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Date : 20020409

Dossier : 2001-3051-EI

ENTRE :

DEWEY JOHN DEVRIES,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1]            L'appelant interjette appel d'une décision datée du 11 juin 2001 par laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a décidé que l'emploi de l'appelant pendant la période du 1er janvier 1999 au 31 juillet 2000 pour 322842 BC Ltd. ( « BCL » ) et 7788 Holdings Ltd. ( « Holdings » ), faisant affaires sous la raison sociale Newton Omniplex ( « Omniplex » ou le « payeur » ), constituait un emploi assurable malgré le fait que l'appelant était lié à l'employeur, parce que le ministre a conclu que l'employeur aurait engagé une personne non liée pour s'acquitter des mêmes tâches en vertu d'un contrat de travail à peu près semblable.

[2]            L'appelant Dewey DeVries a témoigné qu'il travaillait à titre de gestionnaire immobilier pour Omniplex, raison sociale de la coentreprise formée de BCL et de Holdings, et que des chèques de paie à son ordre lui avaient été remis pendant la période en cause. Toutes les actions avec droit de vote de Holdings sont détenues par une société dénommée R-12 Holdings Ltd. ( « R-12 » ), et toutes les actions avec droit de vote de R-12 appartiennent aux parents de l'appelant. Les actions avec droit de vote de BCL sont détenues par des personnes non liées à l'appelant. M. DeVries a expliqué que l'Omniplex consiste en un ensemble de huit immeubles commerciaux répartis sur deux parcelles de terrain à Surrey, en Colombie-Britannique, ayant une superficie respective de dix acres et de cinq acres. La plus grande partie de l'Omniplex a été construite entre 1988 et 1991, les autres immeubles ayant été achetés en 1996. L'appelant a déclaré qu'il avait commencé en 1995 à travailler à titre de gestionnaire immobilier pour la coentreprise, qui faisait affaires sous la raison sociale Omniplex, et qu'il s'occupait de toutes les questions liées à la location de locaux à une quarantaine de locataires. À l'époque, il avait 42 ans, mais il avait commencé dès l'âge de quinze ans à travailler pour son père et à participer à la construction des immeubles situés sur la parcelle de dix acres. L'appelant n'avait aucune expérience en gestion immobilière, mais il a été engagé pour superviser l'Omniplex et recevait un salaire de 4 000 $ par mois. De 1988 à 1991, alors qu'il était travailleur de la construction dans l'entreprise de son père, les primes d'assurance-chômage et les cotisations au Régime de pensions du Canada avaient été déduites de son salaire. On a continué de même après son entrée en fonction à titre de gestionnaire immobilier en septembre 1995. Le 6 avril 2000, toutefois, il a demandé à l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) de rendre une décision sur la question de savoir si son emploi pour BCL et Holdings, faisant affaires sous la raison sociale Omniplex, était assurable. À son avis, son emploi était exclu et il a demandé une décision pour la période commençant en septembre 1995. En raison des contraintes établies par la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ), l'examen de la période antérieure au 1er janvier 1997 était prescrit, et la décision remise à l'appelant le 31 juillet 2000 ne concernait que la période du 1er janvier 1999 au 31 juillet 2000. L'appelant a été informé que son emploi pour Omniplex constituait un emploi assurable, et cette décision a ultérieurement été confirmée par le ministre. L'appelant a déclaré que ses fonctions n'avaient pratiquement pas changé depuis septembre 1995, mais que son salaire était passé à 4 500 $ par mois et qu'il disposait désormais d'une voiture de fonction. Omniplex a six employés à temps plein et embauche un certain nombre d'employés à temps partiel selon ses besoins pendant l'été et lors de périodes de grande activité. L'appelant a affirmé que quatre des employés à temps plein reçoivent un salaire mensuel et que le cinquième est payé à l'heure. L'appelant a déclaré qu'il devait, à titre de gestionnaire immobilier, traiter avec les locataires, négocier les modalités des baux et superviser le personnel d'entretien. À l'occasion, puisqu'il avait de l'expérience dans la construction, il s'occupait de rénovations dans certains locaux du complexe immobilier. Les taux de location étaient établis lors de réunions d'un comité de gestion composé de cinq membres, soit l'appelant et des représentants des deux coentrepreneurs, BCL et Holdings. Les parents de l'appelant, Dewey et Dina DeVries, siégeaient au comité à titre d'actionnaires détenant toutes les actions avec droit de vote de R-12. Les représentants de BCL au comité étaient Phillip Unger et sa fille, Janice Chapman. Le salaire annuel de l'appelant, soit 54 000 $, était fixé par le comité de gestion, mais l'appelant a déclaré que la décision à cet égard revenait en fait à son père et à Phillip Unger. L'appelant et Janice Chapman étaient payés deux fois par mois, alors que Phillip Unger et M. et Mme DeVries étaient payés une fois par mois. Le surveillant de l'entretien, qui travaillait à temps plein, n'était pas lié aux familles Unger et DeVries. L'appelant bénéficiait d'une police d'assurance-maladie et d'une police d'assurance des soins dentaires, ainsi que de trois semaines de congés payés par année. Il n'avait pas à régler les factures de son téléphone cellulaire et de son téléavertisseur, et Omniplex lui remboursait les dépenses engagées dans le cadre de ses fonctions. Il avait un pouvoir de signature illimité sur le compte d'Omniplex et avait le droit de lier la coentreprise aux termes d'un contrat de bail, habituellement d'une durée de cinq ans, avec n'importe quel locataire. Les parents de l'appelant et Phillip Unger passaient beaucoup de temps ailleurs qu'à Surrey (Colombie-Britannique), et la gestion au jour le jour des affaires était confiée à l'appelant et à Janice Chapman. Dewey DeVries a affirmé que s'il était incapable de s'acquitter de ses tâches à titre de gestionnaire immobilier pour Omniplex, l'un de ses cinq frères et soeurs assumerait ses fonctions, peu importe sa compétence ou son aptitude dans ce domaine. Étant donné que la participation des DeVries aînés dans Omniplex représentait l'intégralité de leur investissement commercial, l'appelant s'attendait à ce que son père, Janice Chapman ou les deux à la fois soient tenus de superviser tout nouveau gestionnaire immobilier pendant qu'il apprend le travail. L'appelant a cependant insisté sur le fait qu'un membre de la famille DeVries ou de la famille Unger-Chapman serait embauché pour ce poste, et non une personne de l'extérieur, et que certaines de ses tâches actuelles pourraient être confiées en sous-traitance à un fournisseur de services de gestion. Quant à sa rémunération, l'appelant a affirmé qu'il n'a pas comparé son salaire à celui de ses confrères dans l'industrie, mais qu'il était convaincu que son père, tout en restant une personne frugale, était un homme d'affaires raisonnable et lui avait versé un salaire convenable pour son travail au sein de l'entreprise Omniplex et d'autres entreprises exploitées par la famille au cours des trente dernières années. L'appelant a affirmé qu'il était administrateur de R-12 et que lui et ses frères et soeurs détenaient des actions avec dividendes mais sans droit de vote de la classe C-H, et qu'il existait un mécanisme établi afin d'assurer la dévolution ordonnée, à l'appelant et à ses frères et soeurs, des différents avoirs des DeVries aînés, y compris leurs actions de R-12. L'appelant a conclu son témoignage en affirmant qu'à son avis, le poste de gestionnaire immobilier pour Omniplex avait été créé spécialement pour lui.

