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Date: 20021129

Dossiers: 2000-2217-IT-G,

2000-2218-IT-G

ENTRE :

ÉRIC PIUZE,

MARIE-JOSÉE BONNEVILLE,

appelants

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge P.R. Dussault, C.C.I.

[1]            Ces appels de cotisations établies en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) ont été entendus sur preuve commune.

[2]            En établissant la cotisation à l'égard de Éric Piuze, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a tenu pour acquis que la Société Gestion Éric Piuze Inc. ( « Gestion » ) était endettée envers le Ministre pour une somme de 27 965,91 $ pour ses années d'imposition 1994 et 1995 et qu'elle a déclaré et versé des dividendes de 45 500 $ et de 13 812 $ à l'appelant au cours de ses années d'imposition 1996 et 1997 respectivement. La cotisation au montant de 20 971,65 $ est donc pour une partie seulement de la dette de Gestion.

[3]            En établissant la cotisation à l'égard de Marie-Josée Bonneville, le Ministre a tenu pour acquis la même dette fiscale de Gestion et le fait que celle-ci a déclaré et versé à l'appelante des dividendes de 6 560 $ au cours de son année d'imposition 1997. Dans ce cas, la cotisation au montant de 6 560 $ est donc pour le plein montant des dividendes reçus par l'appelante.

[4]            Le total des montants cotisés à l'égard des deux appelants est donc de 27 531,65 $ soit un montant légèrement inférieur à la dette fiscale de Gestion.

[5]            Par ailleurs, lors de l'audition, l'avocat de l'intimée a informé la Cour que le montant de la dette fiscale de Gestion n'était pas de 27 965,91 $, mais plutôt de 18 749,70 $. En tout état de cause, il y aura donc lieu de faire un rajustement en conséquence.

[6]            Marie-Josée Bonneville est la conjointe de Éric Piuze.

[7]            Gestion a été constituée le 1er avril 1993 en vertu de la Partie 1A de la Loi sur les compagnies du Québec ( « L.C.Q. » ). Éric Piuze en était le seul actionnaire, administrateur et officier jusqu'au 1er mai 1997. À cette date, Marie-Josée Bonneville est également devenue actionnaire et administrateur de Gestion.

[8]            De 1993 au 8 juillet 1997, Gestion a versé par l'entremise de la Société 2952-3065 Québec Inc., une société offrant un service de paye, un montant généralement fixe aux deux semaines par chèque tiré sur son « compte salaire » à Éric Piuze sans aucune déduction à la source. En 1996, le total des montants versés par Gestion a été de 45 500 $. De janvier au 8 juillet 1997, il a été de 13 812 $. Quant à Marie-Josée Bonneville, le montant total versé pour les mois de mai et juin 1997 a été de 6 560 $. Sur le rapport faisant état de l'ensemble des sommes versées soumis en preuve (pièce A-1), les versements sont simplement identifiés par le titre « AUTRE GAIN » .

[9]            À compter du 8 juillet 1997, les montants variables versés tant à Éric Piuze qu'à Marie-Josée Bonneville sont identifiés comme rémunération régulière avec déductions à la source (voir pièce A-1).

[10]          C'est la somme de 45 500 $ versée à Éric Piuze en 1996 et les sommes de 13 812 $ et de 6 560 $ versées respectivement à Éric Piuze et Marie-Josée Bonneville avant le 8 juillet 1997 que le Ministre considère comme dividendes et donc comme la juste valeur marchande des biens ayant fait l'objet de transferts sans contrepartie aux fins de l'article 160 de la Loi.

[11]          Lors de son témoignage, Éric Piuze a affirmé que les montants considérés comme dividendes par le Ministre représentaient en réalité un salaire qui lui était versé régulièrement aux deux semaines. Il a affirmé que c'est le comptable de Gestion qui considérait ces montants comme dividendes alors que lui-même les considérait comme un salaire régulier et qu'il s'agit, somme toute, d'une simple question d'appellation. Il a affirmé qu'il n'y avait jamais eu de résolution du conseil d'administration de Gestion attestant de la déclaration de dividendes.

