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Date: 20021028

Dossier: 97-3621-IT-I

ENTRE :

THOMAS DASTOUS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'appels selon la procédure informelle de cotisations établies par le ministre du Revenu national ( « Ministre » ) en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu ( « Loi » ) à l'encontre de l'appelant pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994.

[2]            En calculant son revenu de profession libérale comme notaire pour l'année d'imposition 1992, l'appelant a déduit une créance irrécouvrable au montant de 56 435 $, déduction qui a été refusée par le Ministre. Quant aux années d'imposition 1993 et 1994, l'appelant a déduit des pertes autres que des pertes en capital d'autres années aux montants de 22 631 $ et de 3 998 $ pour chacune de ces années respectivement. Ces pertes ont également été refusées par le Ministre.

[3]            L'appelant soutient maintenant que la créance irrécouvrable réclamée en 1992 à l'encontre de ses revenus de profession libérale aurait dû être réclamée comme une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise ( « PDTPE » ) aux termes de l'alinéa 38c) de la Loi, laquelle donnait ouverture à un report de pertes dans les années subséquentes conformément au paragraphe 111(8) et à l'alinéa 111(1)a) de la Loi.

[4]            Le Ministre soutient que le montant de 56 435 $ n'a jamais été inclus dans les revenus de profession libérale de l'appelant et qu'en conséquence, l'appelant ne peut réclamer cette somme comme une créance irrécouvrable à l'encontre de ses revenus de profession libérale aux termes de l'alinéa 20(1)p) de la Loi. Par ailleurs, il soutient que cette somme ne constitue pas non plus une créance irrécouvrable au sens de l'alinéa 50(1)a) de la Loi donnant ouverture à une PDTPE. Selon l'intimée, le montant de 56 435 $ correspond à une évaluation des revenus que l'appelant aurait pu réclamer de la société Maxi/Mar inc. ( « société » ) pour des services juridiques rendus à cette société. Or, l'appelant n'a jamais facturé la société pour ses services et n'a jamais été rémunéré en conséquence. L'intimée soutient donc que l'appelant n'a pas investi la somme de 56 435 $ dans la société et à ce titre n'a pas subi de perte fiscale donnant droit à une déduction aux termes de la Loi.

[5]            Les faits peuvent se résumer ainsi. Dans les années 1984 à 1986, l'appelant, qui était jeune notaire, et le notaire Yves Bérard (un ami de famille avec plusieurs années d'expérience comme notaire), ont fourni des services juridiques à la société dans le cadre du projet de développement domiciliaire « les Serres de Gatineau » . Du mois de décembre 1984 au mois d'avril 1985, l'appelant a facturé pour ses services et a été rémunéré en conséquence. Au mois de juillet 1985, la société a commencé à éprouver certains problèmes de liquidité. Elle a alors proposé (par le biais de son seul actionnaire, monsieur Jacqui Jacquot), au notaire Yves Bérard, avec qui elle faisait directement affaire, de signer une convention par laquelle ce dernier acceptait de fournir des services juridiques, assisté de l'appelant, en échange d'une participation de 25 pour cent des profits de la société. Cette entente fut signée le 1er septembre 1985 (pièce A-1, onglet 6). Il était précisé toutefois que cette convention ne constituait pas « une renonciation de la part de Me Yves Bérard, assisté de [l'appelant], à ses droits à ses honoraires professionnels » . La société acceptait également que « Me Yves Bérard, assisté de l'appelant, [pouvait] renoncer au bénéfice de la présente convention et facturer des honoraires professionnels raisonnables sur simple notification à [la société] à cet effet » . La société acceptait également le fait que cette convention « ne [substituait] pas la convention d'honoraires professionnels à intervenir entre les parties » .

[6]            Bien que le nom de l'appelant apparaisse dans cette convention, ce dernier n'en était pas signataire. Il n'a pas non plus signé d'entente écrite avec Me Yves Bérard relativement à sa participation dans cette convention.

