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Date: 20011102

Dossier: 1999-1928-IT-G

ENTRE :

LARRY W. RICH,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Miller, C.C.I.

[1]            Dans sa déclaration de revenus de 1995, M. Larry Rich a réclamé une perte au titre d'un placement d'entreprise de 125 000 $. Cette perte découle, selon M. Rich, d'une créance impayée que lui devait D.S.M. Foods Inc. ( « DSM » ), une société exploitée par son fils Michael. La présente affaire repose entièrement sur des faits. M. Rich est en droit de réclamer une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise de 93 750 $ dans sa déclaration de revenus de 1995 s'il établit les faits suivants :

(1)                  qu'il avait une créance de 125 000 $ sur DSM;

(2)            que la créance a été contractée en vue de tirer un revenu conformément au sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » );

(3)            que DSM était une société admissible exploitant une petite entreprise en 1995 (les parties ont admis ce fait); et

(4)            que la créance s'est révélée irrécouvrable en 1995.

La couronne affirme ce qui suit :

(1)            si une créance était due à M. Rich, elle n'a pas été contractée en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien;

(2)            si une créance a été contractée en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien, cette créance ne s'est pas révélée irrécouvrable en 1995; et

(3)            quoi qu'il en soit, l'appelant n'a pas établi que DSM lui devait une créance de 125 000 $ en 1995.

[2]            Le fils de l'appelant, M. Michael Rich ( « Michael » ), et deux associés ont commencé à exploiter DSM en 1987. En 1989, après le départ des deux associés de Michael, l'appelant ainsi que la société du beau-père de l'appelant ont respectivement acquis une participation de 25 p. cent et de 50 p. cent dans le capital de DSM. Michael a expliqué que son père et la société de son grand-père ont obtenu des actions à ce moment car ils avaient déjà prêté de l'argent à DSM. Il a été reconnu par l'intimée que l'appelant est actionnaire de DSM à 25 p. cent depuis le 31 octobre 1989. Michael a conservé une participation de 25 p. cent.

[3]            DSM exploitait une entreprise de distribution alimentaire. En sa qualité de président de DSM, Michael était responsable des achats, de la distribution, des ventes, des comptes fournisseurs et des comptes débiteurs. Les trois plus importants clients de DSM étaient Loblaws, Mr. Sub et Costco, les deux tiers des affaires de DSM étant attribuables à ce dernier en 1995. DSM a dû engendrer des coûts considérables pour continuer de faire affaires avec Costco qui exigeait un prix de vente bas en plus de produits de démonstrations sur une base continue. Le fournisseur principal de DSM était Select Foods Products Ltd. ( « Select Foods » ). DSM devait environ 184 000 $ à Select Foods en 1995 et environ 241 000 $ en 1996.

[4]            Les états financiers de DSM montrent les soldes des prêts consentis par l'appelant et Harry L. Barkin Investments Limited à DSM de 1988 à 1995 :

Année

Appelant

Harry L. Barkin

Investments Limited

1988

56 208 $

0 $

1989

85 515 $

0 $

1990

125 215 $

52 500 $

1991

120 065 $

77 000 $

1992

127 565 $

87 000 $

1993

128 765 $

87 000 $

1994

125 515 $

87 000 $

1995

125 515 $

87 000 $

[5]            Le cabinet de comptables agréés de l'appelant a préparé les états financiers, quoique aucuns frais n'aient été demandés à DSM pour ce travail.

[6]            Avant d'examiner les documents présentés à titre de preuves pour déterminer le montant du solde du prêt à la fin de 1995, j'aborderai les preuves s'appliquant aux circonstances entourant les avances versées à DSM par l'appelant. Michael a déclaré dans son témoignage qu'aux premières phases de son entreprise, soit à la fin des années 1980 et au début des années 1990, sa société fonctionnait à perte, il a donc demandé une aide financière à son père pour [TRADUCTION] « renverser la situation » . Michael a également indiqué que l'argent devait servir à l'élaboration de nouvelles gammes de produits, quoiqu'il n'y ait aucune preuve que de telles gammes existent. L'appelant a expliqué que son investissement dans DSM visait à fournir un fonds de roulement qui donnerait une base financière solide à la société. Il a également indiqué qu'étant investisseur, il s'attendait à recevoir des intérêts, et qu'à titre d'actionnaire (après le 31 octobre 1989), il devait recevoir des dividendes. L'appelant a reconnu ne pas être dans les affaires de prêts d'argent, quoiqu'il ait déjà fait des placements sur le marché boursier ainsi que dans une société privée, mais son témoignage n'était pas convaincant relativement à ce dernier point.

