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Date: 20010907

Dossier: 1999-4703-IT-I

ENTRE :

SOLANGE GILBERT,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

P.R. Dussault, J.C.C.I.

[1]            L'avis d'appel produit par l'appelante concerne des cotisations pour les années d'imposition 1995, 1996, 1997 et 1998. Par ces cotisations, le ministre du Revenu national (le " Ministre ") n'a pas accordé à l'appelante le crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997, celle-ci ne l'ayant pas initialement demandé pour ces années. Le crédit demandé par l'appelante dans sa déclaration de revenu pour 1998 a été refusé. En juin 1997, une nouvelle cotisation a été établie pour l'année d'imposition 1995, elle apportait un rajustement à l'égard d'une perte nette en capital d'une année d'imposition subséquente.

[2]            Un formulaire prescrit T2201 concernant le crédit pour déficience mentale ou physique, signé par le Dr Denis Phaneuf en date du 6 octobre 1998, a été soumis au Ministre. De plus, un questionnaire daté du 9 novembre 1998 a été envoyé au Dr Phaneuf, qui y répondit en date du 22 novembre 1998 et le retourna au Ministre. Dans les réponses fournies, le Dr Phaneuf indique notamment que l'appelante est atteinte du syndrome de fatigue chronique.

[3]            Toutefois, ce n'est que le 29 mars 1999 que l'appelante signifia ses avis d'opposition au Ministre pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997. Le 26 avril 1999, le Ministre avisait l'appelante qu'elle était hors délai pour produire un avis d'opposition à la cotisation pour l'année d'imposition 1995 et même pour demander une prorogation de délai pour le faire. Il l'avisait également qu'elle était hors délai pour produire un avis d'opposition pour 1996, mais qu'elle pouvait demander une prorogation de délai à cet égard. C'est ce qu'elle fit et cette demande fut accueillie le 8 juin 1999.

[4]            Le 14 juin 1999, le Ministre établit la cotisation où il refusait à l'appelante le crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique pour l'année d'imposition 1998 et le 5 juillet 1999, l'appelante s'y opposa.

[5]            Les appels des cotisations pour les années d'imposition 1996 et 1997 ont été interjetés dans le délai requis par l'alinéa 169(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi ") et celui de la cotisation pour l'année d'imposition 1998 dans le délai prévu à l'alinéa 169(1)b) de la Loi, le Ministre n'ayant pas alors ratifié la cotisation par suite de l'opposition de l'appelante.

[6]            Le refus du Ministre d'accorder à l'appelante le crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique pour les années en litige est basé sur le fait que l'appelante n'avait pas au cours de ces années une déficience mentale ou physique grave et prolongée dont les effets étaient tels que sa capacité d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne était limitée de façon marquée au sens des articles 118.3 et 118.4 de la Loi.

[7]            Les faits mentionnés ci-haut sont énoncés au paragraphe 4 de la Réponse à l'avis d'appel et sont admis par l'avocat de l'appelante.

[8]            L'appel de la cotisation établie pour l'année d'imposition 1995 doit donc être rejeté pour cause de nullité, parce qu'il n'a pas été précédé d'un avis d'opposition signifié dans le délai requis comme le prévoit l'alinéa 165(1)b) de la Loi.

[9]            Par ailleurs, je tiens pour acquis que le formulaire prescrit T2201 a été présenté à l'appui de la demande soumise par l'appelante pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998 de façon à satisfaire à la condition énoncée à l'alinéa 118.3(1)b) de la Loi, qui exige la présentation au Ministre de l'attestation médicale requise.

