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Date: 20010201

Dossier: 2000-1860-IT-I

ENTRE :

LUCIE LOYER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'appels de déterminations du ministre du Revenu national ( « Ministre » ), dans lesquelles il a été déterminé que l'appelante n'avait pas droit au montant de la prestation fiscale canadienne pour enfants au cours des mois de septembre 1998 à novembre 1998 inclusivement (année de base 1997) et des mois de juillet 1999 à novembre 1999 inclusivement (année de base 1998) à l'égard de son fils, Patrick, né au cours du mois d'août 1983.

[2]            Pour rendre sa décision, le Ministre a considéré que, bien que Patrick était une « personne à charge admissible » , l'appelante n'était pas quant à elle, un « particulier admissible » au sens de l'article 122.6 de la Loi de l'impôt sur le revenu ( « Loi » ). En conséquence, le Ministre a conclu qu'elle n'avait pas droit à une prestation fiscale canadienne pour enfants aux fins des calculs prévus à cette fin à l'article 122.61 de la Loi. Selon les allégations dans la Réponse à l'avis d'appel, le Ministre a tenu pour acquis que pour les périodes sous appel, l'enfant Patrick ne résidait pas avec elle et l'appelante n'était pas la personne qui assumait principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de Patrick.

[3]            J'ai entendu les témoignages de l'appelante et de son ex-conjoint, Guy Corbeil, le père de Patrick. Ils sont divorcés depuis le mois de février 1994. A ce moment Guy Corbeil a obtenu la garde légale de Patrick et l'appelante celle de son fils cadet.

[4]            Au mois d'août 1998, Patrick a subi un accident par suite duquel il a dû séjourner 52 jours à l'hôpital. Il est sorti de l'hôpital vers la fin du mois de septembre 1998 et selon le témoignage de l'appelante, il ne serait resté qu'une nuit chez son père. Patrick serait venu s'installer chez elle jusqu'au 1er décembre 1998. L'appelante a soutenu qu'elle aurait alors vendu sa propriété par suite de la perte de son emploi. Selon l'appelante, Patrick serait alors allé vivre chez sa grand-mère paternelle à compter du 1er décembre 1998 jusqu'au 1er juillet 1999, date à laquelle Patrick serait revenu vivre avec sa mère. Patrick aurait quitté la résidence de sa mère le 1er décembre 1999, après que son père lui ait mis un appartement meublé à sa disposition.

[5]            L'appelante prétend qu'elle est allée voir son fils tous les jours à l'hôpital durant son séjour, lui apportant même ses repas. Après la sortie de Patrick de l'hôpital, Guy Corbeil et elle-même auraient été convoqués à l'école parce que leur fils y éprouvait de gros problèmes.

[6]            A 16 ans, Patrick a abandonné l'école et a travaillé au garage de son père. L'appelante a signé l'autorisation pour que Patrick obtienne son permis de conduire temporaire.

[7]            Selon Guy Corbeil, Patrick ne serait resté que quelques semaines chez l'appelante en 1999 et s'il ne restait pas chez lui, Patrick couchait chez ses grands-parents paternels. C'est d'ailleurs la grand-mère qui emmenait Patrick à ses nombreux rendez-vous chez le médecin. Selon monsieur Corbeil, Patrick ne s'entendait pas avec son jeune frère qui habitait maintenant chez son père. De plus, Patrick n'acceptait pas les horaires stricts imposés par son père. C'est pourquoi, il ne couchait pas toujours chez lui.

[8]            Monsieur Corbeil a toutefois mentionné que Patrick passait 90 pour cent de son temps au garage avec lui. Selon monsieur Corbeil, Patrick dînait et soupait avec lui. Il lui payait toutes ses dépenses quotidiennes.

Analyse

[9]            Seul un particulier admissible au sens de l'article 122.6 de la Loi a droit à la prestation fiscale canadienne pour enfants. Un particulier admissible est défini ainsi à l'article 122.6 :

Sous-section a.1 – Prestation fiscale canadienne pour enfants

ARTICLE 122.6 : Définitions.

                Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente sous-section.

