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Date: 20010412

Dossier: 2000-1255-IT-I

ENTRE :

ROGER GAZAILLE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Alain Tardif, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel qui porte sur les années d'imposition 1996 et 1997. La cotisation contestée découle de l'application des dispositions de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”).

[2]            La cotisation a été majorée d'une manière substantielle par l'ajout d'intérêts, d'où ce Tribunal devra également décider si les intérêts ont été correctement calculés.

[3]            L'appelant a témoigné et fait entendre monsieur Michel Lafrance en sa qualité de comptable. Très au fait du dossier de l'appelant, monsieur Lafrance a, d'entrée de jeu, admis et reconnu que les intérêts avaient été correctement calculés bien qu'il s'agisse d'un montant très important, eu égard au capital faisant l'objet de la cotisation.

[4]            Il a beaucoup insisté sur la question des dividendes payés à l'appelant. Selon monsieur Lafrance, il s'agissait essentiellement du procédé ou de la formule retenue pour payer le salaire de l'appelant pour son travail exécuté pour le compte et bénéfice de la compagnie “ Gazaille, Belleau et associés Inc. ”.

[5]            Selon le témoin, la compagnie avait amplement la capacité de payer un tel dividende au moment où ils étaient habituellement payés; il a, de plus, ajouté qu'au moment du paiement des dividendes, pour les années en cause, il était alors acquis que la compagnie pourrait payer la totalité des impôts dus. Il a beaucoup insisté pour soutenir l'absence totale de mauvaise foi et démontrer la volonté non équivoque de rembourser éventuellement la totalité des dettes dues par la compagnie.

[6]            Il a par contre admis et reconnu que la situation financière de la compagnie était alors dans un état très précaire, au point que les administrateurs, soit l'appelant et ses conseillers financiers, étaient en mode de liquidation. Il a répété que leurs études, analyses et évaluations permettaient d'espérer que tous les créanciers, y compris Revenu Canada, seraient intégralement remboursés pour leurs diverses créances.

[7]            De son côté, l'appelant a témoigné à l'effet qu'il avait toujours assumé ses responsabilités à l'endroit du fisc canadien, évaluant même a près d'un million et demi les impôts qu'il avait payés au cours de sa vie active sur le marché du travail.

[8]            Il a aussi répété qu'il avait toujours été de bonne foi, honnête et qu'il avait vraiment tout fait pour éviter la déconfiture de l'entreprise. D'ailleurs, la preuve est à l'effet que l'appelant a été victime d'un fraudeur, qui a été lourdement sentencié des suites de sa fraude, au détriment de la compagnie que contrôlait l'appelant.

[9]            L'appelant a aussi expliqué qu'il n'avait pas fait cession de ses biens et qu'il avait remboursé toutes les victimes de la fraude. Finalement, l'appelant s'en est pris au montant faramineux d'intérêts réclamé, lesquels sont supérieurs au capital, ajoutant en outre qu'il trouvait injuste, déraisonnable et un peu abusif d'avoir à payer des impôts alors qu'il s'était cotisé, lors et à la suite du paiement des dividendes.

Analyse

[10]          La preuve a principalement ciblé des éléments d'équité et de sympathie. À cet égard, l'appelant a certes atteint son objectif puisque je n'ai aucun doute que l'appelant a toujours été de bonne foi et qu'il n'a pas voulu élucider des impôts. Il n'a pas délibérément voulu se soustraire à ses obligations fiscales. Je dois néanmoins rappeler que ce Tribunal a l'obligation de rendre jugement à partir des seuls faits véritables disponibles et du droit applicable.

[11]          En l'espèce, les arguments qui ont pour seul fondement la bonne foi, le raisonnable, l'équité, l'absence totale de mauvaise foi, l'exagération ne sont pas recevables puisque les dispositions de la Loi sont claires et très précises.

[12]          D'ailleurs l'appelant et son témoin, monsieur Lafrance, n'ont jamais contesté les fondements de la cotisation; il a même été admis que les intérêts avaient été correctement calculés. Il a été aussi admis que la compagnie avait versé les dividendes ayant donné ouverture à l'application de l'article 160.

[13]          L'admission relative aux intérêts oblige le Tribunal à confirmer le bien-fondé de cette importante composante de la cotisation, d'autant plus que ce Tribunal n'a aucune compétence pour modifier ou annuler les intérêts ajoutés à une cotisation. Il s'agit d'un pouvoir discrétionnaire que le législateur a confié au Ministère.