[7]            Au moment où la convention a été signée, l'appelant témoigne que le projet était financé par la Caisse populaire St-René Goupil de Gatineau (Québec) ( « Caisse populaire » ). L'appelant a compris qu'il investissait son temps en fournissant ses services juridiques dans un projet qui comportait pour lui des risques minimes et pour lesquels il recevrait sa part de profit à un moment donné.

[8]            Le 25 janvier 1986, la société donnait un cautionnement hypothécaire à la Caisse populaire d'une valeur de 2 500 000 $ (pièce A-1, onglet 12).

[9]            Selon le témoignage de l'appelant, la Caisse populaire aurait rappelé son prêt trois mois plus tard et après avoir envoyé un avis de 60 jours, aurait repris possession du projet immobilier. C'est la Caisse populaire qui aurait mené à terme le projet. Le 10 octobre 1986, elle a revendu les 24 unités de condominium complétées de même que la balance du terrain pour la somme de 1 986 000 $ (pièce A-1, onglet 13). Entre-temps, la société a fait faillite le 25 juin 1986 (pièce A-1, onglet 4, page 2).

[10]          Plus de cinq ans plus tard, soit le 24 juillet 1991, le notaire Yves Bérard intentait devant la Cour supérieure du Québec, une action contre la Caisse populaire, lui réclamant la somme de 209 970 $ plus intérêts. Il alléguait que cette dernière avait bénéficié des actes juridiques posés par lui pour la société entre le 24 août 1984 et le 3 avril 1986, et qu'elle était solidairement responsable avec la société du paiement de ce compte en vertu de la Loi sur le notariat.

[11]          Le 2 mars 1992, l'appelant et Me Yves Bérard signaient une convention par laquelle ce dernier s'engageait à remettre 20 pour cent des sommes perçues de la Caisse populaire s'il avait gain de cause dans son action intentée contre elle (pièce A-1, onglet 10, page 177).

[12]          Me Yves Bérard fut débouté de son action par suite d'une requête en irrecevabilité présentée par la Caisse populaire, laquelle fut accueillie par la Cour supérieure du Québec en date du 6 mai 1992 (pièce A-1, onglet 4). Il ressort de ce jugement que Me Yves Bérard a présenté un compte d'honoraires et de déboursés totalisant 282 175 $ pour des services professionnels rendus à la société au cours de la période ci-haut mentionnée, mais au cours de laquelle il n'aurait pas facturé la société. Selon le témoignage de l'appelant, ce compte d'honoraires aurait été préparé dans le cadre de la poursuite judiciaire intentée par Me Bérard contre la Caisse populaire. Le calcul de ce compte d'honoraires est repris à l'annexe A de la Réponse à l'avis d'appel dans le calcul de la mauvaise créance réclamée par l'appelant dans la présente cause, et se détaille comme suit :

Annexe "A"

Thomas Dastous c. Sa Majesté la Reine

Calcul de la mauvaise créance

Honoraires professionnels facturés par

Me Bérard à la Société au 28 juillet 1986

74 792,65 $

Honoraires professionnels facturés par

Me Bérard à la Caisse Populaire

St-René Goupil au 13 août 1991

62 911,61

-----------------

Honoraires professionnels facturés

137 704,26 $

Plus: intérêts courus au 28 juillet 1991

                à 24% d'intérêt par année calculés

                sur le premier montant

144 471,35

-----------------

Montant total à recevoir

282 175,61 $

___________

Part de l'appelant (20%)

56 435,12 $

___________

[13]          Il ressort également du jugement de la Cour supérieure du Québec que le 27 juillet 1986, Me Yves Bérard aurait produit au syndic de la faillite de la société une preuve de créance totalisant 74 792 $, mais qu'il n'aurait pas reçu de paiement ou de dividende du syndic de la faillite (pièce A-1, onglet 4, pages 2 et 7).