[7]            Voici un tableau illustrant la situation financière de DSM de 1989 à 1995 :

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

Chiffre d'affaires brut

324 983

373 090

384 916

410 897

648 084

937 455

732 917

Coût des produits vendus

239 000

282 607

276 492

300 601

497 283

634 810

533 633

Dépenses

155 867

128 338

112 591

108 645

154 764

269 431

264 881

Bénéfice (perte)

(69 884)

(37 855)

(4 167)

1 651

(3 963)

33 214

(65 627)

Actifs à court terme

52 646

72 955

67 585

112 062

110 622

155 012

132 643

Passif à court terme

175 970

170 077

153 006

204 898

231 145

274 477

198 905

Déficit

(187 324)

(256 236)

(261 403)

(259 752)

(292 207)

(258 793)

(324 420)

[8]            Michael Rich a déclaré dans son témoignage que les prêts consentis à DSM par son père représentaient généralement des montants inférieurs et correspondaient aux besoins de DSM déterminés par Michael. Il a expliqué qu'il parlait à l'appelant de la gestion de l'entreprise et que celui-ci lui faisait alors un chèque. Selon Michael, les modalités de remboursement n'ont pas été précisées, mais il était entendu que l'appelant allait être remboursé. L'appelant a indiqué qu'en 1990, 1991 et 1992, il y a eu une activité considérable dans son compte de prêts aux actionnaires. Je dirais que cette entente ressemblait en quelque sorte à une marge d'exploitation que l'appelant fournissait à DSM. L'appelant versait de petites sommes d'argent à DSM qui, pour le rembourser, lui versait à son tour de petites sommes.

[9]            L'appelant a invoqué les notes accompagnant les états financiers comme éléments de preuve relativement aux modalités du prêt. Ces notes indiquaient que les prêts étaient remboursables à vue pendant toutes les années pertinentes, mais le taux d'intérêt variait, passant de 10 % une année au taux préférentiel une autre, puis au taux préférentiel plus 1 % une autre. De plus, en 1994, l'appelant et L. Barkin Investments Limited ont insisté pour recevoir, et ont reçu, un contrat de garantie générale de DSM qui garantissait leur position de créditeurs auprès de DSM. Ce contrat de garantie générale ainsi que la lettre d'opinion du cabinet d'avocats Torkin Maines Cohen & Arbus ont été présentés comme éléments de preuve. L'article 16 du contrat de garantie générale établissait que la créance de l'appelant était de 130 000 $, quoiqu'il soit clair que ce contrat visait également à inclure les créances futures. De plus, ce contrat donnait priorité à Harry L. Barkin Investments Limited sur l'appelant.