Résumé de la preuve

[10]          L'appelante a été la seule personne à témoigner. Elle a expliqué que sa maladie a été diagnostiquée en 1995. Elle a travaillé jusqu'en 1992 et a commencé à souffrir des symptômes de la maladie en 1993, symptômes qui ont, à l'époque, été identifiés comme ceux d'une dépression. Elle a alors été contrainte à un arrêt de travail d'une durée d'un an. En 1994, elle a repris le travail pour une période de trois mois seulement. Elle a cessé en janvier 1995. Elle a témoigné qu'à cette époque, elle était incapable de se lever et elle restait couchée toute la journée avec des maux de tête épouvantables et des douleurs reliées à la fibromyalgie. C'est à ce moment que le syndrome de fatigue chronique a été identifié. Elle a expliqué qu'outre ses rendez-vous chez les médecins, qui étaient fréquents, elle était alitée la majorité du temps, incapable " de faire deux pieds dans la maison ". Selon elle, cet état a duré trois ans avant qu'elle ne commence à récupérer et à marcher " tranquillement ". À l'aide d'un document portant sur le syndrome de fatigue chronique, l'appelante a fait la liste de ses symptômes comme étant les suivants : maux de tête, problèmes visuels, pression derrière le globe oculaire, hypersensibilité à la chaleur et au froid, température sous la normale, ganglions enflés, problèmes digestifs, sensibilité et intolérance alimentaire, problèmes musculaires et douleurs chroniques, crampes, difficultés à rester debout, douleurs à la poitrine, problèmes cardiaques, palpitations, troubles du sommeil, perturbation de l'humeur. Elle a mentionné que ses symptômes s'étaient résorbés à une certaine période, qu'elle a toutefois été incapable d'établir avec précision. Elle a toutefois expliqué qu'à la suite d'une hystérectomie subie en octobre 2000, ses symptômes s'étaient beaucoup aggravés.

[11]          L'appelante a de plus témoigné qu'en 1994 elle a dû subir une intervention chirurgicale à l'épaule, dont elle a eu beaucoup de difficulté à se remettre en raison de sa maladie, laquelle, selon ses explications, affecte le système immunitaire. De même, elle a mentionné avoir subi la même intervention à l'autre épaule en 1996, et ne s'en être remise, encore cette fois, qu'après plusieurs mois de convalescence (elle a mentionné de trois à six mois) alors que, normalement, un patient devrait se remettre de ce type d'intervention en une semaine tout au plus.

[12]          Elle a témoigné souffrir également de confusion, ce que j'ai été à même de constater puisqu'elle a, à quelques reprises au cours de l'audience, perdu le fil de son témoignage.

[13]          Décrivant une journée-type, elle a mentionné s'efforcer de " faire [ses] petites affaires " après le déjeuner, même si elle ne se sent déjà pas bien. Toutefois, elle souffre alors de baisses d'énergie subites qui l'obligent à se recoucher environ une demi-heure ou une heure. Elle se relève alors vers 11 h 15 et commence à préparer son dîner. Elle a expliqué devoir alors manger à toute vitesse en raison, encore une fois, de baisses d'énergie subites. Le même scénario se reproduit également en après-midi. Elle a expliqué avoir renoncé à la lecture en raison de ses problèmes de concentration, étant incapable de se souvenir de ce qu'elle venait à peine de lire.

[14]          Elle a mentionné qu'elle vivait seule, bénéficiant de l'assistance du CLSC, notamment d'une ergothérapeute.

[15]          Elle a qualifié l'activité de marcher comme étant " pénible ", sans toutefois préciser le temps nécessaire pour parcourir une distance donnée.

[16]          Elle a expliqué que se nourrir représente pour elle un véritable problème, précisant que, lorsqu'elle a très faim, il lui est impossible de se préparer quoi que soit parce que la fatigue la fait trembler. Elle a de plus mentionné qu'elle souffre de diverses allergies alimentaires résultant de sa maladie, ce qui complique davantage la tâche de se nourrir. Elle a expliqué qu'elle est extrêmement fatiguée après avoir mangé, mais que, lorsqu'elle s'assoit pour se reposer, elle n'arrive pas à dormir. Elle a expliqué qu'elle souffre de troubles du sommeil et qu'elle ne réussit à dormir qu'une à deux heures par nuit. À ce sujet, elle a mentionné que les médicaments prescrits par son médecin à cet effet ont cessé d'être efficaces après un certain temps.

