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Date: 20020722

Dossier: 1999-5028-IT-G

ENTRE :

ALAIN FECTEAU,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]            Ces appels sont pour les années d'imposition 1995 à 1997.

[2]            En moyen principal, il s'agit de savoir : 1) si l'appelant, en 1991, a converti en un bien figurant à l'inventaire, un bien à usage personnel, soit sa résidence principale et 2) si l'appelant peut déduire les pertes locatives pour les trois années 1995 à 1997 comme charges afférentes à une aventure de caractère commercial. En moyen subsidiaire, il s'agit de savoir si l'appelant exerçait une entreprise locative avec ou sans intérêt personnel et s'il peut déduire les pertes de cette entreprise locative.

[3]            Au début de l'audition l'avocat de l'appelant a informé la Cour qu'il abandonnait le premier argument de l'Avis d'appel concernant l'expectative raisonnable de profit de location pour l'argument plaidé subsidiairement dans l'Avis d'appel soit l'affaire de caractère commercial. Il a ajouté que puisque l'appelant est propriétaire conjointement avec son épouse, il ne demande que la moitié des pertes. Il informe aussi la Cour que toute l'information donnée à l'article 20 de l'Avis d'appel est admis par la partie intimée. Ce qui est confirmé par l'avocat de cette dernière.

[4]            Cet article 20 se lit comme suit :

PROJET COMPORTANT UN RISQUE OU UNE AFFAIRE DE CARACTÈRE COMMERCIAL

20.            Subsidiairement, dans la mesure où le tribunal arrive à la conclusion qu'il n'y avait pas d'expectative raisonnable de profit, l'appelant est d'avis que doit être déduite de son revenu pour l'année 1997, une perte d'entreprise au montant de 125 441 $ calculée de la façon suivante, étant donné que l'appelant s'est engagé dans un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial :

Produit de disposition de l'immeuble terrain et bâtisse

Moins frais de disposition

317 000 $

(11 441)

Produit net de disposition de l'immeuble terrain et bâtisse

305 559 $

305 559 $

Moins :

Coût du bien en inventaire

Coût d'inventaire au début

(JVM de l'immeuble en 1991)

Perte nette de location - 1995

Perte nette de location - 1996

Perte nette de location 1997

413 000

6 934

6 733

4 333

431 000 $

431 000 $

Perte d'entreprise sur disposition de l'immeuble

(125 441)$

[5]            Selon l'appelant, il a converti en bien figurant à l'inventaire sa résidence principale dans l'année où il a cessé de l'occuper et à partir de laquelle il a tenté de vendre cette maison à profit. L'avocat de l'intimée n'admet pas qu'il y ait eu conversion à une aventure de nature commerciale car il se fonde sur l'intention de l'appelant au moment de l'acquisition de sa résidence principale. Autrement, s'il y en a une, il admet les différentes valeurs de l'article 20 ci-dessus, y compris la juste valeur marchande du bien en immobilisation en 1991.

[6]            Comme le jugement de la Cour suprême du Canada dans Stewart c. Canada, [2002] A.C.S. no 46 (Q.L.) est intervenu avant que je ne rende ma décision dans cette affaire, j'ai demandé à l'avocat de l'appelant s'il voulait me faire des observations à ce sujet. Il a conservé l'affaire de caractère commercial comme premier point et a proposé comme point subsidiaire que la location de la maison constituait une entreprise locative sans intérêt personnel et que l'appelant avait ainsi droit aux dépenses locatives.

[7]            L'appelant et madame France Vigneault, agent du ministre du Revenu national (le « Ministre » ), ont témoigné à la demande de l'avocat de l'appelant.

[8]            L'appelant a expliqué qu'il était employé en 1989 dans l'administration de AT & T à Montréal. Cette entreprise lui a offert de devenir vice-président marketing et directeur administratif (managing director) de l'entreprise à Toronto. Lui et sa femme ont vendu leur maison située à St-Lazare, près de Montréal. Sa femme a visité une soixantaine de maisons, lui, une quinzaine. Ils ont utilisé les services de trois agents immobiliers. Ils ont fixé leur choix sur une propriété située dans une région de Toronto du nom de Newmarket, un secteur situé dans les environs où se trouve l'industrie de la haute technologie. La maison était située au 963 Creebridge Crescent.