[14]          Par suite du rejet par la Cour supérieure du Québec de l'action intentée par Me Yves Bérard contre la Caisse populaire, l'appelant a réclamé dans le calcul de son revenu pour l'année 1992, une créance irrécouvrable de 56 435 $, représentant 20 pour cent du compte d'honoraires professionnels et déboursés réclamé par Me Yves Bérard dans son action, soit 20 pour cent de 282 175 $.

[15]          C'est cette somme qui fait l'objet du litige devant cette Cour. De fait, le Ministre a refusé la déduction de ce montant puisque l'appelant n'a jamais inclus cette somme dans le calcul de son revenu aux fins de la Loi. L'appelant explique qu'il n'avait pas à inclure ce montant puisqu'il a exercé le choix d'exclure ses travaux en cours de ses revenus tel que le permet l'article 34 de la Loi. Comme l'appelant n'a jamais facturé la société pour ses honoraires, il ne les a jamais inclus dans ses revenus.

[16]          L'appelant reconnaît qu'il n'a jamais investi d'argent dans la société alors que Me Yves Bérard aurait quant à lui déboursé environ 35 000 $ dans cette aventure (pièce A-1, onglet 10, page 67). L'appelant n'a jamais facturé la société pour ses services après le mois de juillet 1985 (compte tenu de la convention intervenue entre Me Yves Bérard et la société) et il n'a jamais fait parvenir de réclamation à titre de créancier dans la faillite de la société. Le syndic à la faillite a été libéré de l'actif de la société le 22 mai 1996 (pièce A-1, onglet 5).

[17]          L'appelant réclame donc une PDTPE puisqu'il considère qu'il détenait une créance de nature capitale envers la société qui est devenue irrécouvrable en 1992.

[18]          L'appelant soutient qu'il a avancé des sommes d'argent à la société, sous la forme de services juridiques, et que le temps ainsi investi par lui constituait une dépense, et donc une dette, pour la société qui avait accepté de céder, en contrepartie des services rendus, une part de ses profits éventuels à l'appelant via Me Yves Bérard. Il considère donc qu'il avait une créance envers la société. Le terme « créance » n'étant pas défini dans la Loi, l'appelant se rapporte à la définition que l'on retrouve dans le dictionnaire Le Nouveau Petit Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2000 qui se lit ainsi : « 3.Droit en vertu duquel une personne (créancier) peut exiger de quelqu'un (quelque chose), et spécialement une somme d'argent » .

[19]          Par ailleurs, l'appelant invoque qu'un représentant de l'intimée a déjà admis que la perte économique subie par l'appelant pouvait constituer une perte de nature capitale, donnant ouverture à une PDTPE. Toutefois, ce même représentant avait jugé que la PDTPE était nulle du fait qu'il avait établi le coût fiscal de la créance de l'appelant à nil puisqu'aucune somme d'argent n'avait été investie par l'appelant et que ce dernier n'a jamais inclus le montant des honoraires professionnels, auxquels se rattachait sa créance, dans le calcul de son revenu pour aucune année d'imposition (voir lettre de l'Agence des douanes et du revenu du Canada ( « l'ADRC » ) à l'appelant en date du 12 septembre 1996, pièce A-1, onglet 7).

[20]          L'appelant soutient que l'intimée fait erreur en faisant une distinction entre une perte économique et une perte fiscale. Il soutient que sa créance, lorsqu'elle est devenue irrécouvrable, avait un coût et que ce coût était la valeur attribuée aux services professionnels qu'il a rendus et pour lesquels il n'a jamais été payé.

[21]          Selon lui, même si ces sommes n'ont jamais été incluses dans ses revenus, sa perte économique donne quand même droit à une perte fiscale, puisqu'il a subi une perte sur un investissement, en temps il est vrai, mais qui était à la base de l'exigibilité de sa créance. Il réitère que si le montant de sa créance n'a pas été inclus dans son revenu, c'est parce qu'il a exercé le choix offert par l'article 34 de la Loi d'exclure ses travaux en cours de son revenu.