[17]          Elle a également précisé que ses loisirs et sa capacité sociale étaient grandement limités par sa maladie. Elle a mentionné sortir en automobile à l'occasion, stationner après un certain temps et marcher jusqu'à un banc à proximité pour aller prendre l'air ou encore s'asseoir dans la voiture et écouter la radio. Elle a expliqué qu'elle se garde de rencontrer des gens en raison de la gêne qui accompagne son état. Expliquant être incapable de demeurer debout pendant une période prolongée, elle a raconté que, lorsqu'elle croise une personne de sa connaissance à l'extérieur, elle fait semblant de ne pas l'avoir vue ou de ne pas la reconnaître, de peur que sa fatigue et son incapacité à rester debout la rendent ridicule. Ses principales sorties consistent par ailleurs en visites fréquentes chez différents médecins spécialistes, dont deux visites par année au Dr Phaneuf à Montréal.

[18]          Outre son témoignage, l'appelante a déposé en preuve un certain nombre de documents, dont le formulaire T2201, déjà mentionné, que le Dr Phaneuf a rempli. À la question portant sur la faculté de marcher, à savoir: " Votre patient peut-il marcher, à l'aide d'un appareil si nécessaire? (Par exemple, au moins 50 mètres sur un terrain plat) ", le Dr Phaneuf a coché " non ". Il a de plus ajouté l'annotation suivante : " Marche moins 50 mètres re : fatigue ". À la question portant sur les facultés mentales, à savoir : " Votre patient est-il capable de réfléchir, de percevoir et de se souvenir, à l'aide de médicaments ou d'une thérapie si nécessaire? (Par exemple, il peut gérer ses affaires personnelles ou s'occuper de ses soins personnels sans supervision) ", le Dr Phaneuf a également coché " non ". Il a de plus ajouté l'annotation suivante : " Problèmes de mémoire à court terme + + + ".

Dispositions législatives pertinentes

[19]          En 1996 et 1997, les paragraphes 118.3(1) et 118.4(1) se lisaient comme suit :

118.3 (1) Crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique — Le produit de la multiplication de 4 118 $ par le taux de base pour l'année est déductible dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition, si les conditions suivantes sont réunies :

        a)      le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée;

a.1)    les effets de la déficience sont tels que la capacité du particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée;

a.2)un médecin en titre ou, s'il s'agit d'une déficience visuelle, un médecin en titre ou un optométriste atteste, sur formulaire prescrit, que le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée dont les effets sont tels que sa capacité d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée :

b)      le particulier présente au ministre l'attestation visée à l'alinéa a.2) pour une année d'imposition;

c)       aucun montant représentant soit une rémunération versée à un préposé aux soins du particulier, soit des frais de séjour du particulier dans une maison de santé ou de repos, n'est inclus par le particulier ou par une autre personne dans le calcul d'une déduction en application de l'article 118.2 pour l'année (autrement que par application de l'alinéa 118.2(2)b.1)).

118.4 (1) Déficience grave et prolongée — Pour l'application du paragraphe 6(16), des articles 118.2 et 118.3 et du présent paragraphe :

         

a)      une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois d'affilée ou s'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elle dure au moins 12 mois d'affilée;

b)       la capacité d'un particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l'aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ou incapable d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif;

c)      sont des activités courantes de la vie quotidienne pour un particulier :

                                                    (i)        la perception, la réflexion et la mémoire,

                                                    (ii)       le fait de s'alimenter et de s'habiller,

(iii)      le fait de parler de façon à se faire comprendre, dans un endroit calme, par une personne de sa connaissance,

(iv)      le fait d'entendre de façon à comprendre, dans un endroit calme, une personne de sa connaissance,

                (v)       les fonctions d'évacuation intestinale ou vésicale,

                                                    (vi)       le fait de marcher;

d)        il est entendu qu'aucune autre activité, y compris le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives, n'est considérée comme une activité courante de la vie quotidienne.