[9]            Selon l'appelant, Toronto anticipait une vague d'immigrants asiatiques à la suite du passage de Hong Kong à la Chine en 1997 et les agents d'immeubles l'ont conseillé relativement aux éléments importants recherchés par ces derniers lors de l'acquisition d'une maison. La maison qu'il a acquise comportait ces caractéristiques. Les agents d'immeubles avaient conseillé l'appelant à ce sujet tel que décrit à l'alinéa 19d) de l'Avis d'appel :

...

d)             D'ailleurs, l'appelant, alors conseillé par des spécialistes sur ce sujet, s'était assuré que la propriété achetée comportait des caractéristiques très recherchées par les Asiatiques dans une résidence, tel que :

-                ne pas être située dans un coin de rue afin d'éviter que les phares d'automobile éclairent directement dans la résidence (le phénomène des « yeux de tigre » );

-                ne pas comporter le chiffre 4 dans l'adresse civique (le chiffre « 4 » ayant la même consonance en chinois que le mot « mort » );

-                ne pas posséder d'escaliers en face de l'entrée principale (escalier Scarlett O'Hara - parce que les « bons esprits » pourraient s'échapper par la porte principale);

-                être assez grande afin d'y construire un logement séparé pour y habiter de la parenté ou une gardienne pour enfants.

[10]          L'appelant et son épouse s'attendaient à ce que les prix des maisons continuent à monter vu que Hong Kong serait remise à la Chine en 1997. Le marché immobilier était alors en pleine expansion. Celui qui lui a vendu la maison l'avait achetée six mois auparavant pour 385 000 $ et l'a revendue 450 000 $.

[11]          En août 1991, lui et sa famille quittent Toronto. Il explique que AT & T avait acquis une autre entreprise soit NCR et qu'il y avait eu nécessité d'abolir plusieurs postes dont le sien. Comme ni lui ni sa famille ne désiraient s'expatrier aux États-Unis, ils sont revenus à Québec. Ils ont d'abord loué puis en juin 1992, ils ont acquis une propriété au Lac Delage.

[12]          La pièce A-2 est une inscription de vente de la propriété de Toronto accordée le 31 octobre 1991. Le prix demandé est 454 900 $. La date d'expiration est le 20 décembre 1991. La pièce A-3 est une autre inscription en date du 29 janvier 1992. Il s'agit d'un mandat de vente ou de louage. La date d'expiration est le 7 avril 1992. Le montant de vente demandé est 444 900 $. Le prix de location est de 3 200 $ par mois. La pièce A-4 est une photocopie d'un journal immobilier publicitaire. Il est en date du 27 mai 1992. On y voit la photo de la propriété de Newmarket. Cette fois le prix demandé est de 414 900 $.

[13]          La pièce A-10 est le rapport de l'agent du Ministre. La question 9 :

9)             Avantage personnel

(i)             Quel avantage personnel le contribuable peut il retirer de son entreprise ou de son bien?

Il avait acquis la résidence dans un premier temps pour l'habiter et par la suite la revendre en réalisant un profit considérable.

La question 4 :

4)             Intentions et plan d'action :

(i)             Est-ce que le contribuable a un plan d'action précis pour rentabiliser son bien locatif ou son entreprise?

Baisse du taux d'intérêt, augmentation de la fréquence des paiements hypothécaires et réévaluation de la bâtisse à la baisse. M. Fecteau a revu à chaque année la valeur marchande et la valeur locative de la propriété en consultant les statistiques sur les transactions de façon à avoir des comparatifs de location et à bien évaluer le moment de la mise en vente.

[14]          Selon la pièce A-8, qui est l'Avis d'opposition, voici ce qu'écrit le comptable du contribuable :

...

Afin de réduire les frais financiers, M. Fecteau a renégocié son hypothèque faisant passer le taux d'intérêt de 11,75 p. 100 à 7,50 p. 100 et a du payer, en 1992, une pénalité de 33 629 $. Ces frais de pénalité n'ont jamais été réclamés à titre de dépense aux fins de la détermination des pertes de location pour les années concernées. Cette renégociation d'hypothèque a provoqué une chute des frais d'intérêts de 36 660 $ en 1992 à 24 161 $ en 1993. ...

...

