rendre la reconstitution du revenu réel de l'entreprise plus difficile, particulièrement étant donné le fait que les livres et registres étaient, au départ, dans un état quelque peu chaotique.

[12]     Comme je l'ai déclaré dans l'affaire Bigayan, un rafistolage fragmentaire de la cotisation fondée sur la valeur nette est nécessairement insatisfaisant. C'est comme si l'on effectuait une mise au point mineure d'une automobile dépourvue de courroie de distribution, si je puis me permettre une analogie relevant du domaine de M. Duchesne. Néanmoins, lorsque l'existence de lacunes est évidente, elles devraient être corrigées.

[13]     Deux rajustements devraient, à mon avis, être effectués en ce qui concerne la cotisation fondée sur la valeur nette.

[14]     M. Duchesne a déclaré que tous les comptes Visa étaient liés à des dépenses d'entreprise et que les dépenses personnelles étaient réglées avec Mastercard. Il m'est apparu comme un homme fondamentalement honnête et j'accepte son témoignage. D'ailleurs, son témoignage n'a pas été contesté et il n'a fait l'objet d'aucun contre-interrogatoire à ce sujet (voir Browne v. Dunn, [1894] 6 R 67 pp. 70-71 (C.L.)[1]). Ces paiements n'auraient donc pas dû être inclus dans ses dépenses personnelles aux fins du calcul de son revenu, fondé sur la méthode de la valeur nette.

[15]     Selon mes calculs, le total des paiements versés à Visa s'élève à 6 152,76 $ pour 1995 et à 6 981,19 $ pour 1996. Je ne possède aucun chiffre semblable pour 1997 mais il sera certainement facile de se les procurer. Les paiements versés à Visa devraient être supprimés des dépenses personnelles aux fins du calcul du revenu de l'appelant, sur la base de la méthode de la valeur nette, pour les années 1995, 1996 et 1997.

[16]     Un autre rajustement mineur devrait être effectué. En 1997, 2 250 $ supplémentaires ont été identifiés comme constituant une perte sur la vente d'une Buick. Cela n'a pas été expliqué mais il est, à prime abord, difficile de comprendre comment une perte sur la vente d'une automobile pourrait constituer un ajout à la valeur nette de quelqu'un et, par conséquent, à son revenu. En l'absence de toute explication, je supprimerais ce montant.


[17]     Les appels sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations conformément aux motifs ci-joints. Il n'y aura pas d'ordonnance quant aux dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de janvier 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de juin 2002.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-3276(IT)I

ENTRE :

LEO DUCHESNE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 22 janvier 2001 à North Bay (Ontario) par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Pour l'appelant :                         L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :                   Me Pascal Tétrault

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997 sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en vue de soustraire des dépenses personnelles de l'appelant, aux fins du calcul de son revenu grâce à la méthode de la valeur nette, les paiements versés à Visa pour les années 1995, 1996 et 1997 et le montant de 2 250 $ désigné comme perte sur la vente d'une Buick en 1997.

          Il n'y aura pas d'ordonnance quant aux dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de janvier 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de juin 2002.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]



[1]           La règle présentée dans l'affaire Browne v. Dunn est examinée en profondeur dans The Law of Evidence in Canada (Second Edition), Sopinka, Lederman & Bryant, du paragraphe 16-146 au paragraphe 16-148. La Cour est souvent confrontée à des demandes de rejet du témoignage d'un témoin même si ce dernier n'a pas fait l'objet d'un contre-interrogatoire. Les avocats plaidant devant la Cour seraient bien avisés de se familiariser avec la règle.

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