L'alinéa 118.3(1)a.2) a été modifié en 1998 (L.C. 1998, ch. 19, par. 24(1)), applicable aux attestations délivrées après le 18 février 1997, pour se lire comme suit :

a.2)      l'une des personnes suivantes atteste, sur formulaire prescrit, qu'il s'agit d'une déficience mentale ou physique grave et prolongée dont les effets sont tels que la capacité du particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée :

    (i) un médecin en titre,

(ii)     s'il s'agit d'une déficience visuelle, un médecin en titre ou un optométriste,

(iii) s'il s'agit d'une déficience auditive, un médecin en titre ou un audiologiste;

Les sous-alinéas 118.3(1)a.2)(iv) et (v) ont été ajoutés en 1999 (L.C. 1999. ch. 22, par. 35(1), applicables aux attestations délivrées après le 24 février 1998. Ils se lisent comme suit :

(iv) s'il s'agit d'une déficience quant à la capacité à marcher ou à s'alimenter et à s'habiller, un médecin en titre ou un ergothérapeute,

(v)     s'il s'agit d'une déficience sur le plan de la perception, de la réflexion et de la mémoire, un médecin en titre ou un psychologue [...].

Position des parties

[20]          La position de l'avocat de l'appelante selon laquelle celle-ci était atteinte d'une déficience mentale ou physique grave et prolongée s'appuie plus particulièrement sur les propos du juge Bowman de cette cour dans l'affaire Radage c. Canada, [1996] A.C.I. no 730 (QL), repris par le juge Létourneau de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Johnston c. Canada, [1998] A.C.F. no 169 (QL). L'avocat de l'appelante s'était référé à ces décisions au soutien de ses arguments dans une affaire semblable entendue le même jour que les présents appels. Essentiellement, dans ces deux décisions, le principe selon lequel les dispositions législatives concernant le crédit pour déficience mentale ou physique doivent être interprétées avec compassion et non de manière restrictive a été établi.

[21]          Soulignant ensuite brièvement que l'état de l'appelante ne s'était pas amélioré de façon notable depuis le début de sa maladie, en 1993, l'avocat de l'appelante a fait valoir que la déficience dont elle souffre est sans aucun doute prolongée comme l'exige la Loi. Quant au caractère limitatif de la déficience sur les activités courantes de la vie quotidienne de l'appelante, l'avocat a souligné la déficience reliée à la marche et celle affectant les facultés mentales.

[22]          L'argumentation présentée par l'avocat de l'intimée est par ailleurs basée principalement sur le témoignage de l'appelante. L'avocat a reconnu que l'attestation médicale remplie par le Dr Phaneuf sur le formulaire prescrit T2201 indique que l'appelante ne peut pas pratiquer la marche ni exercer les facultés mentales de perception, de pensée et de mémoire sans y consacrer un temps excessif. Toutefois, l'avocat de l'intimée s'est dit d'avis que le témoignage de l'appelante contredit cette conclusion médicale.

[23]          Concernant la marche, l'avocat a souligné que l'appelante pouvait conduire une automobile à l'intérieur de la ville et aller dans un parc. Il a fait remarquer qu'elle pouvait faire des courses et même se déplacer sur de très longues distances, notamment pour deux visites par année à son médecin spécialiste de Montréal. Selon lui, il s'agit là d'indications que l'appelante peut marcher sur une distance de plus de 50 mètres, contrairement à ce qui est indiqué sur le formulaire rempli par le Dr Phaneuf.

