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Date: 20021129

Dossier: 1999-3800-IT-G

ENTRE :

MARY ANNE COULSON LAFRAMBOISE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge P.R. Dussault, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'appels de cotisations établies en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) dont les avis sont en date du 24 novembre et du 9 décembre 1998. Par ces cotisations, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a réclamé à l'appelante les sommes de 71 894,59 $ et de 90 196,18 $ respectivement.

[2]            En établissant les cotisations, le ministre a tenu pour acquis les faits énoncés aux alinéas a) à e) du paragraphe 15 de la Réponse modifiée à l'avis d'appel (la « Réponse » ). Ces alinéas se lisent ainsi :

a)              Durant les années d'imposition 1993 à 1997, le Dr Guy Laframboise était le conjoint de l'appelante;

b)             Au cours des années d'imposition 1994, 1995, 1996 et 1997, la Régie de l'assurance-maladie du Québec a déposé des sommes gagnées par le Dr Guy Laframboise totalisant 162 090,77 $ au compte bancaire de l'appelante, folio 001916 de la Caisse populaire Desjardins Luskville selon la cédule suivante :

Durant l'année 1994 :           

37 062,25 $

Du 1er janvier 1995 au 20 juin 1995 :

25 019,76 $

Du 30 juin 1995 au 31 décembre 1995 :

30 896,51 $

Du 1er janvier 1996 au 31 décembre 1996 :

59 299,67 $

Du 14 janvier 1997 au 25 mars 1997 :

9 812,58 $

c)              L'appelante n'a donné aucune contrepartie à l'égard de ces transferts de fonds en argent.

d)             Le total de tous les montants que l'auteur du transfert, le Dr Guy Laframboise, était tenu de payer en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, au cours ou à l'égard des années d'imposition pendant lesquelles les fonds ont été transférés ou lors de toute année d'imposition antérieure, s'élevait, au 31 décembre 1997, à 254 544.93 $ réparti comme suit :

Dette relative à l'année 1993 :

57 665,55 $

Dette relative à l'année 1994 :

64 464,65 $

Dette relative à l'année 1995 :

87 458,91 $

Dette relative à l'année 1996 :

41 811,56 $

Dette relative à l'année 1997 :

3 144,26 $

e)              L'appelante et le Dr Guy Laframboise sont conjointement et solidairement responsables du paiement des montants de 71 894,59 $ et de 90 196,18 $ qui sont le moindre de la juste valeur marchande des fonds transférés en sus de la juste valeur marchande de la contrepartie donnée pour ces fonds et du total des montants que le Dr Laframboise était tenu de payer en#vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, au cours ou à l'égard des années d'imposition pendant lesquelles les fonds ont été transférés ou lors de toute année d'imposition antérieure.

[3]            En 1998, l'appelante a donc fait l'objet de cotisations en vertu de l'article 160 de la Loi pour un montant total de 162 090,77 $. Ce montant représente des fonds déposés par la Régie de l'assurance maladie du Québec ( « RAMQ » ) dans le compte 1916 de la Caisse populaire Desjardins Luskville. Il s'agit de certaines sommes gagnées à titre de médecin par le conjoint de l'appelante, le Dr Guy Laframboise au cours des années 1994 à 1997 inclusivement.

[4]            Le montant total de ces dépôts n'est pas contesté. La dette fiscale du Dr Laframboise pour les années 1993 à 1997, qui s'élevait à 254 544,93 $, n'est pas non plus contestée. En réalité, cette dette fiscale résulte de nouvelles cotisations refusant les pertes d'entreprise réclamées par le Dr Laframboise relativement aux activités d'une ferme et d'un centre équestre exploités sur la propriété de l'appelante à Luskville (Québec).

[5]            C'est en mai 1970 que l'appelante a fait l'acquisition d'une ferme d'environ 190 acres à Luskville pour une somme de 55 000 $. Le Dr Laframboise paya une somme de 5 000 $ comptant et le vendeur consentit un crédit pour le solde. L'acheteur indiqué au contrat est l'appelante « in trust » . Dans une déclaration notariée datée du 9 août 1979, l'appelante affirmait que cet achat « in trust » avait été fait pour elle-même personnellement et qu'elle était la seule propriétaire de la ferme acquise en 1970.