[10]          En ce qui concerne à présent la détermination du montant de la créance, les registres comptables fournis par l'appelant n'ont pas donné une explication complète de la manière dont la créance a fini par s'élever à 125 515 $ en 1995. L'appelant s'est fondé sur les états financiers de DSM, qui ont été préparés par son propre cabinet de comptables, quoique ces états de 1995 aient initialement indiqué par erreur que le prêt avait été radié. L'appelant a ensuite corrigé cette erreur. L'appelant s'est également fondé sur un grand livre général établi par ordinateur pour les périodes du 1er novembre 1989 au 31 mai 1990, du 1er novembre 1990 au 31 octobre 1991 et du 1er novembre 1991 au 18 août 1992. La première période montre que le solde d'ouverture du compte de prêts de l'appelant s'élevait à 112 015 $. Le grand livre indique ensuite des remboursements de 86 500 $ effectués en neuf versements distincts, puis signale un investissement supplémentaire de 82 500 $ de la part de M. Rich. Cet investissement n'est pas tout à fait clair, car il paraît être un transfert d'un report erroné au compte de ventes. Pour la deuxième période, soit du mois de novembre 1990 au mois d'octobre 1991, le grand livre indique un ajout de 12 000 $ au compte de prêts, mais il ne paraît pas indiquer de remboursement. À la fin de cette période, le solde du compte de prêts s'élève à 137 215 $, ce chiffre est repris comme solde d'ouverture pour la troisième période (du mois de novembre 1991 au 18 août 1992). Au cours de cette dernière période, il paraît y avoir une écriture rectificative qui porte le solde de 137 215 $ à 120 065 $. Le grand livre indique ensuite certains ajouts et remboursements, portant le solde à 128 765 $ à la fin de l'année. Aucun autre document n'indique comment le solde est passé de 128 765 $ en 1993 à 125 515 $ en 1994, ce solde étant resté le même jusqu'à la fin de 1995. Après cet examen, il appert que le prêt a pu être réduit aussi bas qu'à 26 000 $ environ au cours de l'exercice financier 1989-1990. La plus grande partie de la créance aurait donc été contractée après cette période, soit au début des années 1990 lorsque la société paraissait avoir atteint le seuil de rentabilité.

[11]          Pour confirmer le montant des prêts de 1991, l'appelant a aussi présenté des bordereaux de dépôt écrits à la main par Donna Pavlovich, sa belle-fille, ainsi que des bordereaux de dépôt de la Banque Royale qui indiquent un montant total, sans préciser la source des dépôts. L'appelant n'a pas produit de chèque oblitéré. Il a déclaré que ces chèques doivent avoir été mis au rebut, probablement par sa femme, pendant un déménagement en septembre 1997. Il traitait à ce moment-là avec la division des appels de Revenu Canada relativement à sa perte déductible au titre d'un placement d'entreprise.

[12]          Cette tentative de reconstitution de la créance comporte certains points douteux, dont la somme de 82 500 $ qui, selon l'appelant, a été inscrit par erreur par la société comme produit des ventes. Une écriture rectificative a été nécessaire pour transférer ce montant du produit des ventes au compte de prêts aux actionnaires de l'appelant. Ensuite, une écriture rectificative portant le solde de 137 000 $ à 125 000 $ était peu justifiée. L'appelant a fourni une explication et a présenté un document de travail pour montrer comment le compte est passé de 128 000 $ à 120 000 $, mais aucune explication acceptable n'a été donnée pour la différence.

[13]          Dépendant de prêts familiaux, l'exploitation de DSM au début des années 1990 paraît avoir été plutôt limitée sur le plan financier. De 1991 à 1993, la société paraissait avoir atteint le seuil de rentabilité, quoique peu de salaires paraissent avoir été versés à la famille Rich. De 1993 à 1995, les ventes ont augmenté de façon considérable, mais cette hausse paraît être attribuable au compte Costco, qui n'a occasionné aucun bénéfice mais simplement une hausse du flux monétaire. Ce problème paraît être devenu sérieux en 1995. Les marges ordinaires pour l'entreprise étaient de 30 à 38 p. cent, selon Michael, mais les marges liées à Costco avaient chuté à 20 p. cent. À la fin de 1995, le flux monétaire de DSM était négatif. La société devait également environ 184 000 $ à son fournisseur principal, Select Foods, et un accord devait obligatoirement être conclu pour assurer un approvisionnement continu. Puis Costco a mis fin à son contrat. Selon Michael, même si DSM perdait de l'argent avec Costco, ce contrat procurait à la société les deux tiers de son flux monétaire. La société a perdu environ 65 000 $ en 1995.

[14]          Le 21 septembre 1995, l'appelant a écrit la lettre suivante à son fils à DSM :

[TRADUCTION]

Larry W. Rich, FCA

Le 21 septembre 1995

DSM Foods Inc.

910 Rowntree Dairy Road

Bureau 31

Woodbridge (Ontario)

L4L 5W6

Destinataire : Michael B. Rich

OBJET : PRÊT EXIGIBLE - LARRY W. RICH

Il appert que le prêt que vous me devez est en souffrance. En effet, vous n'avez pas fait les paiements conformément aux modalités antérieurement négociées ni selon le contrat de garantie générale enregistré qui couvre tous les actifs de la société.