[24]          En ce qui concerne la réflexion et la mémoire, l'avocat a souligné que l'appelante avait pu distinguer différents articles de littérature médicale qu'elle avait en main, qu'elle connaissait un certain nombre de termes médicaux et qu'elle pouvait replacer un certain nombre de faits dans le temps avec une assez bonne précision. L'avocat s'est notamment référé aux interventions chirurgicales mentionnées par l'appelante, lesquelles ont eu lieu il y a plus de cinq ans.

[25]          L'avocat de l'intimée se fonde sur un certain nombre de décisions soumises lors de son argumentation dans les appels d'une autre contribuable entendus le même jour que les présents appels. Il s'agit des décisions dans les affaires Sarkar c. Canada, [1995] A.C.I. no 669 (QL), Campbell c. Canada, [1996] A.C.I. no 513 (QL) et Radage (précitée).

[26]          Dans l'affaire Sarkar (précitée), l'avocat de l'intimée cite le passage suivant du paragraphe 22 des motifs du jugement du juge Sarchuk :

Toutefois, il est évident que le législateur avait, dans le cadre de sa politique, l'intention de créer un seuil élevé en ce qui concerne le niveau d'incapacité à atteindre pour être visé par la disposition en question. C'est la seule façon d'interpréter cet article, surtout si l'on tient compte du fait qu'il n'était pas libellé d'une manière aussi restrictive auparavant et que les législateurs l'ont modifié pour le rendre plus strict. Je ne puis l'interpréter autrement.

[27]          Dans l'affaire Campbell (précitée), il renvoie à des parties des paragraphes 20 et 22 des motifs du jugement du juge Rowe dans lesquels celui-ci affirmait ce qui suit :

Compte tenu de la preuve, je conclus qu'en 1992 et en 1993, l'appelante a eu plus de mauvaises journées que de bonnes; elle était cependant capable de se rendre en automobile jusqu'à l'endroit où étaient situés les bureaux de ses médecins et de marcher du stationnement jusqu'à leur bureau, jusqu'à deux ou trois fois par semaine à certaines époques. [...]

Nul doute que la loi est conçue pour restreindre la demande aux personnes les plus gravement handicapées. Le problème est amplifié par le fait que les cotisations varient d'une année à l'autre et d'une personne à l'autre. D'où la difficulté de comprendre les décisions lorsque plusieurs de ces personnes se réunissent pour former des groupes de soutien et discuter du succès ou du rejet de leur demande. Ce sont là des questions qu'il revient au ministre de régler et auxquelles la Cour ne peut remédier. Il n'appartient pas non plus à la Cour de valider, parce qu'il mérite d'être davantage reconnu, une maladie ou un état donné qui peut être mal compris de la majorité des médecins.

[28]          Finalement, dans l'affaire Radage (précitée), il fait référence au passage suivant du paragraphe 46 des motifs du jugement du juge Bowman :

Dans ces lignes directrices, j'ai souligné la nécessité de reconnaître la manière dont une fonction dépend des autres et la nécessité de chercher à relier l'usage de ces fonctions à un résultat significatif dans la vie quotidienne.

e)              Enfin, il faut considérer—et c'est le principe le plus difficile à formuler—les critères à employer pour en arriver à déterminer si la déficience mentale est d'une telle gravité que la personne a droit au crédit, c'est-à-dire que la capacité de cette personne de percevoir, de penser et de se souvenir est limitée de façon marquée au sens de la Loi. Il n'est pas nécessaire que la personne soit complètement automate ou dans un état anoétique, mais la déficience doit être d'une gravité telle qu'elle imprègne et affecte la vie de la personne au point où cette dernière est incapable d'accomplir les activités mentales permettant de fonctionner d'une manière autonome et avec une compétence raisonnable dans la vie quotidienne.