... M. Fecteau a finalement réussi à louer l'immeuble à M. Aubry en août 1992, pour un montant de 2 000 $ par mois. Ce montant était de loin inférieur à ses attentes. Par la suite, à chaque année, M. Fecteau a tenté d'augmenter le loyer jusqu'en août 1994, où il a réussi à le faire passer à 2 200 $ par mois. Il faut expliquer que le locataire s'occupait admirablement de la maison et tenait M. Fecteau informé des réparations et de l'entretien nécessaire (par exemple : réparation du patio-galerie endommagé par le gel, infiltration d'eau au sous-sol due à une mauvaise configuration des gouttières et du drain français). En outre, en cinq ans, il n'a jamais eu de difficultés à encaisser le loyer.

[15]          En 1997 le locataire quitte les lieux. La compagnie d'assurances informe l'appelant que les polices augmenteront ou encore refusent d'assurer une maison qui n'est pas habitée. L'appelant demande alors à la compagnie qui détenait l'hypothèque si elle veut en acquérir la propriété pour la balance de l'hypothèque. Ce qui est fait au prix de 317 000 $.

Arguments

[16]          L'avocat de l'appelant s'est référé à des articles de journaux parus en 1991 qui font état de la richesse des immigrants de Hong Kong et que leurs villes de prédilection étaient Toronto et Vancouver. Il se réfère à un article paru en 1992 qui relate que l'économie de l'Ontario a été frappée très durement par la récession et que les marchés de l'habitation ne se sont pas encore remis du choc. L'article mentionne aussi que l'afflux des immigrants est l'une des rares forces qui a contribué à stimuler la demande de logements.

[17]          L'avocat de l'appelant a fait état que lorsque l'appelant a quitté sa maison de Toronto, il en a changé l'usage. Il y a eu disposition présumée de la propriété à la juste valeur marchande soit 413 000 $. Cette valeur n'a pas été contestée par l'avocat de l'intimée. De résidence principale la maison est devenue bien à l'inventaire.

[18]          L'avocat de l'appelant s'est référé à la décision du juge McArthur de cette Cour dans Stremler c. La Reine, [2000] A.C.I. no 13 (Q.L.), et à la décision de la Cour suprême du Canada dans Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103. De la décision Stremler, il cite les paragraphes suivants :

2               Les appelants ont acheté les biens par l'entremise de Reemark Properties Ltd., qui faisait la vente d'unités condominiales à usage d'habitation. Les appelants soutiennent qu'ils ont acquis les biens dans le seul but de les revendre à profit et qu'ils étaient donc des négociants dans le domaine immobilier. Le ministre du Revenu national rejette cette prétention et déclare que les biens étaient des immobilisations, que les appelants n'avaient aucune attente raisonnable de profit et qu'ils sont empêchés de qualifier les unités de biens figurant à l'inventaire parce qu'ils les ont déclarés comme des immobilisations dans leurs déclarations de revenu et ont demandé la déduction de pertes locatives découlant de leurs activités de location. Il y a d'autres questions en litige, que je trancherai plus tard.

...

6               Les deux appelants ont affirmé qu'ils avaient acheté les unités dans le but de les revendre. Ils voulaient profiter de l'explosion du marché de l'immobilier dont ils étaient témoins à la fin des années 1980 dans la région de Toronto, où ils habitaient. ...

...

9               La question à trancher est celle de savoir comment les biens doivent être qualifiés le jour de leur achat par les contribuables, compte tenu de l'ensemble des circonstances. La situation de chaque contribuable est unique. Chaque affaire doit être examinée individuellement pour déterminer si, le jour de l'achat, le contribuable avait l'intention de conserver le bien pendant une longue période pour en tirer un revenu de location, en tenant compte des déductions fiscales probables, ou s'il avait l'intention de le vendre à plus ou moins brève échéance.