[6]            Peu après l'acquisition, la famille Coulson-Laframboise emménagea à la ferme et y établit un centre équestre exploité sous le nom de « Ferme de la Montagne - Farm of the Mountain » . Les activités étaient dirigées par l'appelante, qui connaissait bien l'élevage des chevaux ainsi que l'entraînement des chevaux et des cavaliers pour les sports équestres. Ces activités étaient financées par les revenus tirés de la pension pour chevaux et de l'entraînement. Les déficits étaient financés par le revenu professionnel du Dr Laframboise.

[7]            Au cours des années, il y eut plusieurs aménagements, des rénovations ainsi que l'ajout de bâtiments à la ferme, le tout étant financé, du moins en partie, grâce à deux emprunts contractés par l'appelante auprès d'une société dont sa famille était propriétaire.

[8]            Durant plus de 25 ans, les activités de la ferme et du centre équestre ne générèrent que des pertes, qui ont été déclarées par le Dr Laframboise en réduction du revenu tiré de l'exercice de sa profession de médecin. Les pertes pour les années 1993 à 1996 se sont élevées à 55 151 $, à 62 438 $, à 51 040 $ et à 55 643 $ respectivement. Toutefois, pour l'année 1996 la perte déduite par le Dr Laframboise dans sa déclaration de revenu n'a été que de 8 750 $.

[9]            À la suite d'une vérification, la déduction des pertes pour les années 1993 à 1997 fut refusée, ce qui entraîna pour le Dr Laframboise une dette fiscale de 254 544,93 $ au 31 décembre 1997.

[10]          Peu après l'établissement des cotisations, le Dr Laframboise, incapable d'acquitter cette dette, faisait cession de ses biens en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité le 1er avril 1997.

[11]          Bien que la ferme dans son ensemble ait eu, à l'époque, une valeur de plus de 880 000 $, aucun actif s'y rapportant ne figure dans le bilan de faillite du Dr Laframboise puisque les titres sont au nom de l'appelante. Aussi, bien que le Dr Laframboise se prétende le propriétaire réel de la ferme et quoique ce soit lui qui en a financé les déficits au cours des années et qui a déduit les pertes d'exploitation pour chaque année, aucun document relatif à la faillite signé par le Dr Laframboise lui-même ne porte une référence quelconque à l'exploitation de la ferme et du centre équestre par lui-même (voir la pièce R-1, onglet 16). D'abord, le bilan signé et soumis par lui est celui d'un failli non-commerçant et il ne fait état d'aucun actif relié à la ferme ou au centre équestre. Au questionnaire joint au bilan, à la question suivante : « Avez-vous fait affaires à votre compte durant les 5 dernières années?/Have you been self-employed in the last 5 years ? » la réponse donnée est affirmative, et l'explication fournie en bas de page relativement à cette réponse affirmative est « As a medical doctor » , ce qui est également indiqué comme étant l'emploi du Dr Laframboise. Concernant le sommaire mensuel des revenus et des dépenses, il ne s'y trouve aucune référence à quoi que ce soit qui ait un rapport de près ou de loin avec la ferme ou le centre équestre.

[12]          D'ailleurs, lors de son témoignage, le Dr Laframboise déclarait ce qui suit concernant son incapacité à acquitter la dette fiscale découlant des nouvelles cotisations[1] :

...

Q.             Why you say that you cannot ... you could not face the amount of the reassessment?

A.             Pardon?

Q.             Why weren't you able to pay for the amount claimed by ...

A.             Ah! I didn't have the money to pay for it.

Q.             What about other assets?

A.             I had no other assets, I had no other assets.

Q.             But the building, the premises, the ...

A.             That was all on the farm, I had no other assets at all.

Q.             And who owns the farm?

A.             The farm is mine but it's in my wife's name on the advice of my accountants. Way back when we started.

...