[22]          Finalement, l'appelant invoque que le Ministre a établi les cotisations sous appel à partir d'informations obtenues du ministère du Revenu du Québec. Or, selon l'appelant, il n'a pas autorisé le transfert de ces informations. De plus, il soutient que la communication de plusieurs documents ainsi obtenus n'était pas autorisée par l'Entente sur les échanges de renseignements entre le ministère du Revenu du Québec et le ministre du Revenu national ( « l'Entente » ), pas plus qu'elle ne l'était aux termes de l'alinéa 241(1)c) de la Loi, qui se lit comme suit :

ARTICLE 241: Communication de renseignements.

              (1) Sauf autorisation prévue au présent article, il est interdit à un fonctionnaire:

[...]

c) d'utiliser sciemment un renseignement confidentiel en dehors du cadre de l'application ou de l'exécution de la présente loi, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l'assurance-chômage ou de la Loi sur l'assurance-emploi, ou à une autre fin que celle pour laquelle il a été fourni en application du présent article.

[23]          Par ailleurs, l'appelant soutient que l'Entente qui a été adoptée le 24 août 1988 en application de l'alinéa 241(4)b) de la Loi et de l'article 3000 du Règlement de l'impôt sur le revenu ( « Règlement » ), tels qu'amendés, est devenue caduque par suite de l'abrogation le 2 décembre 1993 de l'article 3000 du Règlement. En conséquence, l'appelant considère que les cotisations doivent être de ce fait annulées.

[24]          En ce qui concerne la transmission de renseignements par le ministère du Revenu du Québec au Ministre, l'avocat de l'intimée soutient que l'appelant a déjà porté plainte devant la Commission d'accès à l'information du Québec ( « Commission » ) (laquelle a juridiction pour entendre ce genre de plaintes) et que sa plainte a été rejetée en date du 15 mars 2002 (ce jugement a été déposé par l'avocat de l'intimée lors de sa plaidoirie et n'a donc pas été déposé comme une pièce au dossier. La seule référence sur la copie déposée en cour est la suivante : Thomas Dastous c. Ministère du Revenu du Québec, PP 99 22 64, décision publiée sur Internet à http://www.cai.gouv.qc.ca/fra/biblio_fr/bib_dec_03_02_fr.htm). On a décidé dans ce jugement que le ministère du Revenu du Québec était autorisé à transférer à l'ADRC la documentation en question aux termes de la Loi sur le ministère du Revenu et de l'Entente. La Commission conclut ainsi à la page 8 de la copie du jugement déposée par l'avocat de l'intimée :

             En raison de ce qui précède, la Commission considère que les renseignements communiqués à Revenu Canada étaient nécessaires à l'exercice des fonctions de l'intimé chargé d'appliquer la Loi sur le ministère du Revenu ainsi que ladite entente. Les renseignements que l'intimé a transmis à Revenu Canada concernant le plaignant l'ont été selon les dispositions législatives, et ce, tel qu'il a été mentionné ci-dessus.

L'appelant n'a pas porté cette décision en appel.

[25]          Par ailleurs, l'avocat de l'intimée soutient que l'alinéa 241(1)c) de la Loi permet spécifiquement au Ministre d'utiliser un renseignement confidentiel dans le cadre de l'application de la Loi. L'admissibilité de renseignements confidentiels comme éléments de preuve est possible si cela n'a pas pour effet de déconsidérer l'administration de la justice (voir Donovan c. La Reine, [2000] 4 C.F. 373). En tout état de cause, l'avocat de l'intimée soutient que ces renseignements auraient pu être obtenus de toute façon par une vérification de l'ADRC et que l'appelant aurait été dans l'obligation de les transmettre. Il soumet donc que le transfert de renseignements s'est fait en toute légalité et qu'il n'a pas eu pour effet de déconsidérer l'administration de la justice dans le cas présent.