[3]            Lors du contre-interrogatoire, l'appelant a affirmé qu'il s'était perfectionné dans son travail au fil des ans, et qu'on « ne lui faisait pas la vie facile » tout simplement parce qu'il était lié aux actionnaires dominants de Holdings, l'une des sociétés associées à l'entreprise Omniplex. Son chèque de paie mensuel de 4 500 $ était signé par lui-même et par Janice Chapman, qui touchait également un salaire de 4 500 $ par mois. L'appelant avait des heures de travail normales de 7 h 30 à 16 h, du lundi au vendredi. Quant à Mme Chapman, elle avait moins d'heures de travail, mais sa charge de travail était variée et moins régulière. L'appelant a convenu que sa rémunération n'avait rien à voir avec la rentabilité d'Omniplex. Il recevait une prime de Noël de 2 500 $, tout comme Janice Chapman, alors que le surveillant de l'entretien, qui était une personne non liée, recevait 20,32 $ par heure et avait une prime de Noël de 1 500 $. Lorsque Phillip Unger et M. et Mme DeVries se trouvaient à Surrey, le comité de gestion se réunissait hebdomadairement. L'appelant a indiqué qu'il présentait des rapports et qu'on discutait de différentes questions, notamment des relations avec les locataires, des locaux vacants, des taux de location ciblés et d'autres questions touchant les locaux commerciaux administrés par la coentreprise. L'avocate a souligné que la mère de l'appelant avait rempli un questionnaire en indiquant que des compétences en construction étaient nécessaires pour occuper le poste de gestionnaire immobilier. L'appelant a déclaré ne pas considérer de telles compétences comme essentielles, mais qu'elles étaient utiles pour s'acquitter des différentes tâches. Étant donné qu'Omniplex n'était pas une personne morale mais tout simplement une raison sociale utile, l'appelant, en sa capacité d'administrateur, signait les baux au nom de Holdings, et Janice Chapman signait au nom de BCL. Les outils et matériaux nécessaires à l'exécution de ses tâches lui étaient tous fournis. L'appelant a reconnu que son poste était nécessaire et a déclaré que, même si l'Omniplex est maintenant louée à 100 p. 100, il y généralement des locaux vacants. Dans le cadre de ses fonctions à titre de gestionnaire immobilier, il recevait tous les jours plusieurs appels de locataires au sujet de questions liées aux locaux qu'ils occupaient dans l'Omniplex.