[12]          En contre-interrogatoire, Éric Piuze a admis avoir considéré les montants reçus de Gestion de 1993 à juillet 1997 comme dividendes dans ses déclarations de revenu pour chaque année.

[13]          À ce stade, il importe de reproduire les questions et les réponses d'un interrogatoire préalable écrit de l'appelant Éric Piuze qui décrit très bien le modus operandi de Gestion, de ses administrateurs et de ses actionnaires. Chaque réponse que l'on retrouve à l'onglet 8 de la pièce I-1 est reproduite immédiatement après la question correspondante que l'on retrouve à l'onglet 7 de la même pièce :

Q 1.          Est-ce que les montants qui vous ont été versés par Gestion Éric Piuze Inc. comportaient des déductions à la source pour l'année d'imposition 1997?

R.             Les sommes qui m'ont été versées par Gestion Éric Piuze Inc. en 1997 comportaient des déductions à la source à partir de juillet 1997. J'ai commencé à recevoir un salaire de la corporation dont je suis actionnaire en juillet 1997 après qu'il se fut avéré que Revenu Canada refusait la déduction pour petite entreprise à Gestion Éric Piuze Inc. Auparavant, je recevais ma rémunération régulière sous forme de dividende. En effet, Gestion Éric Piuze Inc. était une entreprise active, avec plus de 5 employés, mais Revenu Canada a tout de même considéré cette compagnie comme non active. Ceci a créé une dette fiscale que Gestion Éric Piuze Inc. était incapable de payer, provoquant la faillite de la société à la fin 1998.

                Cette décision de Revenu Canada, je ne l'ai pas contesté puisqu'elle faisait partie d'un règlement global avec d'autres entreprises de gestion donnant des services de ventes et promotion aux Industries Bonneville Ltée. J'ai donc accepté cette décision afin de fermer le dossier et, dans le même temps, j'ai modifié la politique concernant la rémunération des actionnaires de Gestion Éric Piuze Inc., pour qu'ils soient payés sous forme de salaire à partir de juillet 1997. La rémunération par dividende résultait en un taux d'impôt combiné (corporation-actionnaire) de près de 60%. Il fallait donc établir une politique de rémunération par salaire.

                                                                                                (Le souligné est de moi)

Q 2.          Est-ce que Gestion Éric Piuze Inc. vous a donné un relevé T4 pour les montants qui vous ont été versés pour l'année d'imposition 1997?

R.             Gestion Éric Piuze Inc. m'a donné un relevé T4 pour les montants qui m'ont été versés en salaire à partir de juillet 1997. Ce relevé T4 m'a été donné en février 1998 et je fournis avec la présente déclaration copie de ce relevé T4.

Q 3.          Pourquoi Gestion Éric Piuze Inc. a-t-elle considéré ces montants qui vous ont été versés en 1997 comme des dividendes?

R.             Gestion Éric Piuze Inc. me versait ma rémunération régulière, aux deux semaines, sous forme de dividende depuis la fondation de Gestion Éric Piuze Inc. suite aux recommandations de mes comptables. En effet, la politique de versement de la rémunération sous forme de dividende était plus avantageuse pour moi lorsque Gestion Éric Piuze Inc. bénéficiait de la déduction pour petites entreprises. À partir de juillet 1997, j'ai décidé de recevoir ma rémunération sous forme de salaire, car Revenu Canada refusait cette déduction à la corporation. Personnellement, j'ai toujours considéré le dividende que je recevais depuis 1993 comme mon salaire puisque je recevais ma paye régulièrement aux deux semaines. Au lieu de payer l'impôt à la source, je le payais à tous les trois mois par acompte provisionnel. Ce dividende était ma rémunération régulière, comme un salaire, et non pas un versement ponctuel et spécial. À partir de juillet 1997, les sommes qui m'étaient jusqu'alors versées en dividende l'ont été sous forme de salaire et selon le même rythme, soit aux deux semaines.

