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Date: 20011123

Dossier: 2000-3155-IT-I

ENTRE :

EVANGELOS KOUROS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Représentant de l'appelant : George Kouros

Avocate de l'intimée : Me Rosemary Fincham

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Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience

à St. Catharines (Ontario), le 15 octobre 2001.)

Le juge Bowie

[1]            Les présents appels visent des cotisations d'impôt établies pour les années d'imposition 1996 et 1997. Dans les déclarations de revenu qu'il a produites pour ces deux années, l'appelant prétendait avoir le droit de déduire de ses autres revenus, en vertu de l'article 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), les pertes subies relativement à certains biens immeubles (les « biens » ).

[2]            Les pertes déduites en 1996 s'élevaient à 10 291,20 $ et, en 1997, à 3 970,39 $. Les pertes de 1996 avaient comme sources des frais d'intérêt de 214,26 $ et des impôts fonciers de 10 076,94 $. Le frère de l'appelant, qui représentait ce dernier et qui a également témoigné, a déclaré qu'il croyait que le montant de 10 076 $ représentait à la fois des impôts fonciers et des frais de services publics ou autres dépenses du même genre. Ce en quoi consistaient les 10 076 $ n'est pas tout à fait clair, mais je ne crois que cela ait quelque conséquence que ce soit. La question à trancher est celle de savoir si le bien était ou non une source de revenu au sens de l'article 3 de la Loi au cours des deux années en question, et, avant d'y répondre, il faut d'abord se demander si ce bien peut être considéré comme un bien à l'égard duquel l'appelant avait une attente raisonnable de tirer un revenu locatif. En 1997, l'appelant a déclaré une perte de 3 976,39 $ au titre des impôts fonciers. Dans ces deux années, l'appelant n'a déclaré aucun revenu à l'égard du bien.

[3]            L'appelant est physicien à Welland (Ontario). Sa profession le tient passablement occupé. En 1981, il a acheté le bien, qui est situé à Ridgeway, près de Welland (le « bien de Ridgeway » ). Maintenant, ce bien se trouve apparemment dans la municipalité de Fort Erie. Le bien se compose d'une station-service (avec une seule aire de ravitaillement), d'un garage, d'un dépanneur, d'un comptoir de plats à emporter et d'une glacerie, et d'un parc d'autos d'occasion. Lorsqu'il a acheté le bien en 1981, l'appelant l'achetait en tant qu'investissement et, à cette époque, le bien était assurément une source de revenu. Le bien a été loué à diverses personnes qui ont exploité séparément le garage, le dépanneur, le comptoir et le parc d'autos.

[4]            Quelques années plus tard, soit vers 1983, le bien n'avait plus aucun locataire. L'appelant et son frère exploitaient à cette époque une station-service dans la ville de Welland. Le bien de Ridgeway n'ayant plus de locataires, ils ont commencé à y exploiter une entreprise de vente d'essence au détail, et ont vendu de l'essence et du carburant diesel jusque vers 1991. Je ne sais trop, d'après la preuve, s'ils ont exploité d'autres entreprises sur ce bien. Par contre, en 1991, il était devenu clair pour eux que l'entreprise de Ridgeway n'était pas rentable; en fait, elle avait commencé à mordre sur les profits tirés de la station-service de Welland.

[5]            Le frère de l'appelant a témoigné que cette situation était le résultat d'un certain nombre de facteurs sur lesquels il n'avait aucun contrôle, et je suis convaincu que cela est vrai. L'économie locale, par exemple, se portait particulièrement mal. La plupart des entreprises situées près du bien de Ridgeway étaient en difficulté, certaines d'entre elles ayant même dû fermer leurs portes; si on ajoute à cela le fait que le bien est situé très près de la frontière des États-Unis, où le prix de l'essence était nettement inférieur à celui exigé du côté canadien de la frontière, on comprend pourquoi les ventes d'essence ont considérablement diminué. Beaucoup d'automobilistes franchissaient la frontière pour faire le plein d'essence dans l'État de New York plutôt que d'acheter leur essence en Ontario. Pour ces raisons, l'appelant et son frère ont cessé d'exploiter la station-service de Ridgeway vers 1991.

[6]            Depuis lors, l'appelant tente d'une façon ou d'une autre de trouver un locataire pour le bien de Ridgeway. Au cours de l'audience, l'intimée a soulevé la question de savoir quels efforts l'appelant avait déployés pour essayer de trouver un locataire et dans quelle mesure ces tentatives étaient efficaces. Me Fincham a déclaré que l'appelant n'avait guère été méthodique dans ses démarches en vue de trouver un locataire. Il n'avait par exemple jamais retenu les services d'un courtier en immeubles, et les affiches qui pouvaient se trouver sur le bien étaient difficilement visibles et étaient peu susceptibles d'attirer d'éventuels locataires, selon l'avocate.