[26]          En ce qui concerne l'opinion d'un représentant de l'ADRC qu'il reconnaissait l'existence d'une transaction de nature capitale (lettre de l'ADRC à l'appelant en date du 12 septembre 1996, pièce A-1, onglet 7), l'avocat soutient simplement que selon la ratification des cotisations qui sont portées en appel ici, le Ministre ne reconnaît pas l'existence d'une PDTPE. De plus, le Ministre n'est pas lié par une interprétation antérieure d'un de ses fonctionnaires (voir Hawkes c. La Reine, [1996] A.C.F. no 1694 (C.A.F.) (Q.L.)).

[27]          Quant à la question au mérite, l'avocat de l'intimée soutient que l'appelant ne peut réclamer une perte en vertu de la Loi sans avoir préalablement inclus un bénéfice quelconque dans le calcul de son revenu. Ainsi, comme la valeur attribuée par l'appelant aux services professionnels rendus à la société n'est jamais entrée dans son patrimoine fiscal, il ne peut en réclamer une déduction aux fins du calcul de l'impôt sur le revenu. Par ailleurs, même si des services juridiques ont été rendus par l'appelant et qu'il n'a reçu aucune rémunération en contrepartie, cela ne veut pas dire pour autant qu'il y a eu un transfert de fonds du patrimoine de l'appelant dans le patrimoine de la société. Le temps qu'il a investi ne correspond pas à un investissement en termes fiscaux. De plus, comme l'appelant n'a pas inclus la valeur des honoraires rattachés à ses services dans le calcul de son revenu, il n'a dès lors assumé aucun coût fiscal eu égard à ces services professionnels.

[28]          Selon l'intimée, la convention signée entre Me Bérard et la société était une entente qui donnait droit à un pourcentage de revenus en échange de services juridiques. Il s'agissait d'une entente établissant un droit à des revenus. De ce fait, il ne pouvait s'agir d'une entente de nature capitale, d'autant plus que l'appelant n'a jamais investi d'argent dans la société.

[29]          Finalement, l'avocat de l'intimée soutient que l'appelant n'a pas prouvé qu'il avait une créance irrécouvrable en 1992. Il n'a jamais facturé pour ses services, n'a fait aucune réclamation auprès du syndic à la faillite, et ce dernier n'était pas encore libéré de l'actif de la société en 1992.

Analyse

[30]          Quant à la question du moyen utilisé par le Ministre pour obtenir les éléments de preuve ayant mené à l'établissement des cotisations, je suis du même avis que l'avocat de l'intimée que les prétentions de l'appelant ne peuvent être retenues. En effet, la question a déjà été tranchée par la Commission d'accès à l'information du Québec, laquelle avait juridiction pour entendre la plainte de l'appelant quant à la légalité du transfert des documents en question par le ministère du Revenu du Québec à l'ADRC aux termes de la Loi sur le ministère du Revenu et de l'Entente (la Commission d'accès à l'information tire sa juridiction de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, L.R.Q. c. A-2.1).

[31]          Quant à l'Entente elle-même, celle-ci a été adoptée le 24 août 1988 (pièce A-1, onglet 14) par l'application des articles pertinents de la Loi sur le ministère du Revenu et de l'alinéa 241(4)b) de la Loi et de l'article 3000 du Règlement, tels qu'amendés. L'alinéa 241(4)b) et l'article 3000 se lisaient alors comme suit :

Loi de l'impôt sur le revenu

             « (4) Autres exceptions. Un fonctionnaire ou une personne autorisée peut :

[...]