(Le souligné est de moi)

Q 4.          Pourquoi avez-vous considéré les montants qui vous ont été versés en 1997 par Gestion Éric Piuze Inc. comme des dividendes reçus?

R.             Une partie de mes revenus, soit jusqu'à juin 1997, a été versée sous forme de dividende. Donc, j'ai déclaré un dividende dans mes impôts pour cette partie de mes revenus.

Q 5.          Est-ce que vous avez reçu des montants à titre de dividendes de Gestion Éric Piuze Inc. pour les années d'imposition de 1993 à 1997? Si oui, lesquelles?

R.             Gestion Éric Piuze Inc. m'a toujours versé ma rémunération sous forme de dividende, depuis sa fondation de 1993 jusqu'en 1997. Les sommes reçues : en 1993, 33 800 $, en 1996, 45 500 $, et en 1997, 15 760 $. je n'ai pas le détail des années précédant 1995.

Q 6.          Est-ce que vous avez déclaré des revenus d'emploi provenant de Gestion Éric Piuze Inc. pour les années 1993 à 1997?

R.             Je n'ai pas déclaré de revenus d'emploi provenant de Gestion Éric Piuze Inc. pour ces années 1993 à 1997, sauf pour les derniers mois de 1997 où j'ai déclaré la somme de 37 506 $.

Q 7.          Est-ce que les chèques pour les montants reçus en 1997 de Gestion Éric Piuze Inc. comportaient la mention « salaire » ? Si oui, donnez-nous des copies de ces chèques.

R.             Les chèques que je recevais de Gestion Éric Piuze Inc, par l'entremise d'une firme de traitement de payes, comportaient la mention salaire. Copies de ces chèques sont annexées à la présente déclaration.

[14]          Quant à l'appelante Marie-Josée Bonneville, elle n'a pas témoigné lors de l'audition, les avocats des parties s'étant entendus sur le fait que son témoignage serait dans le même sens que celui de Éric Piuze. Je reproduis toutefois de la même manière que je l'ai fait pour Éric Piuze les questions et réponses d'un interrogatoire préalable écrit. Les questions se retrouvent à l'onglet 5 de la pièce I-1 et les réponses à l'onglet 6 de la même pièce. Les voici :

Q 1.          Est-ce que les montants qui vous ont été versés par Gestion Éric Piuze Inc. comportaient des déductions à la source pour l'année d'imposition 1997?

R :            Les sommes qui m'ont été versées par Gestion Éric Piuze Inc. en 1997 comportaient des déductions à la source à partir de juillet 1997. Je suis devenue actionnaire de la compagnie en mai 1997 et de mai à juin 1997, ma rémunération me fut payée sous forme de dividende.

Q 2.          Est-ce que Gestion Éric Piuze Inc. vous a donné un relevé T4 pour les montants qui vous ont été versés pour l'année d'imposition 1997?

R.             Gestion Éric Piuze Inc. m'a donné un relevé T4 en février 1998 pour les montants qui m'ont été versés sous forme de salaire à partir de juillet 1997. Copie de ce relevé T4 est annexé à la présente déclaration.

Q 3.          Pourquoi Gestion Éric Piuze Inc. a-t-elle considéré ces montants qui vous ont été versés en 1997 comme des dividendes?

R.             Gestion Éric Piuze Inc. me versait ma rémunération régulière, aux deux semaines, à partir du moment où je suis devenue actionnaire en mai 1997, sous forme de dividende pendant deux mois, suivant la politique de rémunération des actionnaires jusqu'alors en vigueur. En effet, la politique de versement de la rémunération sous forme de dividende était plus avantageuse pour moi lorsque Gestion Éric Piuze Inc. bénéficiait de la déduction pour petites entreprises. À partir de juillet 1997, j'ai décidé de recevoir ma rémunération sous forme de salaire, car Revenu Canada refusait cette déduction à la corporation. Personnellement, je considérais ce dividende comme du salaire puisque je recevais ma paye régulièrement, aux deux semaines. Au lieu de payer l'impôt à la source, je le payais à tous les trois mois par acompte provisionnel. Ce dividende était ma rémunération régulière, comme un salaire, et non pas un versement ponctuel et spécial. À partir de juillet 1997, ma rémunération me fut versée sous forme de salaire avec déductions à la source.