Je vous prie de me faire part du moment où vous vous acquitterez de l'arriéré.

Veuillez agréer mes sincères salutations,

« signature »

Larry W. Rich, FCA

LWR/dt

[15]          L'appelant déclare avoir écrit cette lettre parce qu'il n'avait reçu aucun remboursement depuis un certain temps et qu'il voulait que [TRADUCTION] « Michael prenne les choses en main » . La réponse de Michael a été tout aussi brève :

[TRADUCTION]

D S M

Foods Inc.

______________________________________________

The                                                                                          DAVID

Gourmet                                                                                 & MICHAEL's

Club                                                                                        (É.-U.)

(Canada)

Le 30 septembre 1995

Larry W. Rich, FCA

Rich Rotstein, comptables agréés

50 Richmond Street East

3e étage

Toronto (Ontario)

M5C 1N7

Destinataire : Larry W. Rich

Monsieur,

J'ai reçu votre lettre datée du 21 septembre 1995. Malheureusement, la société est aux prises avec des difficultés financières et ne peut pas vous verser l'arriéré du prêt.

En raison des pertes continuellement essuyées par DSM Foods Inc., je doute que « DSM » soit jamais en mesure de vous rembourser les dettes qui vous sont dues en tout ou en partie. Il n'y a tout simplement pas de bénéfices.

Je vous prie d'agréer mes salutations les plus cordiales,

« signature »

DSM FOODS INC.

Par : Michael B. Rich

[16]          Il n'y a pas eu d'autre communication écrite entre les deux parties à ce sujet.

[17]          L'appelant a déclaré dans son témoignage avoir évalué son investissement au 31 décembre 1995 pour en arriver, selon son avis professionnel, à la conclusion qu'il ne serait pas remboursé. Cette conclusion était fondée sur la lettre de son fils, sur l'annulation du contrat Costco et sur la créance due à Select Foods. De plus, il croyait que le fait de prendre des mesures de recouvrement forcerait DSM à déclarer faillite, ce qui n'aurait donné aucune chance à DSM de survivre et ne lui aurait pas permis de se faire rembourser.

[18]          Il est difficile d'évaluer avec précision la situation financière de la société en 1996 et par la suite, car aucun état financier ou registre comptable fiable n'a été produit. Michael Rich a présenté une copie d'une évaluation des taxes foncières indiquant l'arriéré exigible en 1996. Il a également présenté une lettre de la Banque Royale établissant l'interruption de sa relation avec DSM, quoiqu'il ait été établi que la Banque Royale a bel et bien reçu tout ce qu'on lui devait. Il a aussi produit une lettre de Select Foods datée du 19 septembre 1996 établissant des modalités de paiement mensuel. Le montant net dû à Select Foods est passé de 184 000 $ à environ 240 000 $ en 1996, cependant le relevé de Select Foods daté du 19 novembre 1996 indiquait qu'il n'y avait pas de montant encore exigible pour 1995; c'est-à-dire que la somme de 184 000 $ avait été payée en 1996. Même si ses finances étaient clairement limitées, la société a poursuivi ses affaires et le fait encore aujourd'hui. Le représentant de l'Agence des douanes et du revenu du Canada appelé à témoigner a déclaré que DSM avait demandé un crédit de TPS sur les intrants et recevait un remboursement mensuel de 1 000 à 1 500 $.