[7]            L'appelant a affirmé qu'aucun courtier en immeubles n'était disposé à faire quelque effort pour essayer de trouver un locataire, à moins qu'on lui remette à l'avance une somme importante, ce que l'appelant ne voulait pas faire. Selon lui, les affiches étaient convenables puisqu'elles étaient placées près de la route, d'où les automobilistes pouvaient facilement les voir. La preuve a démontré qu'un certain nombre de locataires éventuels s'étaient renseignés entre 1991 et aujourd'hui. Il semble que la majorité des demandes de renseignements ait été présentée après les années visées par le présent appel. La preuve à ce sujet n'est pas très claire. À deux ou trois reprises - dont l'une, aussi récemment que ce mois-ci - une personne s'est montrée intéressée à entamer des négociations, menant même à l'établissement d'une ébauche d'accord, mais aucun contrat de location n'avait en bout de ligne été conclu. Il semble que le frère de l'appelant représentait ce dernier au cours des négociations et avait, de manière générale, de 1991 jusqu'à aujourd'hui, tenu le rôle d'agent pour ce qui est d'essayer de trouver un locataire, d'après ce que je peux inférer de la preuve.

[8]            Quoi qu'il en soit, l'appelant n'a tiré depuis 1991 aucun revenu locatif du bien, lequel a été pratiquement inutilisé, sauf à deux occasions. Premièrement, les réservoirs d'essence et à carburant diesel avaient été remplis en novembre 1995, ce qui avait coûté environ 4 800 $. D'après les factures, l'acheteur de l'essence était Kouros Ent., que je présume être Kouros Enterprises, soit semble-t-il l'appellation de l'entreprise de vente d'essence au détail de Welland (Ontario) que l'appelant et son frère avaient exploitée, probablement à profit, tout au long des années qui sont en cause en l'espèce. Le frère de l'appelant a témoigné que, de la date du remplissage des réservoirs en 1995 jusqu'à la fin du mois de novembre 1996, il y avait un employé sur place pour la vente d'essence. Il semble qu'aucun loyer n'avait été payé au Dr Kouros pour l'utilisation du bien durant cette période, puisqu'il n'avait déclaré relativement au bien aucun revenu brut en 1996 ou 1997. Le Dr Kouros a témoigné que, en remplissant les réservoirs d'essence et en tentant de vendre de l'essence, on avait voulu démontrer à quiconque pouvait être intéressé à louer le bien qu'une station-service pouvait être rentable à cet endroit, et on avait pensé que cette tentative pouvait donc aider à louer le bien. D'après la preuve documentaire, aucun revenu n'avait été imputé au bien par suite des ventes d'essence qui y avaient été faites et aucun loyer n'avait été payé relativement au bien. Cependant, des impôts fonciers, ainsi que les frais d'intérêt de 214,26 $ que j'ai mentionnés plus tôt et peut-être aussi certains frais de services publics, ont été imputés au bien. Je ne peux qu'inférer de tout cela que le Dr Kouros avait en fait offert gratuitement l'utilisation du bien à Kouros Enterprises, la société de personnes par le biais de laquelle le docteur et son frère vendaient de l'essence à Welland.

[10]          La tentative faite pour démontrer que la station-service située sur le bien était rentable avait de toute évidence échoué puisque, à la fin de novembre 1996, l'essence qui avait été versée dans les réservoirs un an plus tôt n'avait pas toute été vendue et que celle qui restait avait été retirée des réservoirs pour être vendue à la station-service de Welland.

[11]          L'autre usage qui avait été fait du bien depuis 1991 est le suivant : deux fois l'an, en mai et en juillet, l'appelant, son frère et le fils de ce dernier, vendaient des fusées de feu d'artifice sur le bien, vraisemblablement pendant une courte période puisqu'il s'agit d'une entreprise qui ne peut être exploitée que pendant une partie de l'année. Le neveu de l'appelant a témoigné qu'ils y avaient vendu des fusées de feu d'artifice au détail chaque année et qu'ils avaient partagé les profits tirés de ces ventes à parts égales, chacun d'eux empochant de 300 $ à 400 $ par année. On n'a produit aucune preuve que l'appelant avait imputé un loyer quelconque à cette entreprise de courte durée, et je suis convaincu que cette entreprise ne pouvait être viable ni permettre d'obtenir du bien un loyer qui se rapproche un tant soit peu du taux du marché. Selon le témoignage de l'appelant et de son frère, l'appelant avait récemment (après les deux années visées par l'appel) manifesté quelque intérêt pour ce qui est d'aménager d'une quelconque façon le bien, quoique la preuve, encore là, est à cet égard extrêmement vague.