(Le souligné est de moi)

Q 4.          Pourquoi avez-vous considéré les montants qui vous ont été versés en 1997 par Gestion Éric Piuze Inc. comme des dividendes reçus?

R.             La partie qui m'a été versée sous forme de dividende, entre mai et juin 1997, soit 6 560 $, je l'ai déclarée comme dividende. La partie que j'ai reçue en salaire à partir de juillet 1997, je l'ai déclaré comme revenu d'emploi.

Q 5.          Est-ce que vous avez reçu des montants à titre de dividendes de Gestion Éric Piuze Inc. pour les années d'imposition de 1993 à 1997? Si oui, lesquelles?

R.             Je n'étais pas actionnaire de la compagnie Gestion Éric Piuze Inc. avant mai 1997; je n'ai donc pas reçu de dividendes de cette compagnie durant ces années 1993 à 1996. En 1997, j'ai reçu 6 560 $ en dividendes pour les mois de mai et juin 1997.

Q 6.          Est-ce que vous avez déclaré des revenus d'emploi provenant de Gestion Éric Piuze Inc. pour les années 1993 à 1997?

R.             Je n'ai pas déclaré de revenus d'emploi provenant de Gestion Éric Piuze Inc. pour ces années 1993 à 1997, sauf pour les derniers mois de 1997, où j'ai déclaré un revenu d'emploi de 37 506 $.

Q 7.          Est-ce que les chèques pour les montants reçus en 1997 de Gestion Éric Piuze Inc. comportaient la mention « salaire » ? Si oui, donnez-nous des copies de ces chèques.

R.             Les chèques que je recevais de Gestion Éric Piuze Inc., par l'entremise d'une firme de traitement de payes, comportaient la mention salaire. Copies de ces chèques sont annexées à la présente déclaration.

[15]          Je rappelle que du 1er avril 1993 au 1er mai 1997 Éric Piuze était le seul actionnaire, le seul administrateur et le seul officier, à titre de président et secrétaire, de Gestion. À compter du 1er mai 1997, Marie-Josée Bonneville est devenue non seulement actionnaire mais également administrateur de Gestion.

[16]          La pièce I-1, onglet 4, contient un certain nombre de résolutions écrites de Éric Piuze, l'administrateur et l'actionnaire unique jusqu'en mai 1997, et également des résolutions des deux administrateurs et actionnaires à compter de cette date, Éric Piuze et Marie-Josée Bonneville.

[17]          Une résolution écrite de l'administrateur unique en date du 15 mars 1995 a pour objet d'approuver les états financiers pour l'exercice financier terminé le 31 décembre 1994 et d'autoriser l'administrateur unique à les signer. Le même jour, une résolution écrite de l'actionnaire unique a notamment pour objet d'approuver, ratifier et confirmer ces états financiers.

[18]          En date du 15 mars 1996, deux résolutions écrites semblables, l'une par l'administrateur unique et l'autre par l'actionnaire unique sont au même effet quant aux états financiers pour l'exercice terminé le 31 mars 1995.

[19]          En date du 14 mars 1997, les deux résolutions sont également au même effet pour les états financiers de l'exercice terminé le 31 décembre 1996.

[20]          Par ailleurs, dans la déclaration de revenu de Gestion pour son année d'imposition 1996 signée par Éric Piuze lui-même, il est clairement indiqué que Gestion a payé des dividendes imposables de 45 500 $ durant l'année. Les états financiers de Gestion signés par Éric Piuze et qui accompagnent cette déclaration indiquent tout aussi clairement que des dividendes de 45 500 $ ont été versés (pièce I-1, onglet 2).

