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Date: 20010831

Dossier: 2001-382-IT-I

ENTRE :

JEAN-YVES POULIOT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel pour les années d'imposition 1997 et 1998.

[2]            La question en litige consiste à déterminer si les pertes aux montants respectifs de 5 399 $ et 11 391 $ pour les années 1997 et 1998 proviennent d'activités économiques ayant comme principal objectif de tirer un revenu d'agriculture; en d'autres termes, l'appelant pour ces deux années pouvait-il espérer réalistement faire un profit de l'exploitation de la ferme " Ranch El-Jyma "?

[3]            Pour son appel, l'appelant était représenté par la personne qui s'occupe de sa comptabilité, monsieur Lucien Gagnon.

[4]            En début d'audition, les faits suivants furent admis :

a)              l'appelant a pris sa retraite pendant l'année d'imposition 1997, il a travaillé pendant 24 ans à la Sûreté publique du Québec, à titre d'intervenant en mesure d'urgence;

b)             l'appelant a été élevé sur une ferme et a travaillé sur la ferme familiale jusqu'à l'âge de 22 ans;

c)              la ferme de l'appelant a été constituée en étapes successives :

i)               acquisition d'une première parcelle de terrain en 1981, au coût de 10 000 $ et construction d'un bâtiment d'une superficie de 3 000 pieds carrés,

ii)              en 1985, construction d'une rallonge de 1 200 pieds carrés, au coût de 6 000 $,

iii)             acquisition d'une deuxième parcelle de terrain en 1989, au coût de 12 500 $,

iv)            achat d'un camion en 1992, au coût de 19 642 $,

v)             construction d'une autre rallonge de 4 400 pieds carrées, en 1995, au coût de 35 000 $,

vi)           l'appelant a fait construire un chemin et y a fait enfouir des amoncellements de roches,

vii)           depuis 1984, l'appelant a fait l'acquisition de machinerie aratoire,

viii)          l'appelant a acheté des juments avec les années et selon ses moyens,

ix)             en 1997, début de l'ensemencement d'une partie de la superficie cultivable;

e)              la ferme se nomme " Ranch El-Jyma ", et s'étale sur une superficie de 150 acres, dont 46 sont cultivés, à l'égard des années d'imposition 1997 et 1998;

g)             l'appelant, malgré son statut de retraité en 1997 et 1998, et les heures de plus en plus nombreuses consacrées à cette activité, a continué à réclamer des pertes pour les dites années;

h)             la ferme n'a engendré aucun profit depuis son démarrage, et les pertes réclamées par l'appelant, à l'égard de la période s'échelonnant de 1987 à 1998, ont totalisé la somme de 77 253 $;

[5]            Les faits ci-après énumérés furent, par contre niés :

d)             l'amour de l'agriculture fut à l'origine de l'achat des terrains et l'érection de bâtiments agricoles, aucune étude de marché ne fut effectuée;

f)              pour la période s'échelonnant de 1987 à 1998, la vocation première de la ferme était l'élevage et la reproduction de chevaux;

i)               l'appelant, à l'égard des années d'imposition en litige, n'a pas embauché de personnel et les principales dépenses réclamées ont été les intérêts et les frais d'entretien reliés à la machine agricole et au camion;

j)               l'appelant, en vue de rentabiliser son activité agricole, a débuté l'élevage du mouton en 1999, planifie d'augmenter substantiellement la vente de bois et prévoit continuer à vendre quelques pouliches annuellement;

k)              selon les renseignements obtenus de l'appelant, le ministre a analysé les perspectives d'avenir de la ferme et en arrive à la conclusion qu'elle sera toujours déficitaire dans le contexte actuel;

l)              l'appelant n'avait aucun espoir raisonnable de tirer un profit, à l'égard de l'exploitation de la ferme " Ranch El-Jyma ", au cours des années d'imposition 1997 et 1998;

m)             les dépenses assumées annuellement à l'égard de l'exploitation de la ferme " Ranch El-Jyma ", constituaient des frais personnels ou des frais de subsistance de l'appelant et n'ont pas été engagées par le dit appelant dans le dessein de tirer un revenu d'agriculture.