[12]          J'arrive ainsi à la question qui nous intéresse, qui est de savoir si on peut dire que, dans les deux années visées par l'appel, 1996 et 1997, le bien avait été une source de revenu permettant à l'appelant d'avoir une quelconque attente raisonnable de profit. M. George Kouros soutient, pour le compte de son frère, que le bien était une source de profit ou une source de revenu durant cette période, étant donné que l'appelant avait l'intention de le louer et que, s'il avait réussi à le louer, le bien aurait été rentable. Cela n'est cependant pas le critère juridique que la jurisprudence a établi et que je dois appliquer. Dans l'arrêt Moldowan c. La Reine[1], la Cour suprême du Canada a clairement indiqué que, à tout le moins dans le cas d'une entreprise, il doit y avoir une quelconque attente raisonnable de profit pour qu'on puisse dire qu'il y avait une source de revenu pour l'application de l'article 3 de la Loi. Ce n'est que dans le cas où il y a une source de revenu qu'il peut être tenu compte des pertes en vertu de l'article 3 et que ces pertes peuvent être imputées au revenu positif tiré d'autres sources.

[13]          À mon avis, on ne peut établir une distinction entre la présente affaire et l'affaire Enstone c. R[2], où le juge Lamarre Proulx, de cette cour, rendait une décision qui a par la suite été confirmée par la Cour d'appel fédérale[3]. Dans cette affaire, l'appelant possédait un bien situé au 132, rue Faraday, à Ottawa, qui n'avait pas été loué pendant une longue période. Au cours de cette période de plusieurs années, l'appelant avait engagé des dépenses qu'il avait cherché à imputer à une autre source de revenu. Au paragraphe 22 de ses motifs de jugement, le juge Lamarre Proulx déclarait ce qui suit :

Au cours des années en question, la propriété du 132, rue Faraday ne constituait pas une activité locative continue puisqu'il y a eu une interruption beaucoup plus longue que ce qui représente la pratique commerciale normale. Il arrive parfois qu'une activité de location doive être interrompue pour que soient effectués des travaux de réparations importants. Cela ne change pas la nature de l'activité si le tout est conforme à la pratique commerciale. Dans l'affaire qui nous occupe, la durée de l'interruption excédait les limites normales de la pratique commerciale. La preuve a permis de démontrer que personne n'avait loué la propriété pendant neuf ans et, contrairement à ce qui a été fait relativement aux propriétés de la rue Hinton, aucune réparation importante n'a été effectuée à la propriété de la rue Faraday, aucune annonce n'a été faite pour sa location, ni aucune inscription auprès d'un agent de location. Puisque cette propriété ne constituait pas une entreprise de location continue, les dépenses engagées pendant les années en cause pour l'entretien minimum de la propriété ne sont pas des dépenses courantes faites en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien. [...]

Dans le jugement de la Cour d'appel fédérale, les motifs du rejet de l'appel ont été rendus par le juge Sharlow, qui déclarait ce qui suit aux paragraphes 31 et 32 :

Il y a lieu de noter que M. Enstone ne dit pas ce qu'il prévoit pour la propriété sise au 132 rue Faraday. Il ne dit pas s'il a l'intention de trouver des locataires pour elle. Il estime qu'elle est "déjà profitable". Pourquoi dirait-il une chose pareille d'une maison qui n'a pas de locataire? Peut-être a-t-il voulu dire par là que la valeur de la propriété sise au 132 rue Faraday suffit à elle seule pour justifier les frais d'entretien qu'il a engagés. On ne peut guère conclure de cette observation qu'il avait tant soit peu l'intention de faire de cette propriété un immeuble locatif. Il n'y a non plus aucune preuve qui permette de conclure que dans les faits, elle fait partie d'une entreprise de location immobilière.

L'avocate de M. Enstone soutient que selon les éléments de preuve produits, celui-ci a toujours considéré les trois immeubles locatifs comme formant une seule entreprise, et qu'il n'avait fait que décider, dans le contexte de l'entreprise, de différer les dépenses qui auraient été nécessaires pour rendre la maison sise au 132 rue Faraday plus attrayante aux locataires éventuels. Cependant, il est évident que le juge de la Cour de l'impôt n'interprétait pas dans ce sens le témoignage de M. Enstone.