[13]          Libéré de sa faillite en février 1998 (voir la pièce R-1, onglet 24), le Dr Laframboise faisait une proposition à ses créanciers en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité en mars 2001 (pièce R-1, onglet 26). Ici encore, dans le bilan d'un débiteur non-commerçant, signé par lui-même, le Dr Laframboise ne fait état d'aucun actif ayant une relation quelconque avec la Ferme de la Montagne. À la question de savoir s'il avait « exploité une entreprise durant les 5 dernières années » il a répondu « non » . De plus, dans le budget mensuel des revenus et dépenses qu'il a soumis, il n'y a absolument rien qui se rapporte aux activités de la Ferme de la Montagne.

[14]          Malgré tout, c'est le Dr Laframboise lui-même qui a déduit pour toutes les années, et plus particulièrement pour les années 1993 à 1997, les pertes résultant de l'exploitation de la Ferme de la Montagne. Qui plus est, alors qu'il prétendait n'avoir aucun actif, il a même réclamé une déduction pour amortissement, notamment en 1993, 1994 et 1995 (voir la pièce R-1, onglets 18, 19 et 20). Je note toutefois que, pour l'année 1998, c'est l'appelante qui a déclaré à la fois une perte d'entreprise et une perte agricole restreinte (pièce R-1, onglet 17).

[15]          Par ailleurs, plusieurs documents soumis en preuve lors du contre-interrogatoire du Dr Laframboise et de l'appelante de même que lors du témoignage de madame Pierrette Joanisse, directrice des services aux membres à la Caisse populaire de Masham-Luskville, ainsi que de celui de monsieur Raymond Allard, agent de recouvrement à l'Agence des douanes et du revenu du Canada, contiennent des indices importants selon lesquels l'appelante serait et aurait toujours été, en droit, non seulement la propriétaire de la Ferme de la Montagne, mais également la propriétaire unique de l'entreprise qui y était exploitée.

[16]          Un premier document en date du 19 mars 1993 intitulé « Feuille de route - Dossier de compte courant » de la Caisse populaire Desjardins-Luskville et portant le nom de la Ferme de la Montagne indique concernant le folio 1445 que l'appelante est propriétaire unique du centre équestre, qu'elle est en affaires depuis avril 1980 et qu'un autre compte, le folio 1916, est aussi ouvert relativement à cette entreprise (pièce R-1, onglet 6).

[17]          Un bilan personnel au nom de l'appelante, fourni à la même institution et daté du 20 mars 1996, indique en ce qui concerne la Ferme de la Montagne que l'appelante en est la seule propriétaire ( « Sole owner » ) (pièce R-1, onglet 8). Une demande d'emprunt à la Caisse en date du 24 avril 1996 faite au nom de la Ferme de la Montagne, indique que l'appelante en est propriétaire à 100 p. 100 et que c'est aussi elle qui a contracté des emprunts en janvier 1992, en mai 1993 et en mars 1996 (pièce R-1, onglet 7). De plus, un formulaire rempli par l'appelante le 9 avril 1996 à l'intention de l'inspecteur général des institutions financières atteste qu'elle exploite une entreprise individuelle, soit une ferme équestre, sous le nom de Ferme de la Montagne du Pontiac (pièce R-1, onglet 5). On trouve également, parmi les documents présentés par l'intimée, un document en provenance de Axa Boréal Assurances Agricoles Inc. faisant état d'une assurance au nom de l'appelante couvrant non seulement tous les bâtiments et l'équipement de la ferme, mais également l'interruption des activités de l'entreprise (pièce R-1, onglet 25).

[18]          Bien que tant l'appelante que le Dr Laframboise aient tenté de minimiser la portée et l'importance des documents produits en preuve par l'intimée en donnant des explications vagues, confuses et souvent contradictoires, et notamment en rejetant la responsabilité de la confection de certains documents sur autrui, entre autres leur comptable et le syndic de faillite, l'ensemble de la preuve présentée ne mène qu'à une seule conclusion, soit celle selon laquelle c'est l'appelante elle-même, et non le Dr Laframboise, qui était propriétaire de la ferme équestre et qui l'exploitait sous le nom de Ferme de la Montagne.