Analyse

[29]          Dans l'affaire Radage, précitée, le juge Bowman énonçait certains principes généraux concernant l'application des articles 118.3 et 118.4 de la Loi. Au paragraphe 46 des motifs du jugement, il disait notamment ce qui suit :

b)       La Cour doit, tout en reconnaissant l'étroitesse des critères énumérés aux articles 118.3 et 118.4, interpréter les dispositions d'une manière libérale, humaine et compatissante et non pas d'une façon étroite et technique. [...]

[30]          Ces remarques ont d'ailleurs été reprises par le juge Létourneau de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Johnston, précitée. Au paragraphe 11, le juge Létourneau s'exprime de la manière suivante à cet égard :

En effet, même si elles ne s'appliquent qu'aux personnes gravement limitées par une déficience, ces dispositions ne doivent pas recevoir une interprétation trop restrictive qui nuirait à l'intention du législateur, voire irait à l'encontre de celle-ci.

[31]          Outre les décisions citées par les parties, cette cour s'est prononcée à diverses reprises sur l'application des articles 118.3 et 118.4 de la Loi dans le cas de personnes souffrant du syndrome de fatigue chronique[1].

[32]          Toutefois, il va sans dire que, si certaines décisions peuvent éclairer la Cour, chaque cas demeure un cas d'espèce qui doit être décidé à la lumière de ses circonstances propres selon le fardeau et le degré de preuve requis. À cet égard, il convient de rappeler qu'il incombait à l'appelante de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, les faits donnant ouverture au crédit demandé au regard des conditions formulées dans les dispositions pertinentes de la Loi. L'exercice de comparaison des faits d'une autre affaire, qui peuvent présenter certaines similitudes, ne saurait donc remplacer l'application des dispositions législatives et des exigences qui y sont énoncées aux circonstances prouvées d'un cas donné.

[33]          Pour avoir droit au crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique l'alinéa 118.3(1)a.2) pose notamment comme condition qu'il y ait une attestation, sur formulaire prescrit, par un médecin (ou une autre des personnes mentionnées, selon la déficience), " qu'il s'agit d'une déficience mentale ou physique grave et prolongée dont les effets sont tels que la capacité du particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée ". Par ailleurs, l'alinéa 118.3(1)b) exige que le particulier qui demande le crédit présente au Ministre l'attestation visée à l'alinéa a.2) pour une année d'imposition.

[34]          Le formulaire en question est, nous le savons, le formulaire T2201. Or, non seulement le formulaire doit-il être obligatoirement rempli par l'une des personnes mentionnées à l'alinéa 118.3(1)a.2), il doit de plus attester qu'il existe une déficience mentale ou physique grave et prolongée dont les effets sont ceux indiqués, compte tenu des différentes définitions de l'article 118.4 de la Loi. L'attestation sur le formulaire prescrit doit ensuite être présentée au Ministre. L'exigence de l'attestation n'est pas simplement indicative, elle est impérative. Dans les affaires MacIsaac c. Canada et Morrison c. Canada, [1999] A.C.F. no 1898 (Q.L.), la Cour d'appel fédérale soulignait la nature impérative de cette exigence de l'alinéa 118.3(1)a.2) dans les termes suivants aux paragraphes 3 à 6 des motifs du jugement :

[3] Revenu Canada a publié des formulaires T-2201 que les médecins doivent remplir après avoir examiné les personnes qui demandent des crédits d'impôt pour déficience. Ces formulaires ont été remplis dans les deux cas mais nous ne sommes pas certains de leur conformité avec les dispositions précitées.

[4] Le juge de la Cour de l'impôt a accueilli les deux appels au motif que, à son avis, les deux défendeurs satisfaisaient aux critères énoncés au paragraphe 118.4(1). Dans l'affaire Morrison, il a dit ceci eu égard aux formulaires contestés en appel :

" Ainsi, j'ai conclu que l'exigence prévue au paragraphe 118.3(1)a.2 est simplement indicative et non impérative. "

[5] Bien que nous comprenions les défendeurs et la position prise par le juge de la Cour de l'impôt, nous ne pouvons être d'accord avec lui sur cette question. Le paragraphe 118.3(1)a.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu n'est pas simplement indicatif. Il s'agit d'une disposition impérative. Dit simplement, selon le libellé de ces dispositions, il doit y avoir une attestation faite par un médecin qui indique que l'individu souffre de déficiences. Notre Cour a rendu une décision dans le même sens dans l'affaire Partanen c. Canada, [1999] A.C.F. no 751, et nous nous estimons liés par cette décision.