Il y a bien entendu quelques différences importantes, en ce qui a trait aux faits, entre cette affaire et celle dont je suis saisi, plus particulièrement en ce qui concerne l'intention. On semble dans une certaine mesure avoir douté, du moins selon l'interprétation de la preuve retenue par la Cour d'appel fédérale, que M. Enstone avait l'intention de louer son bien de la rue Faraday. Je ne doute aucunement que le Dr Kouros avait l'intention, et qu'il a encore l'intention, de louer le bien de Ridgeway. Le point commun important entre ces deux affaires, c'est que les deux biens en cause n'ont produit aucun revenu locatif pendant une très longue période. En l'espèce, on n'a produit aucune preuve qui me convainc que l'appelant avait, en 1996 ou 1997, quelque attente raisonnable de tirer quelque revenu que ce soit de ce bien dans un avenir prévisible, ou que l'appelant avait à cette époque entrepris des démarches sérieuses en vue de remédier à la situation. La seule mesure qu'il avait prise avait été de remplir les réservoirs d'essence et, en fait, de permettre à la société de personnes, Kouros Enterprises, d'utiliser le bien sans payer de loyer, espérant ainsi pouvoir démontrer que le bien était rentable.

[14]          L'appelant n'était toutefois pas disposé à verser le moindre cent : il n'a pas fait appel à un courtier en immeubles pour l'aider à trouver un locataire, ni apporté des améliorations importantes au bien en vue de le rendre plus attrayant pour les locataires éventuels, ni aménagé le bien d'une quelconque façon, de manière à en faire une source de revenu. Je ne doute aucunement que le bien était rentable et constituait une source de revenu au sens de l'article 3 de 1981, l'année de l'achat, à 1983, l'année au cours de laquelle les locataires étaient partis. Je présume que le bien avait encore été rentable pendant un certain temps après 1983.

[15]          On ne m'a présenté aucun élément de preuve relativement aux accords financiers qui avaient été conclus entre l'appelant et la société de personnes constituée par l'appelant et son frère, Kouros Enterprises, relativement au paiement du loyer au titre du bien de 1983 à 1991. Même si on présume, à titre d'exemple, qu'un loyer au taux du marché avait été payé tout au long de ces années, il n'en reste pas moins qu'il était devenu évident, en 1991, qu'une station-service ne pouvait être exploitée à profit sur le bien. Assurément, en 1992 ou en 1993, si ce n'est en 1991, le bien n'était tout simplement pas rentable en tant que bien locatif, du moins dans les conditions dans lesquelles le Dr Kouros avait tenté de l'exploiter et compte tenu du climat économique défavorable de l'époque.

[16]          De 1991 à 1996, soit la première des années visées par l'appel, rien n'était arrivé pour faire de ce bien un bien locatif rentable. En fait, l'appelant et son frère avaient démontré que le bien n'était pas rentable en 1996, lorsqu'ils avaient rempli les réservoirs d'essence pour essayer d'exploiter le bien en tant que station-service mais qu'ils avaient été incapables dans l'année suivante de vider, ne serait-ce qu'une seule fois, les réservoirs. Au bout du compte, ils avaient dû retirer l'essence qui restait et l'amener à Welland pour l'y vendre.

[17]          Aussi regrettable que cela puisse être, je suis lié par l'arrêt Enstone et par de nombreuses autres décisions traitant de la question de ce qui constitue une source de revenu pour l'application de l'article 3 de la Loi et, à mon avis, le bien en cause ne peut satisfaire à ces exigences pour les années 1996 et 1997. Par conséquent, on ne saurait dire que les frais d'intérêt, les impôts fonciers et, s'il en est, les frais des services publics engagés dans ces deux années, constituaient des pertes subies relativement à une source de revenu. Il se pourrait que ces coûts soient capitalisables, tout comme il se pourrait qu'ils ne le soient pas, mais je ne tire aucune conclusion particulière à cet égard, puisqu'il s'agit d'une question qui pourrait éventuellement être soulevée. Si elle devait l'être, elle devrait à ce moment-là être abordée compte tenu de tous les autres éléments de preuve qui s'y rapportent. Je suis tenu de rejeter ces deux appels.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 2001.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 28e jour d'octobre 2002.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]



[1]    [1978] 1 R.C.S. 480 [77 DTC 5213].

[2]    C.C.I., no 96-4551(IT)G, le 3 septembre 1998 ([1998] 4 C.T.C. 2665).

[3]    C.A.F., no A-594-98, le 14 février 2000 ([2000] C.T.C. 279).

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