[19]          Qu'en est-il maintenant de la propriété du compte 1916 de la Caisse populaire et de l'utilisation des fonds qui ont été transférés par la RAMQ en paiement d'honoraires gagnés par le Dr Laframboise au cours de la période s'étendant du 1er janvier 1994 au 25 mars 1997?

[20]          D'abord, il importe de mentionner que le formulaire ou la carte d'ouverture du compte 1916 de la Caisse populaire n'a pas été soumis en preuve. Toutefois, les chèques préimprimés produits en preuve pour les années 1994, 1995 et 1996, qui ont été utilisés relativement à ce compte, indiquent les deux noms de GUY/MARY ANNE LAFRAMBOISE jusqu'au 5 août 1996 environ, alors que la nouvelle série de chèques commençant avec le numéro 001 est au nom de « FARM OF THE MOUNTAIN - FERME DE LA MONTAGNE » . Par ailleurs, les relevés mensuels des transactions établis par la Caisse populaire de 1994 à 1997 (pièce A-1) sont également aux deux noms de Guy et M.A. Laframboise pour 1994, pour 1995 et jusqu'en mars 1996. Pour le mois d'avril 1996, le relevé est au nom de « FARM OF THE MOUNTAIN - FERME DE LA MONTAGNE » et par la suite, jusqu'au 31 mars 1997, les relevés sont au nom de « FARM OF THE MOUNTAIN PONTIAC - FERME DE LA MONTAGNE PONTIAC » .

[21]          Du témoignage du Dr Laframboise et de l'appelante, il ressort que c'est cette dernière qui s'occupait de tout, tant de la gestion de la ferme et du centre équestre que de celle des affaires domestiques. D'ailleurs, la presque totalité sinon la totalité des chèques soumis en preuve relativement au compte 1916 (voir les pièces A-2 à A-5) portent sa signature. Toutefois, dans son témoignage, l'appelante a admis ne tenir aucune comptabilité distincte et séparée concernant la gestion des activités commerciales. Un document présenté comme un journal « caisse-déboursés » relatif au compte 1916 de la Caisse populaire pour chacune des années 1994 à 1997 et préparé par le comptable de l'appelante (pièces A-2 à A-5) confirme d'ailleurs que le compte 1916 était utilisé indifféremment pour payer tant les dépenses reliées à l'exploitation commerciale que celles de nature purement personnelle comme la nourriture et les vêtements. Il est à noter que même après le changement du nom du titulaire le 1er avril 1996, le compte a servi pour payer tant les dépenses reliées à l'exploitation de la ferme que les dépenses personnelles du couple Coulson-Laframboise. En réalité, le document confectionné par le comptable de l'appelante pour chacune des années classe plusieurs centaines de chèques, de retraits et de transferts sous une dizaine de rubriques en ajoutant une brève explication pour chacun, et ces explications sont loin d'être toujours satisfaisantes quant à l'utilisation véritable des fonds. À titre d'exemple, pour des retraits en argent « au comptoir » , classés sous la rubrique « Guy & M.A. » , l'explication fournie est simplement « Autres dépenses communes » .

[22]          Dans son témoignage, l'appelante a dit souscrire au contenu de ces documents, qui auraient été préparés par son comptable avant l'interrogatoire préalable, manifestement dans le but de mettre un peu d'ordre dans ce qui n'en avait pas et de départager les dépenses se rapportant à l'exploitation de la ferme équestre et les dépenses strictement personnelles, soit celles communes au couple Coulson-Laframboise, soit celles de l'un ou l'autre des conjoints, soit encore celles indiquées comme se rapportant à la maison. Au cours du contre-interrogatoire, l'appelante a fourni quelques brèves explications concernant un nombre limité d'éléments sur lesquels elle a été interrogée; ainsi, il n'y a pas eu de contestation sérieuse d'un certain nombre d'éléments douteux de dépenses inclus dans le total des dépenses personnelles plutôt que dans le total de celles reliées à l'exploitation de la ferme. C'est l'ensemble des dépenses personnelles classées sous les rubriques « Maison » , « Guy & M.A. » , « Guy » et « M.A. » que l'avocat de l'appelante regroupe et qualifie globalement de « frais de subsistance » . Par ailleurs, il importe de noter que l'appelante n'a pu de quelque façon que ce soit concilier le total des dépenses inscrites sous les rubriques « Grange » et « Ferme » ainsi que « Transfert-Folio 1445 » pour chacune des années avec le total de celles déduites par le Dr Laframboise relativement à l'exploitation de la ferme dans ses déclarations de revenu pour les années correspondantes.