[14]          La révision judiciaire de l'exercice de cette discrétion est de compétence exclusive de la Cour fédérale, la Cour canadienne de l'impôt n'a aucune compétence si les intérêts ont été calculés correctement.

[15]          Pour ce qui est des fondements de la cotisation, monsieur Lafrance a beaucoup insisté sur le fait qu'il ne fallait pas donner trop d'importance à la qualification du véhicule choisi “ dividende ” puisqu'il s'agissait, dans les faits, essentiellement de salaire payé sous cette forme.

[16]          Il a par contre admis qu'il s'agissait bel et bien de dividendes. Or, un dividende n'est pas un salaire, mais bel et bien un avantage lié au capital-actions détenu dans la compagnie. Cette réalité a été très clairement exprimée par l'honorable juge Iacobucci dans l'affaire Neuman c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1998] 1 R.C.S. 770 (Q.L.) :

57                Le juge en chef Dickson semblait d'avis que la nature du revenu de dividendes d'un actionnaire était tributaire de l'apport fourni à la société par cet actionnaire. Ce point de vue ne tient pas compte de la nature fondamentale des dividendes; un dividende est un paiement lié, sous forme de droit, au capital-actions qu'une personne possède dans une société, et à rien d'autre. Ainsi, l'importance de l'apport fourni par une personne à la société, et tout dividende reçu de cette société, sont indépendants l'un de l'autre. Le juge La Forest a fait la même observation dans les motifs dissidents qu'il a rédigés dans McClurg c. Canada, [1990] 3 R.C.S. 1020, (à la page 1073):

             En toute déférence, ce fait n'est pas pertinent pour les fins du litige dont nous sommes saisis. C'est mal interpréter la nature d'un dividende que de lier le versement d'un dividende à la somme des efforts déployés par le bénéficiaire pour le compte de la société payante. Comme nous l'avons dit auparavant, le versement d'un dividende résulte de la propriété du capital-actions d'une société. Selon un principe fondamental du droit des sociétés, un dividende est le rapport du capital qui se rattache à une action et ne dépend d'aucune façon de la conduite d'un actionnaire donné.

...

             64.               En résumé, il ne convient pas de prendre en considération les apports fournis à une société par un actionnaire, pour déterminer si le paragraphe 56(2) s'applique. Les dividendes sont versés aux actionnaires à titre de rendement du capital qu'ils ont investi dans la société. ...

[18]          Un dividende n'est pas un salaire; cette question a été traitée de façon très explicite dans l'affaire Pauzé c. Canada, [1998] A.C.I. no. 560 (Q.L.), l'honorable juge Archambault de cette Cour s'exprime ainsi :

3               ... C'est son comptable qui détermine, à la fin de l'exercice financier de Référium, si les avances seront traitées comme un dividende ou comme du salaire. ...

4               Au cours de l'exercice financier se terminant le 28 février 1991, Référium a versé un dividende de 70 000 $ à M. Pauzé. ... M. Pauzé a reconnu que Référium avait cessé ses opérations vers le mois de décembre 1992. À partir de ce moment, il a continué à exploiter son entreprise de recrutement de cadres par l'intermédiaire d'une nouvelle société commerciale.

5               Le comptable de Référium, M. Morin, a aussi témoigné lors de l'audience. ... M. Morin a reconnu que c'était une pratique courante chez certaines PME d'avancer des sommes d'argent à leur actionnaire unique et, avant la fin de l'exercice financier, de traiter ces avances comme un dividende. M. Morin a affirmé qu'il n'y avait pas, durant ces années, un avantage marqué à déclarer des dividendes plutôt que de verser un salaire. Il a toutefois reconnu que le versement d'un dividende procurait à M. Pauzé un avantage sur le plan des liquidités puisqu'il n'y avait dans le cas du dividende aucune retenue à la source. Il a aussi reconnu que lorsqu'une société verse un dividende, elle n'a pas à cotiser au régime d'assurance-maladie ou au régime des rentes du Québec.

...