10             La question de savoir si les appelants ont acquis les biens dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial est une question de fait. Je tiens pour avéré que les deux appelants ont principalement acheté les biens dans l'intention de les revendre. Ils ne les ont pas achetés dans le but de tirer un revenu de l'entreprise de location. Ils étaient des opportunistes, des spéculateurs immobiliers qui suivaient la tendance, c'est-à-dire qu'ils achetaient des biens dans un marché à la hausse dans le but de les revendre à profit quelques années plus tard. Entre-temps, les loyers compenseraient une partie des coûts de possession des unités; en outre, en profitant du plan de Reemark, ils n'auraient pas à débourser beaucoup d'argent personnellement ni à se soucier de la gestion des unités. Leur acquisition était financée environ à 95 p. 100 par une première hypothèque et des billets à ordre, qui tous avaient été obtenus par Reemark. Ils n'avaient même pas à se préoccuper des unités vacantes parce qu'ils avaient conclu une entente de pool locatif de sorte que les répercussions de la non-location des unités étaient assumées par la plupart des propriétaires.

...

13             Les appelants ont convaincu la Cour, après examen de tous les éléments de preuve, que leur intention principale était de vendre les biens aussi rapidement que possible et de réaliser un profit. ...

...

28             Reprenant le raisonnement du juge Iacobucci dans l'arrêt Canderel, je conclus que les frais courants liés aux biens devraient être déduits dans les années au cours desquelles ils ont été engagés. Dans l'arrêt Canderel, il est précisé que la méthode de calcul à utiliser est celle qui reflète le mieux les pertes de revenu du contribuable. ...

[19]          De la décision Friesen, précitée, il cite notamment les paragraphes suivants :

...

(1) Le projet de l'appelant est-il une entreprise?

13             La définition du mot « entreprise » au par. 248(1) inclut expressément un projet comportant un risque de caractère commercial :

« entreprise » ou « affaire » comprend une profession, un métier, un commerce, une manufacture ou une activité de quelque genre que ce soit et, sauf aux fins de l'alinéa 18(2)c), comprend un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial mais ne comprend pas une charge ni un emploi; [Je souligne.]

L'expression « projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial » n'est pas définie dans la Loi, mais elle a un sens établi par la common law.

..

15             La notion de projet comportant un risque de caractère commercial est une création jurisprudentielle visant à départager les opérations d'achat et de vente qui sont de nature commerciale de celles qui tiennent d'une immobilisation. ...

16             La première condition de l'existence d'un projet comportant un risque de caractère commercial est qu'il comporte un « plan visant la réalisation d'un bénéfice » . Le contribuable doit avoir l'intention légitime de tirer un bénéfice de l'opération. ...

17             Le bulletin IT-218R, qui a remplacé le bulletin IT-218 en 1986, énumère un certain nombre de facteurs dont les tribunaux se sont servis pour déterminer si une opération immobilière constitue un projet comportant un risque de caractère commercial qui génère un revenu d'entreprise ou une opération portant sur une immobilisation, impliquant la vente d'un placement. Une attention particulière est accordée à :

(i)             L'intention du contribuable relativement au bien immeuble au moment de l'achat, ses possibilités de réalisation et la mesure dans laquelle cette intention est réalisée. L'intention de revendre la propriété avec bénéfice la rendra plus susceptible d'être qualifiée de projet comportant un risque de caractère commercial.

(ii)            La nature de l'entreprise, de la profession, du métier ou de l'occupation du contribuable et des associés. Plus l'entreprise ou la profession d'un contribuable est liée aux transactions immobilières, plus il est probable que le revenu réalisé sera considéré comme un revenu tiré d'une entreprise plutôt que comme un gain en capital.

(iii)           La nature du bien et l'usage qu'en fait le contribuable.

(iv)           La mesure dans laquelle l'argent emprunté a servi à financer l'acquisition du bien immeuble et la période pendant laquelle le bien immeuble a été détenu par le contribuable. Les opérations impliquant emprunt et revente rapide sont plus susceptibles d'être des projets comportant un risque de caractère commercial.

...

19             Je conviens avec le juge Iacobucci que l'appelant satisfait à tous les critères établis en common law relativement à un projet comportant un risque de caractère commercial. L'opération spéculative dans laquelle l'appelant était engagé était clairement un projet comportant un risque de caractère commercial plutôt qu'un placement tenant d'une immobilisation. ...

...