[21]          Dans la déclaration de revenu de Gestion pour son année d'imposition 1997 signée par Éric Piuze, il est tout aussi clairement indiqué que Gestion a versé des dividendes au montant de 23 320 $ au cours de l'année. Les états financiers de Gestion encore signés par Éric Piuze et accompagnant la déclaration de revenu indiquent la même chose.

[22]          L'avocat des appelants soutient que les montants de dividendes versés aux appelants en 1996 et 1997 devraient être considérés comme des salaires puisqu'il n'y a jamais eu d'assemblée des administrateurs ou de résolution déclarant des dividendes. Selon lui, l'approbation des états financiers par les actionnaires ne peut constituer une déclaration valide de dividendes. Ainsi, il soutient que les montants versés ne peuvent être considérés comme des dividendes en l'absence des formalités requises par la L.C.Q. Il affirme de plus que la déclaration de dividendes aussi élevés est en quelque sorte un non-sens d'un point de vue financier puisque les dividendes versés représenteraient un rendement disproportionné par rapport à la mise de fonds initiale de quelques dollars seulement. Enfin, il soutient que le versement de dividendes ne peut être considéré comme un transfert sans contrepartie aux fins de l'article 160 de la Loi, puisque l'on doit tenir compte du travail de chacun des appelants pour Gestion, ce qui constitue une contrepartie valable pour le transfert.

[23]          L'avocat de l'intimée estime que la preuve démontre que les appelants ont bel et bien reçu des dividendes de Gestion et qu'ils tentent maintenant, confrontés à une cotisation en vertu de l'article 160 de la Loi, d'en modifier la nature et les transformer en salaires.

Analyse

[24]          Il est clairement établi que la décision de déclarer et de verser des dividendes relève du conseil d'administration d'une société (voir L.C.Q. articles 81 et 123.6). Toutefois, s'il y a un administrateur unique c'est lui qui exerce les droits et assume les obligations du conseil (voir L.C.Q. article 123.82). Normalement, le Conseil d'administration exprime ses décisions sous forme de résolutions adoptées lors de ses assemblées et ces résolutions sont normalement consignées dans les procès-verbaux de ces assemblées. Ces procès-verbaux certifiés doivent être inscrits dans les livres devant être tenus par la société (voir L.C.Q. alinéa 107.d). Ces livres font, à première vue (prima facie), preuve des faits qui y sont énoncés (voir L.C.Q. article 109). Par ailleurs, les résolutions écrites signées par tous les administrateurs habiles à voter sur ces résolutions lors des assemblées du conseil, ont la même valeur que si elles avaient été adoptées au cours de ces assemblées (voir L.C.Q. articles 89.3 et 123.6). Les procès-verbaux et les résolutions constituent donc, à première vue, la preuve des décisions prises par le conseil d'administration ou par l'administrateur unique, le cas échéant. Toutefois, l'absence de ces procès-verbaux ou de ces résolutions ne signifie pas qu'une décision n'a pas été prise pourvu que l'on puisse, par ailleurs, faire la preuve qu'elle l'a été. À mon avis, la problématique se résume alors à une question qui en est essentiellement une de preuve. On peut, à cet égard, se référer à la décision dans l'affaire Mullin c. Canada, [1992] A.C.I. no 104 et aux autorités citées à cet égard aux pages 8 et suivantes. Je ne reprendrai ici que les propos du juge Bayda de la Cour d'appel de la Saskatchewan dans l'affaire Roman Hotels Ltd. v. Desrochers Hotels Ltd., 69 D.L.R. (3d) 126 (Sask.C.A.), concernant la preuve d'une décision d'une société en l'absence d'une assemblée formelle et d'une résolution constatant la décision prise. Aux pages 133 et 134 de la décision, le juge Bayda déclarait :