[19]          Je suis préoccupé au sujet du témoignage de l'appelant du fait qu'il est contradictoire qu'un comptable reconnu tel que lui, un Fellow de l'Ordre des comptables agréés, a accepté ce que je décrirais comme des pratiques de comptabilité et de tenue de registres plutôt peu soignées relativement à DSM. Il a reconnu sa frustration relativement au faible niveau d'expertise exercé, mais son cabinet ne paraît pas avoir recommandé de meilleures méthodes de tenue de livres. De plus, il paraît s'être fié aux pratiques douteuses de DSM pour servir de preuve aux milliers de dollars qu'il a prêtés pendant ces années, plutôt que de tenir ses propres registres personnels ou même de conserver les chèques oblitérés. Cet aveuglement peut avoir été causé par le fait que les deux parties sont parentes, mais je me pose des questions relativement à la fiabilité des chiffres. La présentation des états financiers établis par ordinateur pour les années 1996 à 1999 n'a rien changé à cette incertitude. L'appelant a présenté ces états pour prouver que le prêt qu'il a accordé à DSM faisait encore partie des éléments de passif de DSM. Il a par contre nié l'exactitude de chaque chiffre apparaissant sur ces états, à l'exception de ceux qui viennent à l'appui de sa propre créance ainsi que de celle de la société de son beau-père, ce qui n'est peut-être pas surprenant car ces états démontrent que des centaines de milliers de dollars ont été versés à Michael. L'explication de M. Rich était insatisfaisante. Je n'accorde aucun poids à la véracité de ces états, et ne fais que les mentionner pour appuyer ma préoccupation quant au manque apparent de minutie de l'appelant relativement à ses affaires avec DSM.

[20]          Les articles pertinents de la Loi, c'est-à-dire les alinéas 39(1)c) et 50(1)a) et le sous-alinéa 40(2)g)(ii), disposent que quatre éléments sont nécessaires pour déterminer si l'appelant a droit à une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise. Étant donné que l'appelant et l'intimée ont reconnu que DSM était une société privée sous contrôle canadien admissible au titre de corporation exploitant une petite entreprise au 31 décembre 1995, il ne reste qu'à étudier les trois éléments suivants pour déterminer si l'appelant a droit à une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise :

(1)            L'appelant avait-il une créance de 125 000 $ sur DSM au 31 décembre 1995?

                (2)            La créance s'est-elle révélée irrécouvrable au 31 décembre 1995?

(3)            La créance a-t-elle été contractée en vue de tirer un revenu?

[21]          Existence de la créance

                L'appelant s'est fondé sur les témoignages de Michael Rich, de Donna Pavlovich et de lui-même pour prouver l'existence de la créance. Il s'est d'ailleurs basé sur les états financiers de 1988 à 1995, les extraits de grands livres généraux établis par ordinateur, les bordereaux de dépôt écrits à la main, les bordereaux de dépôt bancaires, le contrat de garantie générale de 1994 et la lettre d'opinion du cabinet d'avocats qui l'accompagnait. L'avocat de la couronne a soutenu que de tels éléments de preuve ne suffisaient pas à établir une créance de 125 000 $ au 31 décembre 1995. Il a déclaré, en invoquant l'affaire Taylor c. Sa Majesté La Reine, C.C.I., no 95-3800(IT)I, 6 septembre 1996 ([1996] 3 C.T.C. 2942), que dans des circonstances où il existe un lien de dépendance, les parties doivent se montrer d'autant plus vigilantes lorsqu'il s'agit d'enregistrer les événements pour s'assurer que les documents peuvent étayer les demandes qu'elles feront en vertu de la Loi. Il a ajouté que le fait que l'appelant n'a pas conservé de registre personnel pour corroborer les milliers de dollars prêtés à la société de son fils, combiné au fait qu'il s'est fondé sur des bordereaux de dépôt écrits à la main par sa belle-fille, est loin de satisfaire à l'obligation qu'il avait de présenter les pièces justificatives requises. Les écritures comptables qui indiquent des rectifications au compte de prêts, c'est-à-dire le transfert de 82 500 $ du produit des ventes ainsi que le solde qui est passé de 137 000 à 120 000 $, soulèvent également des doutes quant à la détermination précise d'une créance.