31             Le régime fondamental qui consiste à répartir les biens dans l'une ou l'autre des deux catégories prévues par la Loi de l'impôt sur le revenu est étayé davantage par les par. 13(7) et 45(1). Ces dispositions prévoient expressément la conversion de biens immeubles de la catégorie des biens en immobilisation en biens figurant dans un inventaire, et vice versa, dans certaines circonstances. Comme l'explique le bulletin IT-218R, ces circonstances ne surviennent que lorsque le changement dans l'intention du contribuable et dans l'utilisation qu'il fait du bien survient après l'achat initial. Les paragraphes 13(7) et 45(1) prévoient que le transfert se fait au moyen d'une présomption d'aliénation et de nouvelle acquisition du bien à sa juste valeur marchande. La nouvelle acquisition présumée au moment où l'intention du contribuable quant au bien a changé sensiblement reflète le fait que la catégorie du bien est déterminée en fonction de l'intention du contribuable au moment de l'acquisition.

[20]          L'avocat de l'appelant se réfère au Bulletin d'interprétation IT-218R, partie du paragraphe 10 :

... Toutefois, lorsque les biens immeubles qui sont des biens en immobilisation sont convertis en biens figurant dans un inventaire comme dans les cas étudiés en 12 et 13 ci-dessous, les résultats se présenteront comme suit :

a)             dans le cas de biens immeubles qui sont des biens à usage personnel, leur conversion en biens figurant dans un inventaire constitue un changement d'usage aux fins des paragraphes 13(7) et 45(1) avec la disposition et l'acquisition présumées s'y rattachant, ainsi qu'il est expliqué en 11 ci-dessous; et

...

[21]          L'avocat de l'intimée s'est référé à une décision de cette Cour dans Isaaks c. Canada, [2001] A.C.I. no 312 (Q.L.) et au passage suivant :

14             Les tribunaux ont de façon constante insisté pour dire que, lorsque vient le moment de décider si une opération était envisagée comme un projet comportant un risque de caractère commercial, il faut examiner les circonstances qui s'y rapportaient : Happy Valley Farms Ltd. c. La Reine, C.F. 1re inst., no T-6632-82, 16 juillet 1986, aux pages 8, 9 et 10 (86 DTC 6421, à la page 6424). La Cour suprême du Canada a souligné l'importance de l'intention comme l'un des facteurs à être examinés dans l'affaire Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103. Dans cette affaire, le juge Major a résumé certains facteurs importants à considérer pour décider si une opération immobilière constitue un projet comportant un risque de caractère commercial. Il a énuméré ce qui suit au paragraphe 17 :

(i)             L'intention du contribuable relativement au bien immeuble au moment de l'achat, ses possibilités de réalisation et la mesure dans laquelle cette intention est réalisée. L'intention de revendre la propriété avec bénéfice la rendra plus susceptible d'être qualifiée de projet comportant un risque de caractère commercial.

(ii)            La nature de l'entreprise, de la profession, du métier ou de l'occupation du contribuable et des associés. Plus l'entreprise ou la profession d'un contribuable est liée aux transactions immobilières, plus il est probable que le revenu réalisé sera considéré comme un revenu tiré d'une entreprise plutôt que comme un gain en capital.

(iii)           La nature du bien et l'usage qu'en fait le contribuable.

(iv)           La mesure dans laquelle l'argent emprunté a servi à financer l'acquisition du bien immeuble et la période pendant laquelle le bien immeuble a été détenu par le contribuable. Les opérations impliquant emprunt et revente rapide sont plus susceptibles d'être des projets comportant un risque de caractère commercial.

[22]          L'avocat de l'intimée fait valoir que la propriété n'est pas devenue un bien à l'inventaire selon les principes jurisprudentiels servant à déterminer si l'acquisition d'une propriété a été faite avec une intention spéculative ou pour les fins du capital.

[23]          L'arrêt récent de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Stewart, précitée, joue-t-il en faveur de l'appelant? Voici les observations écrites de l'avocat de l'intimée à ce sujet :

... Avec déférence pour l'opinion contraire, la position de l'intimée est qu'il existe effectivement un aspect personnel propre à M. Fecteau dans l'immeuble sis au 963 Creebridge Crescent, ne serait-ce que du fait que sa famille en avait fait sa résidence principale, tel qu'établi par la preuve.

Si la Cour en venait à la conclusion qu'il y a effectivement présence d'un élément personnel, il lui est dès lors possible de considérer, à la lumière des critères établis par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Moldowan, soit : (1) l'état des profits et pertes pour les années antérieures; (2) la formation du contribuable; (3) la voie sur laquelle il entend s'engager et (4) la capacité de l'entreprise de réaliser un profit, la manière dont l'appelant a exercé son activité locative.