[TRADUCTION]

... Sauf disposition expresse des statuts de la compagnie ou d'autres règles d'administration et de procédure, est-il possible qu'une décision exécutoire de la Corporation, sur une question qui exige la décision des administrateurs, soit prise en l'absence d'une réunion officielle et de l'adoption d'une résolution? Lorsqu'on envisage la réponse à donner à cette question, il importe de se rappeler que l'existence d'une décision de la Corporation est une question de fait et, en outre, qu'il faut établir une distinction entre l'existence d'une décision prise par la Corporation et la preuve de son existence. Une résolution en bonne et due forme, étudiée, adoptée et dûment consignée à une réunion officielle, dûment constituée, est, généralement, la meilleure preuve du fait que la Corporation a pris une décision. Bien qu'elle soit peut-être la meilleure preuve de ce fait, elle n'est pas nécessairement la seule preuve. Quand, au cours d'un examen officieux des affaires internes de la compagnie, il se produit une rencontre des esprits de toutes les personnes qui ont le droit de participer à une décision en vue de prendre, au nom de la compagnie, une certaine mesure qui est intra vires, suivie de la prise de cette mesure, alors, généralement et sauf une règle expresse de la compagnie ou une disposition statutaire contraire, on peut dire que la décision de la Corporation a existé du moment où cette rencontre des esprits s'est produite, malgré l'inobservation des formalités relatives aux réunions et à l'adoption de résolutions. ...

                                                                                (Le souligné est de moi.)

[25]          Le juge Rip dans l'affaire Mulligan c. Canada, [1999] A.C.I. no 271 (Q.L.), reprend ce principe au paragraphe 41 dans les termes suivants :

Il semble donc que, en l'état actuel du droit des sociétés, il soit possible de passer outre aux formalités exigées par la loi ou les statuts de la société si les actionnaires ou administrateurs ayant le pouvoir d'autoriser la mesure en cause approuvent unanimement celle-ci. ...

[26]          Une décision d'un conseil d'administration ou d'un administrateur unique est donc un fait qui peut être prouvé autrement que par un procès-verbal ou une résolution écrite. Il n'est pas difficile d'établir la « rencontre des esprits » lorsqu'une personne était seule autorisée à agir comme administrateur et que l'on peut constater qu'une mesure a effectivement été prise. Dans la présente affaire, la seule personne qui pouvait décider, en tant qu'administrateur, que Gestion verserait des dividendes à son actionnaire du 1er avril 1993 au 1er mai 1997 est Éric Piuze lui-même en tant qu'administrateur unique.

[27]          Les états financiers et les déclarations de revenu de Gestion signés par lui en tant qu'administrateur, attestent amplement de la décision de déclarer et de verser des dividendes et ce, sans compter sur l'aveu à cet égard contenu dans les réponses données à son interrogatoire préalable écrit, reproduit ci-haut. D'ailleurs, quant aux documents de Gestion signés par lui, il est également utile de rappeler la règle que l'on retrouve au quatrième alinéa de l'article 123.31 L.C.Q. selon laquelle « les tiers peuvent présumer que ... les documents de compagnie provenant d'un de ses administrateurs, dirigeants ou autres mandataires sont valides » .

[28]          Lorsque Marie-Josée Bonneville est devenue actionnaire et administrateur de Gestion, soit le 1er mai 1997, cette politique de déclarer et verser des dividendes aux actionnaires était toujours en vigueur selon les réponses qu'elle a elle-même données à son interrogatoire préalable écrit. Ce n'est que par la suite, soit à compter du 8 juillet 1997, que Éric Piuze et elle-même auraient alors décidé de recevoir leur rémunération sous forme de salaire.

[29]          Ma conclusion est donc que Gestion a effectivement déclaré et payé aux appelants les dividendes mentionnés plus haut en 1996 et 1997 et ce, par décision de l'administrateur unique Éric Piuze.