« particulier admissible » -- « particulier admissible » S'agissant, à un moment     donné, du particulier admissible à l'égard d'une personne à charge admissible, personne qui répond aux conditions suivantes à ce moment :

                a) elle réside avec la personne à charge;

                b) elle est la personne – père ou mère de la personne à charge – qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de cette dernière;

                c) elle réside au Canada . . .

                Pour l'application de la présente définition :

                f) si la personne à charge réside avec sa mère, la personne qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de la personne à charge est présumée être la mère;

                g) la présomption visée à l'alinéa f) ne s'applique pas dans les circonstances prévues par règlement;

                h) les critères prévus par règlement serviront à déterminer en quoi consistent le soin et l'éducation d'une personne.

[10]          Les articles 6301 et 6302 du Règlement de l'impôt sur le revenu ( « Règlement » ) prévoient par ailleurs ce qui suit :

PARTIE LXIII

Prestations fiscales pour enfants

NON-APPLICATION DE LA PRÉSOMPTION

                6301. (1) Pour l'application de l'alinéa g) de la définition de « particulier admissible » à l'article 122.6 de la Loi, la présomption mentionnée à l'alinéa f) de cette définition ne s'applique pas dans les circonstances suivantes : . . .

                c) la personne à charge admissible a plus d'une mère avec qui elle réside et chacune des mères présente un avis au ministre conformément au paragraphe 122.62(1) de la Loi à l'égard de la personne à charge admissible;

                d) plus d'une personne présente un avis au ministre conformément au paragraphe 122.62(1) de la Loi à l'égard de la même personne à charge admissible qui réside avec chacune d'elles à des endroits différents.

CRITÈRES

                6302. Pour l'application de l'alinéa h) de la définition de « particulier admissible » à l'article 122.6 de la Loi, les critères suivants servent à déterminer en quoi consistent le soin et l'éducation d'une personne à charge admissible :

                a) le fait de surveiller les activités quotidiennes de la personne à charge admissible et de voir à ses besoins quotidiens;

                b) le maintien d'un milieu sécuritaire là où elle réside;

                c) l'obtention de soins médicaux pour elle à intervalles réguliers et en cas de besoin, ainsi que son transport aux endroits où ces soins sont offerts;

                d) l'organisation pour elle d'activités éducatives, récréatives, athlétiques ou semblables, sa participation à de telles activités et son transport à cette fin;

                e) le fait de subvenir à ses besoins lorsqu'elle est malade ou a besoin de l'assistance d'une autre personne;

                f) le fait de veiller à son hygiène corporelle de façon régulière;

                g) de façon générale, le fait d'être présent auprès d'elle et de la guider;

                h) l'existence d'une ordonnance rendue à son égard par un tribunal qui est valide dans la juridiction où elle réside.

[11]          Il n'est pas contesté que Patrick est un enfant à charge admissible. Par ailleurs, il appert que les deux parents ont fait une demande de prestation fiscale canadienne pour enfants à l'égard de Patrick. Ceci n'est pas contesté par l'appelante. Il en découle donc que la présomption prévue à l'alinéa f) de la définition de « particulier admissible » de l'article 122.6, qui présume que c'est la mère qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de l'enfant si celui-ci réside avec elle, ne s'applique pas en l'espèce, en vertu de ce qui est prévu à l'alinéa 6301 (1)d) du Règlement.

[12]          De plus, il a été décidé par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Canada c. Marshall, [1996] A.C.F. no 431 (Q.L.), qu'un seul des deux parents peut se qualifier comme particulier admissible au sens de la Loi. De fait, selon la Cour d'appel fédérale, l'article 122.6 ne prévoit aucun partage proportionnel entre deux parents qui prétendent être des parents admissibles, au cours d'une période donnée.

[13]          En conséquence, comme les parents ne s'entendent pas, je dois me replier sur les critères énoncés dans la Loi pour déterminer qui est le particulier admissible au cours des périodes en litige. Il est à noter que le particulier admissible peut changer au cours de la période puisque la notion de particulier admissible s'évalue à « un moment donné » , lequel est le mois pour lequel il y a paiement de la prestation (voir Bouchard c. Canada, [1997] A.C.I. no 183 (Q.L.)).