Ainsi, lorsque l'on considère l'inexpérience de l'appelant dans ce genre d'activité, les pertes annuelles constantes, l'absence de plan d'action concret et le coût élevé des frais fixes, l'intimée prétend que l'appelant n'exerçait pas son activité locative d'une manière commerciale au cours de ces années en litige. Les dépenses locatives subies au cours de ces années ne sont donc pas déductibles.

[24]          Voici celles en réplique de l'avocat de l'appelant:

...

En ce qui concerne l'argumentation subsidiaire sur l'existence d'un espoir raisonnable de profit, l'appelant aimerait préciser que contrairement à ce qui est invoqué par le procureur de l'intimée, il n'y avait lors de la location de l'immeuble de Toronto aucun aspect de bénéfice personnel. En fait, lorsque la propriété sis au 963, rue Creebridge Crescent à Toronto a été louée, l'appelant et sa famille n'y résidaient plus et avaient déménagé quelques mois plus tôt dans la région de Québec. À partir du moment où l'appelant a mis la propriété en vente et en location, ni l'appelant ni sa famille n'y a résidé, cette propriété étant toujours louée. De résidence principale qu'elle était alors lorsque l'appelant et sa famille y résidaient, l'immeuble de Toronto est devenu un bien locatif lorsque l'appelant a déménagé à Québec et lorsque l'immeuble fut offert en location. Il est donc erroné de prétendre qu'il y avait, après le déménagement à Québec, présence d'éléments d'usage et d'avantages personnels relativement à l'immeuble locatif.

En ce qui a trait à l'application du principe de l'espoir raisonnable de profit et le fait de savoir s'il y a présence ou non d'un aspect personnel, ce test doit être limité à des situations où il y a clairement des éléments d'usage ou d'avantages personnels. Nous pouvons penser par exemple à une situation où un contribuable détiendrait un condo en Floride ou dans une station de ski bien connue et qui, tout en mettant en location ledit condo, occuperait ou utiliserait l'immeuble pendant quelques fins de semaine durant l'année. Dans ce genre de situation, puisqu'il y a un aspect personnel, le contribuable devrait prouver son droit à la déduction des dépenses, selon les diférents critères établis par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Moldowan.

Nous vous soumettons que puisqu'il y a absence d'éléments d'usage personnels dans le cas de monsieur Fecteau, ces différents critères n'ont pas à être appliqués, tel que l'a précisé dernièrement la Cour suprême dans les affaires Bryan J. Stewart et Walls et al.

Conclusion

[25]          La stratégie proposée par l'avocat de l'appelant de conversion d'usage de la résidence principale à bien à l'inventaire est à prime abord séduisante. Toutefois, l'intention spéculative qui doit exister en regard d'un bien à l'inventaire, se démontre à partir de certaines caractéristiques. À l'analyse, les circonstances entourant l'achat, la mise en vente et la location de la résidence familiale de l'appelant ne reflètent pas d'intention spéculative. Elle sont celles de bien des contribuables qui veulent acquérir et protéger un investissement. Un contribuable peut se préoccuper de la valeur de revente de sa résidence principale. Il peut aussi selon les circonstances du marché, attendre quelques années avant de revendre la résidence principale qu'il a cessé d'occuper. Tout ceci est normal et ne transforme pas le gain provenant de la vente de sa maison en gain d'entreprise, surtout dans le cas de l'appelant où l'acquisition et la vente de ses résidences principales se sont faites véritablement pour se loger à la suite de changement du lieu d'emploi.

[26]          Il n'y a eu aucune preuve de transactions spéculatives antérieures de la part de l'appelant. Ni la conduite antérieure de l'appelant ni les circonstances de l'achat de la propriété ne démontrent d'indices d'intention spéculative. Donc, la conversion d'usage de la résidence principale n'a pas été à celui d'un bien à l'inventaire. Je trouverais que trancher autrement serait aller à l'encontre des principes développés par la jurisprudence pour départager les opérations d'achat et de vente qui sont de nature commerciale de celles qui tiennent d'une immobilisation, tel que repris dans l'arrêt Friesen ci-dessus.