[30]          L'argument de l'avocat des appelants concernant le rendement disproportionné que les dividendes auraient procuré aux appelants par rapport à leur mise de fonds initiale n'est pas pertinent et ne mérite pas qu'on s'y attarde.

[31]          Quant à l'argument selon lequel le versement de dividendes ne constituerait pas un transfert de biens sans contrepartie aux fins de l'article 160 de la Loi au motif que le travail des appelants constituerait une contrepartie valable, il est suffisant de se référer à cet égard à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Newman c. M.R.N., [1998] 1 R.C.S. 770. Dans cette décision, le juge Iacobucci commente et analyse certains propos tenus par le juge en chef Dickson dans l'affaire McClurg c. Canada, [1990] 3 R.C.S. 1020, quant à la relation entre les dividendes versés par une société et l'apport que l'actionnaire bénéficiaire des dividendes avait pu fournir à la société, propos qui avaient alors pu engendrer une certaine confusion. Ainsi, au paragraphe 57 de la décision dans l'affaire Neuman (précitée) le juge Iacobucci faisait la mise au point suivante :

...

Le juge en chef Dickson semblait d'avis que la nature du revenu de dividendes d'un actionnaire était tributaire de l'apport fourni à la société par cet actionnaire. Ce point de vue ne tient pas compte de la nature fondamentale des dividendes; un dividende est un paiement lié, sous forme de droit, au capital-actions qu'une personne possède dans une société, et à rien d'autre. Ainsi, l'importance de l'apport fourni par une personne à la société, et tout dividende reçu de cette société, sont indépendants l'un de l'autre. Le juge LaForest a fait la même observation dans les motifs dissidents qu'il a rédigés dans McClurg (à la page 1073) :

En toute déférence, ce fait n'est pas pertinent pour les fins du litige dont nous sommes saisis. C'est mal interpréter la nature d'un dividende que de lier le versement d'un dividende à la somme des efforts déployés par le bénéficiaire pour le compte de la société payante. Comme nous l'avons dit auparavant, le versement d'un dividende résulte de la propriété du capital-actions d'une société. Selon un principe fondamental du droit des sociétés, un dividende est le rapport du capital qui se rattache à une action et ne dépend d'aucune façon de la conduite d'un actionnaire donné. [je souligne.]

[32]          En droit, l'attribution des bénéfices d'une société aux actionnaires par voie de dividendes ne constitue pas une rémunération pour leur travail pas plus que ce travail ne constitue une contrepartie pour les dividendes reçus. À cet égard, on peut également se référer aux décisions dans les affaires Gosselin v. R., [1997] 2 C.T.C. 2830, aux paragraphes 15 et 16 (version française : [1996] A.C.I. no 206 (Q.L.)) et 155579 Canada Inc. v. R., [1997] 1 C.T.C. 2011, à la page 2016 (version française : [1996] A.C.I. no 1188 (Q.L.)).

[33]          L'appelante Marie-Josée Bonneville a été cotisée pour un montant de 6 560 $ soit le moindre de la juste valeur marchande des dividendes reçus de Gestion et de la dette fiscale de cette dernière qui s'établit à 18 749,70 $ et non plus à 27 965,91 $, telle que calculée initialement. La cotisation est conforme aux dispositions de l'alinéa 160(1)e) de la Loi et elle est donc confirmée. En conséquence, l'appel est rejeté.