b) aux conditions prescrites, communiquer ou permettre que soit communiqué un renseignement obtenu en vertu de la présente loi ou la Loi de l'impôt sur les revenus pétroliers, ou permettre d'examiner tout état écrit fourni selon la présente loi ou la Loi de l'impôt sur les revenus pétroliers, ou d'y avoir accès, au gouvernement d'une province à l'égard duquel des renseignements et des états écrits qu'a obtenus le gouvernement de la province, dans le cadre d'une loi de la province qui établit un impôt semblable à celui que décrète la présente loi ou la Loi de l'impôt sur les revenus pétroliers, sont communiqués ou fournis au ministre selon une formule d'échange réciproque;

Règlement de l'impôt sur le revenu

             « Art. 3000. Aux fins du paragraphe 241(4) de la Loi, un fonctionnaire ou une personne autorisée qui est désignée audit paragraphe peut communiquer des renseignements au gouvernement d'une province ou lui permettre d'inspecter quelque déclaration écrite ou d'y avoir accès, pourvu que

a) les renseignements fournis ou obtenus ne soient communiqués à nul autre qu'un fonctionnaire ou préposé de ce gouvernement; et

b) les renseignements soient utilisés uniquement aux fins de l'application ou de l'exécution d'une loi provinciale établissant un impôt payable à la province, ou de l'évaluation ou de la formulation de la politique fiscale de celle-ci. »

[32]          Le paragraphe 241(4) a été modifié par L.C. 1994, ch. 7, ann. VIII, par. 137(1), applicable le 10 juin 1993. Ce sont maintenant les sous-alinéas 241(4)d)(iii) et (iv) qui prévoient le transfert de renseignements confidentiels à un fonctionnaire provincial. Ces sous-alinéas se lisent comme suit :

         (4) Divulgation d'un renseignement confidentiel. Un fonctionnaire peut:

[...]

d) fournir un renseignement confidentiel:

[...]

(iii) à un fonctionnaire, mais uniquement en vue de l'application ou de l'exécution d'une loi provinciale qui prévoit l'imposition ou la perception d'un impôt, d'une taxe ou d'un droit,

(iv) à un fonctionnaire provincial, mais uniquement en vue de la formulation ou de l'évaluation de la politique fiscale,

[33]          L'article 3000 a été abrogé par suite de cette modification législative puisque le contenu de l'article 3000 est maintenant visé par les alinéas 241(4)d)(iii) et (iv) de la Loi.

[34]          L'abrogation de l'article 3000 du Règlement ne modifie donc pas le pouvoir d'un fonctionnaire fédéral de transmettre des renseignements au gouvernement d'une province, puisque ce pouvoir est maintenant intégré dans le paragraphe 241(4) de la Loi. Ainsi, l'abrogation de l'article 3000 du Règlement n'a eu aucune conséquence sur l'Entente qui demeurait toujours applicable au cours des années en litige.

[35]          Finalement, l'alinéa 241(1)c) de la Loi permet à un fonctionnaire fédéral d'utiliser un renseignement confidentiel dans le cadre de l'application ou de l'exécution de la Loi. C'est exactement ce qui a été fait ici puisque les documents en question n'ont servi qu'à établir des cotisations à l'égard de l'appelant eu égard au traitement fiscal de la créance irrécouvrable réclamée par l'appelant dans le calcul de son revenu. Par ailleurs, je suis du même avis que l'avocat de l'intimée que l'utilisation des renseignements confidentiels obtenus du ministère du Revenu du Québec aux fins d'établir les cotisations sous appel, n'a pas eu pour effet de déconsidérer l'administration de la justice.

[36]          Je rejette donc l'argument soulevé par l'appelant voulant que le Ministre n'était pas justifié de fonder les cotisations sur des renseignements confidentiels qui lui auraient été communiqués illégalement par le ministère du Revenu du Québec. Ceci n'est clairement pas le cas.

[37]          En ce qui concerne la question au mérite, je suis également du même avis que l'avocat de l'intimée pour dire que l'appelant n'a pas établi son droit de déduire une créance irrécouvrable dans le calcul de son revenu pour les années en litige.