[27]          Qu'en est-il des activités locatives de l'appelant? Je me réfère aux paragraphes 50, 52 et 62 à 65 de l'arrêt Stewart :

50             Il est manifeste que, pour que l'art. 9 s'applique, le contribuable doit d'abord déterminer s'il a une source de revenu constituée soit d'une entreprise, soit d'un bien. Comme nous l'avons vu, une activité commerciale qui ne constitue pas véritablement une entreprise peut néanmoins être une source de revenu constituée d'un bien. De même, il est clair que certaines démarches de contribuables ne sont ni des entreprises, ni des sources de revenu constituées d'un bien, mais sont uniquement des activités personnelles. On peut recourir à la méthode à deux volets suivante pour trancher la question de l'existence d'une source :

(i)             L'activité du contribuable est-elle exercée en vue de réaliser un profit, ou s'agit-il d'une démarche personnelle?

(ii)            S'il ne s'agit pas d'une démarche personnelle, la source du revenu est-elle une entreprise ou un bien?

Le premier volet du critère vise la question générale de savoir s'il y a ou non une source de revenu; dans le deuxième volet, on qualifie la source d'entreprise ou de bien.

...

52             Ce premier volet du critère vise simplement à établir une distinction entre les activités commerciales et les activités personnelles et, comme nous l'avons vu, il se peut fort bien que telle ait été à l'origine l'intention du juge Dickson lorsqu'il a mentionné l' « expectative raisonnable de profit » dans l'arrêt Moldowan. Vus sous cet angle, les critères énoncés par le juge Dickson représentent une tentative de dresser une liste objective de facteurs permettant de déterminer si l'activité en cause est de nature commerciale ou personnelle. Ces facteurs sont ce que le juge Bowman a qualifié d' « indices de commercialité » ou de « caractéristiques commerciales » : Nichol, précité, p. 1218. Ainsi, lorsque la nature de l'entreprise du contribuable comporte des aspects indiquant qu'elle pourrait être considérée comme un passe-temps ou une autre activité personnelle, mais que l'entreprise est exploitée d'une manière suffisamment commerciale, cette entreprise sera considérée comme une source de revenu aux fins de la Loi.

...

62             En l'espèce, l'appelant exerçait des activités de location de biens. Il était propriétaire de quatre unités condominiales dont il tirait des revenus de location. Le fait que ces propriétés ne comportaient aucun aspect personnel n'a jamais été mis en doute. Les unités étaient toutes louées à des parties sans lien de dépendance et il n'y avait aucune preuve que l'appelant avait l'intention d'utiliser l'une ou l'autre de ces propriétés à son avantage personnel. A notre avis, une activité de location de bien qui ne comporte aucun élément d'usage ou d'avantage personnel pour le contribuable est nettement une activité commerciale. Pourquoi le contribuable aurait-il consacré temps et argent à cette activité si ce n'est pour réaliser un profit? Par conséquent, l'appelant satisfait au critère d'appréciation de l'existence d'une source de revenu. Même si cela suffit pour trancher le pourvoi, nous estimons que quelques observations additionnelles s'imposent.

63             Même si l'appelant avait utilisé une seule ou plusieurs des propriétés à son avantage personnel, le ministre ne pourrait pas conclure sans plus à l'inexistence d'une entreprise. Le contribuable qui se trouve dans une telle situation devrait avoir l'occasion d'établir que son intention prédominante était de tirer un profit de l'activité et que celle-ci était exercée conformément à des normes objectives de comportement d'homme d'affaires sérieux. La question de l'existence d'une expectative raisonnable de profit peut être un facteur à prendre en considération dans cette analyse.

64             Le ministre et les tribunaux d'instance inférieure ont beaucoup insisté sur le fait que l'appelant escomptait réaliser un gain en capital lors de la vente éventuelle des propriétés. L'on a prétendu que c'était ce gain escompté, et non les profits tirés de la location, qui avait motivé le contribuable. Le ministre a en outre prétendu qu'il n'y a pas lieu de prendre en considération un gain en capital escompté lorsqu'il s'agit de déterminer si le contribuable avait une attente raisonnable de profit. Le ministre prétendait ainsi que l'appelant n'aurait pas dû être autorisé à déduire ses paiements d'intérêts en vertu du sous-al. 20(1)c)(i) à titre de sommes payées pour de l'argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien. Le ministre a justifié l'application du critère de l'ERP en disant que, pour des considérations de politique générale, les contribuables canadiens ne devraient pas être tenus de subventionner les paiements hypothécaires effectués pour des propriétés dont l'acquisition est motivée principalement par la réalisation à long terme d'un gain en capital.