[6]            La preuve a révélé que l'appelant s'était d'abord intéressé au monde des chevaux par l'acquisition, à la fin des années 70, d'un cheval d'équitation. Plus tard, il a acquis un petit lopin de terre pour y garder son cheval.

[7]            Graduellement, son intérêt pour les chevaux a grandi au point qu'il a décidé d'en faire, selon son témoignage, une deuxième carrière à la suite de l'obtention de son statut de retraité de la Sûreté publique du Québec en 1997.

[8]            Suivant la preuve, l'appelant a fait l'acquisition d'une première parcelle de terrain au début des années 1980. À compter de 1987 seulement, il a soutenu avoir mis en place une véritable structure dans le but de faire éventuellement un profit du moins, il a commencé à ce moment à réclamer des pertes. Au fil des ans, les pertes se sont chiffrées comme suit : (Pièce I-2)

Tableau montrant l'évolution de l'entreprise depuis 1992 :

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

Revenu brut

5 172 $

5 902 $

9 384 $

10 636 $

14 020 $

11 960 $

14 934 $

Dépenses d'exploitation

*

*

*

*

6 419 $

17 359 $

16 934 $

Pertes avant ACC

*

*

*

*

2 399 $

5 399 $

2 911 $

Amortissement

*

*

*

*

1 779 $

0 $

9 380 $

Pertes d'entreprise

5 565 $

6 248 $

6 907 $

4 478 $

4 178 $

5 399 $

11 391 $

[9]            Il a expliqué son cheminement et décrit son intérêt pour les chevaux. Élevé sur une ferme, il a affirmé avoir les connaissances de base utiles et pertinentes qu'il a complétées en étudiant, discutant et consultant divers professionnels. Il a aussi consulté le ministère de l'Agriculture et des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec " MAPAQ ", un organisme qui encadrait la production de chevaux et qui offrait un service visant la purification des races de chevaux. Ainsi, les représentants du MAPAQ l'auraient guidé dans le choix de ses acquisitions de chevaux et auraient procédé au classement de manière à obtenir une production répondant à des critères rigides de qualité.

[10]          L'appelant a aussi décrit les divers problèmes et embûches auxquels il avait dû faire face. Il a aussi mentionné avoir été malchanceux au niveau de la santé de trois juments productrices; il a aussi reconnu s'être trompé en achetant d'abord de la machinerie usagée, le tout ayant eu pour effet de créer plusieurs problèmes, tels retard dans l'exécution des travaux, déboursés importants requis pour les réparations, etc. Finalement, il a aussi mentionné que ses prévisions relatives aux ventes de poulains et de semences s'étaient avérées inexactes.

[11]          Il a affirmé avoir toujours espéré une viabilité même si l'implantation et le développement de ses installations aient été faits d'une manière modeste selon sa capacité de payer. À cet effet, il a indiqué avoir fait la grande majorité du travail seul et avoir embauché des étudiants lorsqu'il a pu bénéficier d'un programme de subventions pour les salaires. Il s'est alors fait aider dans l'exécution de ses diverses tâches, dont notamment la cueillette du foin. Il a aussi mentionné textuellement que les retours d'impôts générés par les pertes réclamées étaient totalement réinvestis pour l'amélioration et le développement de ses installations.

[12]          Même si les activités de l'appelant ont toujours généré des pertes, année après année, et ce d'une manière continue, ce dernier n'a jamais cru bon prendre un temps d'arrêt pour évaluer, analyser et définir un plan d'affaires ou pour articuler un schéma permettant une amélioration des revenus de manière à ce qu'ils deviennent supérieurs aux dépenses.

[13]          La preuve a plutôt établi que les espoirs de l'appelant étaient beaucoup plus fonction de la chance, du hasard ou de données incertaines lors de la prise de décisions.

[14]          L'appelant a ainsi expliqué avoir fait l'acquisition d'un étalon provenant de la Beauce au prix de 4 000 $ en espérant, je dis bien en espérant, vendre les unités de semences à 300 $. Une fois acquis, l'étalon a produit des semences, mais il n'y a à peu près jamais eu de preneur. Dans la région, les acheteurs ne voulaient pas payer plus de 100 $ pour les semences dont ils avaient besoin. L'appelant produisait des semences, mais il n'y avait aucun preneur. Un véritable entrepreneur aurait d'abord vérifié s'il existait un marché véritable pour des semences valant 300 $, ou aurait mis en place un plan pour développer le marché.