[22]          Je suis certain que l'appelant a fréquemment avancé de l'argent à DSM de 1989 à 1992. Je crois également que ces avances étaient des prêts, et non des cadeaux. Je vois que DSM a remboursé certaines sommes à l'appelant de façon irrégulière jusqu'à une certaine période en 1993 ou en 1994. Ce que je ne peux déterminer de façon définitive c'est le montant réel du solde du prêt au 31 décembre 1995. Je crois bel et bien l'appelant qui affirme que DSM lui devait encore de l'argent à ce moment-là, mais il n'a pas réussi à me convaincre de ce que représentait le véritable montant dû. Je ne suis pas disposé à me fonder seulement sur les états financiers, car je constate que trop de rectifications ont été apportées aux registres qui ont été présentés pour appuyer ces états. Même les états eux-mêmes renfermaient une erreur de base, car ils indiquaient que la personne qui avait préparé les états avait un lien de parenté avec un actionnaire plutôt que d'indiquer que cette personne (l'appelant) était en fait lui-même un actionnaire. Il est clair que Michael Rich n'a pas pu préciser le montant du prêt avec certitude. L'appelant a laissé entendre qu'il pouvait retracer le solde au fil des ans, mais qu'il n'avait pas les documents nécessaires avec lui. Je ne suis pas disposé à imposer une norme de vigilance accrue (car je ne suis pas certain des conséquences exactes) à un appelant tel que M. Larry Rich, qui investit dans la société de son fils, cependant j'exige une preuve constituée de registres comptables professionnels, satisfaisants et solides pour étayer les états financiers avant que je les accepte, comme l'a fait le juge Bowman dans l'affaire Gamus c. Sa Majesté La Reine, C.C.I., no 2000-2732(IT)I, 11 mai 2001 ([2001] 3 C.T.C. 2342) pour établir une preuve prima facie d'endettement. Cette exigence vise particulièrement les états financiers préparés par l'appelant lui-même.

[23]          Le fait que je ne puisse pas déterminer le montant exact de la créance ne signifie pas que cette créance n'existe pas. L'octroi d'un contrat de garantie générale rédigé par un cabinet d'avocats reconnu, accompagné d'une lettre d'opinion de ce même cabinet, me convainc qu'une créance existait bel et bien en 1994. Les registres comptables ne suffisent tout simplement pas pour déterminer le montant de cette créance au 31 décembre 1995. En raison de ma conclusion relativement au point suivant, je n'ai pas besoin de débattre plus longuement de la détermination du montant de la créance.

[24]          La créance s'est-elle révélée irrécouvrable en 1995?

L'avocat de l'appelant m'a référé à l'affaire Granby Construction & Equipment Ltd. c. Le ministre du Revenu national, C.C.I., no 86-1427(IT), 27 juillet 1989 ([1989] 2 C.T.C. 2239), qui cite l'affaire Hogan v. Minister of National Revenue, 56 DTC 183 (Commission d'appel de l'impôt) et l'affaire No. 81 v. Minister of National Revenue, 53 DTC 98 pour établir les facteurs suivants qui servent à déterminer si une créance est irrécouvrable :

                               

[TRADUCTION] « Les facteurs suivants sont au nombre de ceux dont un contribuable, qui réclame une déduction " à titre de mauvaise créance " peut tenir compte : l'élément " temps ", les antécédents du compte; la situation financière du client, l'expérience du client sur le plan de la radiation de ses mauvaises créances, l'état général des affaires dans le pays, lorsque, comme ici, le contribuable fait des affaires dans tout le Canada, l'état des affaires dans la localité où vit le client, l'augmentation ou la diminution du total des ventes et des comptes débiteurs à la fin de l'année pour laquelle la déduction est demandée, comparativement aux années antérieures. »

Et d'ajouter ce qui suit, à la page 193 :

[TRADUCTION] « Aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu, par conséquent, une mauvaise créance peut être désignée comme la totalité ou une partie d'une créance que le créancier, après avoir considéré personnellement les facteurs pertinents susmentionnés, dans la mesure où ils s'appliquent à chaque créance particulière, considère honnêtement et d'une manière raisonnable comme irrécouvrable à la fin de l'exercice financier, quand la détermination doit être faite, en dépit de ce qu'il peut survenir ultérieurement des faits qui permettent de percevoir la créance en question, en tout ou en partie. »

                Ces observations ont été admises et citées dans la plupart des causes pertinentes, et peuvent s'appliquer aussi à la présente affaire. Il m'a semblé, selon les éléments de preuve, que l'appelante avait été animée par des motifs bien fondés et, pour reprendre les propos de mon collègue, le juge Sarchuk, dans l'arrêt Berretti (précité), à la page 1723, l'appelante avait agi d'une [TRADUCTION] « manière sérieuse et pragmatique » lorsqu'elle avait déterminé que les créances étaient mauvaises.