8               Contrairement aux prétentions du procureur de M. Pauzé, je ne suis pas lié par le témoignage de M. Pauzé selon lequel il recevait son revenu d'emploi de trois sources distinctes, à savoir sous la forme d'un salaire de base, sous la forme du remboursement de dépenses et sous la forme d'avances traitées comme des dividendes. La question que cette cour a à trancher est une question mixte de droit et de fait. Comme M. Pauzé était en même temps un employé et l'unique actionnaire de Référium, il pouvait être rémunéré à la fois à titre d'employé et à titre d'actionnaire. ...

9               J'aimerais aussi ajouter que je n'ai aucun doute que Référium a eu véritablement l'intention de verser un dividende à son actionnaire unique. Cette société était conseillée par un comptable agréé qui connaissait très bien la différence entre un salaire et un dividende. ... Le comptable savait, de plus, que lorsqu'une société verse un dividende, elle n'a pas à effectuer de retenues à la source et qu'elle peut éviter certaines cotisations sociales. En versant le dividende de 70 000 $, Référium désirait véritablement payer un dividende et non payer une somme en contrepartie de services rendus.

10             Comme l'a dit mon collègue le juge Dussault dans l'affaire Gosselin c. R., 1996 CanRepNat 2472 , au paragraphe 16, une société qui verse des dividendes ne reçoit aucune contrepartie de ses actionnaires. ...

11             Mon collègue le juge Bell a aussi adopté la même approche dans l'affaire 155579 Canada Inc. et al. v. The Queen, 97 DTC 691. ... Il expose aussi les motifs pour lesquels il ne suit pas la décision rendue dans l'affaire Davis et al. v. the Queen, 94 DTC 1934. Je partage son opinion à cet égard.

12             ... Si Référium avait véritablement versé un salaire à M. Pauzé, elle aurait dû faire des retenues à la source et elle aurait pu être tenue de cotiser à certains régimes sociaux. Si la somme de 70 000 $ représentait véritablement une contrepartie pour des services rendus, soit un salaire, elle aurait été assujettie à un impôt plus élevé que ce n'aurait été le cas s'il s'était agi d'un dividende. ...

13             Comme je conclus que la somme de 70 000 $ a été versée comme dividende et qu'elle n'a été versée pour aucune contrepartie, je n'ai pas d'autre choix que de confirmer la cotisation.

[19]          L'honorable juge Bell de cette Cour a également traité de cette question dans l'affaire 155579 Canda Inc. c. Canada, [1996] A.C.I. no. 1188 (Q.L.) :

6               Il est entendu que Amalgamated 99, 78 Canada et 79 Canada avaient entre elles un lien de dépendance durant toutes les périodes pertinentes. En juin 1987, Amalgamated 99 a touché 11 130 000 $ lors de la vente de ses actions ordinaires à Sharp. Amalgamated 99 a ensuite versé des sommes importantes à titre de dividendes à 78 Canada et à 79 Canada. ... Après de vaines tentatives pour recouvrer l'impôt, le ministère du Revenu national a, en août 1993, conformément à l'article 160 de la Loi, établi à l'égard de chacune des appelantes des avis de cotisation de 425 598,46 $ relativement au paiement, en mars 1988, de dividendes de 2 277 148 $ à 78 Canada, et de 1 380 089 $ à 79 Canada.

...

8               Le paragraphe 160(2) prévoit que le ministre “ peut, à tout moment ”, établir une cotisation à l'égard du bénéficiaire d'un transfert pour toute somme payable en vertu de l'article 160. La cotisation à laquelle cette disposition renvoie est par conséquent établie indépendamment des dispositions de l'article 152 relatives à l'établissement d'une cotisation et le délai de prescription prévu au paragraphe 152(4) ne s'applique pas. Par conséquent, les argument des appelantes à cet égard sont écartés.

...

11             L'avocat des appelantes a fait valoir que, s'il y a eu transfert de biens, il y a eu contrepartie pour le dividende puisque les services fournis par McDorman et Daly à Sharp valaient beaucoup plus que les montants que Sharp a versés à ces derniers. Il a invoqué les décisions rendues dans les affaires Davis v. Her Majesty the Queen, 94 DTC 1934, et Her Majesty the Queen v. McClurg, 91 DTC 5001. Dans l'affaire Davis, T Inc. avait payé des dividendes en espèces aux contribuables qui étaient ses deux seuls actionnaires, ces dividendes tenant lieu de salaires pour les services qu'ils rendaient à temps plein à la compagnie. La Cour, après s'être penchée sur l'application de l'article 160 de la Loi, a conclu qu'une contrepartie pouvait être donnée en échange de dividendes. Plus particulièrement, à la page 1938, la Cour a dit :

             Les administrateurs ont le pouvoir de déclarer des dividendes en échange d'une contrepartie. Je conclus que, au moment de la déclaration des dividendes, les appelants s'étaient engagés à fournir des services à l'avenir pour le compte de l'entreprise et, de fait, les dividendes n'ont été versés qu'une fois que les services ont été fournis.