[4]            L'appelant a soutenu qu'il devait être considéré comme une personne qui ne détenait pas un emploi assurable chez le payeur parce qu'il travaillait dans une entreprise familiale, comme il le faisait depuis trente ans. À son avis, ses intérêts financiers et ceux de toute la famille DeVries sont étroitement liés à l'entreprise appelée Omniplex. À ce propos, l'appelant a rappelé l'ampleur de son autorité et de son contrôle et le fait qu'il est administrateur de Holdings, qui détient 50 p. 100 d'Omniplex. Par conséquent, sa responsabilité est engagée à différents égards, et il ne reçoit aucune rémunération pour ses heures de travail supplémentaires. L'un dans l'autre, l'appelant estime qu'une personne non liée n'aurait pas été embauchée pour s'acquitter des fonctions de gestionnaire immobilier aux termes d'un contrat de travail à peu près semblable.

[5]            L'avocate de l'intimé a déclaré que la preuve montrait que l'appelant était hautement compétent et dur à la tâche et s'acquittait de fonctions importantes. Même si on n'utilisait pas le titre de gestionnaire immobilier avant septembre 1995, il est clair que ce travail devait être accompli, et d'ailleurs le père de l'appelant avait lui-même déjà assumé ces mêmes fonctions. L'avocate a ajouté que le salaire de l'appelant était raisonnable pour son type d'emploi, que ses heures de travail étaient normales et que l'employé non lié avait reçu une prime de Noël comparable, toute proportion gardée, à celle reçue par l'appelant et par Janice Chapman. Dans l'ensemble, l'avocate a estimé que la décision du ministre était bien fondée et qu'elle devait être confirmée.

[6]            Dans l'affaire Crawford and Co c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.I. no 850 (8 décembre 1999, le juge suppléant Porter, C.C.I.), le juge Porter s'est penché sur les appels faits par trois employés d'une société, dont deux étaient des frères, qui étaient des personnes liées en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. En ce qui concerne les frères, le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'alinéa 5(3)b) de la Loi. Le juge Porter a discuté de l'obstacle à surmonter par les parties liées qui ont des rapports d'emploi, et à la page 25 de sa décision, aux paragraphes 59 et suivants, il a affirmé ceci :

[59]          La rigueur de cette disposition a toutefois été atténuée par l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'a.-e., lequel prévoit qu'un emploi dans un cas où l'employeur et l'employé sont des personnes liées est réputé être exercé sans lien de dépendance et peut donc être considéré comme un emploi assurable, s'il remplit toutes les autres conditions, c'est-à-dire si le ministre est convaincu, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance de [sic] travail accompli, qu'il est raisonnable de conclure qu'ils auraient conclu entre eux un contrat à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu (en fait) un lien de dépendance.