[25]          L'avocat de l'appelant a allégué que son client avait bel et bien fait une détermination honnête et raisonnable en fonction des états financiers de 1995 qui indiquaient que DSM était insolvable, de la réponse de Michael Rich à sa lettre de demande de remboursement et de la perte du contrat Costco. De plus, il a insisté sur le témoignage de l'appelant qui a dit que des mesures supplémentaires forceraient DSM à déclarer faillite et qu'il n'était tout simplement pas disposé à le faire. Enfin, il a fait valoir que des événements subséquents survenus en 1996 montrent que la situation financière de DSM était désespérée.

[26]          La couronne a laissé entendre que la lettre de l'appelant n'était pas tant une demande de remboursement que l'amorce de discussions visant à prendre des dispositions financières avec son fils. Selon la couronne, le fait qu'aucune autre mesure n'ait été prise après la réception de la lettre de Michael ne suffit pas pour justifier que la créance soit considérée comme irrécouvrable. Vu les événements subséquents à 1995, la couronne a maintenu que la société ne se trouvait pas dans une situation aussi difficile que voulait le faire croire l'appelant. En effet, la Banque Royale avait été remboursée en entier et des dispositions avaient été prises pour le règlement des paiements en souffrance à Select Foods.

[27]          Même si la couronne a allégué que l'appelant doit épuiser tous les recours judiciaires pour se faire rembourser la créance avant de la considérer comme irrécouvrable, aucune jurisprudence n'a été présentée pour appuyer cette proposition. J'admets plus facilement qu'il s'agit d'un critère reposant sur une détermination honnête et raisonnable à la fin de l'exercice financier, soit le 31 décembre 1995 en l'espèce. J'accepte également le fait que les événements subséquents ne doivent se voir accorder que peu d'importance : ce sont les circonstances au 31 décembre 1995 qui sont les plus pertinentes pour déterminer la créance, et non la chance ou la malchance du débiteur par la suite.

[28]          L'appelant a-t-il fait une évaluation honnête et raisonnable au 31 décembre 1995, et y a-t-il procédé selon une approche commerciale pratique? Tout d'abord, l'appelant n'aurait pas pu se fonder sur les états financiers du 31 octobre 1995, car il appert que la première version n'a pas été publiée avant juillet 1996. Ces états indiquaient une perte nette d'environ 65 000 $, mais aussi la radiation du prêt aux actionnaires de 125 000 $. Ces états ont été révisés par la suite par l'appelant pour indiquer que le prêt n'avait en fait pas été radié. Le fait d'invoquer la perte du contrat Costco est aussi quelque peu suspect, car Michael Rich a déclaré que ce contrat était trop coûteux à maintenir. Il s'agit donc en fait d'un défaut de remboursement de DSM qui a occasionné la demande de l'appelant à son fils, puis la réponse de ce dernier. Il n'y a pas eu d'autre communication entre l'appelant et son fils par la suite. Il n'existait aucune preuve montrant que l'appelant, en sa qualité de propriétaire de DSM ou de conseiller comptable professionnel pour DSM, a envisagé des arrangements possibles, a participé à la recherche d'autres options de refinancement, a projeté un flux monétaire futur ou a fait quoi que ce soit d'autre pour aider DSM à régler ses problèmes financiers. Je ne parle pas ici d'épuiser tous les recours judiciaires de recouvrement; je fais davantage référence à des mesures proactives destinées à venir en aide à DSM, plutôt qu'à des mesures coercitives contre elle. En fait, l'appelant n'a pris aucune de ces mesures.