[6] Il n'est pas évident que de poser les questions telles qu'elles le sont dans le formulaire amène le médecin à faire un examen approfondi des questions auxquelles il fait face. Cocher des cases n'est peut-être pas la meilleure façon d'obtenir un résultat juste. Néanmoins, la Loi exige de telles attestations et en fait une condition préalable pour l'obtention de crédits d'impôt pour déficience.

(Les soulignements sont de moi)

[35]          Dans le cas présent, le Dr Phaneuf, que l'appelante consulte depuis plusieurs années, a rempli le formulaire prescrit T2201. Il y atteste que l'appelante souffre de déficiences quant à la marche et aux facultés mentales; dans ce dernier cas elle éprouverait en particulier de très sévères problèmes de mémoire à court terme. Comme je l'ai dit, ce formulaire a été présenté au Ministre pour les années en litige. Les conditions énoncées aux alinéas 118.3(1)a.2) et 118.3(1)b) ont donc été satisfaites. Il est vrai que la présentation du formulaire prescrit, qui atteste la déficience dans des termes conformes à l'alinéa 118.3(1)a.2) et au paragraphe 118.4(1), n'est pas la seule condition énoncée. Les alinéas 118.3(1)a) et a.1) exigent que le particulier démontre qu'il a une déficience mentale ou physique grave et prolongée et que les effets de cette déficience sont tels que sa capacité d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée, en fonction des critères énoncés au paragraphe 118.4(1).

[36]          L'avocat de l'intimée, qui n'a pas mené de contre-interrogatoire, estime que le témoignage de l'appelante contredit les conclusions du Dr Phaneuf. Je ne suis pas de cet avis. Bien que l'appelante ait admis pouvoir marcher sur de courtes distances, rien n'indique qu'elle puisse marcher sur une distance de plus de 50 mètres, ni qu'elle ne consacre pas un temps excessif à la marche. Je ne suis pas convaincu, comme l'est l'avocat de l'intimée, que le fait que l'appelante puisse se rendre à Montréal deux fois par année en utilisant l'autobus et le taxi indique qu'elle est en mesure de marcher sur une distance de plus de 50 mètres sans période de repos. En ce qui concerne les facultés mentales de l'appelante, le certificat du Dr Phaneuf indique une piètre mémoire à court terme, ce que la Cour a été en mesure de constater, l'appelante ayant perdu le fil de son témoignage à différentes reprises lors de l'audience.

[37]          À mon avis, le témoignage de l'appelante n'aurait peut-être pas suffi à lui seul à démontrer clairement qu'une activité courante de la vie quotidienne était limitée de façon marquée, de sorte qu'elle était toujours ou presque toujours incapable de l'accomplir sans y consacrer un temps excessif. Cependant, il ne contredit pas directement les conclusions du Dr Phaneuf.

[38]          Vu les exigences des alinéas 118.3(1)a) et a.1), en plus de celles des alinéas 118.3(1)a.2) et b) de la Loi, il est évident que la Cour n'est pas liée par l'attestation sur le formulaire prescrit. Par ailleurs, il est tout aussi évident qu'une attestation non équivoque de l'existence d'une déficience visée, par une personne autorisée, médecin ou autre professionnel, sur le formulaire prescrit, ne saurait être écartée sans une preuve tout à fait convaincante du contraire.