[15]          En l'espèce, rien de cela n'a été fait et l'appelant a essentiellement fait un constat d'échec.

[16]          Même explication pour l'élevage de poulains, personne ne voulait débourser les montants demandés par l'appelant. Il a ainsi expliqué avoir fait une seule vente à son prix, qu'il a obtenu d'un acheteur venant de la Beauce.

[17]          Il s'agit là d'un bel exemple pour illustrer l'absence de planification et de plan d'affaires. L'appelant a justifié le tout, en indiquant qu'il ne s'agissait pas d'un commerce comme un magasin sur une rue commerciale. Certes, la différence avec un magasin conventionnel est considérable par contre, les critères et les exigences relatifs aux profits sont les mêmes.

[18]          Pour faire un profit de l'exploitation d'une quelconque entreprise, cela sous-entend une réelle volonté d'y arriver par la mise en place de tous les ingrédients, capitaux, travail, un marché qui tient compte de la demande et des prix en fonction des attentes.

[19]          Il est tout à fait présomptueux d'espérer un profit en prenant pour acquis ses propres formules établies sans considération des règles de l'art qui prévalent dans le secteur d'activités économiques ou l'on accorde d'investir.

[20]          Certes, une production animale n'est pas une tabagie, mais il s'agit d'une activité économique assujettie aux mêmes contraintes d'offres et de demandes. Chaque secteur d'activités économiques a ses qualités, ses faiblesses, ses contraintes, ses spécifications et particularités. La réussite découle du travail, de la suffisance des capitaux et des connaissances du secteur auquel il faut ajouter les imprévus ou impondérables qui peuvent être dus à la nature, au marché, à la conjoncture, etc., etc.

[21]          Je ne crois pas qu'il soit raisonnable de prétendre espérer faire éventuellement un profit avec une structure qui ne peut générer des revenus supérieurs aux dépenses, à moins qu'il ne s'agisse de dépenses temporaires et non récurrentes, faute de quoi, on est en présence d'une mission impossible.

[22]          Dans le cadre de l'analyse de son dossier, l'intimée a demandé à l'appelant de compléter un questionnaire concernant les revenus d'entreprise; l'appelant a répondu à la question no 9 (pièce I-1) formulée comme suit :

Quel type d'étude de marché avez-vous effectué avant de lancer votre entreprise, et quelles étaient les prévisions concernant les revenus et les dépenses au moment du démarrage de l'entreprise?

Réponse : aucune.

[23]          En l'espèce, il m'apparaît évident que l'appelant n'a pas investi temps et argent dans le but de ne faire que des pertes. Il est tout aussi évident que l'appelant, un homme intelligent, préférait faire des profits. Cela est-il suffisant pour conclure qu'il y avait une expectative de profits en 1997 et 1998? Je ne le crois pas.

[24]          Je crois plutôt que l'appelant a sagement planifié sa retraite en fonction de sa passion pour la terre et les chevaux. Désireux de se construire un patrimoine agricole, selon ses goûts, il a investi temps et énergie dans la consolidation de ses acquis, a développé ses actifs au fil du temps en fonction des opportunités et de ses retours d'impôts. Tout était beaucoup plus orchestré et fonction de ses intuitions que des réalités économiques incontournables.

[25]          Il s'agit là d'un choix valable et peut-être normal pour quelqu'un qui a une passion, qui est actif et dont la capacité de payer est limitée ou tout au moins, réduite. Il s'agit cependant d'un choix personnel dont la totalité des conséquences doivent aussi être personnelles.

[26]          Une personne ne peut pas jouer sur les deux tableaux en même temps, soit prétendre qu'il s'agit d'une véritable entreprise où les règles du jeu sont essentiellement économiques et où le profit doit être une constante préoccupation et prétendre que les pertes répétitives sont normales et toujours justifiables. Il peut arriver que les profits ne soient pas aussi importants que prévus, auquel cas l'intéressé doit réagir et réajuster son tir pour surmonter les obstacles qui peuvent être passagers ou ponctuels.