65             Pour répondre à cet argument, il faut se rappeler que le sous-al. 20(1)c)(i) n'est pas un mécanisme d'évitement fiscal et qu'il est établi que, compte tenu de l'existence de dispositions anti-évitement particulières dans la Loi, les tribunaux ne devraient pas s'empresser de renforcer les dispositions de la Loi lorsque des inquiétudes sont exprimées concernant l'évitement de l'impôt : Ludco, précité, par. 39; Neuman c. M.R.N., [1998] 1 R.C.S. 770, par. 63. En outre, dans l'arrêt connexe Walls c. Canada, 2002 CSC 47, nous soulignons, au par. 22, qu'une motivation d'ordre fiscal n'enlève rien à la validité d'opérations effectuées à des fins fiscales. Ainsi, l'espoir de l'appelant de réaliser éventuellement un gain en capital et la perspective de déduire des frais d'intérêts n'affecte pas la nature commerciale de son entreprise de location ni sa qualification de source de revenu. De plus, dans l'arrêt Ludco, précité, par. 59, notre Cour a expressément dit que le sous-al. 20(1)c)(i) n'oblige pas le contribuable à réaliser un profit net pour que l'intérêt soit déductible :

Le sens ordinaire [du sous-al. 20(1)c)(i)] n'appuie pas l'interprétation selon laquelle « revenu » équivaut à « profit » ou à « revenu net » . Le texte de la disposition ne propose aucun critère quantitatif. Le texte de la Loi n'appuie pas non plus une interprétation du mot « revenu » qui impliquerait que le tribunal doit se demander si le revenu a un caractère suffisant. Une telle approche serait trop subjective et la certitude doit être privilégiée en droit fiscal. En l'absence d'un trompe-l'oeil, d'un artifice ou d'autres circonstances viciant l'opération, les tribunaux ne devraient donc pas se demander si le revenu escompté ou touché a un caractère suffisant. [Nous soulignons.]

[28]          Je crois, à l'instar de l'avocat de l'appelant, que les activités de location de ce dernier ne pouvaient pas être considérées comme un passe-temps ou autre activité personnelle. L'appelant n'avait plus d'intérêt personnel dans la propriété à partir du moment où il a cessé de l'habiter sans aucune intention d'y revenir. Son activité a été exercée en vue de tirer un profit et n'était pas une démarche personnelle. Ce que l'appelant a cherché a été d'obtenir le meilleur prix possible pour sa maison. Selon la décision Stewart précitée, cela n'entache pas la qualité d'entreprise de son activité de location qui a été poursuivie dans le but de réaliser un profit de la manière la plus sérieuse et commerciale possible comme en font foi les propos de son comptable reproduits au paragraphe 14 de ces motifs.

[29]          Les appels sont accordés pour les montants admis par les avocats au début de l'audience. Avec dépens en faveur de l'appelant.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de juillet 2002.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        1999-5028(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 Alain Fecteau et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    30 janvier 2002

DERNIÈRES SOUMISSIONS

ÉCRITES REÇUES :                                              27 juin 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :                      le 18 juillet 2002

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :                          Me Daniel Bourgeois

Avocat de l'intimée :                            Me Alain Gareau

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                                Nom :                       Me Daniel Bourgeois

                                Étude :                     Pothier Delisle, s.e.n.c.

                                                                                Sainte-Foy (Québec)

Pour l'intimée :                                       Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

1999-5028(IT)G

ENTRE :

ALAIN FECTEAU,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 30 janvier 2002 à Québec (Québec) et

dernières soumisions écrites reçues à Ottawa (Ontario) le 27 juin 2002

par l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions

Avocat de l'appelant :                                   Me Daniel Bourgeois

Avocat de l'intimée :                                     Me Alain Gareau

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997 sont accordés, avec dépens en faveur de l'appelant, pour les montants admis par les avocats au début de l'audience, le tout selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de juillet 2002.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

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