[60]          Il pourrait être utile que je reformule la façon dont je comprends cet alinéa. Pour les personnes qui sont liées, la Loi exclut tout droit à des prestations d'assurance, à moins qu'on ne puisse convaincre le ministre que la convention d'emploi est bel et bien la même qu'auraient conclue des personnes non liées, c'est-à-dire des personnes qui n'ont manifestement aucun lien de dépendance. Le Parlement a jugé que, s'il s'agit d'un contrat de travail à peu près semblable, il devrait en toute équité être inclus dans le régime. Toutefois, c'est le ministre qui décide. Sauf s'il est convaincu qu'il y a lieu de l'inclure, l'emploi reste exclu et l'employé n'a pas droit à des prestations

[61]          Le paragraphe 93(3) de la Loi sur l'a.-e. porte sur les appels au ministre et sur le règlement de questions par celui-ci. Il dispose que « [l]e ministre règle la question soulevée par l'appel ou la demande de révision dans les meilleurs délais et notifie le résultat aux personnes concernées. »

[62]          Le ministre est donc tenu de régler la question. La Loi l'exige. Si le ministre n'est pas convaincu, l'emploi reste exclu et l'employé n'a pas droit aux prestations. Si toutefois il est convaincu, sans plus de cérémonie et sans prise d'aucune mesure par le ministre (sauf la communication de la décision), l'employé a droit à des prestations, pourvu qu'il remplisse les autres exigences. Il ne s'agit pas d'un pouvoir discrétionnaire au sens que, si le ministre est convaincu, il peut alors juger que l'emploi est assurable. Il doit « régler la question » et, selon ce qu'il décide, aux termes de la Loi l'emploi est réputé soit comporter un lien de dépendance, soit ne pas en comporter. En ce sens, le ministre n'a pas à proprement parler de pouvoir discrétionnaire à exercer car, en prenant sa décision, il doit agir de façon quasi judiciaire et il n'a pas le droit de faire le choix qui lui plaît. Il ressort des décisions de la Cour d'appel fédérale sur cette question que le même critère s'applique à une multitude d'autres fonctionnaires qui prennent des décisions quasi judiciaires dans de nombreux domaines différents. Voir Tignish Auto Parts Inc. v. M.N.R., 185 N.R. 73, Ferme Émile Richard et Fils Inc. v. M.N.R., 178 N.R. 361, Attorney General of Canada and Jencan Ltd. (1997), 215 N.R. 352 et Her Majesty the Queen and Bayside Drive-in Ltd. (1997), 218 N.R. 150.

[7]            Dans l'affaire Légaré c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.F. no 878, une décision de la Cour d'appel fédérale, le juge Marceau, s'exprimant au nom de la Cour, a affirmé à la page 2 du jugement :

La Cour est ici saisie de deux demandes de contrôle judiciaire portées à l'encontre de deux jugements d'un juge de la Cour canadienne de l'impôt dans des affaires reliées l'une à l'autre et entendues sur preuve commune où se soulevaient une fois de plus les difficultés d'interprétation et d'application de cette disposition d'exception du sous-alinéa 3(2)c)(ii). Une fois de plus, en effet, car plusieurs décisions de la Cour canadienne de l'impôt et plusieurs arrêts de cette Cour se sont déjà penchés sur le sens pratique à donner à ce sous-alinéa 3(2)c)(ii) depuis son adoption en 1990. On voit tout de suite en lisant le texte les problèmes qu'il pose par delà la pauvreté de son libellé, problèmes qui ont trait principalement à la nature du rôle attribué au ministre, à la portée de sa détermination et, par ricochet, à l'étendue du pouvoir général de révision de la Cour canadienne de l'impôt dans le cadre d'un appel sous l'égide des articles 70 et suivants de la Loi.

Les principes applicables pour la solution de ces problèmes ont été abondamment discutés, encore qu'apparemment, à en juger par le nombre de litiges soulevés et les opinions exprimées, leur exposé n'ait pas toujours été pleinement compris. Pour les fins des demandes qui sont devant nous, nous voulons reprendre, en des termes qui pourront peut-être rendre plus compréhensibles nos conclusions, les principales données que ces multiples décisions passées permettent de dégager.