14             À mon avis, les propos du juge en chef Dickson ne signifient pas qu'une contrepartie peut être donnée pour des dividendes. L'affaire McClurg ne portait pas sur l'article 160, mais plutôt sur le paragraphe 56(2), relativement au paiement ou au transfert de biens fait suivant les instructions ou avec l'accord d'une personne au profit du bénéficiaire du paiement ou du transfert. Cette disposition n'utilise pas le terme “ contrepartie ” comme le fait le paragraphe 160(1). De fait, le paragraphe 160(1) renvoie à la “ juste valeur marchande ... de la contrepartie donnée pour le bien ” ... Le Juge en chef a plutôt tenu compte de la raison ayant motivé le versement du dividende, à savoir la reconnaissance de la contribution, au lieu de chercher à qualifier les efforts de Wilma McClurg de contrepartie pour ce dividende. Si tel avait été son objectif, il aurait pu l'atteindre facilement en utilisant des termes précis et non équivoques. Il semble avoir considéré les efforts de Wilma McClurg comme étant la raison du versement de dividendes, et non comme en étant la contrepartie. Un dividende est un paiement lié, à titre de droit, à la simple participation du bénéficiaire de ce paiement comme actionnaire [Voir Re: Telsten Services Limited (1981) 39 CBR (NS) 68 (C.S.0) et Re: Carson [1963] 1 O.R. 373 (H.C.O.). Par conséquent, avec égards, je ne souscris pas à la conclusion tirée dans l'affaire Davis et je ne peux retenir l'argument de l'avocat des appelantes suivant lequel une contrepartie a été donnée pour les dividendes qu'elles ont reçus. ...

[20]          Finalement, l'honorable juge Bonner de cette Cour a aussi analysé cette matière dans l'affaire Ruffolo c. Canada, [1998] A.C.I. no. 714 (Q.L.) :

7               Il est évident que le premier argument des appelants ne peut être retenu. Le terme "contrepartie" au sous-alinéa 160(1)e)(i) doit être interprété dans son sens ordinaire, à savoir qu'il s'agit de quelque chose que l'on donne en paiement. Rien dans le contexte législatif ou dans l'objectif qui sous-tend l'article 160 ne laisse croire le contraire. On ne peut dire qu'un créancier renonce à son droit au paiement d'une dette qui est acquittée et qui, par conséquent, disparaît lorsque la dette est acquittée en contrepartie du paiement. Lorsqu'une société verse des dividendes à un actionnaire, le transfert s'effectue dans un sens seulement. L'actionnaire doit son droit de recevoir le paiement d'un dividende qui a été déclaré à sa qualité d'actionnaire et non à une contrepartie qu'il donne. Rien dans la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Newman v. The Queen 98 DTC 6297, n'appuie la thèse des appelants

[21]          l'appelant et ses comptables, pour des raisons qui leur appartiennent, ont choisi et décidé que des dividendes étaient et devaient être payés annuellement à l'appelant, qui dirigeait la compagnie.

[22]          Peu importe l'interprétation ou le sens qu'ils donnent aux paiements de ces dividendes, il n'en demeure pas moins qu'il s'agissait bel et bien de transfert au sens de la Loi et de la jurisprudence.

[23]          La preuve a également révélé qu'il existait une dette fiscale au moment où les dividendes ont été payés; finalement, l'appelant contrôlait l'auteur du transfert. Toutes les conditions d'application du paragraphe 160(1) sont respectées, donnant ainsi raison à l'analyse et aux conclusions à l'origine de la cotisation qui fait l'objet du présent appel.

[24]          Pour toutes ces raisons, l'appel doit être rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour d'avril 2001.

“ Alain Tardif ”

J.C.C.I.

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