[39]          Les appelants qui réclament le crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique se trouvent dans une situation on ne peut plus délicate par rapport au médecin ou au professionnel ayant rempli le formulaire prescrit. On connaît les difficultés que peut rencontrer une personne souffrant d'une déficience à demander au médecin ayant rempli le formulaire prescrit de venir témoigner ou à l'y contraindre par subpoena. Comme le signalait notamment le juge Bowman de cette cour au paragraphe 20 de ses motifs de jugement dans l'affaire Morrison c. Canada, [2000] A.C.I. no 302 (QL) :

S'attendre à ce que des personnes handicapées citent leur médecin à comparaître et leur versent les 300 $ prescrits par le paragraphe 12(2) des règles de la procédure informelle n'est pas réaliste.

[40]          Cela l'est d'autant moins lorsqu'un appelant ou une appelante a demandé à la Cour de renoncer au droit de dépôt de 100 $ prescrit à l'alinéa 18.15(3)b) de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt et que la Cour a accédé à cette demande en vertu du paragraphe 18.15(3.4) parce qu'elle est convaincue que le paiement de ce droit causerait de sérieuses difficultés financières au particulier. C'est qui fut fait dans le présent cas par ordonnance du juge en chef Garon en date du 18 novembre 1999.

[41]          Dans ce contexte, il me paraîtrait normal, si le Ministre veut contester les réponses données par un médecin ou un autre professionnel sur le formulaire prescrit, qu'il cite la personne concernée à comparaître à l'audition d'un appel de façon à véritablement éclairer la Cour dans un contexte plus juste et plus équitable.

[42]          En conséquence de ce qui précède, l'appel de la cotisation pour l'année d'imposition 1995 est rejeté pour cause de nullité. Les appels des cotisations pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998 sont admis et les cotisations sont déférées au Ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis que l'appelante a droit au crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique des articles 118.3 et 118.4 de la Loi pour ces années.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de septembre 2001.

" P.R. Dussault "

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :                        1999-4703(IT)I

                                                                                                               

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                 SOLANGE GILBERT et

                                                                                                                Sa Majesté La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    le 15 juin 2001

                                                                                               

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         l'honorable juge P.R. Dussault

DATE DU JUGEMENT :                                      le 7 septembre 2001

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :                                                   Me Gaétan Drolet

Pour l'intimée :                                                       Me Vlad Zolia

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

                                Nom :                                       Me Gaétan Drolet

                                                Étude :                                     Sainte-Foy (Québec)

Pour l'intimée :                                                       Morris Rosenberg

                                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                                Ottawa, Canada.

    

1999-4703(IT)I

ENTRE :

SOLANGE GILBERT,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 15 juin 2001 à Québec (Québec) par

l'honorable juge P.R. Dussault

Comparutions

Avocat de l'appelante :                        Me Gaétan Drolet

Avocat de l'intimée :                            Me Vlad Zolia                           

JUGEMENT

L'appel de la cotisation pour l'année d'imposition 1995 est rejeté pour cause de nullité. Les appels des cotisations pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998 sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis que l'appelante a droit au crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique prévu aux articles 118.3 et 118.4 de la Loi de l'impôt sur le revenu pour ces années.

Le tout selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de septembre 2001.

" P.R. Dussault "

J.C.C.I.




[1] Voir Murphy v. The Queen, 95 DTC 415 (C.C.I.); Lamondin c. Canada, [1995] A.C.I. no 105 (QL); Wodak c. Canada, [1996] A.C.I. no 171 (QL); Friesen c. Canada, [1995] A.C.I. no 816 (QL); Taylor c. Canada, [1995] A.C.I. no 929 (QL); Friesen c. Canada, [1996] A.C.I. no 218 (QL); Fisher c. Canada, [1996] A.C.I. no 1767 (QL); Friis c. Canada, [1996] A.C.I. no 507 (QL); annulée par la Cour d'appel fédérale, 98 DTC 6419.

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