[34]          Par ailleurs, l'appelant Éric Piuze, malgré le fait qu'il ait reçu un montant total de 59 312 $ en dividendes de Gestion, n'a été cotisé (sous réserve d'une erreur de 433,96 $) que pour un montant représentant la dette fiscale de Gestion diminuée du montant de 6 560 $ pour lequel l'appelante Marie-Josée Bonneville a été cotisée, soit une somme de 20 971,65 $. À mon avis, vu la responsabilité solidaire du bénéficiaire et de l'auteur du transfert quant à la dette fiscale de l'auteur du transfert énoncée à l'alinéa 160(1)e) de la Loi, c'est-à-dire jusqu'à concurrence de la valeur marchande des biens transférés diminuée de la valeur marchande de la contrepartie s'il y a lieu, Éric Piuze aurait pu être cotisé pour le plein montant de la dette fiscale de Gestion et ce, indépendamment de la cotisation à l'égard de Marie-Josée Bonneville. Or, il appert que cette dette est maintenant de 18 749,70 $ et non de 27 965,91 $ telle que calculée initialement. En vertu de l'alinéa 160(1)e), le Ministre pourrait cotiser à nouveau Éric Piuze pour le montant total de la dette fiscale de Gestion, soit 18 749,98 $. Toutefois, comme les avocats des parties n'ont fait aucune observation permettant de justifier le montant moindre utilisé lors de la cotisation initiale, j'estime raisonnable d'admettre l'appel et de déférer la cotisation au Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en spécifiant simplement que le montant cotisé ne devra pas excéder la dette fiscale de Gestion au montant de 18 749,70 $.

[35]          L'intimée a droit à ses dépens. Toutefois, comme les appels ont été entendus sur preuve commune, ceux reliés aux services d'un avocat pour la préparation et la tenue de l'audience sont limités à ceux qui seraient applicables dans le cas d'un seul appel.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de novembre 2002.

« P.R. Dussault »

J.C.C.I.

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :                    2000-2217(IT)G et 2000-2218(IT)G

INTITULÉS DES CAUSES :                                                Éric Piuze et La Reine

                                                                                                                Marie-Josée Bonnevile et La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    le 21 novembre 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         l'honorable juge P.R. Dussault

DATE DU JUGEMENT :                                      le 29 novembre 2002

COMPARUTIONS :

Avocat des appelants :                                        Me Gaétan Drolet

Avocat de l'intimée :                                            Me Stéphane Arcelin

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

                                Nom :                                       Me Gaétan Drolet

                                Étude :                                     Avocat

                                Ville :                                                       Ste-Foy (Québec)

Pour l'intimée :                                                       Morris Rosenberg

                                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                                Ottawa, Canada

2000-2217(IT)G

ENTRE :

ÉRIC PIUZE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Marie-Josée Bonneville (2000-2218(IT)G) le 21 novembre 2002 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge P.R. Dussault

Comparutions

Avocat de l'appelant :                                          Me Gaétan Drolet

Avocat de l'intimée :                                            Me Stéphane Arcelin

JUGEMENT

                L'appel de la cotisation établie en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont l'avis est daté du 20 mars 2000 et porte le numéro 30009, est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation pour un montant n'excédant pas 18 749,70 $.

L'intimée a droit à ses dépens. Toutefois, comme l'appel a été entendu sur preuve commune avec celui de Marie-Josée Bonneville (2000-2218(IT)G), les dépens reliés aux services d'un avocat pour la préparation et la tenue de l'audience sont limités à ceux qui seraient applicables à un seul appel.

                Le tout selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de novembre 2002.

« P.R. Dussault »

J.C.C.I.

2000-2218(IT)G

ENTRE :

MARIE-JOSÉE BONNEVILLE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Éric Piuze (2000-2217(IT)G)

le 21 novembre 2002 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge P.R. Dussault

Comparutions

Avocat de l'appelante :                                        Me Gaétan Drolet

Avocat de l'intimée :                                            Me Stéphane Arcelin

JUGEMENT

                L'appel de la cotisation établie en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont l'avis est daté du 23 février 2000 et porte le numéro 18844, est rejeté.

L'intimée a droit à ses dépens. Toutefois, comme l'appel a été entendu sur preuve commune avec celui de Éric Piuze (2000-2217(IT)G), ceux reliés aux services d'un avocat pour la préparation et la tenue de l'audience sont limités à ceux qui seraient applicables à un seul appel.

Le tout selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de novembre 2002.

« P.R. Dussault »

J.C.C.I.

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