La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre: c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

[8]            La disposition pertinente de la Loi est l'alinéa 5(3)b), libellé ainsi :

l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[9]            Dans l'affaire Craig Brothers Ltd. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1996] A.C.I. no 226, j'ai entendu l'appel d'une société et de membres d'une famille qui, bien que non liés à la société au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu, étaient considérés par le ministre comme ayant des emplois assurables parce qu'ils n'avaient en fait aucun lien de dépendance par rapport à la société. La preuve dans cette affaire a montré que les deux frères Craig et les autres membres de la famille traitaient la société comme une banque familiale et que chacun des appelants, qui gérait l'un des magasins de la société, pouvait prendre de l'argent à son gré dans le compte de celle-ci. J'ai conclu que les gestionnaires, en tant que membres de la famille Craig étendue, et la société étaient si profondément imbriqués que l'entreprise était gérée conformément aux valeurs de la famille et non aux procédures d'une société, aussi souples soient-elles. Les parties avaient le droit de déterminer la politique commerciale de l'entreprise par le fait même qu'ils étaient membres de la famille, et non parce qu'ils étaient membres du conseil d'administration de la société. J'ai conclu que les particuliers appelants n'occupaient pas un emploi assurable parce qu'ils avaient un lien de dépendance par rapport à la société.

[10]          Il me semble qu'il est difficile d'évaluer objectivement s'il est raisonnable de conclure que les parties auraient signé un contrat d'emploi à peu près semblable en l'absence de tout élément de preuve présenté au ministre relativement aux salaires et aux conditions de travail semblables au sein du même secteur d'activité ou d'un secteur connexe. Il est sûrement possible d'avoir recours à un critère permettant d'évaluer un emploi en particulier; sans cela, il faudrait permettre aux parties de faire valoir que, malgré toute déviation par rapport aux pratiques commerciales normales dans un secteur d'activité similaire, elles auraient tout de même conclu le contrat d'emploi pour des motifs purement subjectifs. C'est certainement ce qui se passe lorsque les rôles sont renversés et qu'on refuse d'accorder des prestations parce que les conditions de travail du prestataire pour un employeur lié ne sont pas, au vu de tous les faits, comparables aux conditions de travail normales ou usuelles qui s'appliquent ou devraient s'appliquer à un travailleur non lié aux termes d'un contrat de travail à peu près semblable.

[11]          Dans l'affaire Miller c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) [2001] A.C.I. no 30, j'ai eu à traiter du cas de trois frères qui détenaient chacun 16 p. 100 des actions avec droit de vote du payeur. Les 52 p. 100 restants appartenaient à leurs parents par le truchement d'une société dont ils détenaient 100 p. 100 des actions. Les trois frères étaient administrateurs de la société payeuse. En rendant ma décision dans cette affaire, et après avoir consulté Craig, précité, ainsi que David Putter c. M.R.N., no 1999-457(EI), affaire entendue avec les appels Daniel Putter c. M.R.N., no 1999-456(EI), et Equinox Industries Ltd. c. M.R.N., no 1999-458(EI), j'ai déclaré ce qui suit au paragraphe 26 :

Dans les présents appels, il y avait quand même une indépendance de vues entre les appelants et la société, et chacun des appelants détenait seulement 16 p. 100 des actions de MHL. En droit, chacun des appelants pouvait être mis à pied, et les trois auraient pu être évincés si leurs parents - par l'intermédiaire de Golden Key - avaient exercé les droits qu'ils avaient du fait qu'ils étaient propriétaires de 52 p. 100 des actions de MHL. La protection contre un retrait involontaire du marché du travail - ainsi que la possibilité de verser des prestations à des travailleurs mis à pied - a toujours été la raison d'être du système national d'assurance-chômage/assurance-emploi. Je ne peux conclure sur la foi de la preuve que le ministre n'a pas tenu compte de faits pouvant amener à la conclusion qu'il n'y avait pas d'intérêts économiques opposés entre chaque appelant et le payeur. Chose certaine, Jonathan Miller - le travailleur le plus jeune et le moins expérimenté - recevait un salaire inférieur à celui de ses frères. De plus, il était en voie de prendre toutes les fonctions administratives liées à l'entreprise que Doreen Miller avait remplies pendant 25 ans et il accomplissait certaines tâches sur le chantier.