[38]          D'une part, la créance en question n'a jamais été incluse dans ses revenus et à ce titre, ne pouvait être déduite aux termes de l'alinéa 20(1)p) qui se lit en partie comme suit :

ARTICLE 20: Déductions admises dans le calcul du revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien.

             (1) Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

[...]

p) Créances irrécouvrables - le total des montants suivants :

(i) les créances du contribuable qu'il a établies comme étant devenues irrécouvrables au cours de l'année et qui sont incluses dans le calcul de son revenu pour l'année ou pour une année d'imposition antérieure,

[39]          D'autre part, il ne s'agit pas plus d'une créance irrécouvrable de nature capitale donnant ouverture à une PDTPE par l'application de l'article 50 et des alinéas 38c) et 39(1)c) de la Loi.

[40]          Pour déduire une PDTPE, l'appelant doit avant tout démontrer qu'il a subi une perte en capital dans l'année, résultant de la disposition d'une créance qu'il détient sur une société privée sous contrôle canadien (alinéa 39(1)c) de la Loi).

[41]          A mon avis, l'appelant n'a pas démontré qu'il a subi une perte de nature capitale. En effet, la perte subie est le manque à gagner résultant de services professionnels rendus et non rétribués. Si l'appelant avait été rémunéré pour ses services, que ce soit selon un tarif horaire ou selon un pourcentage des profits, cette rémunération aurait clairement constitué un revenu et non un versement de capital. Selon la convention envisagée (pièce A-1, onglet 6), Me Yves Bérard et l'appelant ne renonçaient pas à leurs honoraires professionnels, mais acceptaient de recevoir en contrepartie des services rendus, une participation de 25 pour cent des profits de la société. Des honoraires pour services rendus, quelle que soit la manière dont ils sont calculés, constituent un revenu brut. Dans l'affaire Prince Rupert Hotel (1957) Ltd. c. La Reine, [1995] A.C.F. no 492 (C.A.F.) (Q.L.) citée par l'avocat de l'intimée, le juge Strayer de la Cour d'appel fédérale s'exprimait ainsi au nom de la majorité aux paragraphes 8, 9 et 11 :

¶ 8         [...] J'estime plutôt que le juge de première instance devait, comme il l'a effectivement fait, tenir compte de la jurisprudence qui aide à classer, soit dans la catégorie du revenu, soit dans celle du capital, les versements tenant lieu d'avantages commerciaux que le contribuable a, pour une raison ou une autre, perdus ou manqués. [...] D'après moi, cette jurisprudence exige du juge de première instance qu'il décide, au vu de la preuve qui lui est présentée, pourquoi l'indemnité a été versée. Si celle-ci vient remplacer une somme que le bénéficiaire aurait reçue s'il n'y avait pas eu, justement, cette perte d'un avantage commercial, il faut savoir si l'argent qui aurait été reçu comme il était initialement envisagé aurait constitué un revenu ou un versement de capital. [...]

¶ 9         J'estime que, selon la jurisprudence, il incombe au juge de première instance de se prononcer sur une question de fait : l'indemnité venait-elle compenser une perte de revenu ou une perte de capital? [...]

[...]

¶ 11       Le dossier contient, par contre, d'amples preuves étayant l'avis du juge de première instance selon lequel l'indemnité versée visait la perte des honoraires de gestion. L'avocat de l'appelante a, me semble-t-il, fait valoir que ces "honoraires de gestion" étaient en partie la rémunération de l'utilisation des biens des commandités, ainsi que la contrepartie des services rendus. Même s'il en est effectivement ainsi, il est difficile de considérer l'argent venant remplacer des recettes escomptées autrement que comme un revenu, que ce revenu découle par ailleurs d'un bien ou de services.