[23]          Dans ses Notes et autorités, aux pages 5 et 6, l'avocat de l'appelante résume sa position de la façon suivante :

1.              Jusqu'en avril 1996, les sommes n'ont pas été transférées par le Dr Laframboise en faveur de Mme Laframboise mais ont plutôt été conservées en pleine propriété par le Dr Laframboise à l'exception d'une somme de 55 352,33 $, soit pour la période subséquente à avril 1996 où le compte a cessé d'être un compte conjoint pour devenir un compte ouvert de « Ferme de la Montagne » ;

2.              En ce qui a trait à un montant de 129 663,82 $, il s'agit d'un montant transféré dans le cadre de l'exécution par le Dr Laframboise des obligations de frais de subsistance lui incombant aux termes du Code civil du Québec à titre de conjoint de Mme Mary Anne Laframboise, le tout constituant une contrepartie valable d'une valeur égale ou supérieure à ladite somme transférée;

3.              Quant aux sommes décaissées pour l'exploitation de l'entreprise agricole, il s'agit de sommes gérées par Mme Laframboise à titre de responsable de l'exploitation de l'entreprise agricole du Dr Laframboise et celle-ci n'a aucunement bénéficié desdites sommes à des fins personnelles mais s'est plutôt vue confier la responsabilité de la gestion de ces sommes à titre de gérante des affaires du Dr Laframboise, soit de son entreprise agricole.

[24]          Quant aux avocats de l'intimée, le résumé de leur position tient dans les propositions suivantes que l'on trouve aux pages 13 et suivantes de leurs arguments écrits :

A)            La ferme de la Montagne était titulaire du compte 1916 de la Caisse au cours de la période s'échelonnant du 1er janvier 1994 au 31 mars 1997.

...

B)             L'appelante est la propriétaire-exploitante de la Ferme de la Montagne.

...

C)             Le dépôt des honoraires professionnels du Dr Laframboise dans le compte 1916 constitue un transfert de biens à l'appelante selon les termes de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

                ...

D)             L'appelante n'a versé aucune contrepartie pour les dépôts effectués dans le compte 1916.

                ...

[25]          En réalité, l'avocat de l'appelante soutient que c'est le Dr Laframboise qui était le propriétaire-exploitant de la Ferme de la Montagne et que l'appelante n'en était que la gérante. Selon l'avocat, le dépôt de sommes appartenant au Dr Laframboise par la RAMQ a été fait dans un compte qui était conjoint du 1er janvier 1994 au 31 mars 1996, puis, jusqu'en mars 1997, le dépôt s'est fait dans un compte de la Ferme de la Montagne, qui lui appartenait. La totalité des sommes ainsi versées aurait donc été utilisée par le Dr Laframboise soit pour acquitter les « frais de subsistance » du couple en exécution de ses obligations découlant du Code civil du Québec, soit pour exploiter sa propre entreprise agricole, laquelle était simplement gérée par l'appelante. Dans les circonstances, il n'y aurait eu aucun transfert sans contrepartie à l'appelante, de sorte que l'article 160 de la Loi serait inapplicable en l'espèce.

[26]          Quant aux avocats de l'intimée, ils soutiennent que la Ferme de la Montagne appartenait à l'appelante et que le compte 1916 de la Caisse populaire, dont la Ferme de la Montagne était titulaire de 1994 à 1997, appartenait lui aussi à l'appelante. Comme le compte était utilisé pour financer les activités de la ferme et du centre équestre et que l'appelante n'a pu concilier le total des décaissements sous les rubriques « Ferme » , « Grange » et « Transfert-Folio 1445 » (ce compte étant aussi associé à l'exploitation de l'entreprise) avec les dépenses déduites par le Dr Laframboise relativement à l'exploitation de la Ferme de la Montagne, ils concluent à la page 11, au paragraphe 42, de leurs arguments écrits que « l'appelante n'a pas été en mesure de prouver qu'une partie des honoraires professionnels déposés dans le compte 1916 représentait la contribution du Dr Laframboise aux dépenses familiales . »

[27]          L'analyse de la preuve présentée me conduit à des conclusions différentes de celles soutenues par les avocats des parties.