[12]          Dans l'appel qui nous concerne, le ministre a conclu que l'appelant avait été sous le contrôle du comité de gestion, et que son salaire et son autorité à négocier des baux et à établir les loyers avaient été accordés par ce comité. Il avait des heures de travail normales et recevait une rémunération juste et raisonnable, y compris des congés payés, une voiture de fonction, une police d'assurance-maladie et une police d'assurance de soins dentaires, le tout apparemment selon les normes de l'industrie. L'appelant devait s'acquitter de ses tâches personnellement et le faisait dans le cadre d'une semaine de travail normale, sauf circonstances exceptionnelles exigeant un surcroît de travail. L'appelant recevait son salaire régulièrement et ne devait assumer aucune dépense liée à l'accomplissement de ses fonctions. Sa rémunération n'était pas liée à la rentabilité de Holdings relativement à sa participation dans Omniplex. Sa mère et son père contrôlaient 100 p. 100 des actions avec droit de vote de Holdings, personne morale qui était partenaire à 50 p. 100 de l'entreprise exploitée sous la raison sociale Omniplex. La famille Unger détenait les 50 p. 100 restants par l'intermédiaire de sa société BCL. S'il y avait eu des problèmes relatifs au rendement de l'appelant, la répartition des actions ne l'aurait pas protégé contre le renvoi, car il ne détenait aucune des actions avec droit de vote de Holdings, même s'il siégeait au conseil d'administration de celle-ci. Lorsqu'il signait des baux au nom de Holdings, il le faisait à titre d'administrateur, et les obligations liées à ce rôle découlaient des lois ou de la common law et non de son emploi à titre de gestionnaire immobilier. Lorsqu'on examine les circonstances générales de l'emploi de l'appelant, le tableau qui en résulte est celui d'une personne fiable, responsable, consciencieuse, qui recevait un salaire raisonnable pour s'acquitter de fonctions importantes. Son salaire était peut-être légèrement inférieur à la norme, mais il était également intéressé au bien-être de Holdings en tant que membre de la famille et propriétaire d'actions sans droit de vote. Durant ses trente ans de vie professionnelle, il avait choisi de travailler pour des entreprises appartenant à sa famille et exploitées par celle-ci. Ses parents avaient prévu un mécanisme de dévolution, après leur décès, de leur intérêt dans Omniplex à l'appelant et à ses frères et soeurs. Ces facteurs, quoique pertinents, ne changent rien à l'analyse globale des différents signes indicateurs d'un emploi examinés par le ministre dans l'accomplissement de ses tâches en vertu de l'alinéa 5(3)b) de la Loi. Compte tenu de la façon dont l'appelant s'est acquitté de ses fonctions, suivant les directives du comité de gestion, il est difficile de percevoir quels avantages lui ont été offerts qui ne l'auraient pas été à une personne non liée occupant ce poste de cadre, celui de gestionnaire immobilier. Il n'existe certainement aucun élément de preuve suggérant que le droit de l'appelant à hériter de ses parents serait lié à la poursuite de son emploi pour Holdings et à sa participation à la coentreprise Omniplex. Il est possible que la prédiction de l'appelant voulant qu'aucune personne extérieure à la famille ne soit jamais engagée pour remplir ce poste s'avère exacte, mais ce n'est pas pertinent. La question est celle de savoir s'il est raisonnable ou non de conclure que les parties auraient conclu un contrat d'emploi à peu près semblable si elles n'avaient pas entretenu de liens de dépendance entre elles. En l'espèce, la preuve indique que la distinction entre les fonctions de l'appelant à titre de gestionnaire immobilier et ses circonstances personnelles en tant que l'un des enfants plus âgés des DeVries était suffisante pour que le ministre réponde par l'affirmative à cette question.

[13]          Il est bien établi que je ne puis tout simplement remplacer l'opinion du ministre par la mienne. Que j'en arriverais ou non à la même conclusion est sans importance. La jurisprudence exige comme condition préalable à l'intervention de la Cour que je conclue que le ministre a agi de mauvaise foi, de manière arbitraire ou illégale, qu'il a fondé sa décision sur des faits dénués de pertinence ou qu'il n'a pas tenu compte de faits pertinents. Sur examen de l'ensemble de la preuve présentée, je ne peux conclure que le ministre a commis une erreur lorsqu'il a décidé que l'emploi de l'appelant pendant la période pertinente était assurable.

[14]          La décision du ministre est confirmée et l'appel est par conséquent rejeté.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 9e jour d'avril 2002.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 4e jour de décembre 2002.

Yves Bellefeuille, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-3051(EI)

ENTRE :

DEWEY JOHN DEVRIES,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 23 janvier 2002 à Vancouver (Colombie-Britannique) par

l'honorable juge suppléant D. W. Rowe.

Comparutions

Pour l'appelant :                                                     L'appelant lui-même

Avocate de l'intimé :                                             Me Nadine Taylor

JUGEMENT

                L'appel est rejeté et la décision rendue par le ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 9e jour d'avril 2002.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 4e jour de décembre 2002.

Yves Bellefeuille, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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