[42]            Le juge Hugessen qui était dissident quant à la conclusion sur les faits concernant la question particulière qui se soulevait dans cette affaire, était en accord avec la majorité quant au principe. Il se prononçait ainsi au paragraphe 30 :

¶ 30                [...] Rappelons que la participation de l'appelante, en tant que commanditée, se limitait au droit de percevoir des honoraires de gestion correspondant à 25 % du revenu brut provenant de la location des chambres. Les commandités n'avaient droit à aucune autre part des bénéfices, ni à aucune part du produit de la vente des biens en cas de liquidation. Lorsqu'un accord prévoit que la participation d'un associé correspondra purement et simplement à une part des revenus d'entreprise, il n'est pas évident que cette participation a un caractère de capital.

[43]            A mon avis, les faits relatés dans la présente affaire et les documents soumis en preuve ne me permettent pas de conclure que l'appelant aurait bénéficié d'un versement de nature capitale si la société lui avait versé les revenus escomptés. Il ressort plutôt de la preuve que l'argent qui aurait été reçu, selon ce qui était initialement envisagé, était de la nature d'un revenu qui aurait été imposable aux termes de l'article 9 et de l'alinéa 12(1)b) de la Loi et non comme un gain en capital aux termes des articles 38 et suivants de la Loi.

[44]            L'appelant reconnaît implicitement ce fait puisqu'il a exercé le choix aux termes de l'article 34 de ne pas inclure dans son revenu les travaux en cours reliés à l'exercice de sa profession de notaire.

[45]            Ainsi, la perte de revenu résultant du non-paiement de ses honoraires professionnels ne peut parallèlement donner lieu à une perte en capital aux termes des articles 38 et suivants de la Loi. Elle peut seulement être déduite dans le calcul du revenu d'entreprise de l'appelant, par l'application de l'alinéa 20(1)p) de la Loi, et ce seulement dans la mesure où ce revenu a déjà été inclus dans le revenu de l'appelant, ce qui n'est pas le cas. Puisque l'appelant n'a pas subi une perte en capital, il ne peut, en conséquence, réclamer une PDTPE aux termes des alinéas 38c) et 39(1)c). Il n'est donc pas nécessaire de déterminer si la créance était irrécouvrable en 1992 au sens de l'article 50 de la Loi.

[46]            Finalement, le fait qu'un représentant de l'ADRC ait laissé entendre dans une correspondance antérieure que l'appelant avait subi une perte de nature capitale ne peut servir sa cause ici. Il est bien établi que le Ministre ne peut appliquer incorrectement la Loi simplement parce que des fonctionnaires ont donné des avis erronés (voir M.N.R. v. Inland Industries, [1972] C.T.C. 27, à la page 31). De plus, cet avis a été donné antérieurement à la position adoptée par le Ministre au moment de ratifier les cotisations sous appel, selon laquelle on ne reconnaissait pas l'existence d'une PDTPE.

[47]            Comme l'appelant n'a pas démontré qu'il avait droit à une perte d'entreprise ou à une PDTPE pour l'année 1992, il va sans dire qu'il n'avait droit à aucun report de pertes pour les années 1993 et 1994.

[48]            Pour ces motifs, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28ième jour d'octobre 2002.

J.C.C.I.No DU DOSSIER DE LA COUR :            97-3621(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 Thomas Dastous c. La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 6 août 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge Lucie Lamarre

DATE DU JUGEMENT :                      le 28 octobre 2002

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant(e) :                               l'appelant lui-même

Pour l'intimé(e) :                                    Me Vlad Zolia

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelant(e) :

                                Nom :                      

                                Étude :                    

Pour l'intimé(e) :                                    Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

97-3621(IT)I

ENTRE :

THOMAS DASTOUS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 6 août 2002 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge Lucie Lamarre

Comparutions

Pour l'appelant :                                    L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :                            Me Vlad Zolia

JUGEMENT

                Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'impositions 1992, 1993 et 1994 sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28ième jour d'octobre 2002.

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

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