[28]          D'abord, contrairement à l'avocat de l'appelante, j'estime, pour les raisons expliquées en détail plus haut, que la preuve démontre de façon prépondérante que c'est l'appelante qui était la propriétaire-exploitante de la Ferme de la Montagne au cours de la période en litige. Deuxièmement, contrairement à ce que soutiennent les avocats de l'intimée, le compte 1916 de la Caisse populaire n'était pas un compte appartenant exclusivement à la Ferme de la Montagne et donc à l'appelante; du moins, il ne l'était pas jusqu'au 1er avril 1996. Il s'agissait d'un compte conjoint du Dr Laframboise et de l'appelante. À mon avis, ce n'est qu'à compter du 1er avril 1996, quand il y a eu changement de titulaires et que la Ferme de la Montagne en est devenue titulaire, que l'on peut prétendre qu'il appartenait à l'appelante.

[29]          Troisièmement, contrairement à ce que prétendent les avocats de l'intimée, il y a bel et bien eu preuve que le compte 1916 a été utilisé, quelle que soit la période considérée (c'est-à-dire dans la période s'étendant de 1994 au 31 mars 1996 et, par la suite, dans celle du 1er avril 1996 au 31 mars 1997), tant pour payer les dépenses reliées à l'exploitation agricole que pour payer celles que l'on peut qualifier de frais de subsistance du couple Coulson-Laframboise. L'ensemble des documents déposés sous les cotes A-2 à A-5 ne laisse planer aucun doute sur ce point, et bien que l'intimée eût pu, comme je l'ai laissé entendre plus haut, contester de façon explicite la classification faite par le comptable de l'appelante à l'égard d'un certain nombre de dépenses précises, elle ne l'a pas fait. Les avocats de l'intimée ont plutôt insisté sur le fait que l'appelante n'a pu concilier l'ensemble des dépenses indiquées sous les rubriques « Grange » et « Ferme » et « Transfert-Folio 1445 » du compte 1916 pour chacune des années avec le total des dépenses déduites par le Dr Laframboise relativement à l'exploitation de la ferme pour les années correspondantes. Je fais remarquer ici que cette conciliation pouvait difficilement être faite avec le compte 1916 seulement, puisque les documents soumis en preuve par l'intimée établissent qu'un autre compte, le compte 1445, était aussi utilisé pour l'exploitation de l'entreprise et qu'aucun document de la Caisse populaire n'a été soumis en preuve pour établir les rentrées et sorties de fonds dans le cas de ce compte.

[30]          Il est difficile de prétendre que le dépôt dans un compte en banque conjoint de certaines sommes appartenant à un contribuable constitue un transfert de biens à son conjoint, également titulaire du compte, lorsqu'elles servent à acquitter les frais de subsistance du couple qui peuvent être qualifiées de « charges du mariage » . L'obligation pour les époux de contribuer à ces charges à proportion de leurs facultés respectives est clairement énoncée à l'article 396 du Code civil du Québec. Lorsqu'un compte en banque conjoint est utilisé à plusieurs fins ou pour acquitter plusieurs types de dépenses le problème consiste à déterminer correctement les dépenses qui peuvent être considérées comme des « charges du mariage » . Dans le cas présent, le compte 1916 de la Caisse populaire était un compte conjoint pour la période du 1er janvier 1994 au 31 mars 1996. Malgré le classement des dépenses sous une dizaine de rubriques différentes fait par le comptable de l'appelante, elles représentent effectivement soit des dépenses reliées à l'exploitation de la ferme, soit des dépenses qui étaient des dépenses personnelles ou des frais de subsistance de la famille Coulson-Laframboise. Malgré le changement intervenu le 1er avril 1996, quand la Ferme de la Montagne en est devenue titulaire, le compte 1916 a continué à être utilisé pour acquitter ces deux types de dépenses, et le problème encore ici est de déterminer correctement celles qui appartiennent à une catégorie plutôt qu'à l'autre. L'attribution des dépenses, prises individuellement, à une catégorie plutôt qu'à une autre ou le fait que certaines puissent, à juste titre, être qualifiées de « frais de subsistance » ou de « charges du mariage » n'ont pas été contestés par l'intimée.