[27]          En l'espèce, il ne s'agissait pas d'une véritable entreprise puisque la preuve n'a pas démontré que l'appelant avait minutieusement élaboré un plan qu'il avait adopté ou réajusté suite à certains constats d'échecs. Il a choisi, selon son comptable, la méthode lente, c'est-à-dire petits déboursés en fonction des limites et contraintes financières, complétés par un investissement total en terme de travail et de temps. Il s'agissait là d'une formule tout aussi valable que l'autre pouvant être qualifiée de rapide.

[28]          Cependant, la notion de profit doit être réalistement et raisonnablement présente, peu importe la vitesse à laquelle il a été choisi de progresser.

[29]          Un plan d'affaires, une planification axée sur la profitabilité sous-entend la possibilité théorique de toucher des revenus supérieurs aux dépenses sur un échéancier de quelques années. Les premières années peuvent et servent aux ajustements, réalignements de tirs, découvertes ou constats de divers problèmes, mais aussi à l'identification d'éléments plus positifs que prévus.

[30]          Sauf dans les cas très exceptionnels dus à des circonstances tout aussi particulières, une période d'une durée de plus de dix ans avec des pertes ininterrompues dans un domaine d'activités plus axées sur la passion personnelle que sur la mathématique rationnelle constitue une très forte présomption que l'espoir raisonnable de profits n'a pas été le " modus operandi " des activités.

[31]          En l'espèce, la prépondérance de la preuve n'a pas fait ressortir que l'appelant avait posé les gestes, pris les décisions et mis en place les éléments appropriés pour tirer un revenu d'agriculture en 1997 et 1998.

[32]          L'honorable juge Linden de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Tonn c. Canada [1996] 2 C.F. 73, a bien nuancé la question de motivation personnelle par ces termes, aux pages 103 et 104:

                Même si je ne suis pas d'accord avec l'utilisation du mot " manifestement " dans l'arrêt Nichol, je, par ailleurs, reconnais que le critère de l'arrêt Moldowan devrait être appliqué avec modération lorsque l'" appréciation commerciale " du contribuable est concernée, qu'aucun élément personnel n'a été établi et que le montant des déductions réclamées n'est pas contestables à première vue. Cependant lorsque les circonstances donnent à penser qu'une motivation personnelle ou non commerciale existait ou que l'attente de profit était déraisonnable au point de soulever un doute, le contribuable devra prouver objectivement que l'activité constituait effectivement une entreprise. Par conséquent, des circonstances douteuses appelleront plus souvent un examen plus approfondi comparativement à celles qui ne soulèvent aucun doute.

[33]          Pour réussir, il eut fallu que l'appelant démontre l'existence d'un marché réel ou des débouchés pour écouler sa production ou qu'il fasse la démonstration de la mise en place d'un plan pour développer un marché.

[34]          Une fois le potentiel identifié, il devenait alors fondamental d'établir la capacité de l'entreprise de fournir ce marché avec des prix acceptables, le tout en corrélation avec les coûts de production.

[35]          La preuve a essentiellement établi que l'appelant rêvait de rendre son hobby profitable sans tenir compte des réalités incontournables et fondamentales. Il n'y a eu aucune preuve à l'effet que l'appelant avait les qualités et capitaux pour modifier les règles du marché de manière à le rendre conciliable avec son propre plan de développement. Son plan d'affaires devait aussi prévoir et permettre un réalignement de stratégie en tout temps dans l'hypothèse de la venue d'éléments surprises.

[36]          L'appelant n'a pas relevé un tel fardeau de preuve, d'où son appel doit être rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour d'août 2001.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        2001-382(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 Jean-Yves Pouliot et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Rimouski (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 8 août 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                      le 31 août 2001

COMPARUTIONS :

Représentant de l'appelant :                Lucien Gagnon

Avocate de l'intimée :                          Me Annick Provencher

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Pour l'intimée :                                       Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

2001-382(IT)I

ENTRE :

JEAN-YVES POULIOT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 8 août 2001 à Rimouski (Québec) par

l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Représentant de l'appelant :                 Lucien Gagnon

Avocate de l'intimée :                          Me Annick Provencher

JUGEMENT

          L'appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1997 et 1998 est rejeté, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour d'août 2001.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.

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