[14]          Pour satisfaire à la définition de particulier admissible, un contribuable doit remplir deux conditions cumulatives : il doit résider avec la personne à charge et il doit assumer principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de cette dernière.

[15]          La première question qui se pose est de savoir avec qui résidait Patrick au cours des périodes en litige. Il a été décidé dans l'affaire Eliacin v. Canada, [1993] A.C.I. no 144 (Q.L.), que les mots « résider avec » signifient vivre dans la même maison que quelqu'un d'autre. Le mot « résider » est défini par le Petit Robert 1 comme suit :

« b Être établi d'une manière habituelle dans un lieu; y avoir sa résidence. »

[16]          Le juge Sarchuk de cette Cour faisait également référence à la définition du mot « résidence » dans le Black's Law Dictionary dans l'affaire Burton c. Canada, [1999] A.C.I. no 833 (Q.L.), au paragraphe 9 :

                Je fais également remarquer que le Black's Law Dictionary définit le mot "residence" ["résidence"] de la façon suivante : [TRADUCTION] "présence personnelle dans un lieu d'habitation quelconque sans intention actuelle de quitter ce lieu de manière définitive et prématurée et aux fins d'y demeurer pour une période indéterminée autrement que de façon sporadique, mais pas nécessairement dans le but avoué d'y demeurer de façon permanente".

[17]          Par ailleurs, il semble établi en droit qu'une personne puisse résider à plus d'un endroit à la fois (voir Thomson c. M.R.N., [1946] S.C.R. 209; Canada c. Marshall, [1996] A.C.I. no 457 (Q.L.)).

[18]          Dans le cas présent, je retiens de chacun des témoignages que Patrick avait sa place chez l'un et l'autre parent et qu'il s'installait à sa guise, ou selon son humeur, chez sa mère, chez son père ou chez ses grands-parents. Il ressort du témoignage de monsieur Corbeil que Patrick n'appréciait pas trop les règlements de la maison et qu'il s'entendait plus ou moins avec son frère qui habitait au cours des périodes en litige chez son père. Cela ne veut pas dire pour autant que Patrick n'avait pas sa résidence chez son père. Par ailleurs, au cours de ces mêmes périodes, l'appelante disposait d'un toit pour Patrick et l'hébergeait quand ce dernier le voulait bien.

[19]          Je considère donc que chacun des parents résidait avec Patrick au sens de la Loi. Étant donné que je considère que Patrick résidait tout aussi bien avec l'appelante qu'avec son père, la détermination du particulier admissible se fera en fonction de celui qui, au cours des périodes en litige, assumait principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de Patrick, à la lumière des critères énoncés à l'article 6302 du Règlement.

[20]          J'ai affaire ici à un adolescent de 16 ans qui a quitté l'école. Durant son séjour à l'hôpital, les deux parents disent y avoir rendu visite régulièrement. C'est la grand-mère qui s'occupait des visites chez le médecin par la suite. Les deux parents reconnaissent que Patrick passait ses journées au garage de son père. Toutefois, le père prétend que Patrick soupait régulièrement avec lui ou chez sa grand-mère alors que l'appelante prétend que Patrick était souvent chez elle en soirée. C'est le père qui pourvoyait aux dépenses quotidiennes de Patrick et qui a déboursé les frais médicaux suite à l'accident. L'appelante soutient que c'était elle-même ou la grand-mère qui faisait le lavage du linge de Patrick.

[21]          Il est bien difficile de décider dans un cas comme celui-ci qui est la personne qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation d'un adolescent qui en fait finalement à sa propre tête. Toutefois, je suis d'avis, après avoir considéré le tout, que la détermination du Ministre qui a penché en faveur du père était malgré tout raisonnable. Selon l'appelante, c'est le père qui a la garde légale de Patrick. C'est lui qui selon le témoignage non contredit de monsieur Corbeil à ce sujet, passe ses journées quotidiennement avec Patrick au garage. Je considère donc que c'est le père qui subvient principalement aux besoins quotidiens de Patrick. À la lumière des critères énoncés à l'article 6302 du Règlement, je suis d'avis de maintenir les déterminations du Ministre.

[22]          Les appels sont donc rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de février 2001.

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

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