[31]          Selon les documents déposés en preuve par l'appelante (pièces A-2 à A-5), le total des décaissements du compte 1916 au cours de la période du 1er janvier 1994 au 31 mars 1997 a été de 457 321,41 $. L'avocat de l'appelante a établi que, sur ce total, il y avait 129 663,82 $ qui représentaient des « frais de subsistance » , donc une proportion de 28,35 p. 100. Le solde constituerait le montant total des dépenses attribuables à l'exploitation de la ferme.

[32]          Comme aucune des parties n'a pu établir l'utilisation exacte ou même prioritaire - soit pour l'exploitation de la ferme, soit pour acquitter les frais de subsistance du couple Coulson-Laframboise - des 162 090,77 $ déposés par la RAMQ dans le compte 1916 de la Caisse populaire, j'estime que 28,35 p. 100 des sommes déposées soit un montant de 45 952,73 $, a servi à acquitter les « frais de subsistance » et que le solde, soit un montant de 116 138,04 $, a servi à acquitter les dépenses reliées à l'exploitation de la ferme, propriété de l'appelante.

[33]          En conséquence de ce qui précède, j'estime que le montant total de la cotisation doit être réduit de 162 090,77 $ à 116 138,04 $. Compte tenu de la preuve présentée, ce montant réduit est le seul, à mon avis, qui peut faire l'objet d'une cotisation en vertu de l'article 160 de la Loi comme représentant un transfert sans contrepartie du Dr Laframboise à l'appelante pour l'exploitation de la ferme appartenant à cette dernière.

[34]          L'appel est admis et les cotisations du 24 novembre et du 9 décembre 1998 sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation pour un montant total de 116 138,04 $. Comme les cotisations sont maintenues en grande partie, l'intimée a droit à ses dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de novembre 2002.

« P.R. Dussault »

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :                                        1999-3800(IT)G

                                                                                                               

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                                 Mary Anne Coulson Laframboise

                                                                                                                                et Sa Majesté La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    le 25 juin 2002

NOTES ET AUTORITÉS DE L'APPELANTE :                 le 28 août 2002

ARGUMENTS ÉCRITS DE L'INTIMÉE :                           le 2 octobre 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                                         l'honorable juge P.R. Dussault

DATE DU JUGEMENT :                                                      le 29 novembre 2002

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelante :                                                        Me Serge Fournier

                                                                                               

Avocats de l'intimée :                                                          Me Nathalie Labbé

Me Yanick Houle

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

                                Nom :                                                       Me Serge Fournier

                                Étude :                                                     Brouillette, Charpentier, Fortin

                                Ville :                                                                       Montréal (Québec)

Pour l'intimée :                                                                       Morris Rosenberg

                                                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                                                Ottawa, Canada

1999-3800(IT)G

ENTRE :

MARY ANNE COULSON LAFRAMBOISE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 25 juin 2002 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge P.R. Dussault

Comparutions

Avocat de l'appelante :                                        Me Serge Fournier

Avocats de l'intimée :                                          Me Nathalie Labbé

Me Yanick Houle

JUGEMENT

                Les appels des cotisations établies en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu dont les avis sont datés des 24 novembre et 9 décembre 1998 sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation pour un montant total de 116 138,04 $. Comme les cotisations sont maintenues en grande partie, l'intimée a droit à ses dépens, le tout selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de novembre 2002.

« P.R. Dussault »

J.C.C.I.



[1]           Témoignage du Dr Laframboise, 25 juin 2002, notes sténographiques, page 19.

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