[29]          L'appelant et son fils ont tous deux affirmé qu'une action de l'appelant contre DSM mettrait la société en faillite. Ils ont cependant déclaré qu'ils n'avaient même pas parlé d'une action quelconque, qu'elle soit positive ou négative. Je conclus que l'appelant, plutôt que d'adopter une approche vraiment commerciale, a profité de l'occasion pour radier cette créance avant le temps, une décision que, tout compte fait, je ne trouve pas raisonnable. Il ne s'agit pas d'une affaire de créance sans lien de dépendance. L'appelant était propriétaire à 25 p. cent d'une entreprise familiale exploitée par son fils. Le cabinet de comptables agréés de l'appelant était aussi le cabinet de comptables de l'entreprise. Dans de telles circonstances, je m'attends à ce que l'appelant intervienne de façon concrète pour s'assurer de l'acquittement de sa créance avant de la déclarer irrécouvrable. Sa lettre du 17 septembre 1995, qui n'a été suivie d'aucune autre action, n'a pas suffi. Je suis d'avis que l'évaluation de la créance faite par l'appelant en décembre 1995 ne constituait pas une façon honnête et raisonnable de déterminer que la créance s'est révélée irrécouvrable.

[30]          La créance a-t-elle été contractée en vue de tirer un revenu?

Bien qu'il soit inutile que je me penche sur ce troisième facteur, à savoir si la créance a été contractée en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien, j'aimerais quand même faire des commentaires à ce sujet pour ne rien omettre. Premièrement, lorsqu'un actionnaire prête des fonds à une société dans laquelle il détient une participation, il existe un lien suffisant entre l'actionnaire et les revenus éventuels pour satisfaire aux exigences du sous-alinéa 40(2)g)(ii). La Cour d'appel fédérale est parvenue à cette conclusion dans l'affaire Sa Majesté La Reine c. Edwin J. Byram, C.A.F., no A-684-94, 25 janvier 1999, à la page 10 (99 DTC 5117, à la page 5120) :

Il existe un lien direct entre, d'une part, les actionnaires d'une société et, d'autre part, les gains futurs de la société et les dividendes qu'elle versera. Lorsqu'un actionnaire fournit une garantie ou un prêt sans intérêt à la société dans le but de lui fournir du capital, il existe assurément un lien entre le contribuable et le revenu futur éventuel. Lorsqu'un prêt est consenti en vue de gagner un revenu sous forme de dividendes, ce lien est suffisant pour que soit remplie la condition liée au but fixée par le sous-alinéa 40(2)g)(ii).

[31]          Il faut toujours se fonder sur les circonstances dans lesquelles les avances ont été faites. Dans la présente affaire, l'appelant avait commencé sa série de prêts avant de devenir actionnaire, à une époque où le seul revenu possible étaient les intérêts. Il n'existe aucune preuve documentaire indiquant que des intérêts ont été payés. Ces avances étaient semblables à une marge d'exploitation; l'appelant prêtait régulièrement des petites sommes à Michael selon ses besoins, et ce dernier faisait des remboursements proportionnels selon le flux monétaire à sa disposition. Ce crédit renouvelable ne témoigne pas de l'intention d'un actionnaire qui s'attend à recevoir des dividendes. Je qualifierais plutôt l'appelant de père généreux et serviable plutôt que d'investisseur avisé. Le témoignage de Michael Rich est des plus révélateurs. En effet, il a déclaré qu'aucun document n'avait été rédigé relativement aux avances reçues de son père parce qu'ils avaient convenu que les sommes seraient remboursées. Il n'a pas été mentionné qu'ils s'étaient entendus pour que l'appelant soit remboursé avec intérêts ou qu'il tire aisément avantage de sa participation. Il a simplement été établi que les sommes lui seraient remboursées. Le père aidait son fils et l'entreprise de celui-ci, et il s'attendait à être remboursé. Voilà à mon avis le but prédominant, alors que le but normal d'un investisseur commercial de bonne foi, qui est de toucher des intérêts et des dividendes, constituait en l'espèce un faible espoir.

[32]          L'appel est rejeté car l'appelant n'a pas prouvé que la créance s'est révélée irrécouvrable au 31 décembre 1995.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de novembre 2001.

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 24e jour de juillet 2002.

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-1928(IT)G

ENTRE :

LARRY W. RICH,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 22 octobre 2001 à Toronto (Ontario)

par l'honorable juge Campbell J. Miller

Comparutions

Avocat de l'appelant :                          Me David Rotfleisch

Avocat de l'intimée :                            Me Bobby Sood

JUGEMENT

                L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1995 est rejeté conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de novembre 2001.

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 24e jour de juillet 2002.

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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